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Comportement

Publié le 22 avr 2020Lecture 10 min

De la lenteur des acquisitions aux « dys »

Florence DELTEIL, CHU Bicêtre (AP-HP), Centre de référence des troubles du langage et des apprentissages, Le Kremlin-Bicêtre

Les difficultés de langage, de graphisme ou des apprentissages scolaires sont des motifs fréquents de consultation. Le développement étant très variable d’un enfant à l’autre, il est difficile de savoir s’il s’agit d’un simple retard avec des difficultés qui vont finir par disparaître ou d’un réel trouble, plus durable et sévère. Le rôle du médecin est primordial, car il doit informer les parents, ne pas les affoler, mais ne pas non plus banaliser les difficultés, avec un objectif double : demander un minimum d’explorations dans le cadre de la démarche diagnostique et proposer une prise en charge adéquate.

Définition des « dys » Les troubles appelés « dys » en France comprennent les troubles du langage oral (TLO), les troubles spécifiques des apprentissages avec déficit de la lecture (dyslexie), de l’orthographe (dysorthographie) ou du calcul (dyscalculie) et les troubles du développement de la coordination (TDC ou dyspraxie). Dans les dernières classifications internationales (DSM-V et CIM-11), ils font partie des « troubles neurodéveloppementaux » de même que le trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité (TDA/H) qui leur est souvent associé. Ils sont durables et ne peuvent pas être totalement expliqués par une déficience sensorielle ou intellectuelle, une pathologie neurologique ou psychiatrique, des carences pédagogiques et/ou un bilinguisme. Leur prévalence serait de l’ordre de 8 à 10 % des enfants par classe d’âge pour l’ensemble des troubles avec des comorbidités très fréquentes(1). En janvier 2018, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié un guide pour améliorer le parcours de santé de ces enfants(1). « L’enjeu est de rechercher le plus précocement possible une difficulté... dans l’objectif de prendre en charge les retards au plus vite, de corriger ces difficultés et de mettre en place les rééducations si nécessaire. La précocité de ces interventions permettra de prévenir les limitations d’activité ou les restrictions de participation à la vie en société. »  Les signes d’alerte identifiés par le médecin de premier recours et les actions à mettre en œuvre ont été répertoriés selon des âges clés et pour chaque type de difficulté(2). Difficultés d’acquisition du langage oral Les TLO regroupent les troubles de la parole, touchant l’articulation et/ou la phonologie (prononciation des sons et/ou des mots) et les troubles du langage, touchant le vocabulaire et la syntaxe. Ils peuvent être expressifs ou mixtes (ils affectent alors l’expression et la compréhension). Ils concernent 6 à 7 % des enfants, et 1 % d’entre eux sont atteints de formes sévères (dysphasies)(4). On ne parle pas de retard de langage avant l’âge de 3 ans(3), mais, selon la HAS, certaines difficultés repérées plus tôt nécessitent d’être explorées(2). Ainsi, dès 18 mois, il faut rechercher un trouble de l’audition ou de la communication non verbale en cas d’absence de babillage ou de mot signifiant. À 2 ans, un langage pauvre ou des difficultés de compréhension, surtout si l’enfant communique bien par ailleurs (gestes, regard, etc.), doivent conduire à un examen clinique et de l’audition, à rechercher des signes en faveur d’un trouble du spectre de l’au- tisme (TSA), et à réaliser un bilan orthophonique, avec rééduca§tion si nécessaire (surtout en cas d’antécédents familiaux ou de prématurité). Après 3 ans, une fois les diagnostics différentiels éliminés (surdité, TSA, mais aussi déficience intellectuelle, pathologie neurologique ou génétique, carence éducative), la conduite à tenir dépendra de l’existence ou non de signes de gravité : en cas d’inintelligibilité, d’absence de phrase ou d’atteinte de la compréhension, il faut faire d’emblée un bilan orthophonique et une rééducation si nécessaire. Sinon, une réponse pédagogique préventive doit être mise en place à l’école (entraînements langagiers en petit groupe) ainsi qu’une guidance parentale. Après 6 mois, s’il n’y a pas de progrès, le médecin doit demander un bilan orthophonique et rééducation si nécessaire. La présence d’un bilinguisme peut entraîner un léger décalage physiologique dans le développement du langage oral, mais il ne faut pas méconnaître un réel TLO qui s’exprime souvent dans les deux langues. Tout TLO persistant à 5 ans, même articulatoire ou phonologique isolé, doit entraîner la réalisation d’un bilan orthophonique avec rééducation si nécessaire. En effet, de très nombreuses études ont montré son impact sur la mise en place du langage écrit(4) et il faut prévenir les difficultés éventuelles par la rééducation du langage oral et un travail sur les prérequis du langage écrit. D.V. Bishop a suivi 87 enfants de 4 ans à 5 ans et demi ayant un TLO et elle a montré qu’un tiers des enfants n’avaient plus de trouble lors du deuxième examen. Les meilleurs prédicteurs d’une persistance du trouble étaient la difficulté à produire une histoire à partir d’images ou un trouble de la compréhension alors que les troubles phonologiques purs avaient un bon pronostic(5). D’après une étude personnelle non publiée, la persistance d’un TLO à 5 ans et demi semble prédictive de la persistance d’un TLO ultérieurement(3). J.H. Beitchman et son équipe ont réalisé un dépistage de TLO chez 1 655 enfants âgés de 5 ans(6). Les 19 % d'enfants dépistés ont bénéficié d’une évaluation plus complète, ainsi qu’un groupe contrôle. Cette évaluation a confirmé le TLO chez 58 % des enfants dépistés, mais elle a aussi révélé un trouble chez 10 % des patients contrôles. Le suivi de la cohorte à 12 ans amontré que 72 % des enfants ayant un TLO à 5 ans en avaient encore un, mais aussi que 33 % des enfants sans trouble à 5 ans enavaient un à 12 ans ! Il est donc important de rester vigilant tout au long de la scolarité. Difficultés d’apprentissage du langage écrit En France, selon la dernière étude PISA (2015), les difficultés en lecture concernent 21,5 % des élèves de 15 ans. Les troubles spécifiques du langage écrit (TLE) ne touchent que 5 à 8 % des enfants et regroupent les troubles de l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe. L’acquisition des pré-requis de la lecture commence en maternelle avec l’apprentissage de l’alphabet et l’entraînement des capacités métaphonologiques. La conscience phonologique est la capacité à percevoir que les mots sont composés de sons et de syllabes, que certains riment entre eux ou commencent par le même son. Les enfants ayant ou ayant eu un TLO ont un déficit de cette conscience phonologique et très fréquemment de la mémoire de travail auditivo- verbale. Cela explique leurs difficultés à apprendre à lire(4). Il faut donc rester vigilant en CP, même si les difficultés langagières ont disparu. Les difficultés d’entrée dans la lecture ont plus inattendues si l’enfant n’a eu aucun retard de langage, mais des difficultés dans l’acquisition des pré-requis en grande section peuvent les laisser présager. L’apprentissage de la lecture se fait en CP, parfois en CE1 pour les enfants plus lents. Selon la HAS, il e faut s’inquiéter dès le 2 trimestre du CP si un enfant présente toujours un TLO, ne fait pas de lien entre les lettres et les sons correspondants ou ne lit pas de syllabes simples(2). Dans ce cas, après avoir vérifié l’absence de trouble neurosensoriel (visuel ou auditif), neurologique ou de la communication, le médecin de premier recours doit demander d’emblée un bilan orthophonique du langage oral et du langage écrit, puis une rééducation si nécessaire. Si les difficultés sont moins sévères, il faut d’abord mettre en œuvre une intervention pédagogique préventive et surveiller l’évolution. En cas de difficultés persistantes au 3e trimestre de CP, le bilan orthophonique doit être demandé. À partir du CE1 et au-delà, toute difficulté persistant en lecture ou en orthographe doit entraîner une évaluation normée de la lecture et de l’orthographe correspondant à la classe de l’enfant par le médecin de premier recours. Différents outils sont disponibles, en particulier l’ODEDYS, l’EDA ou la BMT-i(7,8,9). Si un décalage objectif est constaté, une intervention pédagogique durant 3-4 mois doit être proposée. Si elle n’a pas permis à l’enfant de rattraper son retard, un bilan orthophonique du langage oral et écrit doit alors être réalisé, puis une rééducation si nécessaire. La rééducation orthophonique doit être adaptée au trouble de l’enfant, en qualité et en quantité. Plusieurs séances par semaine sont parfois nécessaires en cas de trouble sévère, surtout si l’enfant est encore non-lecteur. On parlera de TLE, ou dyslexie-dysorthographie, en cas de trouble persistant malgré la rééducation. Il faut aussi penser à rechercher un éventuel TDA/H, car sa répercussion sur l’apprentissage du langage écrit peut-être importante. Difficultés d’apprentissage du calcul Selon l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de 2015, 23,5 % des élèves de 15 ans présentent des difficultés en mathématiques. Seulement 5 à 7 % des enfants présentent un trouble spécifique du calcul ou de la cognition mathématiquz (TCM)(10). Ce trouble est rarement isolé et s’associe soit à un TLO ou un TLE (dyscalculie verbale), soit à un TDC (dyscalculie spatiale). Dès la grande section de maternelle, des difficultés d’accès au nombre, d’acquisition de la comptine numérique ou de dénombrement d’une collection doivent alerter(2). Si la difficulté est isolée, une réponse pédagogique ciblée doit être proposée dans un premier temps. En cas de plainte associée, des bilans orthophonique (si plainte du langage oral) ou psychomoteur et/ou ergothérapique (si plainte du geste) doivent être demandés. Si l’enfant est déjà suivi, il faut en informer le ou les rééducateurs. En primaire, un enfant qui a des difficultés dans l’acquisition de la numération, du calcul, des techniques opératoires, du raisonnement ou de la logique doit d’abord bénéficier d’une aide pédagogique ciblée si le trouble est modéré ou isolé. Si les difficultés persistent (et au plus tard en fin de CE2) ou s’il existe d’emblée un trouble associé du langage oral/écrit, du geste ou de l’écriture, ainsi qu’en cas d’antécédents personnels ou familiaux, la réalisation d’un bilan orthophonique spécialisé de la cognition mathématique (calcul et/ou raisonnement logico-mathématique) doit être demandée. Un bilan neuropsychologique est également recommandé pour évaluer le contexte cognitif général (raisonnement, langage, fonctions praxiques, attention, mémoire), et orienter le diagnostic et la prise en charge. Difficultés d’acquisition des coordinations et des praxies Le TDC toucherait entre 1,8 et 3,1 % des enfants d’une classe d’âge selon les critères d’inclusion retenus(11). Des signes d’appel peuvent exister dans la vie courante ou à l’école (désintérêt pour les jeux de construction, le dessin, les jeux moteurs ou de ballon, chutes fréquentes, maladresse dans l’habillage, la toilette ou les repars)(2). À l’école, dès la moyenne section de maternelle, des difficultés graphiques (coloriage, dessin pauvre, écriture du prénom non acquise en fin de grande section) ou dans la manipulation des outils (bâton de colle, ciseaux) doivent alerter. Dans un premier temps, il faut proposer une aide pédagogique et surtout dédramatiser la situation pour que l’enfant ne se braque pas face à l’écrit. Si les difficultés perdurent, un examen de première intention doit être pratiqué après avoir vérifié l’absence de problème visuel : recherche d’antécédents néonataux (souffrance fœtale ou prématurité), familiaux, examen clinique, mais aussi évaluation des capacités graphiques et du contexte cognitif (raisonnement verbal) avec des outils normés (EDA, BMTi ou autres). La confirmation de difficultés doit amener à la réalisation d’un bilan psychomoteur ou ergothérapique, avec rééducation si nécessaire. À partir de la fin du CP et après, l’existence de difficultés graphiques et calligraphiques, la persistance d’une maladresse, des difficultés d’organisation du matériel scolaire ou de repérage spatial doivent conduire à la mise en place d’aménagements scolaires et à la réalisation d’un bilan psychomoteur et/ou ergothérapique avec rééducation si nécessaire. Il faut se méfier de la confusion possible avec un TDA/H, car les symptômes sont souvent proches, notamment les troubles graphiques. L’association TDA/H et TDC est par ailleurs fréquente. La réalisation d’un bilan orthoptique est recommandée, même en cas d’examen ophtalmologique normal, car des troubles de la convergence ou de la motricité conjuguée sont fréquents dans cette population(12). Suivi et scolarité Les enfants présentant des troubles « dys » doivent être suivis réguliè- rement pour s’assurer de l’évolution favorable avec les rééducations, mais aussi de la scolarité. Des aménagements pédagogiques sont nécessaires et peuvent être mis en place dans le cadre d’un PAP (Plan d’accompagnement personnalisé), validé si possible par le médecin scolaire. Avec le temps, les difficultés vont diminuer, mais les troubles ne disparaissent pas. Des moyens de compensation (outils informatiques) pourront être utiles dans certains cas. Il faut savoir réorienter les prises en charge si besoin, éventuellement les intensifier ou proposer une scolarité adaptée. Des classes spécialisées existent (ULIS TSL, IME ou écoles spécialisées), mais leur répartition est variable selon les territoires. Dans l’idéal, une prise en charge rééducative sur place par l’intermédiaire d’un service de soins est proposée. Des unités spécialisées existent dans certains hôpitaux pour les cas les plus sévères et surtout complexes, associant plusieurs troubles. Elles proposent une scolarité à petit effectif et des prises en charge intensives et multiples sur place. Un suivi psychologique est souvent nécessaire en raison de la répercussion des troubles sur l’estime de soi et de l’association fréquente avec des troubles anxieux.

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