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Le risque en pédiatrie

Publié le 04 jan 2021Lecture 9 min

Prise de risque chez l’adolescent : interaction génétique/environnement

Jean-Pascal ASSAILLY, Université Gustave Eiffel, Paris

Deux questions se posent depuis longtemps : pourquoi les adolescents sont-ils enclins à adopter des comportements à risque ? Quelles sont les importances respectives des influences génétiques et environnementales au sein de cette tendance ?

La mise en danger de soi à l’adolescence L’adolescence est un paradoxe en matière de santé. Bien que les adolescents soient plus forts, plus en forme, plus fertiles et plus résistants aux maladies que les enfants ou les adultes, ils sont aussi particulièrement vulnérables aux blessures ou aux décès en raison de leur comportement à risque. Les trois principales causes de décès chez les adolescents et les jeunes adultes de 15 à 24 ans sont dues à des comportements : accidents de la route, suicide, accidents de sports (Assailly, 2019, 2020). La question qui se pose donc depuis longtemps est de savoir pourquoi les adolescents sont enclins à adopter des comportements à risque. Selon le modèle des systèmes doubles (Steinberg, 2010) et le modèle connexe de déséquilibre de maturation (Casey, 2015), la prise de risque chez les adolescents peut être comprise en termes de deux dimensions distinctes – le traitement des incitations et le contrôle cognitif – qui maturent selon des échelles de temps distinctes et sont sous-tendues par des circuits neurobiologiques distincts. Premièrement, le système de récompense, un système de traitement des stimuli, impliquant des régions cérébrales sous-corticales telles que le striatum, soustend les processus impulsifs, tels que la sensibilité aux récompenses, la recherche de la nouveauté et la recherche de sensations. L’hypothèse est que le système de traitement des stimuli se développe rapidement du début à la moitié de l’adolescence ; les adolescents présentent une réactivité plus forte dans le striatum ventral en réponse aux récompenses que les enfants ou les adultes, et l’étendue de la réactivité du striatum ventral est en corrélation avec la prise de risques dans le monde réel. Deuxièmement, le système de contrôle cognitif des décisions (et particulièrement des décisions en matière de plaisirs...), impliquant le cortex préfrontal, est supposé sous-tendre les fonctions exécutives qui facilitent le contrôle de soi, telles que la planification, le raisonnement abstrait et le contrôle des impulsions. Contrairement au système de traitement des impulsions, le système de contrôle cognitif semble maturer plus lentement de l’adolescence à l’âge adulte émergent, pas avant 22, 23 ou même 24 ans. Par exemple, le volume de la substance blanche augmente jusqu’au milieu de la vingtaine, en particulier dans les zones du cerveau impliquées dans le contrôle cognitif de haut niveau. On pense donc que cet écart de maturité neurale se traduit par une sensibilité accrue des adolescents aux récompenses et aux émotions sans augmentation concomitante de leur capacité à contrôler leur comportement. Par conséquent, la question n’est pas que les adolescents soient plus impulsifs que les adultes ni qu’ils recherchent plus de récompenses que les adultes ; le fait est qu’ils ne comprennent pas aussi bien les associations entre comportement et conséquences (et l’équilibre entre les avantages et les coûts : « Si je bois un verre de plus, je vais être plus euphorique, mais je pourrais aussi me faire retirer mon permis »). Ceci a été montré en utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle : les chaînes synaptiques reliant les régions limbiques aux préfrontales ne sont pas « finies » (« myélinisées », pour utiliser le terme technique), donc il n’y a pas assez de synchronisation entre la cognition et l’affect. L’imagerie cérébrale a également montré l’influence de cette coordination sur la résistance à la pression des pairs, un facteur très important de la prise de risque chez les jeunes. Les adolescents les plus sensibles à la pression des pairs sont ceux qui activent les aires les plus impliquées dans la perception des actions des autres, alors que les sujets moins sensibles à la pression des pairs sont ceux présentant une meilleure connec- tivité entre ces aires et celles du contrôle cognitif dans la prise de décision. La question du sommeil La dette de sommeil est un phénomène très fréquent chez les adolescents, et des méta-analyses ont été effectuées, montrant qu’un sommeil insuffisant était associé chez les adolescents à une probabilité de prise de risque 1,43 fois plus élevée (Short et coll., 2018). Cette relation a été constatée dans diverses catégories de prise de risques, notamment la consommation d’alcool, de tabac et de drogues illicites, les comportements violents/délinquants, les accidents de la route et les risques sexuels. Ces résultats soulignent l’importance de poursuivre les recherches afin d’examiner la relation de cause à effet entre la durée du sommeil et la prise de risques, et d’élucider les mécanismes qui sous-tendent cette relation. Les études d’imagerie soutiennent l’idée que la durée du sommeil peut avoir un impact sur le comportement à risque par son effet sur le cerveau. Les adolescents qui manquent de sommeil montrent moins d’activation dans le striatum ventral dans l’attente d’une récompense ; la réactivité de cette région du cerveau liée aux récompenses est réduite, obligeant ainsi ces adolescents à rechercher des récompenses plus excitantes ou plus risquées pour faire l’expérience de l’activation du circuit de récompense. Dans le domaine des addictions, un mécanisme similaire a pu être observé : l’alcoolisme familial peut avoir des effets spécifiques et généraux. Ceux qui sont spécifiques de la densité familiale de l’alcoolodépendance sont liés à l’héritabilité de la sensibilité aux effets de l’alcool. La résistance aux effets de la sensation a été révélée par les travaux de Schuckit (1998) sur l’héritabilité de la sensibilité aux effets de l’alcool par les fils de pères alcoolodépendants : ces jeunes, à qui l’alcool fait peu d’effets, justement parce qu’ils ressentent peu les effets des stimulations, monteront progressivement les doses afin de ressentir « quelque chose », afin d’être « raccord », « synchro » avec le reste de leurs amis sur lesquels l’alcool produit beaucoup plus de sensations. Ce qui est, au départ, une vulnérabilité génétique mise en évidence par la génétique du comportement progressivement à un effet environnemental, la socialisation du samedi soir. On pourrait imaginer que cette résistance aux effets des sensations produites par l’alcool existe dans d’autres domaines : sports, route, etc. En effet, la même stimulation ne provoque pas la même sensation chez chacun de nous : vous mettez quelqu’un sur un manège et il hurle ! Vous emmenez un autre sur les attractions les plus « sensationnelles » de Disneyland, et il descend en disant n’avoir rien ressenti ! Le lien entre l’histoire familliale d’alcoolisme et l’abus de drogues illicites ou la comorbidité est médiatisé par la personnalité du jeune (l’impulsivité et la faible popularité). Il est possible, en effet, que les jeunes présentant ces traits utilisent les substances pour réguler les affects négatifs. Ainsi, les jeunes de parents alcoolodépendants qui sont impulsifs seront plus souvent en échec scolaire, rejetés des groupes de pairs « conventionnels », affiliés à des groupes de pairs qui modèleront leur usage de substances, moins dissuadés par les conséquences négatives des consommations. Les interactions des facteurs génétiques et environnementaux Les recherches sur les jumeaux ont confirmé que les gènes sont un facteur majeur des différences indi- viduelles dans la prise de risques et l’externalisation du comportement à l’adolescence (Krueger et coll., 2002). Cependant, les variantes génétiques spécifiques qui sous-tendent cet effet génétique, ainsi que les voies impliquées dans les effets génétiques sur un comportement si complexe, sont encore largement inconnues (Manolio et coll., 2009). Le domaine en pleine expansion de l’imagerie génétique cherche à éclairer ces questions en construisant des modèles de relations entre les gènes > le cerveau > le comportement (par exemple, Medland et coll., 2014). Bien que les études de jumeaux soient le plus souvent considérées comme des outils pour comprendre l’influence génétique, elles sont également instructives sur la façon dont les influences environnementales sont stratifiées dans la population. Plus précisément, les études de jumeaux décomposent la variation d’un phénotype influencée par l’environnement en deux composantes. Les influences de l’environnement partagé Une caractéristique environnementale familiale est tellement massive qu’elle a des effets sur tous les enfants de la famille ; par exemple, la « misère noire », une orientation religieuse, un conflit fort entre les parents. Outre l’environnement familial, les sources possibles d’influence de l’environnement partagé comprennent les écoles, les quartiers et les groupes de pairs communs. Les influences de l’environnement non partagé Chaque enfant n’est pas soumis aux mêmes effets du fait de diverses causes ; par exemple, on n’élève pas les filles comme les garçons (même encore aujourd’hui !), la mère a un attachement plus fort avec tel enfant, la situation socio-économique de la famille s’est modifiée, telle caractéristique de l’enfant sous influence génétique provoque des réactions différentes des parents (traditionnellement, on ne pensait qu’aux influences qu’ont les parents sur les enfants, aujourd’hui, on sait que l’enfant influence le parent par son caractère, son tempérament et cette influence « environnementale » provient donc de traits génétiquement déterminés). Les corrélations entre jumeaux pour la prise de risques sont très cohérentes avec les recherches génétiques comportementales précédentes sur l’intelligence chez les jumeaux : dans tous les cas, la corrélation des jumeaux monozygotes est supérieure à la corrélation des jumeaux dizygotes du même sexe, ce qui indique une influence génétique. La variation génétiquement influencée de la recherche de sensations augmente à l’adolescence et est l’un des meilleurs prédicteurs de l’implication dans des formes socialement problématiques de prise de risque ; elle n’est pas correctement saisie par les tâches de paris financiers couramment utilisées dans les études sur la prise de décisions (Harden et coll., 2017). À travers les divers thèmes de la mise en danger de soi (prises de risques, addictions, transgresions), un mécanisme transversal de l’environnement non partagé provient de la théorie de l’attachement et a pu être mis en évidence : le risque pris est souvent, en effet, inversement proportionnel au niveau de peur perçue. Un mécanisme important ici pourrait être un manque de sensibilité à la perte, manque produit par les effets épigénétiques des stress émotionnels précoces tels que les attachements anxieux ou les diverses formes de maltraitance. Ces effets épigénétiques se situent au carrefour des histoires biologique et affective. Si l’on considère par exemple les gènes qui contrôlent les réponses aux peurs et au stress, l’environnement affectif va progressivement façonner l’axe HPA de l’enfant. Le stress affectif au début de la vie provoque un affaiblissement ou une destruction de neurones dans l’hippocampe, l’aire du cerveau qui code les souvenirs émotionnels, ce qui produira un manque de sensibilité à la perte. Un sous-produit de l’histoire affective et des attachements anxieux de l’enfance, l’alexithymie (de a privatif, lexi lire ou nommer et thymie les émotions, ne pas savoir reconnaître ses propres émotions, être aveugle émotionnellement à soi-même), peut être lié également à cette absence de sentiments. Ces dommages neuronaux causés par le stress émotionnel sont associés à l’adolescence avec la prise de risque, l’impulsivité et les addictions. Les hasards de la vie amèneront l’un vers les prises de risques excessives des sports extrêmes, l’autre vers l’addiction aux opiacées ou à l’alcool, et le troisième vers la délinquance, mais ce sera le même mécanisme psychobiologique commun à ces trois devenirs. Conclusion Sous-jacents au phénotype de la prise de risque de l’adolescent, on retiendra trois principaux mécanismes : les difficultés du contrôle cognitif des décisions en matière de récompense, la résistance aux effets des sensations, le manque de sensibilité à la perte. Ces trois mécanismes sont au carrefour des interactions entre le génétique et l’affectif.

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