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Nutrition

Publié le 30 juil 2008Lecture 17 min

Le petit déjeuner de l’Antiquité à nos jours : une histoire mouvementée

B. CHEVALLIER, CHU hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt

Le petit déjeuner a souvent été considéré comme un repas sans importance : souvent négligé, toujours déstructuré, parfois oublié, il n’était  constitué que des restes de la veille. Sa composition a beaucoup évolué tout au long des siècles, reflet de la diversité des cultures, des traditions, elle a accompagné l’évolution des métiers, des habitudes de vie et, comme d’autres événements de la vie quotidienne, elle a subi le poids des changements de modes. Les nutritionnistes ne s’y sont intéressés qu’au milieu du XIXe siècle en France et dans les pays anglo-saxons.

 
Peu d’études scientifiques ont été menées sur ce premier repas. Le rôle croissant du petit déjeuner a été mis en exergue depuis une quinzaine d’années ; son influence sur la composition des autres repas de la journée, l’influence de sa composition sur les performances des individus au cours de la matinée, la relation entre un petit déjeuner insuffisant et le développement d’un surpoids, des recommandations quant à son contenu ont été ainsi proposées.   Les origines Le mot déjeuner (du latin disjunare) apparaît au XIIe siècle chez les moines et vers le XIIIe siècle dans la population. Les mots dîner et déjeuner qualifient indifféremment cette première collation matinale. Le mot « petit déjeuner » apparaît beaucoup plus tard au XVIIIe siècle dans la bourgeoisie–il est l’apanage des gens qui se levaient tard. Les classes populaires et travailleuses se l’approprieront au début du XIXe.   Dans l’Antiquité L’Antiquité se montra très frugale le matin. Les textes les plus anciens rapportent que les Sumériens s’alimentaient deux fois par jour, mais que deux collations complétaient la journée : une au lever et une au coucher, mais nous n’avons aucune information sur le contenu de ces collations. Les Égyptiens, eux, considéraient la collation du matin comme un simple lavage de bouche et utilisaient de l’eau fraîche, certains condiments, épices et aromates qui rendaient cette boisson plus agréable. Les Égyptiens considéraient la collation du matin comme un simple lavage de bouche… Dans la Grèce antique, l’akratisma  (vin pur et galettes de céréales, parfois quelques olives et quelques figues) compose ce premier repas. Dans l’Iliade, Homère décrit en détail le petit déjeuner idéal des combattants. Nestor donne à Machaon « du fromage de chèvre gratté dans du vin après avoir mangé de l’oignon » : la recette de la force des guerriers grecs ! Est ainsi reprise l’idée d’Esculape (le père de Machaon) de la force du lait de chèvre pour soigner les blessés. Les Athéniens malades prenaient le matin une « ptisane » selon les préceptes d’Hippocrate. Galien en donne la recette : de l’orge soigneusement nettoyée, trempée puis cuite. Une sorte de porridge, que le reste de l’humanité a consommé pendant des siècles sous le nom  de « maze » (bouillie de céréales). Les céréales étaient dans l’Antiquité considérés comme un symbole de spiritualité. Cette bouillie antique (le maze) devint de plus en plus épaisse jusqu’à devenir crêpes, galettes puis gâteaux sans levain.  Ce maze additionné de lait devint le pulmentum des étrusques. Encore aujourd’hui, les guerriers Massaï consomment du maze, mais additionné du sang veineux de leurs bœufs et de chaux éteinte pour le calcium. Le maze est également à la base du premier repas des Romains (le jentaculum) et remplace le pain frotté d’ail trempé dans du vin décrit par Cicéron, premier repas de la journée dès les ablutions effectuées. Les Gaulois, sous influence romaine, ont adopté ce premier repas de la journée, mais il était généralement peu consistant et pris très rapidement.   Au Moyen Âge Le  recul progressif dans la journée de la première collation du matin aboutit à l’identification de deux repas dans la journée, selon les principes de l’école de Salerne, célèbre école de la région de Venise qui émit des préceptes sur l’hygiène et la nutrition. « Lever à cinq, dîner à neuf, souper à cinq, coucher à neuf font vivre d’ans nonante neuf » Tremper le pain dans du bouillon ou du vin (tremper la soupe) constituait la base du déjeuner. Jeanne d’Arc consommait ce repas avant de partir guerroyer avec ses soldats. Les bouillies de céréales le matin étaient déjà habituelles chez les Anglais et les Saxons. Le « Ménagier de Paris » (1397) est riche en informations sur la composition des déjeuners de l’époque. Sorte de guide du savoir vivre, il indique les contenus habituels de cette première collation selon les classes sociales : simple potage partagé entre amis, fromentée aux céréales ou potée à la viande et aux légumes bouillis chez les bourgeois.   Les temps modernes Le XVIIIe siècle est marqué par le retour aux trois repas et l’individualisation d’un déjeuner tôt le matin. Le premier déjeuner est pris de plus en plus tard, introduisant un repas le matin au lever : la collation.  Dans les campagnes, les horaires de repas sont liés aux travaux agricoles. Le quignon de pain est trempé dès le lever du soleil dans des breuvages variables selon les régions : soupe aux choux en Gascogne, bouillie de châtaignes en Corse et dans le Massif central, soupe aux fromages dans les Alpes et bouillie de sarrasin en Bretagne. Vers 1850, de nombreux écrits rapportent que le bouillon ou le lait sont consommés au petit matin par les femmes et les enfants alors que les hommes boivent du vin avant de partir au travail, un casse-croûte complétant la ration alimentaire vers le milieu de la matinée. C’est à cette période qu’apparaissent dans les rues de Paris, des échoppes, « les crèmeries », où les hommes venaient boire debout devant un guéridon, le café au lait. Ce sont ces mêmes crèmeries dont  on changeait quand on déménageait. Vers 1850, apparaissent dans les rues de Paris, des échoppes, « les crèmeries », où les hommes venaient boire debout devant un guéridon, le café au lait. Dans la bourgeoisie des villes,  la hiérarchie des repas est nette : le dîner était de beaucoup le repas auquel on  accordait le plus d’importance et de signification. Il s’opposait à la fois au souper aristocratique, dont il avait pris la place, et au déjeuner. Le dîner était le repas bourgeois par excellence, un élément clef du dispositif,  alors que le déjeuner de midi était un repas mineur utilitaire et roturier : ainsi on invitait les gens qui comptent le soir et les gens qu’il fallait inviter à midi. Le petit déjeuner français des familles est à base de lait et de pain alors que le vin reste la base du petit déjeuner des ouvriers. Il s’enrichit du café, du chocolat et de la chicorée introduits en France au cours du XVIIIe  siècle.   Le chocolat. Cette boisson a été popularisée par la reine d’Espagne et Anne d’Autriche, reine de France. Il fut à la base du petit déjeuner à la cour sous Louis XIV et, copiant cette coutume, le chocolat fut considéré comme le  « must »  du petit déjeuner dans la bourgeoisie : il ne fut introduit dans le peuple que sous Louis XVI ; la poudre chocolatée était alors mélangée avec de l’eau, parfois agrémentée d’épices ou d’aromates.   Le café fut d’emblée adopté par le peuple dès 1750 et il était en 1781 considéré comme la base du petit déjeuner, noir ou additionné de trois fois son volume de lait chez l’homme, et de cinq fois chez la femme. Consommé pur chez les bourgeois, il était allongé de farine d’orge chez les ouvriers. Le café était en 1781 la base du petit déjeuner, noir  ou additionné  de trois fois  son volume de lait chez l’homme,  et de cinq fois  chez la femme.   La chicorée a connu son heure de gloire au moment du blocus de 1806 décidé par Napoléon qui souhaitait isoler l’Angleterre en empêchant le débarquement des bateaux anglais qui amenaient le café en Europe. La chicorée fut alors considérée comme un succédané du café et la France reste en Europe encore aujourd’hui le plus gros consommateur de chicorée.   Le pain. Sa consommation est à la base du petit déjeuner en France depuis le Moyen Âge. Essentiellement constitué de pain noir ou de pain complet, l’habitude du pain blanc remonte à la fin du XIXe siècle, reflet du changement de goût en particulier dans les villes. Les viennoiseries (fabrication des boulangers de Vienne lors du siège de leur ville par les Turcs) complètent le petit déjeuner des bourgeois : elles deviennent le symbole du petit déjeuner à la française dès la fin du XVIIIe siècle, à la demande de la cour de France. Il en est ainsi du premier pain au lait (« pain de la reine ») fabriqué à la demande de la reine par les boulangers de la ville de Gonesse.   La lutte entre végétarisme et hygiénisme La place du petit déjeuner est ambiguë à cette période : s’agit-il d’un vrai repas ou du succédané d’un des autres repas ? La France se distingue des pays d’Europe du Nord et de l’Est où le petit déjeuner est un vrai repas, alors qu’il est réduit dans les pays du Sud. Il annonce la grande bataille du XIXe siècle entre hygiènistes et végétariens. L’apparition du petit déjeuner comme repas copieux et équilibré à la fin du XIXe siècle doit être replacée dans le contexte de l’essor de l’hygiénisme, dont les promoteurs ont comme objectif l’amélioration de la race humaine. Des enquêtes sont effectuées et montrent que de nombreux travailleurs et de nombreux écoliers partent à leur travail sans avoir rien absorbé. Les professeurs Louis Landouzy et Marcel Labbé montrent que plus de la moitié des travailleurs remplaçaient la nécessaire nourriture du matin par des verres de vin. Un lien très fort est alors identifié avec la recrudescence de tuberculose. Un second point va rapidement modifier le contenu du petit déjeuner des travailleurs, c’est la mise en cause de la responsabilité des patrons dans les accidents de travail par la  loi de 1898 et les premières condamnations en 1903. La fatigue et l’alcool étant souvent en cause dans la genèse des accidents, des campagnes agressives sont mises en place pour éviter le vin le matin et promouvoir un petit déjeuner solide. Le petit déjeuner devient le centre d’une bataille pour la santé opposant schématiquement deux visions de part et d’autre de l’Atlantique. Aux défenseurs des régimes riches en protéines en Europe, s’opposent les partisans du végétarisme (fruits et céréales) en Angleterre et aux États-Unis. En effet, depuis le milieu des années 1800, le végétarisme est au centre des préoccupations religieuses : le végétarisme est l’un des modes de vie des adventistes du 7e jour, d’abord dans le Michigan puis dans l’ensemble du pays. L’un de ses farouches partisans, le Dr Kellogg invente la recette des céréales précuites (1876) et celle du croustillant de céréales en mélangeant blé, maïs et avoine appelé « Granola ». Le succès est foudroyant et son collègue, le Dr Perky met au point les céréales en flocon. C’est à cette période qu’en Europe les préparations prêtes à l’emploi voient le jour telle la farine lactée instantanée d’Henri Nestlé, le lait concentré sucré, le lait en poudre et les biscottes.   Au XXe siècle La première partie du XXe siècle est marquée par une autre opposition, celle des médecins naturistes en France (André Durville, petit déjeuner français) et en Italie, et celle des défenseurs des protéines animales, les nutritionnistes anglais, allemands et américains (régime dit d’Oslo, petit déjeuner anglais), qui les premiers font le lien entre le contenu du petit déjeuner, la composition des autres repas et le poids. Les starlettes d’Hollywood en font la publicité dès 1948 à la télévision. Le petit déjeuner des enfants, depuis le XIXe siècle, est à la base de lait ou de café au lait avec du pain, essentiellement du pain noir. Un tournant sera pris au début du XXe siècle avec l’apparition du chocolat en poudre et surtout l’ingénieuse idée de monsieur Lardet, qui, en 1912, eut l’idée de mélanger la poudre chocolatée, la crème d’orge et la farine de banane : sa femme trouve le nom de Banania. Afin d’associer son produit à l’exotisme, la force et la santé, Lardet eut l’idée en regardant défiler les troupes sénégalaises aux Champs Élysées d’utiliser l’image du tirailleur sur les boîtes de son produit. En 1949, l’Institut National d’Hygiène dirigé par le Pr Trémolières publie le rapport d’une enquête qui indique que les enfants français sont à risque de malnutrition et qu’ils manquent cruellement de protéines animales. Cette idée est reprise par le lobby des producteurs de lait dont le président était Jean Raffarin, secrétaire d’état, qui convainc Pierre Mendès France de promouvoir la distribution du lait dans les écoles primaires. Cette distribution systématique démarrera en décembre 1954 mais ne survivra que partiellement. Dès l’été 1955, Mendès n’est plus Président du Conseil et son successeur ne signera pas la circulaire d’application, sous la pression des bouilleurs de cru  influents sur la plan politique : cette attribution sera alors dépendante des écoles. Elle est à l’origine des collations distribuées en maternelles (qui ont été récemment remises en cause et sur lesquelles un avis défavorable a été rendu par l’AFSSA au début de l’année 2004).   Le petit déjeuner aujourd’hui L’évolution des connaissances  des nutritionnistes, la prise en compte du surpoids, devenu en dix ans l’un des premiers problèmes de santé publique dans nos pays, et la mise en évidence d’un lien plus général entre l’alimentation de l’enfant et de l’adolescent et leur santé future ont amené pédiatres et nutritionnistes à s’investir dans ce domaine, les sociétés savantes à émettre des recommandations et les pouvoirs publics à instaurer un Programme National Nutrition-Santé (PNNS), fixant des objectifs nutritionnels. Premier  repas de la journée, le petit déjeuner rompt une période de jeûne de 10 à 13 heures selon l’âge de l’enfant ou de l’adolescent. Plaisir et convivialité résument la perception des familles qui en reconnaissent la nécessité sans toutefois pouvoir le plus souvent en définir la composition idéale et les conséquences sur le développement et les performances de leurs enfants.    La réalité du petit déjeuner dans les familles françaises Si près de 100 % des nourrissons ont un premier repas matinal organisé et planifié, la réalité est moins favorable au fur et à mesure de la croissance de l’enfant : environ 10 % des adolescents ne prennent aucun petit déjeuner et plus de 30 % ne consomment à cette occasion qu’un verre de jus de fruit, un biscuit ou un produit laitier ingéré rapidement. Dans les années 1990, seuls 10 à 15 % des enfants, selon des enquêtes(1), consommeraient un petit déjeuner satisfaisant dans sa composition(1). Le stress, le manque de temps, le manque d’appétit à cette heure sont les arguments les plus souvent avancés par les familles. La composition du petit déjeuner (manque d’attrait, monotonie), souvent imposée par les parents, est également indiquée. Ce repas est également de plus en plus rarement pris en commun (heures de départ variables dans les familles). Le caractère jugé insuffisant du petit déjeuner a entraîné la multiplication des collations en maternelle, les en-cas glissés dans la poche des enfants, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’équilibre des repas de la journée.   Place du petit déjeuner dans la consommation alimentaire quotidienne Le petit déjeuner, tel qu’il est recommandé, devrait apporter de 20 à 25 % de l’apport énergétique quotidien, associer des glucides simples et complexes et des protéines, être pauvre en lipides et participer à la couverture des besoins en calcium, fer et vitamines. Les conséquences d’un petit déjeuner insuffisant ou absent sont maintenant bien connues grâce à des études de consommation et de cohorte dans différents pays (2). Si un apport énergétique insuffisant au petit déjeuner peut être compensé par les autres repas de la journée, au prix d’un déséquilibre dans la répartition quotidienne des nutriments et des calories, l’insuffisance d’apport en calcium, en fibres, en fer et autres micronutriments n’est que rarement compensée(3,4). En l’absence de petit déjeuner,l’apport calorique total est augmenté, la consommation de graisses au cours des autres repas de la journée s’accroît et le taux sanguin de cholestérol est en règle plus élevé (5).   Petit déjeuner et surpoids L’insuffisance du petit déjeuner, voire son absence complète, est une des constantes des observations faites au cours des consultations d’enfants et d’adolescents présentant un surpoids. Le grignotage induit, les collations de 10 h, l’inversion du rythme alimentaire privilégiant le goûter et le dîner participent à la constitution du surpoids.  L’étude de la cohorte de Fleurbay-Laventie(6) chez des enfants d’âge scolaire montre bien le lien entre surpoids et insuffisance du petit déjeuner. La correction de ce déséquilibre alimentaire matinal, rétablissant un cycle alimentaire satisfaisant est à la base de la prise en charge de ces enfants en surpoids : réduction du grignotage, déjeuner plus équilibré, apprentissage de la faim et de la satiété. L’insuffisance du petit déjeuner, voire son absence complète, est une des constantes des enfants et adolescents présentant un surpoids.   Petit déjeuner et performances scolaires Plusieurs études, en particulier anglo-saxonnes, ont montré que l’absence ou l’insuffisance de petit déjeuner le matin était associée à des moindres performances cognitives ou à une plus faible capacité de créativité lors des activités scolaires de la matinée (in 7). Des activités tels le calcul mental, les opérations simples (addition, multiplication), les efforts de mémorisation, sont touchées alors que la lecture ne l’est pas. Ces performances sont améliorées  par la prise de sucres. Des résultats proches ont été constatés  lors d’épreuves d’évaluation du quotient intellectuel (QI). Toutefois, ces résultats doivent être interprétés avec prudence, car  certains facteurs liés aux conditions des études ne sont pas  maîtrisables : stress, qualité du sommeil, etc.   Conclusion Le petit déjeuner est un repas clé pour l’enfant et l’adolescent. Il contribue à la satisfaction des besoins nutritionnels, à l’établissement d’un cycle alimentaire, à la prévention des carences (calcium, fer, fibres). Des liens ont été établis entre l’insuffisance, voire l’absence, du petit déjeuner et le surpoids des enfants et adolescents, mais aussi la baisse de certaines performances intellectuelles.                  

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