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Modes et Idées reçues

Publié le 29 sep 2020Lecture 7 min

Rôle du pédiatre dans le monde du numérique

Sylvie DIEU OSIKA, Rosny-sous-Bois
pédiatre dans le monde du numérique

La multiplication du type d’écran (TV, tablette, smartphone, ordinateur, consoles de jeux) et l’accès à internet (fibre, 4G, wifi) ont bouleversé le quotidien des adultes et des enfants. Comme dans le monde réel, des informations et des limites doivent être données. Les parents ont à présent en charge une double éducation à mener : celle du monde réel et celle du monde numérique. Nous devons modifier notre approche lors des consultations pour conseiller les parents sur ce sujet, pour les aider à mettre des règles selon l’âge et pour diagnostiquer des troubles éventuellement en lien avec une exposition inadaptée aux écrans.

Écrans : quels temps et quels contenus ? En 2015 selon l’étude Esteban de Santé publique France, près de 70 % des 11-14 ans passent plus de 3 h par jour devant un écran et plus encore pour les 16-17 ans(1) (figure1) .Ces données proviennent d’une étude sur l’activité physique des Français qui a évalué le temps d’écran correspondant grossièrement au temps d’inactivité. Ainsi on sait que seulement 28 % des garçons et 18 % des filles respectent les recommandations d’activités physiques de l’OMS avec une inactivité physique qui augmente fortement à partir de 11 ans. On peut sans doute se demander s’il y a un lien avec l’obtention du portable en rentrant au collège (réflexion personnelle). Figure 1. Pourcentage d'enfants 6-17 ans passant 3 heures et plus devant un écran par jour, selon le sexe et l'âge, comparaison ENNS 2006/Esteban 2015, d'après Santé Publique France Aux États-Unis, en 2019, Common Sense Media, montre que les 8-12 ans passent environ 5 heures par jour et les 13-17 ans 7 heures par jour sur les écrans (figure 2(2). Les garçons jouent surtout aux jeux vidéo et les filles sont sur les réseaux sociaux. Dans tous les cas (âge, sexe, revenu foyer), le visionnage des vidéos, notamment sur YouTube, représente la part la plus importante des temps d’écran. Seulement 2 % des jeunes ont une activité créative et 3 % lisent sur e-book. Le temps d’écran pour le travail scolaire est estimé entre 22 minutes (8- 12 ans) et 1 heure (13-17 ans). Figure 2. Temps moyen d'utilisation des écrans selon les revenus du foyer chez les pré-adolescents et les adolescents (2019, États-Unis). Réseaux sociaux et jeux Nos adolescents naviguent essentiellement sur Snapchat et Instagram. Tik Tok est une application très utilisée par les jeunes filles (elles s’enregistrent en train de chanter, danser plus ou moins dévêtues et maquillées). Bien connu des garçons, Fornite est un jeu « gratuit » accessible facilement. Tous ces supports sont conseillés à partir de 12/13 ans. YouTube est la plateforme la plus utilisée quel que soit l’âge. Il existe depuis 2015 sa version « enfant » : YouTube Kids que les jeunes parents connaissent bien. Grâce à ces réseaux, la communication sociale est démultipliée ce qui peut avoir de nombreux avantages : communication pour les minorités, socialisation, créativité, aides aux apprentissages, accès à l’information. Ils ont aussi permis de garder contact avec proches et amis pendant la période de confinement que nous avons connu. Il faut cependant rappeler un point commun qui pose question : leur obsession à vouloir mobiliser notre attention. La captologie, nouvelle science créée par B.J. Fogg, étudie la façon dont ces réseaux captent notre attention pour nous rendre dépendants et nous faire visionner un maximum de publicités ciblées selon les don- nées personnelles enregistrées. Différents processus de psycholo- gie cognitive dont nous sommes tous victimes, adultes comme enfants, sont utilisés (figure 3 ; voir aussi « T’es accro à tes applis » sur Arte, www.arte.tv/ fr/videos/RC-017841/dopamine/). Quels symptômes doivent faire évoquer une utilisation inadaptée du numérique ? Figure 3. Quelques recettes de la psychologie cognitive Différentes plaintes de parents sont caractéristiques : « Il est fatigué, il n’arrive pas à dormir, il se lève à midi le week-end, il fait des siestes ; elle se trouve trop grosse, manque d’appétit, elle est triste ; il était bon élève, on ne comprend pas ce qui se passe, les résultats scolaires sont mauvais ; elle veut plus aller à l’école ; il veut plus faire de... basket, piano, etc. ; on le voit plus aux réunions de famille ; il est bizarre quand il sort de sa chambre ou des toilettes ; il fait des crises, des colères ; il s’isole, ne sort pas, n’a pas de copain “réel”. » Toutes ces comportements, qui sont variés et nombreux, doivent faire évoquer une utilisation problématique du numérique. Faites raconter une journée type quel que soit son âge et comptabilisez le temps passé sur les écrans et à quels moments de la journée ils sont utilisés (repas, soirée, nuit, etc.). Ce n’est pas le décompte brut des heures passées qui doit questionner, c’est le « temps volé » par ces heures consacrées au monde numérique aux autres activités du monde réel. Intéressez-vous aussi au contenu (âge des jeux, violence, pornographie, etc.) Pour les adolescents, j’aborde parfois ce sujet en utilisant le questionnaire de la figure 4(3). Les études De nombreuses études font le lien entre troubles et utilisation inadaptée (temps et contenu) des écrans : 1 656 études sur une simple recherche Pub Med en associant les mots « écran » et « enfant » en 2019. Figure 4. Dépendance possible aux écrans de votre enfant ? Le sommeil Les écrans ont un impact fortement négatif sur le sommeil, quels que soient l’âge et le type d'écrans(4). Une métaanalyse sur 125 198 enfants de 6 à 19 ans, en 2016, montre une corrélation entre l’utilisation des médias portables avant le coucher et le sommeil (mauvaise qualité et quantité insuffisante de sommeil)(5). Les apprentissages  En 2018 en Allemagne, on a montré chez 850 adolescents âgés de 10-17 ans que plus la consommation d’Internet est faible, meilleurs sont les résultats en mathématiques(6). Pagani et coll. ont mis en évidence sur une étude longitudinale en 2010 sur 1 314 enfants un moins bon engagement scolaire et de moins bonnes performances en mathématiques dans le groupe le plus exposé aux écrans(7).  Le comportement et l'humeur Dans l'étude de Twenge et coll. en 2018 menée chez 40 337 Américains de 2 à 17 ans, il apparaît qu’au-dessus d’une heure d’utilisation par jour, une corrélation avec différents marqueurs de mal-être : moins de curiosité, moins de self-control, plus de distractibilité, plus de difficultés à se faire des amis, moins d’empathie, plus de difficulté à finir une tâche(8). Des troubles de l’humeur, une mauvaise estime de soi, des conduites à risque sont plus fréquemment constatés sur 6 595 adolescents en cas d’exposition importante aux écrans en 2019 selon le travail de Riehm et coll.(9). L’attention Sur 2 587 adolescents de 15 ans initialement dépourvus de troubles de l’attention, après 2 ans de surveillance, on constate chez 10,5 % d’entre eux l’apparition de troubles de l’attention s’ils ont été particulièrement connectés(10). L’étude de Walsh de 2018 sur 4 524 enfants de 8-11 ans, résume bien les 3 points sur lesquels nous devons être vigilants : un sommeil suffisant, des activités physiques soutenues et un temps d’écran modéré sont corrélés à de meilleurs résultats cognitifs(11). Le temps d’écran est du temps volé à d’autres activités et c’est en cela qu’il est important de le limiter : les vraies relations humaines (famille, amis), activités manuelles, artistiques et tâches quotidiennes, la lecture, l’activité physique. Prévenir, informer : en parler lors des consultations même si tout va bien en apparence Les temps ont changé. On ne peut plus s’étonner de lire dans une revue internationale un article sur « Social media and children: what is the pediatrician’s role(12) ». La place du numérique doit donc être abordée lors des consultations systématiques. On peut déjà sensibiliser les parents à leur propre utilisation des écrans, car les règles seront mieux comprises s’ils donnent le bon exemple. Certains conseils sont simples et facilement applicables : pas d’écran pendant les repas, pas le soir juste avant le coucher, pas d’écran utilisé seul dans la chambre le plus longtemps possible. On peut aussi rappeler que certaines règles existent déjà concernant l’âge et qu’il faut les appliquer : se référer aux indications PEGI pour les jeux vidéo (figure 5) et expliquer pourquoi les réseaux sociaux sont réservés aux plus de 13 ans. Engagez la discussion sur ses « chaînes préférées » sur YouTube et encouragez les parents à faire de même : s’intéresser au monde dans lequel évolue leur adolescent permet de garder des liens et donne une foule d’informations. Pour certains enfants, il peut être nécessaire d’utiliser un contrôle parental pour les protéger comme dans la vraie vie. Différents moyens sont possibles : logiciels comme screentime, qustodio, family link ou simple paramétrage du wifi. Figure 5. PEGI : Pan European Game Information Dans ma pratique, je constate que les parents sont très demandeurs de ces conseils voire d’arbitrage à cet âge. Si un des parents est absent ou s’il y a nécessité « d’officialiser » les nouvelles décisions prises, j’ai pris l’habitude de faire une ordonnance avec ces conseils. Je vous recommande de consulter le site CoSE (www.surexpositionecrans.org) et de lire mon livre Mode d’emploi pour une utilisation raisonnée des écrans en famille (figure 6). Figure 6.  Conclusion • Il faut apprendre à connaître le monde numérique de nos enfants : connaissez-vous Tik Toks ? Fornite ? YouTube Kids ?... • Il faut y penser à chaque consultation en cas de symptômes, quel que soit l’âge : trouble du sommeil, difficultés scolaires, trouble de l’attention... • Il faut en parler aussi si tout va bien à chaque consultation pour en prévenir les effets.

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