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L'œil du médecin d'adolescents

Publié le 29 nov 2021Lecture 5 min

Jessica, 17 ans, hospitalisée en urgence pour des symptômes neurologiques

Renaud DE TOURNEMIRE, CHU Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt
Jessica, 17 ans, hospitalisée en urgence pour des symptômes neurologiques

Jessica est admise pour douleurs thoraciques irradiant vers le membre supérieur gauche, palpitations, dyspnée et impression de lourdeur de l’hémicorps gauche.

Elle a consulté la veille dans une clinique pour une symptomatologie identique. L’ECG, les D-Dimères et l’angioscanner thoracique sont normaux. La PCR COVID est négative. Les constantes hémodynamiques sont normales en dehors d’une tachycardie à 130/min. Il n’y a pas de fièvre. L’examen neurologique met en évidence un déficit sensitif, ainsi qu’un déficit moteur modéré de l’hémicorps gauche prédominant au membre supérieur. Les réflexes ostéo-tendineux sont présents et normaux. L’examen des nerfs crâniens est normal, les réflexes photomoteurs conservés. Il n’y a ni syndrome pyramidal, ni syndrome cérébelleux, ni syndrome vestibulaire. Le reste de l’examen est sans anomalie. Hypothèses initiales : un accident vasculaire cérébral, une aura migraineuse, une sclérose en plaque, une vascularite, une épilepsie partielle L’anamnèse recherche des facteurs de risque thrombotiques : le père a un déficit en protéine C et Jessica prend depuis quelques mois une contraception œstroprogestative instaurée pour des menstruations irrégulières et douloureuses. Aucune céphalée n’est rapportée et il n’existe pas d’antécédent migraineux personnel ou familial. La pilule est cependant interrompue transitoirement, aux vues des antécédents familiaux de thrombophilie et de la symptomatologie. Un scanner cérébral avec injection est réalisé aux urgences ; une IRM cérébrale avec séquences vasculaire, puis une IRM médullaire sont effectuées par la suite et ne retrouvent pas d’anomalie de signal ni d’anomalie vasculaire. L’EEG s’avère également normal. Un bilan biologique (NFS, ionogramme sanguin, bilan phosphocalcique, VS, TSH) est sans anomalie. Une radiographie du thorax, une échographie cardiaque et un Holter cardiaque sont pratiquées et s’avèrent également normaux. Les palpitations et la tachycardie restent inexpliquées. L’hémostase est normale, ainsi que les dosages de protéine S et C. La recherche de mutation du facteur II et V (Leiden), de FAN et d’anticoagulant lupique reviendra négative. Une prise de toxique est également questionnée Jessica rapporte suivre un traitement antidépresseur et anxiolytique pour un syndrome dépressif. Elle a souffert de violences physiques de la part de son père, décédé depuis. L’anamnèse met aussi en évidence un usage de cannabis le soir, à visée anxiolytique. Il n’y a pas d’intoxication médicamenteuse volontaire rapportée. Les dosages de toxiques sont négatifs en dehors des benzodiazépines prescrites par son psychiatre. Un trouble somatoforme dans ce contexte de manifestations somatiques multiples ? Les conditions de vie, les événements récents et l’existence de violences subies sont interrogées le lendemain. Jessica vit chez sa mère. Elles entretiennent une bonne relation. La scolarité en classe de première est bien investie, sans notion de harcèlement. Cependant, Jessica explique avoir été victime d’une agression sexuelle il y a plusieurs mois, sans qu’une plainte n’ait été déposée, en raison d’une crainte de représailles. Jessica a récemment croisé son agresseur qui demeure près de chez elle et qui a proféré des menaces à son encontre. La gravité des faits est reprise en présence de sa mère. Un signalement au procureur de la République est rédigé et envoyé avec double à la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Un bilan d’infection sexuellement transmissible est proposé avec réalisation de sérologies (hépatite B, syphilis et VIH) et une PCR chlamydia et gonocoque sur premier jet d’urine. Évolution La normalité des premiers examens complémentaires réalisés pour explorer le déficit sensitivo-moteur est expliquée à Jessica. L’éventualité d’une expression somatique de tensions intrapsychiques suscitées par les événements traumatiques récents est évoquée. Une fois la parole libérée et un cadre rassurant de protection posé, les symptômes neurologiques et systémiques s’amendent rapidement. Jessica est évaluée par un pédopsychiatre qui n’objective pas de syndrome post-traumatique. Il existe un syndrome dépressif dans un contexte de traumatismes multiples et répétés. Un suivi est nécessaire afin de poursuivre les soins psychiques. Jessica est revue en consultation à distance pour le rendu définitif du bilan thrombotique qui s’avère négatif. Une échographie pelvienne et un bilan hormonal en début de cycle sont réalisés afin d’explorer les irrégularités menstruelles antérieurement rapportées. Ces examens sont normaux. En raison d’un besoin contraceptif, les œstroprogestatifs sont ensuite repris, après s’être assuré de l’absence de contreindication, et avec des consignes de surveillance de la tolérance et un bilan métabolique à 3 mois. Une mise à jour des vaccins est proposée. Jessica se dit alors prête à déposer plainte. Les symptômes somatiques peuvent être l’expression de tensions intrapsychiques chez l’adolescent. La multiplicité des plaintes, les éléments de discordance lors de l’examen clinique et/ou le contexte psychosocial de l’adolescent peuvent permettre de l’évoquer. Une approche globale, s’intéressant aux différents aspects de la vie de l’adolescent, de façon concomitante à l’exploration clinique et paraclinique rigoureuse des symptômes évoqués, peut permettre de libérer la parole et d’identifier les éventuelles sources de souffrance. Les maltraitances figurent parmi les éléments à interroger systématiquement dans ce contexte. Rappel législatif Face à une suspicion d’atteinte sexuelle, mais aussi tout sévice physique ou psychique chez le mineur, le médecin, normalement tenu au secret professionnel (article 226-13 du Code pénal), peut se délier de ce secret (article 226-14). Il n’est pas nécessaire d’obtenir le consentement de la victime si elle est mineure. L’article R. 4217-44 du Code de la santé publique dispose aussi que lorsqu’un mineur de 15 ans, ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son état physique ou psychique, est victime de sévices ou de privations, le médecin « doit sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives ». L’article 40 du Code de procédure pénale précise que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Cette obligation de plainte ou de dénonciation s’impose à tous les fonctionnaires. Un médecin de PMI, un médecin scolaire ou un médecin hospitalier est concerné par cette obligation. Dans le cas où un parent décide de déposer plainte contre l’auteur présumé, cette démarche ne dispense pas le médecin de faire un signalement en parallèle.

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