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Pédiatrie générale

Publié le 05 mai 2015Lecture 9 min

Utilisation de trotteurs toujours autant d’accidents !

I. CLAUDET, Service d’accueil des urgences pédiatriques, hôpital des enfants, CHU de Toulouse

Depuis la multiplication des publications et alertes concernant les risques liés à l’utilisation du trotteur, celui-ci reste utilisé par de nombreuses familles auprès desquelles il garde une image positive et pratique. La Commission européenne s’est saisie du dossier et a imposé depuis 2009 aux fabricants de satisfaire aux nouvelles normes (EN 1273:2005) afin de limiter le risque de chute par basculement et plus particulièrement dans les escaliers*.

Épidémiologie La moitié des parents d’enfants âgés de 3 à 12 mois utilisent le trotteur(1-4). Aux États-Unis, 600 000 trotteurs sont vendus chaque année, bien que 197 000 enfants aient été admis dans un service d’urgence à la suite d’un accident survenu avec ces appareils entre 1990 et 2001(2). En France, une approche de l’incidence des traumatismes liés avait été estimée, par l’enquête permanente sur les accidents de la vie courante (EPAC), à 18 cas/100 000 enfants âgés de moins de 5 ans admis entre 1996 et 2000(5). D’autres études ont objectivé des valeurs plus élevées entre 9 et 16 cas/1 000 enfants, quel que soit l’âge, et 10 % des accidents domestiques survenus chez des nourrissons âgés de moins de 1 an(6-10). Cette incidence est sûrement plus élevée car elle a été évaluée à partir d’admissions aux urgences et ne tient pas compte des consultations éventuelles en médecine ou pédiatrie libérale, ni des accidents non suivis de recours médical ; elle serait plus proche de 50 %(1). Plus l’utilisation est prolongée et l’enfant laissé longtemps sans surveillance, plus le risque d’accident s’élève. La durée moyenne alléguée d’utilisation quotidienne serait de 40 minutes (de 5 minutes à 4 heures)(11).   Figure 1. « La famille sainte au travail ». Illustration de l’ouvrage « Les heures de Catherine de Clèves ». © Circa 1440   Figure 2. Le Roi de Rome faisant ses premiers pas à l’aide d’un trotteur, 1812, aquarelle, 38 x 28 cm. © Jean-François Tourcaty (1763-?)   Représentations parentales et des personnels de santé sur l’utilisation du trotteur Afin de mieux comprendre l’engouement de certaines familles, différentes équipes ont analysé les motivations d’utilisation et la perception du risque lié au trotteur, ainsi que le niveau socioprofessionnel ou socioéducatif des parents qui y avaient recours(1,4,11-18). Les mères de famille concédaient volontiers utiliser le trotteur comme substitut de surveillance leur permettant de se consacrer à d’autres tâches ménagères (22 à 77 %), ce qui explique pourquoi les périodes de pic accidentel se situent entre 10 et 13 h et 16 et 19 h(1,4,11,12,14). Cette convenance fait écho à une des appellations du trotteur au début du XXe siècle : le sans-souci ! Bien que sans supériorité ludique comparé à d’autres matériels de puériculture, les parents sont nombreux à penser que cela amuse leur enfant (26 à 48 %)(4,13) et, dans 20 % des cas, qu’il leur permet de marcher plus tôt(4,11,15). Son rôle dans l’apprentissage de la marche a fait l’objet de controverses : il a même été accusé de retarder l’âge de l’acquisition de la marche de trois semaines. En Angleterre, la moitié des « health visitors » ont abordé le problème de l’utilisation du trotteur avec les parents ; 87 % ne connaissaient pas le risque traumatique principal (traumatisme crânien), ni le mécanisme de survenue le plus fréquent (basculer dans les escaliers)(16). La même équipe étudiant les perceptions et connaissances des sages-femmes sur le sujet a mis en évidence que 41 % d’entre elles pensaient qu’un bébé était en sécurité dans un trotteur s’il était surveillé ; 67 % avaient approuvé son interdiction et 82 % d’entre elles étaient d’accord sur le principe d’inutilité du trotteur. En revanche, elles avaient des connaissances légères sur le risque traumatique principal ou le mécanisme prépondérant(17). Chez les pédiatres libéraux, ceux ayant pris en charge des enfants victimes d’accidents ou ayant connaissance du risque traumatique associé étaient plus enclins à la restriction de son utilisation(18). L’influence des conditions socioprofessionnelles sur ce type d’accidents ou d’autres conduites dites « à risque » (couchage inapproprié, port de colliers, absence de barrière bloquant l’accès aux escaliers, etc.) a été envisagée. Les études semblent contradictoires : D. Kendrick et P. Marsh(1) ou D. Dogan et coll.(11) n’ont pas constaté de différence selon les groupes sociaux, tandis que L. Santos-Serrano et coll.(12) ont mis en évidence une relation inversement proportionnelle entre le niveau socioéducatif de la mère et le risque de survenue d’un accident de trotteur. Figure 3. Enfant dans un trotteur au début du XXe siècle.   Morbidité et mortalité relatives Dans la grande majorité des cas, l’accident survient par une chute dans les escaliers(2,3,8,19). Les lésions concernent le plus souvent l’extrémité céphalique sous la forme de contusions ou dermabrasions (60 à 80 %). L’incidence des fractures du crâne varie selon les études de 2 à 11 %(3,9,20), un risque qui augmenterait avec le nombre de marches dévalées (risque multiplié par 3 au-delà de 10 marches) et le type de surface de réception (risque multiplié par 2 si la surface est dure)(3). Les fractures des os longs sont plus rares. Elles ne concernent que 1 à 6 % des populations étudiées et impliquent clavicule ou os de l’avant-bras(3,6,7,9). Des hémorragies extra- ou sous-durales sont régulièrement rapportées (0,5 à 1 %), sans nécessité d’intervention neurochirurgicale(3,6,7,9). Comparé à d’autres circonstances de chute chez le nourrisson, les chutes de trotteur étaient associées au risque le plus élevé de lésions intracrâniennes (4 %), juste après les chutes des bras d’un adulte (5 %)(21). Les autres traumatismes concernent la face (plaies, contusions, avulsions dentaires) ; l’abdomen (un cas publié d’invagination intestinale aiguë sur hématome de la paroi duodénale(22)) ou de la moelle (un cas clinique récent d’hématome médullaire(23)). L’enfant installé dans son trotteur ayant accès à des objets situés en hauteur, d’autres types d’accidents ont été rapportés : il s’agit de cas de brûlures, d’intoxications ou encore de noyades, notamment par bascule dans la cuvette des toilettes ou un autre point d’eau(2,6,8,24,25). L’American Academy of Pediatrics avait publié en 2001 un rapport sur les accidents relatifs à l’utilisation du trotteur avec 11 décès imputables survenus entre 1989 et 1993 : 4 noyades par bascule dans une piscine ou dans la cuvette des toilettes, 4 décès par étouffement, l’enfant étant coincé contre le plateau et trois autres décès secondaires à des chutes(2). Depuis, huit autres décès ont été attribués à son utilisation entre 2004 et 2008 aux États-Unis.   Moyens et effets de la prévention Aux États-Unis, la pression des fabricants n’a pas permis d’obtenir comme au Canada en 2004 l’interdiction de la vente et de l’importation des trotteurs. Tous les efforts ont donc été concentrés sur l’obtention d’un nouveau standard de fabrication (1999 révisé en 2010) visant à limiter le risque de chute : élargissement de la base (réduction de la mobilité directionnelle, impossibilité de passer à travers une porte) ; déplacement du centre de gravité vers l’arrière (meilleure stabilité) ; bandes de friction sous la base (réduction de la vitesse). Les effets de ces modifications ont pu être évalués les années suivantes : l’incidence annuelle totale des accidents a été réduite de 85 % et celles des admissions aux urgences de 63 %(26,27). C’est aussi la position privilégiée par la Commission européenne, qui depuis 2009 oblige les fabricants à satisfaire la nouvelle norme sécuritaire mise en place en 2005. Outre des modifications de structure, le matériel est soumis à trois tests : le test de la pente à 30 ° où un trotteur, lesté d’un poids de 12 kg, installé en haut de la pente, ne doit pas basculer par-dessus la butée située en fin d’inclinaison ; le test de basculement en marche arrière où le trotteur lesté de 12 kg, tiré vers l’arrière par une ficelle, ne doit pas basculer contre la butée située en fin de parcours ; et le test de freinage qui s’adresse aux seuls équipements disposant d’un frein de « stationnement » où le trotteur est engagé, frein enclenché, sur un escalier et ne doit pas bouger de plus de 50 mm. Au Canada, les effets de l’interdiction ont été publiés et il a été mis en évidence qu’en 2006, 21 % des familles canadiennes disposaient toujours d’un trotteur(28). L’Agence suédoise des consommateurs a publié un rapport de surveillance du marché des trotteurs 2008-2009 afin de savoir si la norme européenne EN 1273:2005 était appliquée : 6 des 11 trotteurs du marché suédois ne satisfaisaient pas aux tests précités, 4 d’entre eux étant disponibles sur le marché français. D’autres moyens de prévention active ont été envisagés : celui d’informer les femmes enceintes (n = 1 154) sur les risques associés par la distribution d’un set éducatif, avec un effet positif par réduction du nombre de trotteurs acquis sur la période et modification de la perception du risque par les mères(29) ; celui de distribuer gracieusement des équipements de protection à plus de 600 familles et de comparer l’incidence des accidents domestiques survenus au sein de tels foyers versus un groupe de familles identiques non équipées : l’incidence est restée la même et un tiers des foyers n’avait pas utilisé les équipements gratuits(30). Enfin, D. Kendrick et coll.(31) ont analysé l’effet produit par des visites systématiques des familles après un accident et n’ont pas pu prouver leur bénéfice préventif. Dans tous les cas, si des familles s’obstinaient dans ce type d’usage, il est important de rappeler aux parents certaines mises en garde : – une utilisation journalière n’excédant pas 30 minutes, sur une surface plane, avec les pieds à plat, sous la supervision stricte d’un adulte (mais qui ne suffit pas à éviter la plupart des accidents), à distance de meubles, de substances ou d’objets dangereux (médicaments, électroménagers branchés, escaliers, porte de four, inserts, cheminées, etc.) ; – éviter les trotteurs présentant un risque de coincement de doigts ou orteils dans un des éléments constitutifs ; – vérifier qu’il satisfait à la nouvelle norme européenne de fabrication EN 1273:2005 ; – se méfier des articles achetés en seconde main.   Conclusion Trois ans après la décision de la Commission européenne, il serait intéressant d’en analyser l’application sur le matériel disponible en France et ses conséquences en termes d’admissions aux urgences. Dans notre unité, après une période de « creux » entre 2009 et 2010, ces accidents gagnent de nouveau du terrain et restent dans les huit premières causes d’accidents domestiques par chute chez le nourrisson n’ayant pas acquis la marche. Ce constat incite à associer aux nouvelles normes mises en place par l’Europe ou les États-Unis des campagnes incisives d’information de la population sur les risques associés à l’utilisation des trotteurs.

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