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Modes et Idées reçues

Publié le 25 nov 2013Lecture 7 min

« Il passe tout son temps devant l'ordinateur. Faut-il s’inquiéter Docteur ? »

G. PICHEROT, CHU de Nantes et MDA 44 (Maison des adolescents Loire-Atlantique)
Cette question fait partie des inquiétudes nouvelles et… fréquentes des parents au cours de l’adolescence, qu’elle soit un motif de consultation ou une de ces « fameuses » questions prononcées à la fin d’un entretien... Les écrans ont envahi le monde, celui des adolescents est particulièrement touché. Comment s’adapter et répondre à l’inquiétude des parents ?
Voici la remarque-plainte-inquiétude des parents de Corentin 14 ans et 6 mois. L’affirmation semble sans appel : « Corentin est devenu un geek, il passe tout son temps devant l’ordinateur. Il reste parfois cinq heures le week-end devant l’écran ». Notre évaluation médicale doit permettre de distinguer trois situations différentes : – Corentin est normal ; – le comportement de Corentin présente des risques ; – Corentin est addict à Internet et aux jeux vidéo. Notre raisonnement va essentiellement être basé parfois sur notre expérience, mais aussi sur des publications de plus en plus nombreuses sur ce sujet. Corentin est-il un adolescent normal ?   Le temps passé par les adolescents devant un écran a considérablement augmenté. Un adolescent français sur deux passerait plus de 3 heures par jour devant un écran ; 99 % des 12-17 ans sont connecté à Internet ; de 59 à 75 % des élèves du collège ont un compte Facebook, 30 % un blog ; 57 % jouent en réseau ; 84 % des adolescents ont un téléphone mobile et la plupart envoient de nombreux SMS(1,2). Les motivations de leurs accès Internet sont essentiellement l’échange, le téléchargement et le jeu et, en tout dernier, la recherche d’informations scolaires ! Progressivement, les adolescents passent moins de temps devant la télévision et privilégient les autres écrans : ordinateur, téléphone portable, tablette numériques. Corentin peut être évalué comme normal, même s’il « a passé parfois 5 heures devant l’ordinateur », car il oublie parfois de se connecter. Il fait du sport, dort et mange normalement et a une scolarité normale. Il considère, comme 71 % de ses camarades adolescents, qu’ « échanger en face à face est indispensable à la vie ». Les jeunes utilisent Internet et les réseaux sociaux comme outils de relais et de prolongement de la vie réelle(3). Il tire des avantages réels de l’utilisation des (nouvelles… déjà anciennes) techniques d’information et de communication (TIC). Il participe à la triple révolution de Serge Tisseron : « culturelle, cognitive, psychique »(4). Le développement de formes de socialisation, de la mémoire de travail (différente de la mémoire événementielle), de la pensée en réseau, de l’ajustement au changement aideront Corentin s’il respecte un certain nombre de « règles ou de cadres ». Pour P. Lardelier, cet adolescent utilisera ce formidable outil de communication pour faciliter ses apprentissages, ses compétences techniques pour « une culture wen plus » et « non une culture à la place », mais pas une « culture inférieure »(5). La « réappropriation active » est possible et montrerait la « capacité des adolescents à mettre à distance, voire à détourner les contenus des industries culturelles ». Ils peuvent devenir des virtuoses du virtuel(2).         Le comportement de Corentin comporte-t-il des risques ? L’utilisation des TIC comporte des risques. On peut les résumer à la triade temps-violence-isolement. ● Temps. Toutes les TIC sont chronophages. « Lorsqu’ils auront 70 ans, les adolescents d’aujourd’hui auront passé de 7 à 10 ans devant un écran »(6). Le dépassement d’un temps raisonnable comporte des risques, avec en premier lieu des troubles du sommeil et les conséquences de l’inactivité physique (obésité). ● La « cyberviolence » a été bien repérée par diverses enquêtes ; 20 % des adolescents en seraient victimes et en sont aussi parfois eux-mêmes les « auteurs ». Toutes les formes de violences existent : harcèlement moral, sexuel, raciste, racket financier ou moral, etc. La cyberviolence est aussi indirecte par la consultation de sites choquants pornographiques, pédophiles, sectaires, etc. 20 % des adolescents seraient victimes de cyberviolence. ● L’isolement est un risque des TIC en contraste avec l’impression d’un réseau amical étendu sur les réseaux sociaux, les chat ou par les jeux en ligne. C’est l’« utopie relationnelle » décrite par P. Lardelier(5). On devra repérer chez Corentin des signes qui peuvent évoquer une utilisation à risques des TIC : signes d’alerte d’abus d’écran (encadré 2).   Le comportement de Corentin comporte-t-il des risques ? Corentin est-il addict à Internet et aux jeux vidéo ? L’addiction aux jeux vidéo et à Internet fait partie des « nouvelles addictions » comportementales sans drogue. Elle est beaucoup plus fréquente et plus étudiée chez l’adulte que chez l’adolescent et l’enfant. Pour Serge Tisseron, « La prudence reste de mise » dans le diagnostic d’addiction en matière de TIC et une compréhension de comportements nouveaux est nécessaire avant de les étiqueter « pathologiques ». Les jeux classiques et Internet entraîneraient plus d’abus que de dépendance ? Les jeux en réseau MMORPG (Massive Mutiplayer Online Role Player Game) sont les plus addictogènes. Les critères de Teijeiro (encadré 3), cités par B. Rocher(8), peuvent être utilisés pour repérer les addictions. Le phénomène « Hikikomori » a été décrit essentiellement au Japon avec une incidence importante : 500 000 à 1 million d’individus atteints. Il s’agit d’adolescents ou de jeunes adultes reclus à leur domicile, refusant toute vie sociale, scolaire ou professionnelle gardant comme seule activité les jeux vidéo ou Internet. Le terme d’addiction à l’écran pour cette pathologie est très discuté (S. Tisseron). Il s’agirait plutôt de supprimer les communications réelles pour les remplacer par des contacts uniquement virtuels. Cependant, la liaison entre ce phénomène et le mésusage des liens informatiques est bien démontrée. Ce phénomène est rare en dehors du Japon. Quelques cas isolés ont été reconnus en France (Le Monde du 9/06/2012) et aux États-Unis. Nous rencontrons de plus en plus d’adolescents décrocheurs scolaires, sociaux et familiaux gardant comme seul lien l’usage d’Internet.    Quelques idées de prévention La prévention raisonnable est principalement familiale. Les parents peuvent être aidés par des conseils diffusés largement (encadré 3, figure). En général, la confiance domine plus que l’inquiétude(2). Le rôle des pédiatres dans ce domaine est important Il est souligné par l’AAP (Académie américaine de pédiatrie) et en France par l’AFPA (Association française de pédiatrie ambulatoire) avec des recommandations adaptées. Marie-France Le Heuzey propose d’intégrer à chaque consultation deux questions dans ce domaine : « Combien de temps passe-t-il devant un écran ? Dispose-t-il d’un accès Internet ou d’une télévision dans sa chambre ? »(6).   S. Tisseron recommande la règle du 3-6-9-12 diffusée par l’AFPA(4-9) : – 3 : pas de télévision avant 3 ans ; – 6 : pas de console de jeu personnelle avant 6 ans ; – 9 : Internet uniquement accompagné à partir de 9 ans ; – 12 : Internet seul avec prudence à partir de 12 ans. Plusieurs sites et associations ont diffusés des supports de prévention dont le « Netcode »(10) (figure). Figure. Exemples de slogans diffusés par Netcode.    Conclusion Au total, l’idée n’est pas de diaboliser l’usage des TIC par les adolescents, mais de les accompagner et de garder un lien générationnel comme autour de toute activité. Le rôle des parents soutenus par leurs médecins, et particulièrement les pédiatres, est essentiel. Ceci nécessite la connaissance des risques et des critères de reconnaissance des mésusages.

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