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Pédiatrie générale

Publié le 17 juin 2012Lecture 14 min

La responsabilité médicale aux urgences pédiatriques

A. CHEVALLIER, B. CHEVALLIER Service de pédiatrie et des urgences enfants, hôpital Ambroise-Paré (APHP), Boulogne-Billancourt
La médecine d’urgence est une discipline encore jeune dont l’organisation spécifique ne s’est mise en place réglementairement que depuis une ou deux décennies. Les pratiques médicales de cette nouvelle spécialité sont enseignées aux plus jeunes, mais restent largement ignorées des plus anciens. Les conditions de l’exercice aux urgences en général, et pédiatriques en particulier, sont à risque du fait de l’encombrement continu des services.
La priorisation des prises en charge par une infirmière d’accueil et d’orientation (IAO) permet de gérer les flux en fonction du degré d’urgence et du motif de recours. Le rapport au patient est particulier, en ce sens qu’il s’agit d’une prise en charge ponctuelle. Le rapport au temps est également particulier, puisque la prise en charge se fait « contre le temps » et non avec le temps. Les risques y sont accrus : les décisions qui sont prises peuvent êtres lourdes de conséquences et les démarches de soins diagnostiques et thérapeutiques sont le plus souvent menées conjointement sur plusieurs patients pris en charge simultanément. Parallèlement, la société devient de plus en plus exigeante : elle revendique le droit d’être soignée rapidement, le plus efficacement possible et ce quelle que soit la nature de la plainte. Cette évolution rapide des comportements provoque des mises en cause fréquentes, régulièrement croissantes, correspondant à des situations renouvelées. L’incidence médico-légale y est donc élevée. La justice répond par une jurisprudence abondante, parfois surprenante pour le médecin clinicien et pas toujours concordante selon les lieux et les situations. C’est une médecine branchée sur l’actualité, aux répercussions médiatiques fréquentes. Elle peut faire la « une » des médias, le public en étant friand. La médecine d’urgence de l’enfant est soumise aux règles générales de la responsabilité médicale, mais elle possède des caractéristiques propres qui confèrent à ceux qui l’exercent une responsabilité particulière. La médecine d’urgence est en plein développement, fondée sur des choix rapides, justifiant un mode de raisonnement spécifique, terrain propice à l’erreur, comme le montrent les publications concernant les erreurs médicales. La médecine de l’urgence de l’enfant accroît les difficultés : faible spécificité des symptômes, informativité variable du discours familial, dégradation rapide de la situation respiratoire ou hémodynamique d’un jeune nourrisson. L’organisation et le fonctionnement du service L’accueil des enfants Un service d’accueil et de traitement des urgences doit accueillir sans sélection 24 heures sur 24, tous les jours de l’année, toute personne se présentant en situation d’urgence, y compris psychiatrique, et la prendre en charge, notamment en cas de détresse ou d’urgence vitales (art. 712-65 du Code de la santé publique 765. Les termes « sans sélection » et « toute personne » indiquent clairement que le service doit prendre en charge tout patient (ou famille) qui le souhaite, sans distinction d’âge ou de gravité de la situation. Ceci s’applique aussi bien aux services d’urgences pédiatriques qu’aux services d’urgence « générale » qui sont soumis aux mêmes obligations. Si l’établissement n’est pas en mesure d’accueillir le patient parce qu’il ne dispose pas des compétences requises ou par manque de place disponible, il doit s’assurer de l’admission du demandeur de soins dans un autre établissement. L’établissement pourrait se voir reprocher une faute de service en cas de manquement à cette obligation (arrêt du Conseil d’État, 1er février 1985). L’organisation de la recherche de places disponibles revient à l’administration, en l’absence de disponibilité de l’équipe médicale.   La régulation à l’arrivée aux urgences Le flux des patients est très variable à l’accueil des urgences. À l’acmé de l’afflux, la gestion de la file d’attente est délicate et source d’erreur de priorisation. Cette tâche, hautement stratégique, est habituellement confiée à une infirmière d’accueil et d’orientation (IAO) qui peut ne pas posséder toutes les connaissances requises pour exercer ce tri. La jurisprudence regorge d’observations malheureuses de ce type. La mise à disposition de grilles développées à partir d’un symptôme, validées par des enquêtes multicentriques et au mieux intégrées dans l’outil informatique, l’entraînement sous forme de cas simulés, une évaluation des erreurs de tri sont différentes mesures permettant de réduire les dysfonctionnements. Certains symptômes dits psychiatriques (agitation, stupeur) sont fréquemment cités comme sources d’erreurs diagnostiques potentielles. Certains symptômes dits psychiatriques (agitation, stupeur) sont fréquemment cités comme sources d’erreurs diagnostiques potentielles.   Les garanties médicales Une série de fautes dans l’organisation du service peut tenir à l’absence de garanties médicales que le patient ou son entourage est en droit d’attendre d’un service public hospitalier. Le Conseil d’État a été appelé à l’affirmer à maintes reprises. Le problème se pose surtout lorsque les médecins titulaires se font remplacer par des assistants, des internes, voire des étudiants hospitaliers. Les patients ne peuvent se prévaloir d’un « droit » à ce que les soins soient effectués par le chef de service. La délégation est possible, mais elle doit répondre à une condition essentielle : la garantie que le médecin qui prend en charge l’enfant, a toutes les compétences pour le faire. Cette garantie, apportée par le chef de service, est vérifiée par l’administration.   Les structures d’accueil Les recommandations établies par les groupes d’experts des sociétés savantes représentent des documents opposables en cas de litige ou d’erreur commise dans la prise en charge de l’enfant. Il en est ainsi de la salle de déchocage ou de l’organisation de la surveillance de courte durée. L’état du matériel, le respect des procédures de stérilisation, le contrôle des dates de péremption et les conditions de stockage des produits de santé doivent faire l’objet d’une vérification programmée, dont une trace écrite est essentielle et doit pouvoir être consultée en cas de problèmes.   Le devoir d’information et le recueil du consentement du patient ou des familles Tout médecin ne peut prodiguer de soins sans l’accord préalable du patient, puisque tout acte est attentatoire à l’intégrité physique (loi 94-653 du 29 juillet 1994). Il est ajouté que l’accord ne peut être recueilli qu’après l’apport d’une information suffisante. Le droit français reconnaît des catégories d’incapables, dont les mineurs de moins de 18 ans : « Il est obligatoire d’obtenir le consentement des parents ou du tuteur légal pour instituer des soins non urgents. » Juridiquement, l’urgence constatée permet de déroger à la règle de l’information et du recueil de consentement parental : elle ne saurait pour autant écarter que « tout soit mis en oeuvre pour avertir, informer et solliciter l’accord des patients avant tout geste médical ». L’avis de l’enfant doit être recueilli d’autant qu’il est apte à recevoir une information loyale et précise.   Le pédiatre aux urgences et la gestion du risque L’urgence pédiatrique constitue une activité à risque pour les établissements et les praticiens exerçant cette activité spécifique. S’il est vain d’espérer zéro faute, il est certain qu’une attitude active dans l’optique d’une gestion des risques doit aboutir à une réduction du nombre d’accidents médicaux et de leur importance. La prévention des erreurs de prescription illustre parfaitement cette démarche de prévention du risque.   Un exemple d’erreur de prescription aux urgences La fréquence des erreurs de prescription ou d’administration a conduit, depuis une décennie, de nombreuses équipes d’urgences pédiatriques à développer des stratégies de prévention des erreurs médicamenteuses. Ces stratégies associent des mesures complémentaires : ● Analyse des erreurs précédentes L’analyse des incidents critiques, qu’ils aient ou non des conséquences fâcheuses, permet de comprendre les conditions qui sont à l’origine d’une erreur ou d’un risque d’erreur, ainsi que ses facteurs contributifs. Un protocole d’enquête sur les incidents cliniques en milieu de soins est proposé par une équipe anglosaxonne et peut servir de modèle dans l’analyse des erreurs médicamenteuses en service de pédiatrie. Ce protocole permet d’examiner la succession d’événements conduisant à l’accident. Sont ainsi successivement analysés, les problèmes directement liés aux soins (actions ou omissions commis par le personnel dans le processus de soins), les caractéristiques du patient (contexte clinique, gravité, compliance), les facteurs contributifs spécifiques (contexte organisationnel, défaut de communication entre prescripteur et personnel infirmier, situation de stress, expériences des professionnels présents) ou généraux (répétition des incidents indiquant la remise en question des protocoles cliniques, de l’adéquation entre le personnel soignant et la charge de travail). Les retours d’information et de la diffusion des résultats des analyses accroissent la sensibilisation aux erreurs et facilitent les améliorations « systémiques » destinées à réduire ou éliminer les erreurs de médication. La diffusion des résultats des analyses des erreurs de prescription accroît la sensibilisation et facilite les améliorations « systémiques ». ● Formation des prescripteurs Une corrélation nette existe entre le niveau d’expérience du prescripteur et le risque d’erreur de prescription. Une formation continue à la prescription maintient dans la durée le bénéfice de l’expérience. Des recommandations ont été émises par certaines sociétés savantes nationales et celles assez précises de l’Académie américaine de pédiatrie (AAP) méritent d’être enseignées. La rédaction, la distribution, l’enseignement de protocoles spécifiques, toujours disponibles, sont encouragés. Une liste de médicaments « exceptionnels », en raison de la rareté de leur prescription ou de leur gravité potentielle d’erreur de prescription, devrait faire l’objet d’un document spécifique précisant les indications, la DCI, les dénominations commerciales, leur présentation, la dose unitaire/kg de poids, le nombre de prises quotidiennes, la surveillance. L’affichage de ce document dans les bureaux de soins, sa diffusion « éclairée » auprès des prescripteurs et des infirmières sont reconnus comme l'expression d’une démarche pertinente. En ce qui concerne l’équipe paramédicale et l’exécution de la prescription, les soignants doivent pouvoir se sentir libres de refuser une prescription illisible, ambiguë ou inhabituelle. Cette possibilité devrait être mieux enseignée au cours des études au sein des instituts de formation aux soins infirmiers. Les soignants devraient pouvoir se sentir libres de refuser une prescription illisible, ambiguë ou inhabituelle. ● Conditions de la prescription Un environnement calme, un lieu dévolu aux activités de prescription sont autant de conditions permettant une prescription pertinente (la distraction est une cause non négligeable d’erreur de prescription). La nécessité d’une pièce calme vaut également pour le personnel infirmier au moment de la préparation d’une perfusion, d’une dilution médicamenteuse ou de la préparation d’une chimiothérapie. Le principe d’une double prescription pour les médicaments les plus à risque est discuté à l’instar des protocoles de chimiothérapie. ● Prescription électronique (PEL) La PEL permet aux professionnels de santé de rédiger les ordonnances à partir d’un support électronique. Ce logiciel permet la gestion électronique du dossier et peut être interfacé avec d’autres systèmes informatiques à partir d’un réseau. L’évolution du concept a permis l’élaboration de systèmes d’alerte permettant de détecter des problèmes réels ou potentiels. Parallèlement, ont été élaborés des outils d’aide à la décision (OAD) permettant de recommander le traitement le plus approprié en fonction des données sur le patient et d’algorithmes d’analyse basés sur des banques de données. L’impact le plus fort est noté lors de l’utilisation de la PEL combinée à l’OAD. ● Stockage des médicaments L’organisation récente des établissements hospitaliers a fortement réduit l’importance des stocks de médicaments à l’intérieur des services et s’oriente vers une distribution centralisée des médicaments avec une préparation personnalisée. Il reste cependant au sein des services (USIC, accueil des urgences, néonatologie) des armoires (ou chariots) à pharmacie comprenant des médicaments dits d’urgence. Certaines précautions peuvent réduire le risque d’erreur : élimination des médicaments inutiles, séparation claire des préparations aux concentrations différentes, rangement spécifique des préparations en fonction de la voie d’administration, etc. La prescription électronique combinée aux outils d’aide à la décision ont le plus fort impact sur les erreurs de prescription.   La gestion de l’erreur aux urgences et son implication médico-légale L’erreur étant commise, les soins appropriés étant donnés à l’enfant, la conduite de la relation avec la famille influe sur la nature des suites médico-judiciaires. L’analyse des diverses situations rencontrées permet d’identifier certaines conditions, qui lorsqu’elles sont réunies, facilitent les relations avec la famille : – la transparence : l’erreur, sa nature, son mécanisme, les conditions de sa survenue, les conséquences doivent être rapidement communiquées à la famille ; – la continuité de l’information (évolution clinique de l’enfant, résultats des examens complémentaires) par des entretiens répétés avec la famille tout au long de l’hospitalisation de l’enfant ; – la délivrance de l’information par le chef de service lui-même ou le responsable de l’unité. Ces éléments sont jugés pertinents dans une étude rétrospective suédoise. Ils sont également mis en avant dans une procédure proposée par le Child Unit Risk dans l’analyse de Vincent et coll.   Conclusions et perspectives La prise en charge des enfants par les praticiens des urgences relève de l’exercice d’une médecine exigeante, de discernement et de prudence que le cadre technique et institutionnel contrarie. L’anxiété et le stress s’accommodent difficilement avec le temps de l’enfant. Le temps du médecin des urgences n’est pas celui des enfants. La compétence n’est pas en cause. L’exercice responsable de l’accueil et du traitement des urgences pédiatriques présente des exigences et des responsabilités dont les principaux intéressés prennent progressivement la mesure. La réduction des accidents est devenue une exigence de la société. En raison de la complexité des activités médicales et de la part croissante des questions d’organisation dans la survenue d’événements indésirables, la prévention des risques devient ainsi de plus en plus complexe et difficile à mettre en oeuvre. La production de référentiels, de recommandations appropriées à la pratique des professionnels de l’urgence de l’enfant, outils intégrés disponibles et hiérarchisés, est devenue indispensable. La deuxième procédure d’accréditation des établissements de santé prochainement mise en oeuvre, renforce l’identification et la réduction des risques. L’exemple anglais, appliqué en Australie (Nouvelle-Galles du Sud) est l’illustration de la volonté d’une gestion des risques aux urgences : cette démarche implique une identification des risques (enquêtes transversales), un système national de déclaration des accidents ou des incidents, le développement d’aides à la décision, la réorganisation des services dans une démarche qualité, le développement de la certification, de l’accréditation, de la formation médicale continue, la promotion de l’information des familles dans le but de les impliquer dans l’effort de gestion des risques. Ce n’est qu’à ce prix que les risques inhérents à l’activité d’urgences pédiatriques pourront être progressivement maîtrisés.   

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