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Le risque en pédiatrie

Publié le 04 jan 2021Lecture 7 min

Niveau de risque acceptable aux urgences pédiatriques, accepter et gérer au mieux l’incertitude diagnostique en urgence

Alain MARTINOT, CHU et université de Lille, ULR 2694-METRICS : Évaluation des technologies de santé et des pratiques médicales

La notion de risque « acceptable » s’applique en urgence le plus souvent à l’incertitude d’ordre diagnostique. Cette incertitude est inhérente à la médecine (complexité et multiplicité des situations, limites des connaissances scientifiques), au médecin (domaine d’exercice vaste pour le pédiatre aux urgences, limites de ses connaissances) et au patient (précocité des consultations avec des symptômes isolés, peu spécifiques et mal exprimés chez le jeune enfant). Le risque acceptable et l’incertitude sont moins bien acceptés en situation d’urgence et de gravité ressentie, tant par les parents que par les médecins. La reconnaissance et l’acceptabilité du risque passent par la formation des médecins, l’information et la participation des parents.

Le risque inacceptable Il se définit comme tout risque susceptible d’entraîner un préjudice majeur alors qu’une prévention efficace est possible. La gestion des risques a pour objectif de le réduire le plus possible. Aux urgences, Il peut s’agir par exemple d’une erreur de patient, d’une erreur d’administration d’un traitement, d’une chute consécutive à une négligence, etc. Le risque acceptable L’incertitude est fréquente en médecine, qu’elle soit d’ordre diagnostique, thérapeutique ou pronostique, et ne pas prendre de risque conduirait à ne pas soigner, au préjudice du patient. La démarche de gestion des risques cherche à concilier la prise de risque avec la maîtrise de ses dangers, et ainsi à rendre le risque acceptable en trouvant le meilleur équilibre entre le bénéfice attendu et le risque accepté(1). De façon générale, l’incertitude reste mal acceptée par la société, les patients (parents) et les médecins, même si pour certains, elle serait mieux perçue des pédiatres : « A lot of the kids can’t tell you what’s wrong... so just getting off the bat, a lot of times things are unknown... Pediatricians are maybe a little more comfortable with uncertainty than maybe some of the adult providers(2) ». Mais en situation d’urgence, face à un enfant présentant des symptômes inquiétants d’évolution rapide et un diagnostic possible requérant un traitement urgent, cette acceptation d’un risque est difficile ! Le risque acceptable en urgence est principalement d’ordre diagnostique, et de deux types : retarder le diagnostic, et donc le traitement, et faire un diagnostic erroné amenant à traiter à tort (figure 1). La démarche diagnostique aux urgences pédiatriques est souvent probabiliste. Cette évaluation intègre la prévalence de l’affection suspectée, les données de l’interrogatoire et de l’examen clinique, et enfin si nécessaire les résultats d’examens complémentaires (figure 1)(3). La décision peut être de traiter si la probabilité apparaît suffisante, le risque lié à un retard de traitement important et celui d’un traitement inutile faible. La décision peut être de ne pas traiter et de surseoir à tout nouvel examen si la probabilité de l’affection apparaît suffisamment basse, le risque lié à un retard de traitement faible et celui d’un traitement inutile important. Le médecin se fixe donc des seuils d’acceptabilité : probabilité au-dessus de laquelle il traite, et probabilité en dessous de laquelle il ne traite pas et ne réalise pas d’autre examen (figure 2). Un examen complémentaire ne présente une utilité potentielle que lorsqu’une décision ne peut être prise sur les seules données de prévalence et de clinique, la probabilité pré-test étant en zone d’incertitude décisionnelle, ni suffisamment basse pour accepter le risque de réfuter le diagnostic, ni suffisamment haute pour traiter. La deuxième condition de l’utilité de cet examen est sa capacité d’augmenter (mesurée par le rapport de vraisemblance positif [RVP] si résultat positif) ou de diminuer (mesurée par le rapport de vraisemblance négatif [RVN] si résultat négatif) suffisamment la probabilité de l’affection (dite alors p post-test) pour franchir les seuils de risque acceptable (figure 2). RVP et RVN sont tous deux représentés sur la figure 2 par l'amplitude des flèches(3).  Figure 1. Les déterminants de la décision médicale. Figure 2. Zone d’indécision et zones de risque acceptable. Vignette 1 - Julien, 12 ans Julien, 12 ans, sans antécédent, se présente aux urgences pour une douleur depuis 48 h ayant migré en fosse iliaque droite, une anorexie, une fièvre à 38,5 °C, une douleur à la toux. Il existe une sensibilité à la palpation sans défense. Le score PAS est à 7. 1. À combien estimez-vous la probabilité d'appendicite ? Selon le score PAS la probabilité est estimée entre 40 et 60%(4). 2. À combien fixez-vous le seuil de risque acceptable de retarder le diagnostic d’appendicite et donc l’intervention ? Acceptez-vous 5 % ou 10 % en estimant que les conseils de surveillance et de reconsultation permettront de revoir l’enfant avant que l’appendicite ne soit compliquée. 3. À combien fixez-vous le seuil de risque acceptable de faire le diagnostic d’appendicite à tort et d’opérer à tort ? Ce seuil a beaucoup varié au cours des 30 dernières années avec l’apport de l’échographie abdominale, et le taux d’appendicectomies avec appendice sain a beaucoup baissé : acceptez-vous 5 % donc 95 % de probalité d’appendicite comme seuil minimal pour l’intervention ? Dans 62 hôpitaux hollandais, une imagerie préopératoire était réalisée chez 99 % des enfants opérés pour suspicion d’appendicite (une échographie seule chez 92 %) avec un taux d’appendice normal de 3 %(5). 4. L’échographie abdominale a-t-elle une chance de vous faire prendre une décision compte tenu de ses valeurs diagnostiques ? Le RVP est estimé selon les études aux environs de 14 (et jusque 40) et le RVN de 0,1. Les variations de p induites par l’échographie sont reportées sur la figure 3.   Vignette 2 - Marie, 18 mois Marie, 18 mois, sans antécédent, notamment d’infection urinaire (IU) ou d’uropathie, présente une fièvre à 38,5 °C depuis 6 h sans autre symptôme, sans signe « toxique » et sans point d’appel clinique. Vous ne réalisez pas de bandelette urinaire (BU). Pourquoi ? La prévalence de l’IU dans cette situation est estimée autour de 2 %. Le seuil de risque acceptable pour retarder le diagnostic peut être fixé autour de 3 à 5 % compte tenu du faible risque de sepsis ou d’augmentation des cicatrices rénales en cas de retard au traitement. Vous la revoyez 72 h plus tard toujours fébrile sans autre symptôme, sans signe « toxique » et sans point d’appel clinique. Vous réalisez une BU. Pourquoi ? La prévalence de l’IU a augmenté avec la durée de cette fièvre isolée et devient supérieure au seuil de risque acceptable qui lui n’a pas changé. La négativité de la BU, dont le RVN est d’environ 0,2, amène à ne pas réaliser d’examen cytobactériologique des urines (ECBU) : p post-BU négative de l’ordre de 0,5 %, devenue inférieure au seuil de risque acceptable. Si l’ECBU était pratiqué, son résultat risquerait d’induire une proportion très importante de faux positifs dans cette population (plus la prévalence est basse, plus la proportion de faux positifs est importante), liée notamment à la contamination du prélèvement.   Vignette 3 - Chloé, 1 mois Chloé, 1 mois, sans antécédent présente une fièvre à 38,5 °C depuis 6 h sans autre symptôme, sans signe « toxique » et sans point d’appel clinique. Vous faites une BU et un ECBU. Pourquoi ? La prévalence de l’IU devant une fièvre isolée dans le premier mois de vie est au moins de 8 à 10 %. Le seuil de risque acceptable de retarder le diagnostic est fixé très bas (< 1 %), car à ce jeune âge le risque de sepsis d’évolution très rapide est élevé. Le RVN (0,2) de la BU négative ne permettra pas de descendre en dessous de 1 % d’où la décision d’un ECBU quel que soit le résultat de la BU. Les seuils de risque acceptable varient donc beaucoup selon les situations. Un exemple est celui d’urgences thérapeutiques avec un traitement ne comportant pas de risque important et l’absence d’examen complémentaire modifiant notablement la probabilité. Le seuil de retard diagnostique est fixé très bas et donc très difficile à franchir. Le seuil thérapeutique est également bas, et le traitement facilement et rapidement mis en œuvre. Il s’agit par exemple de l’exploration chirurgicale d’une suspicion de torsion de testicule ou d’une situation à risque important d’infection bactérienne sévère justifiant une antibiothérapie précoce. Enfin lorsque la probabilité clinique est très éloignée du seuil thérapeutique, qu’aucun examen complémentaire n’est très performant et que le retard diagnostique est peu préjudiciable, la meilleure balance bénéfice/risque peut être de ne pas multiplier les examens, mais de se laisser un temps d’observation pour le développement ou non de nouveaux symptômes permettant d’augmenter ou de baisser significativement la probabilité clinique.   Figure 3. Le raisonnement devant une douleur en fosse iliaque droite (vignette 1). Conclusion Reconnaître et accepter l’incertitude dans notre exercice, y compris aux urgences. Nous interroger sur les seuils de risque acceptable dans les situations fréquentes d’urgences. Communiquer avec les parents sur ce risque acceptable diagnostique nécessaire au meilleur équilibre entre le bénéfice attendu et le risque accepté. Limiter les conséquences du risque accepté chez les enfants repartant à domicile par la précision des conseils de surveillance permettant de repérer à temps les signes d’aggravation devant amener à consulter de nouveau.

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