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Recommandations et attitude pratique

Publié le 03 juil 2012Lecture 9 min

Hospitalisation des adolescents en pédiatrie, un risque assumé

C. STHENEUR, C. MIGNOT, Service de pédiatrie, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt
Les adolescents hospitalisés affrontent de nombreux défis, dont la perte de contrôle de presque tous les aspects de leur vie. Cette perte de contrôle peut générer des sentiments d’angoisse, d’impuissance, de dépendance excessive, de désarroi et de perte d’autonomie. Pendant l’hospitalisation, on constate que les adolescents peuvent perdre la capacité de décider des aspects les plus fondamentaux de leur vie : quand manger ? quand dormir ? où et quand aller aux toilettes ? Ils perdent le contrôle de leur vie privée à une période où la conscience de soi prédomine. L’hospitalisation et la maladie ont un retentissement profond, en superposant la « crise » qui leur est liée à une autre « crise », celle de l’adolescence.
Hospitalisation et régression L’hospitalisation, en imposant une passivité forcée et une dépendance physique, peut conduire l’adolescent à réagir en développant des attitudes de régression. Cette régression est parfois recherchée car thérapeutique en soi. Par exemple, après une tentative de suicide ou après certains états de tension, le maternage effectué par les soignants permet un réel apaisement, favorable à la reprise des interactions familiales. Dans d’autres cas, cette régression est dommageable, car elle entrave le développement et l’autonomisation de l’adolescent. Le service est alors vécu comme trop « bon » et l’adolescent ne veut plus sortir par peur des difficultés rencontrées à l’extérieur. Il est nécessaire de lutter contre une régression trop importante. Les adolescents doivent pouvoir garder une certaine autonomie dans un service hospitalier, marquée par le fait d’être habillé « normalement » et non en pyjama, de pouvoir sortir du service en respectant l’enceinte de l’hôpital, d’avoir une salle qui leur est réservée en dehors du regard constant des soignants, etc. Un ajustement régulier de la position de l’équipe permet de limiter cette régression.   Défi et violence L’adolescent peut aussi défier activement les règles du service, provoquant des conflits et des luttes de pouvoir entre les groupes d’adolescents et les soignants. Il peut être qualifié de « non coopératif », parce qu’il ne respecte pas facilement les directives des dispensateurs de soins. « Toutes les institutions, même les meilleures, engendrent de la violence, dans la mesure où le mode de vie y est, par définition, marginal et artificiel », écrit Tomkiewicz. Elles sont violentes par le regard que nous posons sur ceux qui y vivent ; le simple fait d’être dans une institution éveille déjà la suspicion. Un cadre institutionnel bien pensé est un bon outil pour limiter cette violence. Le soin est une « entourance », cela suppose qu’il existe un cadre pour contenir et des potentialités d’ouverture sur des perspectives (mise en forme de projets avec une temporalité). Les repères doivent être suffisamment forts pour être perçus, et suffisamment souples pour ne pas être aliénants, ils doivent pouvoir être questionnés (Moya-Plana). Une unité d’adolescents doit se doter d’un règlement leur expliquant les horaires, le déroulement des journées, les activités proposées, les espaces de liberté, mais aussi les contraintes. Ce règlement pose un cadre et est très rassurant pour l’adolescent qui a besoin de limites, de repères. La violence des adolescents qui peut s’exprimer en cours d’hospitalisation est aussi un motif fréquent d’hospitalisation en urgence dans les services de pédiatrie. Pourtant, nous observons peu de passages à l’acte auto- ou hétéroagressifs au cours des hospitalisations. D’emblée, la séparation, l’éloignement de la famille ou de l’institution d’où vient l’adolescent, a un rôle apaisant vis-à-vis des tensions agressives. Dans les services de pédiatrie, les soignants sont disponibles et empathiques. Ils entourent l’adolescent, mais ne sont pas pressants.   Que faire quand ça déborde ? Parfois pourtant la violence, le plus souvent verbale, ne peut être évitée. Un état d’agitation, une tentative de suicide, un passage à l’acte hétéro-agressif au cours d’une hospitalisation sont toujours des événements mal supportés, et les fonctions de pare-excitation et de contenance d’un service de pédiatrie sont vite débordées. C’est alors que l’on assiste à une reprise des transgressions de la part des adolescents et à une demande d’orientation de la part des soignants. L’adolescent se livre à des provocations pour tester l’intérêt que les soignants lui portent. Cette demande d’attention est souvent au coeur des transgressions d’adolescents. Il faut donc toujours rechercher le sens des actes de violence en même temps que l’on agit pour les limiter. Cherche-t-il, par exemple, à être rejeté pour rejouer un abandon ? Les soignants, trop prévenants, renforcent-ils une image parentale négative ? Des causes de la violence que l’on aura su repérer, peuvent être déduites les réponses que nous devons donner. Deux objectifs doivent alors être prioritaires : protéger l’adolescent, les autres patients et le service, sans toutefois oublier la prise en charge de la pathologie pour laquelle l’adolescent est hospitalisé. Par exemple, si son attitude est telle qu’il ne peut rester dans le service, une prise en charge ambulatoire serrée est peut-être envisageable, sinon une pause dans l’hospitalisation, qui reprendra quelques jours plus tard. Dans tous les cas, dans la mesure du possible, il faut éviter la rupture de soins sous prétexte que l’hospitalisation est trop problématique.   Aider les soignants Il faut aussi aider les soignants dans la prise en charge des situations qui pourraient engendrer de la violence par une réflexion préalable sur les conduites à tenir et mettre en place des protocoles et des formations : qui appeler ? Comment ne pas s’interposer ? Quand demander l’aide d’un tiers ?... On peut rappeler aux soignants que lorsqu’ils n’arrivent pas à effectuer un geste technique comme une perfusion, ils savent habituellement demander de l’aide ; de la même façon quand la relation avec un adolescent devient problématique, ils peuvent demander de l’aide à leurs collègues et « passer la main » pour un temps.   Le risque de fugue Un autre risque souvent évoqué lors de l’hospitalisation d’adolescent est le risque de fugue. Là encore, il faut s’interroger sur la signification de cette demande impérieuse de quitter l’hôpital. S’agit-il d’un refus de soin ? d’une impossibilité de gérer la frustration ? de la recherche d’une mise en échec de toute prise en charge ? du besoin de vérifier l’attachement des soignants ? de la vérification du soutien des parents dans la prise en charge ? Dans le cas de la fugue comme dans celui des violences, il faut penser la signification et en même temps agir pour protéger l’adolescent. Dans leur livre, L’enfant, l’adolescent à l’hôpital, Marc Dupont et Caroline Rey sont clairs sur la conduite à tenir : « Au cas où un jeune patient quitte l’hôpital sans prévenir et si les recherches entreprises pour le retrouver demeurent vaines, le responsable du service ou la direction de l’hôpital doit informer sans délai la personne titulaire de l’autorité parentale par téléphone ou par tout autre moyen. Cette prise de contact avec la famille doit permettre de vérifier si le mineur est rentré chez lui ou chez un autre membre de la famille et quelles sont ses intensions. « Lorsque la famille n’a aucune nouvelle du mineur, il est nécessaire, en liaison avec elle, d’alerter la police. Un courrier doit être adressé aux parents du mineur, à son domicile, afin de confirmer la fugue et de les aviser, le cas échéant, des risques que le mineur court pour sa santé. Un procès verbal de sortie à l’insu du service doit être établi dans le dossier du mineur, sur une feuille libre ou une fiche, et mentionner de façon détaillée les circonstances de la sortie. Les dommages dont seraient victimes des mineurs ayant spontanément quitté l’hôpital pourraient être de nature à engager la responsabilité de l’hôpital sur le fondement de défaut de surveillance. » Mais l’attitude à adopter si l’adolescent menace de fuguer est plus floue : « Lorsque le mineur manifeste de façon déterminée le désir de quitter l’hôpital : soit contre avis médical (son âge ou son état de santé ne pouvant justifier qu’il sorte seul), soit avant que l’hôpital ait prévenu la famille, soit avant que la famille prévenue soit arrivée, une attitude de fermeté s’impose. » Jusqu’où aller dans la fermeté ? Afin de ne pas engager notre responsabilité faut-il ligoter les adolescents qui disent vouloir partir ? Ou bien faut-il considérer que comme substitut parental, l’hôpital se doit de laisser un peu de liberté à l’adolescent (comme, par exemple, accepter qu’ils sortent du service en restant dans l’enceinte de l’hôpital) et de travailler sur la confiance plutôt que sur la répression ? L’adolescent dont l’état de santé n’est pas immédiatement menaçant, ne prend pas plus de risque sur le trajet entre l’hôpital et chez lui qu’entre son collège et son domicile. L’adolescent nous met parfois dans la situation d’accepter qu’il puisse sortir pour un moment même si son état de santé est précaire, afin qu’il puisse revenir en étant acteur de ses soins et donc plus à même d’accepter les contraintes de l’hospitalisation.   Conclusion Quels que soient les lieux où résident les adolescents, il n’est pas possible de les accueillir sans être dans la gestion du risque. Les adolescents se construisent en prenant des risques et essayer de trop les restreindre serait la négation de l’adolescence. Dans notre société à la recherche du risque zéro et qui sanctionne à la moindre défaillance, s’occuper d’adolescents demande un certain culot, d’où il se dégage une grande force de vie.

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