Pédiatrie générale
Publié le 31 mai 2025Lecture 9 min
Interculturalité et pédiatrie
Jérôme VALLETEAU DE MOULLIAC, Paris

Personnels soignants, médecins quelle qu’en soit la spécialité (dont les pédiatres), nous avons tous certainement et souvent pratiqué l’interculturalité sans le savoir. En effet, la mondialisation, les échanges continus qu’elle entraîne, qu’ils soient démographiques et/ou économiques entre toutes les contrées, les déplacements professionnels, l’immigration socio-économique ou autre, l’urbanisation mais aussi l’individualisation, sans oublier le métissage, nous amènent dans nos fonctions à des rencontres, des confrontations avec des cultures très différentes.
L'interculturalité concerne bien sûr le langage et la communication, le milieu socioculturel et économique, et interfèrent dans ces rencontres ethnie, religion, culture, traditions, traits de pensée, etc. Cela a des conséquences sociétales, éducatives et scolaires qui peuvent certes permettre l’intégration mais aussi l’exclusion. En ce qui nous concerne (médecins d’enfants et pédiatres), elle requiert une forte implication dans les soins apportés à ces enfants et leurs familles dans tous les domaines : prévention, dépistage, repérage, alimentation, éducation, maladies aiguës et chroniques, néonatologie, handicap, réanimation, néonatologie, etc.
Il faut cependant définir ce dont nous parlons : culture, multiculturalité, interculturalité et santé des enfants.
Culture
La culture est un très vaste concept, difficilement définissable en quelques mots. C’est une des dimensions essentielles de l’individu et de ses besoins, à côté de la biophysiologie, de la psychologie, des aspects sociaux et de la spiritualité.
Elle comprend l’ensemble des connaissances, des savoir-faire, des traditions, des coutumes, propres à un groupe humain, à une civilisation. Elle se transmet socialement, de génération en génération et non par l’héritage génétique. Elle conditionne en grande partie les comportements individuels.
Elle englobe de très larges aspects de la vie en société : les systèmes de valeurs, les mœurs, la morale, le mode de vie, les croyances et traditions, les rites religieux, l’organisation de la famille et des communautés villageoises, l’habillement, les techniques utilisées, mais aussi les arts, lettres et sciences, etc. On parle ainsi, par exemple, de culture occidentale ou africaine, mais aussi plus localement de culture basque ou provençale.
L’Unesco a tenté d’en donner une définition : la culture, c’est « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances », selon la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, Conférence mondiale sur les politiques culturelles (Mexico City, 26 juillet-6 août 1982).
La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme tout ce qu’il est possible de transmettre, de partager et d’apprendre dans un ensemble d’individus. Elle devient alors ce qui unit les membres d’un groupe et permet leur cohésion : c’est un réservoir commun qui évolue dans le temps.
La culture permet également de se distinguer des autres groupes. Il existe une très grande diversité culturelle, qui fait entre autres la richesse des échanges mais aussi leur difficulté.
Multiculturalité
La multiculturalité fait référence à une société dans laquelle plusieurs groupes culturels coexistent. Mais ces groupes vivent les uns à côté des autres, sans qu’il y ait nécessairement d’interactions entre eux. C’est donc un comportement passif qui peut conduire à l’isolement, l’incompréhension, voire le rejet, la ségrégation et toutes leurs conséquences.
Interculturalité
L’interculturalité fait référence au contraire à des communautés, dans lesquelles il y a une profonde compréhension mutuelle et un respect pour toutes les cultures. La communication interculturelle repose ainsi sur l’échange, le partage d’idées réciproques qui autorisent le développement de relations étroites sans déroger à sa propre culture.
Ainsi, personne ne reste inchangé, figé car chacun apprend l’un de l’autre et se construit, grandit ensemble. L’accent est mis sur les relations, les rencontres positives, les connections, les interactions et un respect mutuel.
C’est donc un comportement actif où chaque individu fait un pas vers l’autre pour le bien de tous et facilite l’intégration.
L’interculturalité... C’est aussi le dialogue singulier entre deux personnes de cultures différentes. Une rencontre qui nécessite une compétence d’ouverture. Dans cet esprit, la relation à l’autre est sans doute l’un des aspects les plus difficiles à mesurer, expliquer et respecter. Dès que l’on parle de et avec l’autre, le risque est immense de tomber dans le piège de sa propre vision du monde, de son seul et unique raisonnement scientifique, biologique (comme l’interprétation d’un symptôme), et de s’enfermer ainsi dans un ethnocentrisme.
Il faut donc préalablement reconnaître que chacun est porteur « d’une culture » (langage, habitudes, façons de faire, règles, croyances, valeurs, système familial, social, politique, économique, etc.) différente, dont il faut tenir compte dans la compréhension et le dialogue pour réaliser une alliance réciproque : école, sport, loisir, santé, etc. L’interculturalité doit être comprise comme une source d’enrichissement non de menace.
« Si je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente. », Lettre a un otage d’Antoine de Saint-Exupéry (1942).
Interculturalité et santé
Les textes régissant l’interculturalité dans le domaine de la santé sont clairement formulés, à commencer par celui que tout médecin prononce :
– « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité », précise le serment d’Hippocrate ;
– Le Code de déontologie des infirmières indique que la responsabilité de l’infirmière est de « créer une ambiance dans laquelle les valeurs, les coutumes et les croyances de l’individu sont respectées » ;
– et l’article 7 (article R.4127) du Code de la santé publique stipule que le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances.
Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée.
Les professionnels de santé réalisent grâce entre autres à l’anthropologie que la dimension culturelle est à prendre en compte dans les soins, qu’ils soient préventifs, curatifs ou l’accompagnement en fin de vie afin d’éviter tout malentendu.
Interculturalité et soins aux enfants
L’enfant a grandi et s’est construit dans un monde et une identité culturelle propre, par fois mixte, dont on doit tenir compte.
Il faut donc, pour le soignant, tout reconfigurer : aiguiser sa capacité à écouter, à comprendre l’autre (l’enfant, sa famille) dans sa différence (sortir de sa zone de confort) mais aussi à l’associer (ce que permet le dialogue interculturel) pour réaliser une alliance thérapeutique utile, efficace et partagée (parents et/ou adolescents).
Quelques exemples (non exhaustifs) en pédiatrie libérale, en sachant que chacun aura les siens :
– les mots utilisés dans le dialogue interculturel qui n’ont pas d’emblée le même sens ;
– l’interprétation d’un symptôme : devant l’expression d’une douleur abdominale, le soignant va penser au risque d’organicité, alors que dans certaines ethnies (surtout africaines), elle est le signe d’un envoûtement ou d’une vengeance ;
– l’alimentation : que de pratiques traditionnelles et générationnelles se heurtent aux principes actuels d’une nutrition adaptée comme l’allaitement exclusif prolongé et la difficulté d’établir des rythmes, le réflexe pleurs-nourrir ;
– le poids : dans certaines cultures, un poids élevé, voire un surpoids est un signe de bonne santé, de bien-être et donc d’accomplissement parental, ce qui implique à l’inverse qu’un enfant qui grossit peu est malade ;
– le partage du lit : dans certaines familles, le partage du lit mère-nourrisson est une habitude ancestrale, parfois pendant plusieurs mois, ce qui va à l’encontre de toutes les mesures de prévention de la mort subite ;
– les maladies infectieuses, la fièvre et l’idée qu’il faille systématiquement donner des antibiotiques (mais ce n’est pas que culturel) ;
– les vaccinations difficiles à faire accepter dans certaines cultures, comme les gens du voyage : la maladie immunise mieux ;
– l’éducation, le langage indispensable à l’intégration, la discipline et les questions liées à l’adolescence, en particulier les addictions, et la sexualité en sachant que souvent les adolescents migrants s’adaptent plus vite et peuvent servir de médiateurs entre le soignant, sa fratrie et ses parents ;
– les examens complémentaires : il nous faut souvent contredire auprès de familles d’autres cultures l’idée (elles ne sont pas les seules) selon laquelle la bonne santé se vérifie par des examens, que toute pathologie peut être ainsi mieux traitée, pour des personnes qui n’ont souvent pas eu une telle facilité d’accès aux soins auparavant ;
– l’annonce d’un handicap, de troubles neuro-développementaux, de maladie grave ou chronique, les raisons d’une hospitalisation et la fin de vie nécessitent une compréhension et un respect fondamentaux de la culture, du savoir des parents concernés.
Que peut-on proposer dans ces situations ?
• Attention à ne pas toujours penser « migrants économiques ou politiques ». Il existe de nombreuses autres situations de rencontre avec des familles d’autres cultures qui ne sont pas dans des conditions précaires, bien que la plupart des recommandations publiées dans ce dmaine les concerne au premier chef.
• Le soignant doit avoir une « humilité culturelle » et doit :
– être conscient des différences culturelles dans ce duo patient/soignant ;
– privilégier une communication interactive non autoritaire : le patient ou ses parents peuvent avoir leurs croyances sur le problème : par exemple sur la place des médecines traditionnelles (confiance/défiance) ou l’interprétation d’un symptôme ;
– oublier ses préjugés et ses propres croyances ;
– reconnaître l’autonomie de l’enfant (ou adolescent) au sein de sa famille et le respect qui lui (leur) est dû ;
– respecter ses appartenances religieuses et culturelles ;
– pour favoriser leur adhésion et ainsi créer une alliance.
• Le soignant doit avoir des « compétences culturelles » : par exemple, le modèle « LEARN » des Canadiens :
– écouter (listen) avec sympathie et comprendre la perception que le patient ou ses parents ont d’un problème ;
– expliquer sa perception du problème ;
– reconnaître (acknowledge) les différences et les similarités et en discuter ;
– recommander un traitement ; négocier une entente.
• Enfin, recourir si besoin à un interprète et/ou médiateur formé à ces situations sans oublier le rôle facilitateur parfois de l’adolescent de cette famille.
Conclusion
• Un enfant malade (un adolescent) ne se réduit pas à une pathologie objectivée par la médecine.
• Il a aussi une famille, un contexte socioculturel qui s'exprime et qu’il faut intégrer dans sa prise en charge.
• La connaissance de ce contexte est l’un des objectifs de santé, de sécurité, de confiance et d’adhésion thérapeutique des enfants concernés et de leurs familles.
• Afin de dispenser des soins efficaces, culturellement adaptés pour certes des résultats en matière de santé mais aussi une satisfaction partagée.
Figure 1. Différence entre multiculturalité et interculturalité.
Figure 2. Vues du monde selon le lieu de vie.
Pour en savoir plus :
• O’Deye C. Soins et interculturalité. L’infirmière 2022 ; 4 : 37-40.
• Leblanc A. Le poids de la culture dans les soins pédiatriques. Enfances & psy 2011 ; 2 : 152-7.
• Société canadienne de pédiatrie. Les compétences culturelles pour les professionnels de la santé des enfants et des adolescents. Guide pour les professionnels de la santé œuvrant auprès des familles immigrantes et réfugiées. Mise a jour : 4/2018.
• Tehseen L et al. Les communications interculturelles – des outils pour travailler auprès des familles et des enfants. Paediatr Child Health 2018 ; 23(1) : 70-3.
• Chenouard B et al. La grille transculturelle de la Clinique pédiatrique transculturelle de l’Hôpital MaisonneuveRosemont comme outil d’évaluation. Intervention 2023 ; 156 : 141-54.
• Thieblemont-Dollet S. Interculturalités. Questions de communication 2003 ; 4 : 5-11.
• Plaen S et al. Soins aux enfants et pluralisme culturel. Collection Intervenir, Éditions de l’hôpital Sainte Justine 2005 ; 1.
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