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En direct des staffs

Publié le 06 mar 2022Lecture 7 min

Une onychopathie d’un orteil chez un enfant de 19 mois

Pierre FRANCES et coll., Banyuls-sur-Mer

La rubrique EN DIRECT DES STAFFS est ouverte à tout médecin d’un service de pédiatrie souhaitant partager avec les lecteurs de Pédiatrie Pratique les cas discutés dans son service et qu’il estime suffisamment intéressants et édifiants pour être portés à la connaissance de ses confrères.

Nous recevons en consultation une jeune enfant de 19 mois qui présente depuis plus de six mois une déformation de l’ongle du 1er orteil de son pied droit. Sa maman a déjà vu plusieurs praticiens qui ont administré différents traitements antifongiques (solution filmogène et crème en occlusion). Malgré ces traitements, aucune amélioration n’a été notée, et même il a été mis en évidence un plus important épaississement de la tablette unguéale. La mère de cet enfant, qui est biologiste, nous explique que sa fille a présenté avant cette déformation unguéale des petites vésicules qui suintaient. Ces formations qu’elle attribuait à une transpiration excessive (elles étaient observées en été) se sont résorbées très rapidement. D’autre part, elle nous relate avoir remarqué un érythème au pourtour du lit de l’ongle du premier orteil. Cet érythème apparaît de manière brutale et ne persiste pas. D’ailleurs, depuis deux mois, il n’est pas réapparu. Cette enfant est par ailleurs en bon état général, et ne présente aucun antécédent familial ou personnel. Cliniquement, nous pouvons noter (figure 1) : la présence d’un épaississement de la tablette unguéale du 1er orteil (pachyonychie). Il existe une modification de la couleur de l’ongle blanc-jaune. Nous observons également un décollement de la tablette sur les bords latéraux (onycholyse) ; au niveau des 4 derniers ongles, nous pouvons voir la présence d’un décollement distal (onycholyse) ou plutôt disto-latéral de la tablette unguéale. Cette anomalie est apparue après l’épaississement unguéal (il y a 2 mois de cela). Le reste de l’examen clinique, tant au niveau dermatologique que des autres appareils, se révèle tout à fait normal. Figure 1. Anatomie de l'ongle. Lors de l’embryogenèse, les doigts apparaissent à partir de la 6e semaine de grossesse (pour les mains), et la 7e pour les pieds(1). À compter de la 10e semaine, nous objectivons une surface bien délimitée quadrangulaire (l’aire unguéale primitive(1,2)) . À compter de la 11e semaine, les articulations des doigts apparaissent. Un épaississement de l’épiderme distal est observé (la crête distale) qui va progressivement se kératiniser et conduire à la formation de l’hypoychium(2). En parallèle, un bourgeon unguéal (le matrix primordium) se différencie et se développe vers la partie proximale et distale du futur lit unguéal. Il réalise en fait le repli proximal, élément qui constitue la base de la matrice unguéale(3). À partir de la 14e semaine, la tablette unguéale se forme à partir du repli proximal, et gagne à la 16e semaine le lit unguéal (il est alors recouvert à 50 %)(4). À 17 semaines, l’ongle recouvre la quasi-totalité du lit unguéal(4). L’appareil unguéal est complet à partie de la 20e semaine(5). Au décours de ce développement, des anomalies concernant la formation de l’ongle peuvent s’observer. Avant la période de 20 semaines, on parle d’embryopathie ; les fœtopathies concernent le développement au-delà de cette période(5). Le plus souvent les embryopathies sont héréditaires, tandis que les fœtopathies sont secondaires à des problèmes vasculaires ou mécaniques(5). La prématurité s’associe à une réduction dans la taille des ongles. Près de 75 % des syndromes congénitaux associent des pathologies unguéales(6). La vitesse de croissance des ongles chez l’enfant est identique à celle des adultes jeunes (0,15 mm/j)(4). Parmi les 5 anomalies les plus fréquemment rencontrées chez l’enfant, nous pouvons citer les leuconychies (dyschromie : les ongles sont de couleur blanche), les onychophagies (action de se ronger les ongles), les ongles en dé à coudre, la koïlonychie (ongles déformés en cuillère avec une surélévation des bords latéraux de la tablette), et l’onychoschizie (dédoublement lamellaire de l’extrémité distale de la tablette unguéale)(5). À ce titre, le tableau 1 permet de mettre en lumière les anomalies les plus fréquentes au sein de cette classe d’âge. À partir de ces éléments, nous pouvons mieux aborder le cas clinique présenté, et avoir une idée plus juste sur les onychopathies. Discussion En reprenant l’observation précédente, nous notons la présence d’une anomalie au niveau du 1er orteil. Il existe en effet un épaississement de la tablette unguéale et une onycholyse. L’ongle présente une coloration blanc-jaune, élément qui signe une modification de sa structure. Par ailleurs, en nous référant à l’interrogatoire de la mère, nous apprenons deux choses : la présence au tout début de l’apparition de cette onychopathie d’éléments qui semblent vésiculeux, lesquels ont donné une sorte de suintement ; la présence d’une paronychie qui correspond à une inflammation ou une infection des replis périunguéaux. Cette anomalie résulte d’une perte d’adhérence entre la cuticule et la lame unguéale. D’autre part, à côté de cette anomalie du 1er orteil, nous observons une onycholyse prédominant au niveau des autres ongles. L’onycholyse traduit un décollement de la lame unguéale du lit unguéal sous-jacent. On parle d’onychomadèse lorsque ce clivage est centré sur la région proximale De nombreuses étiologies peuvent être responsables de cette anomalie : exogène, infectieuses, dermatologiques, médicamenteuses ou systémiques. Dans le cas de notre jeune patiente, nous ne retenons que les étiologies dermatologiques. L’origine exogène (contact avec l’eau, application de substances irritantes) n’a pas été retrouvée. L’étiologie infectieuse n’est pas retenue car cette anomalie n’aurait pas persisté de manière asymptomatique (la mère n’en faisant d’ailleurs pas cas) durant deux mois. Parmi les étiologies dermatologiques responsables d’une onycholyse, deux doivent retenir notre attention : le lichen plan et le psoriasis. Or si nous regroupons les données obtenues sur ces ongles, nous pouvons penser à l’existence d’un psoriasis ou d’une forme débutante de psoriasis (le lichen donnant plus souvent au niveau des ongles une trachyonychie : striations fines sur la surface de la tablette unguéale qui donne un aspect rugueux). En fait, la description de l’épaississement unguéal du 1er ongle peut s’intégrer dans un tableau de psoriasis unguéal. Cependant, la mère a expliqué avoir noté la présence de vésicules sur le 1er orteil. Tous ces éléments concourent à poser le diagnostic de parakératose pustuleuse, pathologie qui prend en compte cette notion de psoriasis. La parakératose pustuleuse Cette pathologie a été décrite pour la première fois par Sabouraud. Cependant, Hjorth et Thomsen ont donné les éléments cliniques qui ont permis de mieux l’appréhender(7). Cette entité est rencontrée plus souvent chez des enfants de sexe féminin dont l’âge est compris entre 5 et 7 ans(4). La parakératose pustuleuse se développe le plus souvent au niveau des mains et l’atteinte est  monodactyle. Les 1ers et 3es doigts sont les plus touchés et la main gauche est la plus exposée(5). Sur le plan clinique, les vésicules (décrites par la mère de la patiente) ou pustules surviennent au stade initial de l’évolution de cette pathologie(8). L’érythème décrit dans notre observation correspond à un eczéma précédant la modification morphologique de l’ongle atteint(5). Au niveau de la tablette unguéale, nous observons deux phénomènes concomitants : une hyperkératose et une onycholyse(8). L’onycholyse est distolatérale. En parallèle, d’autres modifications peuvent se rencontrer au niveau de la lame unguéale : fragilisation (l’ongle peut se détacher complètement), présence de lignes de Beau (dépression unguéale transversale secondaire à une interruption de la croissance unguéale matricielle), des ponctuations et un changement de couleur(8).  En ce qui concerne l’hyperkératose, elle touche surtout l’hyponychium(5). L’examen histologique met en évidence une hyperkératose et une parakératose, une acanthose, une infiltration lymphocytaire importante et de nombreux fibroblastes autour de capillaires dilatés(9). Ces éléments histologiques sont similaires à ceux retrouvés au décours d’un eczéma ou d’un psoriasis (tableau 2)(10).  D’ailleurs, certains auteurs considèrent que cette entité est une forme clinique (laquelle se confirmera lorsque l’enfant grandira) de psoriasis ou d’eczéma. Ainsi, une étude a permis de retrouver dans 40 % des cas un psoriasis, et dans moins de 10 % une dermatite atopique(8). Les patients ayant cette pathologie ont des antécédents familiaux de dermatite atopique. Découlant de cette observation, il semble que ces sujets présentent plus fréquemment des allergies de contact (35 %)(5). Bien entendu, certains diagnostics différentiels peuvent être évoqués : les onychomycoses. Ce diagnostic avait été évoqué par nos confrères, mais l’onycholyse des autres ongles et l’inefficacité des traitements antifongiques plaident en défaveur de ce diagnostic ; l’hyperkératose secondaire à une onychomanie de l’enfant. Cependant, dans ce cas, elle sera prédominante au niveau du 1er doigt des mains et pas des pieds. En ce qui concerne le traitement, il faut bien expliquer que cette pathologie a des chances de régresser lorsque l’enfant grandira. Néanmoins, nous pouvons avoir une action symptomatique et prescrire des dermocorticoïdes locaux. Conclusion La parakératose pustuleuse est une pathologie qui touche uniquement les enfants, en particulier les sujets ayant entre 5 et 7 ans. Cette onychopathie psoriasiforme associe deux éléments principaux : une onycholyse et une hyperkératose sous-unguéale (souvent modérée). Cette affection est bénigne, et sa régression spontanée est habituelle. Cependant, dans 40 % des cas il faut avoir à l’idée qu’elle est associée à un psoriasis.

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