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Pédiatrie générale

Publié le 31 jan 2010Lecture 12 min

Traitement de la fièvre de l'enfant : l’histoire d’une volte-face

F. CORRARD, Combs-la-Ville

Ce titre « Traitement de la fièvre » résume à lui seul le chemin parcouru ces dernières années sur le rôle de cette réponse thermique. « Traitement de la fièvre », comme si la fièvre était une maladie à traiter, à soigner, responsable des convulsions qualifiées de fébriles, de l’inconfort du comportement malade, de l’hyperthermie maligne. La concomitance de la fièvre avec ces évènements n’a pas valeur de causalité. La remise en cause de tous ces liens dénude la fièvre de ces attributions erronées pour la considérer simplement comme le témoin respectable de l’activation de la défense immunitaire de l’enfant et même, un facteur de survie dans des maladies particulièrement graves  (1).

 
Cette expression « traitement de la fièvre », tellement usitée, n’est plus légitime. D’autres usages entrent aussi dans le panthéon des concepts de la fièvre, comme les expressions « antipyrétiques » pour nommer des médicaments dont l’intérêt est l’antalgie et l’inconfort et non l’antipyrexie, « tolérance de la fièvre », alors qu’il s’agit de tolérance des défenses de l’enfant, les bains frais systématiques. C’est dire tout le chemin parcouru et à parcourir dans le mental des médecins et des parents ! Vaste programme…   Historique Les résultats concordants et dramatiques d’études, réalisées de 1949 à 1978 par des neuropédiatres renommés, concernant des enfants hospitalisés dans leurs services spécialisés, sur le devenir des convulsions fébriles — alors que ce terme englobait toutes les causes possibles (pathologie intracrânienne, déshydratation et des antécédents de convulsion sans fièvre) — ont traumatisés le monde médical, et par voie de conséquences les parents (figure 1) : retard mental (22 % !), difficultés d’apprentissage, retard de langage, troubles du comportement, déficit de l’attention, épilepsie résiduelle 20 fois plus fréquente que dans la population générale et menace à chaque accès fébrile d’un état de mal convulsif avec ses séquelles et la possibilité de décès ! Dès lors, tout degré dépassant le seuil fatidique des 38 °C devait être terrassé par tous les moyens. Cet acharnement a imposé les refroidissements externes (bain frais avec son adage « température de l’eau inférieure de 2 °C à celle de la température rectale », enfants déshabillés, boissons froides, application de vessies de glace…) aussi inutiles que désagréables (2) et des excès thérapeutiques (traitement systématique de la fièvre avec un voire deux antipyrétiques régulièrement alternés et pendant une époque maintenant révolue, l’adjonction systématique de diazépam abrutissant rapidement les enfants. Trois études épidémiologiques (3-5) sans biais de recrutement ont marqué l’aube de la renaissance en remettant en cause ces conceptions. Ces études ont considéré les enfants nés une semaine donnée et ayant présenté une convulsion avec fièvre d’après la définition consensuelle de 1980* : enfants de 3 mois à 5 ans, sans cause définie ou d’infection intracrânienne et sans antécédent de crise sans fièvre) et les ont évalués à l’âge de 10, 11 et 12 ans. Résulats : pas de décès ni de déficit neurologique, même développement que les autres enfants (voire dans une petite étude, une meilleure mémoire !), une fréquence d’épilepsie légèrement plus importante que dans la population générale pour laquelle on peut s’interroger sur la responsabilité directe de la convulsion.   Disculpation de la fièvre La responsabilité de la fièvre est aujourd’hui remise en cause dans les situations suivantes.  Fièvre et convulsion La simple observation rapporte qu’un enfant qui a convulsé avec de la fièvre peut avoir de nouveaux accès fébriles sans récidive, alors même que le niveau de fièvre est supérieur. Des enfants ayant convulsé ont reçu juste avant la crise autant de paracétamol que des enfants témoins. Enfin, trois études n’ont pu démontré l’intérêt des antipyrétiques pour éviter la récidive de convulsion avec fièvre.    Fièvre et hyperthermie maligne L’analyse des conditions dans lesquelles survient ce syndrome exceptionnel, avec son devenir redoutable (séquelles, décès) associe à une fièvre banale des conditions hyperthermiques (surhabillement, en particulier couverture de la tête, surchauffe de la pièce…) le faisant dénommer syndrome fièvre-hyperthermique.  Fièvre et comportement malade On a coutume d’attribuer à la fièvre toutes les altérations du comportement de l’enfant malade : apathie, diminution de la capacité d’efforts intellectuels, de l’intérêt de communiquer, des explorations, de l’appétit, de la soif. Une meilleure connaissance des conséquences de la réaction immunitaire permet de disculper la fièvre. Les médiateurs cachés de tous ces troubles en cas de défense immunitaire sont les cytokines libérées dans le courant sanguin au cours de la réaction de défense de l’organisme à partir de nos cellules immunocompétentes. Il s’agit en particulier des interleukines (IL-1, IL-6), du TNF et des interférons.   Les vrais protagonistes : les cytokines ?  Cytokines et fièvre Ces cytokines vont déclencher, par l’intermédiaire de l’enzyme COX 2, la synthèse de prostaglandine PEG2. Cette dernière agit sur le centre régulateur de la température situé dans l’hypothalamus antérieur qui déclenche la fièvre (rappelons que simultanément d’autres substances font baisser la température, régulant ainsi spontanément la fièvre). Par ailleurs, cette PEG2 stimule dans le foie la branche afférente du nerf vague (X, parasympathique), véritable sentinelle du tronc et de la tête. Cette activation entraîne à son tour la sécrétion intracérébrale des mêmes cytokines (IL-1, IL-6 et TNF).    Interleukine 1 et convulsion Chez la souris, l’injection de fortes doses d’IL-1 déclenche une convulsion et reste sans effet chez l’animal génétiquement modifié, ne comportant pas de site récepteur à l’IL-1. Chez l’enfant, des travaux ont montré que les leucocytes prélevés après une convulsion avec fièvre sécrètent 8 fois plus d’IL-1 (p = 0,0007) que ceux d’un groupe qui n’a pas convulsé (6).    IL-1, IL-6, TNF et comportement malade Chez la souris, des manipulations génétiques montrent le rôle de IL-1, IL-6 et TNF concourant à ce comportement. Chez l’homme, au cours de maladies prolongées (EBV, Virus Ross River, fièvre Q) l’augmentation d’IL-1 et d’IL-6 est corrélée avec fièvre, malaise, douleur, fatigue, diminution de concentration, inconfort (7). Trois heures après une vaccination contre la typhoïde, C.E. Wright et coll. ont montré que, en l’absence de fièvre, le taux d’IL-6 double chez les patients qui perçoivent un inconfort par rapport à ceux qui ne le perçoivent pas (8). Le comportement malade est une dépression d’origine immunitaire. Autre argument, lors de l’injection de faibles quantités de toxine de salmonelles (versus sérum physiologique IV en double aveugle), qui n’entraîne pas de fièvre, les élévations de l’IL-1Ra (antagoniste du récepteur de l’IL-1, qui témoigne de la présence d’IL-1), d’IL-6 et du TNF sont corrélées à une augmentation de signes d’anxiété, de dépression et à une diminution de la mémoire et de la faculté d’apprentissage (9). Lors de la grippe A ou d’infection à rhinovirus, l’augmentation de l’IL-6 s’accompagne de signes dépressifs avec diminution des affects positifs. De même, les traitements par cytokines (IL-2 et interférons) provoquent souvent (45 %) un syndrome dépressif. Inversement, la dépression psychique s’accompagne souvent d’une augmentation des cytokines. Les liens entre immunité et psychisme sont donc tenus et le comportement malade au cours de la fièvre est une « dépression d’origine immunitaire ». Comportement malade et convulsion sont parfois associés à la fièvre, mais ils n’en sont pas directement dépendants. « Il n’y a donc pas lieu de craindre la fièvre spécifiquement. La recherche de l’apyrexie ne constitue pas un objectif en soi et ne doit pas conduire à des traitements systématiques. La fièvre peut s’accompagner d’un inconfort qui peut être important et dont le soulagement est justifié. » (Mise au point sur la prise en charge de la fièvre chez l’enfant. Afssaps 2005 ).   Une nouvelle image de la fièvre Depuis 600 millions d’années, l’augmentation de la température corporelle est un moyen de survie. Ceci a été démontré pour de nombreuses espèces (poissons, amphibiens, reptiles, mammifères). En cas de maladie, les espèces vivantes dont la température dépend de l’extérieur cherchent des emplacements plus chauds (eau chaude, soleil). Depuis 600 millions d’années, l’augmentation de la température corporelle est un moyen de survie. Chez l’homme, pour les maladies courantes, les tentatives pour démontrer l’intérêt de la fièvre pour la guérison ne sont pas très démonstratives. En revanche, il y a consensus pour les maladies graves (sepsis, méningites) : l’absence de fièvre élevée ou la lutte trop agressive contre celle-ci est associée à une mortalité plus importante. On pourrait ainsi concevoir la fièvre comme un signal de l’activation immunitaire, mobilisée à partir d’un certain niveau de défense (la majorité des stimulations immunitaires ne s’accompagne pas de fièvre) et utile dans des agressions graves. On peut concevoir la fièvre comme un signal de l’activation immunitaire. Bénéfices et risques de cette approche Cette nouvelle approche présente trois bénéfices et un risque.   Fièvre et sports très intensifs Au cours de sports très intensifs, la température peut s’élever jusqu’à 41 °C (marathon en plein soleil). Une part de cette augmentation est due à l’inflammation musculaire (CRP x 152, IL-1Ra x 5) et s’apparente à de la fièvre. La prise d’anti-COX 2 diminue l‘augmentation de la température. Et pourtant cette fièvre n’altère pas l’envie de gagner une épreuve particulièrement éprouvante !  La peur est recentrée sur la seule source d’inquiétude légitime : la maladie. Finie la fébrilité de ces mamans qui, retirant le thermomètre des fesses de leur enfant, s’affolent devant des chiffres avant que ceux-ci n’aient eu le temps de se stabiliser !  Valorisation des capacités de l’enfant. Son autonomie est révélée à travers la fièvre. Du statut de petit être fragile subissant passivement l’agression, il devient un être capable de se défendre.   Valorisation des compétences des parents. Tyrannisés par la phobie des maux attribués à la fièvre et par le caractère systématique et obligatoire de l’administration de médicaments, ils retrouvent jugement et autonomie pour apprécier un degré d’intervention adapté à leur enfant.  Valorisation du médecin, par son rôle pédagogique. Lorsque un premier enfant arrive dans une famille, ce sont deux parents qui naissent, qu’il faut former à cette nouvelle fonction.  Le risque est celui d’oublier de s’intéresser à l’origine de la fièvre. La levée des inquiétudes vis-à-vis de la fièvre ne doit pas entraîner une passivité générale, mais recentrer la mobilisation sur la cause de la maladie.   Comment changer les habitudes ? Le choc des images Rien de plus efficace qu’une image familière pour figurer la conduite à tenir, comme par exemple celle du tableau de bord d’une voiture (figure 2). Un voyant d’alarme s’allume (essence ou autre). Que faites-vous ? Vous empressez-vous de coller un adhésif pour masquer le voyant (cas habituel de l’administration, réflexe du paracétamol) ou prenez-vous en compte ce signal ? Évaluer la situation (ma voiture peut-elle rejoindre un garage ? ou comment mon enfant supporte-t-il sa maladie ?) et prendre une décision (antalgique ou non, consultation immédiate ou différée ?).   La méthode des petits pas C’est par la négociation et la répétition que le psychisme peut évoluer par des essais successifs, des expériences progressives, pour renoncer à un système de référence et en investir un autre. Cette transition a un coût (inquiétude, interrogations). Cet effort n’est justifié que s’il y a compensation narcissique. L’intérêt vient de la valorisation de l’image de l’enfant aux yeux de ses parents. La découverte de la fièvre signifie que, sans attendre l’intervention de ses parents, l’enfant a déjà enclenché seul ses défenses immunitaires. Nous invitons les parents à respecter cette manifestation d’autonomie, notamment sans médication si le confort de vie de l’enfant est conservé. Ce cheminement nécessite empathie et disponibilité de notre part. La structure de nos soins par la fréquence des consultations, la fidélité des parents et la qualité de la confiance qu’ils investissent dans notre relation est particulièrement adaptée à de tels accompagnements. *Consensus Development Panel  

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