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Modes et Idées reçues

Publié le 23 sep 2020Lecture 9 min

Pourquoi faut-il interdire l’usage des trampolines en dessous de 6 ans ?

Bastien SAN-CIRILO*, Isabelle CLAUDET**, *Médecin urgentiste, assistant des hôpitaux, centre hospitalier de Montauban, **Urgences pédiatriques, hôpital des enfants, CHU de Toulouse

Le trampoline est une activité récréative très populaire chez les enfants à travers le monde. Depuis les années 1950, de nombreuses publications ont mis en évidence son potentiel traumatique et plusieurs sociétés savantes pédiatriques (américaines et canadienne principalement) s’étaient prononcées en faveur d’une interdiction stricte de son usage chez les enfants, notamment avant l’âge de 6 ans. Malgré ces mises en garde, le nombre de passages dans les services d’urgences suite à cette activité n’a cessé de croître et une tendance similaire semble se dessiner en France depuis plusieurs années. Face à cette évolution inquiétante, une meilleure connaissance de ce phénomène est nécessaire notamment à travers l’analyse de la littérature et d’une étude menée en 2016 au sein des urgences pédiatriques de l’hôpital des enfants du CHU de Toulouse.

Épidémiologie : un problème de santé publique en devenir Dans les années 1990, le nombre d’accidents de trampoline a connu une forte ascension : aux États-Unis, près de 250 000 lésions dues à cette activité étaient rapportées (+ 98 %), soit un recours aux urgences tous les 3,4 jours en moyenne(1,2). Cette tendance évolutive s’est confirmée dans les années suivantes, avec des données comparables retrouvées dans plusieurs pays anglo-saxons, comme l’Australie par exemple (+ 11,4 % de passage aux urgences)(3). Bien que plus tardive, une évolution similaire semble toucher l’Europe depuis le milieu des années 2000. Selon les données du réseau EPAC, ce type de traumatisme a concerné 4 154 enfants dans notre pays entre 2004 et 2014, avec une augmentation constante du nombre de consultations dans nos services d’urgence(4). À titre d’exemple, le nombre d’admissions pour lésion de trampoline aux urgences pédiatriques du CHU de Toulouse était en moyenne de 173 patients par an, entre 2012 et 2015(5). Une augmentation des ventes due à la baisse des prix et à la multiplication des points de distribution, associée à un accroisement du nombre d’utilisateurs pourrait expliquer la tendance observée(6-9). Caractéristiques générales de la population pédiatrique accidentée Depuis les premières études dans les années 1950, aucun lien entre le sexe des pratiquants et les accidents de trampoline n’a été mis en évidence(2). En revanche, les lésions traumatiques dues à cette activité ont été majoritairement rapportées au sein de la population pédiatrique (> 75 % cas)(3,10,11). Selon deux revues de la littérature(12,13), le groupe d’âge des 5-14 ans semble être le plus exposé et l’âge moyen des enfants traumatisés était généralement compris entre 7 et 10 ans(5,12). Une utilisation dans un cadre domestique était le plus souvent en cause, l’appareil appartenant à la famille, au voisinage ou à l’entourage de l’enfant dans près de neuf cas sur dix(12,14,15). La multiplication des « trampoline parcs », véritables parcs d’attractions dédiés à cette activité, pourrait cependant entraîner dans les années à venir, une augmentation du nombre de lésions survenant hors du cadre privé. Concernant les mécanismes lésionnels, leurs définitions et leurs choix ne sont pas consensuels dans la littérature : certains auteurs ont distingué les « chutes vs les non-chutes » alors que d’autres ont comparé la zone de survenue de l’accident (« dans » ou « hors » de la structure). Parmi ces travaux, une chute à l’intérieur même du trampoline était le mécanisme causal le plus souvent rapporté et le centre de la toile de saut était considéré comme « la zone la plus accidentogène »(1,16-19). Cependant, une série d’études australiennes a rapporté jusqu’à 80 % de lésions par chutes « hors » de la structure(15,20,21) et un retard dans la mise en place des mesures de prévention (type filet antichute) par rapport aux autres pays, pourrait expliquer à lui seul cette singularité. La présence de plusieurs personnes sur la toile de saut semble être aussi un mécanisme hautement pourvoyeur de lésions, notamment chez les enfants de moins de 5 ans. Cette situation n’est pas rare et des « utilisateurs multiples » sont présents au moment de l’accident dans plus de trois quarts des cas(3,12,13).  D’un point de vue lésionnel, les membres sont principalement touchés et pouvaient concentrer jusqu’à 70 % de l’ensemble des traumatismes(2,5). Indépendamment du type de lésion, les membres inférieurs semblent les plus exposés : selon les travaux, entre 34 et 50 % des atteintes concernaient cette partie du corps(1,4,5). Parmi les études européennes et australiennes(12,15,16,21,22), les fractures étaient les lésions les plus fréquentes. Elles étaient le plus souvent localisées au niveau des membres supérieurs, chez les enfants les plus jeunes, et notamment ceux âgés de moins de 6 ans. À l’inverse, les lésions de type « tissus mous » (entorses, contusions et plaies) semblent plus fréquentes au niveau des membres inférieurs, chez des enfants plus âgés. Bien que rares, les lésions médullaires et les décès représentent les atteintes les plus graves rapportées lors de cette activité. Malgré le peu de données disponibles en pédiatrie, H. Leonard et A.R. Joffe(23) avaient décrit, entre 1995 et 2006, quatre cas de tétraplégie et un décès suite à une lésion cervicale chez des enfants. Ces lésions médullaires étaient le plus souvent consécutives à une atteinte de la partie basse du rachis cervical (C4 à C6), par hyper-flexion ou hyper-extension, lors de la réalisation de figure ou de salto, avec une réception à l’intérieur même de la structure de saut(13,14,23). Dans notre étude(5), aucune lésion médullaire n’a été rapportée. Cependant, deux fractures de rate, ainsi qu’une fracture étagée du rachis dorso-lombaire ont été décrites. Dans la littérature, la caractérisation de la gravité lésionnelle n’est pas homogène. Elle peut être faite par l’utilisation de critères cliniques, comme la présence d’une fracture ou d’une hospitalisation, ou bien par l’intermédiaire de scores validés, tels que l’ISS* ou le PTS**(1,5,12,22,24). Les moins de 6 ans : des lésions spécifiques et évitables Selon l’ensemble des recommandations émises par les sociétés savantes pédiatriques et les institutions internationales, la pratique du trampoline est contre-indiquée avant l’âge de 6 ans(3,12,13,25,26). Cependant, et en dépit de ces textes, ce groupe d’âge représentait en moyenne 22 à 37 % des effectifs(13), avec des valeurs maximales rapportées de 43 % selon les travaux(5). Dans cette population, un certain nombre de caractéristiques lésionnelles sont remarquables. Par exemple, parmi les résultats de notre étude, nous avons noté chez les enfants les plus jeunes un nombre de fractures supérieur à l’ensemble des autres lésions cumulées (106 vs 86) soit un taux de 55 %, ainsi qu’une prédominance des atteintes au niveau des membres supérieurs. Comparé aux patients admis sur la même période suite à une autre activité sportive ou de loisir (n = 70 791), le taux de fractures était significativement plus élevé après un accident de trampoline (47 % vs 16 % ; p < 0,0001), notamment chez les enfants âgés de moins de 6 ans (55 % vs 11 %, p < 0,0001). Les fractures les plus fréquemment décrites concernaient l’extrémité inférieure de l’humérus, ainsi que l’extrémité supérieure du tibia. Après analyse comparative, la pratique du trampoline était associée à un risque significativement plus important de lésion de ce type, principalement dans cette catégorie d’âge (p < 0,05)(5). Ces constatations avaient été établies dès les années 1990 par l’étude de G.A. Smith et coll.(2), première à mettre en évidence un profil lésionnel spécifique à ce groupe d’âge. En effet, lors de la pratique du trampoline, les enfants de moins de 6 ans présentaient un sur-risque de fractures, des membres supérieurs, notamment lors d’une chute. Depuis, plusieurs travaux ont rapporté des résultats similaires, soulignant la nécessité d’une interdiction stricte de cette activité en dessous des cet âge(13,16,27).  D’une part, cette limite n’a pas été choisie au hasard et ce profil lésionnel peut s’analyser d’un point de vue physiopathologique. Pour de nombreux auteurs, avant 6 ans, les enfants présentent une immaturité psychomotrice et des capacités de coordination et d’orientation spatiale encore en développement qui, associées à l’instabilité du trampoline, favorisent la survenue de chute. La tendance à une réception « bras tendus » augmente quant à elle le risque de lésion au niveau des membres supérieurs(1,13,17). Enfin, la présence des cartilages de croissance, véritable « point faible de la matrice osseuse », va majorer le risque de lésion fracturaire, avec une résistance moindre aux contraintes axiales et de torsions(28).  D’autre part, la présence de plusieurs utilisateurs sur la toile de saut est une source de lésions supplémentaires. Lors de l’utilisation par deux sauteurs de poids différents, un transfert d’énergie cinétique a lieu de la personne la plus lourde vers la plus légère. Lors d’une réception « synchrone », la hauteur de saut va être amplifiée chez l’enfant le plus jeune, entraînant un sur-risque de chute. Cependant, si les deux pratiquants retombent en total décalage (saut asynchrone), l’enfant va être soumis à une force d’impaction majeure, équivalente à une chute d’une hauteur de 2,80 mètres (soit un étage)(19,29). La combinaison de ces mécanismes est à l’origine de la majeure partie des lésions chez les moins de 6 ans. Elle permet aussi la compréhension des lésions rapportées dans cette tranche d’âge avec notamment, les fractures de l’extrémité inférieure de l’humérus par réception « bras tendus » (fractures typiques), ainsi que des fractures de l’extrémité supérieure du tibia (fractures spécifiques), par impaction lors d’un saut asynchrone(13,30,31). Prévention : rôle de l’éducation La prévention des accidents de trampoline apparaît comme un objectif majeur depuis de nombreuses années. La plupart des autorités compétentes en matière de santé publique et diverses sociétés savantes pédiatriques (AAP, SCP, AAOS, etc.) ont publié une série de guides et de recommandations ayant pour but de diminuer, sinon de contrôler, ce phénomène(12, 13, 25, 32, 33). Les principaux messages diffusés sont : une contre-indication avant l’âge de 6 ans, un seul utilisateur à la fois, la présence de dispositifs de sécurité (matelas de protection du cadre et des ressorts, filets anti-chute), la supervision par un adulte, ainsi que des règles de bonne installation et de maintenance de la structure. Cependant, la plupart de ces mesures n’ont pas permis d’obtenir une réduction significative des accidents(12,13,32) et plusieurs hypothèses ont été avancées pour analyser cet échec. La présence sur le marché d’anciens trampolines non couverts par les nouvelles normes de fabrication, la dégradation des éléments de protection ou le non-respect des règles élémentaires de sécurité par les utilisateurs pourraient être des éléments d’explication. D’autre part, un effet inverse et inattendu a été rapporté depuis la mise en place des filets anti-chute avec une augmentation importante de la part des accidents par « utilisateurs multiples » (+35%)(3). En effet, selon la théorie rie de la « compensation du risque », les parents autoriseraient une pratique plus intense avec une prise de risque plus importante, lors de la présence de cet équipement de sécurité(3,17,34). Devant l’absence d’efficacité de ces mesures et devant le profil lésionnel spécifique aux enfants de moins de 6 ans, une interdiction stricte de l’usage du trampoline avant cet âge est indispensable. Dans notre travail, 43 % des accidents auraient ainsi pu être évités par le simple respect de ces règles élémentaires de sécurité(5). À ce jour, le potentiel traumatique de cette activité reste insuffisamment connu du grand public et des parents. Une information par les médias (presse écrite, radio ou télévisée) ou plus simplement lors de consultations dans nos cabinets ou nos services d’urgences pourrait être des voies de diffusion possibles des principaux messages de prévention, afin que le trampoline reste une activité de loisirs et non une source de traumatisme et de recours aux urgences. Conclusion Le trampoline est une activité récréative à haut potentiel traumatique notamment chez les enfants. Avec un sur-risque de fracture, d’atteinte des membres supérieurs et de chute, les moins de 6 ans semblent être particulièrement exposés. Devant une inefficacité des mesures de prévention, seul le respect d’une interdiction stricte de sa pratique avant cet âge pourra permettre une réduction significative du nombre de lésions. Pour ce faire, une information régulière du grand public et des parents semble indispensable.

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