publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Le risque en pédiatrie

Publié le 04 jan 2021Lecture 26 min

Risque, mensonges et génétique

Stanislas LYONNET, Institut des maladies génétiques, Imagine Université de Paris, Inserm UMR-1163, hôpital Necker-Enfants malades (APHP centre)

Comme pour la mécanique quantique de Bohr, il faut une bonne dose de paradoxe, de provocation et même de bonne humeur pour considérer en génétique le sujet du risque et celui de l’individualité qui lui est lié : ce n’est pas tant du risque qu’il est question, mais de « mon » risque.

« Prediction is very difficult, especially about the future » Niels BOHR (Prix Nobel de Physique 1922) La question est pourtant au centre de nombreux intérêts souvent fort éloignés de la médecine et aux enjeux bien plus importants. D’abord les marchés boursiers, quand une action s’envole de plus de 4 % à l’annonce publique du génotype d’une célèbre comédienne révélant son risque de cancer du sein l’ayant conduite à accepter une mastectomie bilatérale ; la même action s’effondrant de 10 % quelques jours plus tard, lorsque la Cour Suprême des États-Unis décide (enfin) que tout ou partie de la séquence du génome humain n’est pas brevetable en tant que telle, parce qu’elle ne constitue pas une invention, mais un pro- duit de la nature. Dans le marché des tests génétiques aussi, proposés directement au consommateur avide de savoir d’où il vient, où il va, et ce qui l’emportera, lui et ses enfants. En criminalité, non seulement quand l’ADN d’une scène de crime est rapproché d’un suspect ou d’un fichier par l’identification judiciaire, mais surtout, plus insi- dieusement, dans les velléités d’accuser ou d’excuser d’un crime ou d’un délit selon la présence ou l’absence de variants génétiques qui pourraient y prédisposer. Jusqu’en politique enfin, animant en 2008 la campagne présiden- tielle américaine, par la question de la révélation ou de la protection d’informations génétiques concernant les candidats en présence : John McCain et Barack Obama(1). Il est vrai que cela a depuis été effacé des mémoires, notamment par les épisodes du combat Trump-Biden qui aura mis en exergue un autre mal partagé par politique et génétique : les fake news. L’étrange place de la médecine génétique Comme le cardiologue a le cœur et le neurologue le cerveau, le généticien a bel et bien un organe d’expertise et de pratique, le génome, et sa maladie : le risque. Le risque peut être simplement défini comme la probabilité de survenue d’un événement. Rien ne dit qu’il est désiré ou craint, et il faut dire que la pratique de la génétique médicale nous a appris que la perception du risque (le risque subjectif) n’a souvent rien à voir avec sa valeur arithmétique ; des risques importants ou faibles sont acceptables ou non, surtout selon le contexte de ce que l’on redoute et la distance génétique séparant l’individu à risque du cas index, c’est-à-dire du malade qui lui est apparenté. Oh, certes, cette relation n’a rien d’une formule mathématique liée au carré de la distance génétique ou, à l’inverse, du nombre de méioses ; mais elle montre bien l’étrange place de la médecine génétique, expliquant quelques regards étonnés, quelques incompréhensions, et parfois même quelques attaques que suscitent dogmatisme ou méconnaissance. Certains de ces pamphlets sont pourtant mérités, tant les progrès exponentiels de la connaissance de notre génome, la possibilité de l’analyser dans des délais et à des coûts défiant toute concurrence, inimaginables il y a quelques mois encore, ont fait miroiter des promesses qui, de toute évidence, n’ont pas été tenues. Elles expliquent parfaitement la déception et le discrédit : « La Justice, c’est comme la Sainte Vierge, si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s’installe » (Michel Audiard). Nombre de ces espoirs sont nés après que le séquençage du génome humain a été complété en 2003, dans l’enthousiasme de consortium internationaux qui s’étaient fixés comme objet la recherche systématique de différences entre malades et témoins par des études d’association dites génome entier (GWAS des Anglo- Saxons). L’espérance de retombées physiopathologiques, de développement d’outils diagnostiques, de capacité d’imaginer de nouvelles interventions thérapeutiques était majeure, mais peut-être surtout le mirage d’une toute-puissante génétique qui, passant du général au particulier, pourrait dresser une carte du risque d’un individu comme jadis la carte du tendre des marquis de Molière. On imagine aussi les enjeux financiers, de santé publique, voire en matière d’assurances. Quinze ans, des centaines d’études et des millions de dollars plus tard, rares sont les promesses tenues par ces vastes projets : trop peu de gènes clés, peu de mécanismes physiopathologiques, peu de tests et, au grand dam des investisseurs, peu ou pas d’applications médicales. Parce qu’un voile de fumée qui masque l’embarras est toujours plus crédible lorsqu’il est coloré, le concept a alors émergé d’héritabilité manquante. Cette perception séduisante, redoublant l’intérêt pour l’épistasie (interaction entre gènes) autre Graal de la génétique, a fait alors florès dans les colonnes et les tribunes des journaux scientifiques les plus prestigieux. Mais l’héritabilité manque-t-elle ou, plus humblement, ne savons-nous pas la définir et la mesurer ? Et ne nous sommes-nous pas plutôt, tout simplement, trompés de modèle ? On y reviendra. Pour notre généticien, qui a eu un instant l’espoir, comme les ouvriers aux deux extrémités d’un tunnel, de se faire rapprocher la génétique des risques selon les lois de Mendel et les risques empiriques ou épidémiologiques résultant des études à grande échelle, la déception est aussi cuisante. Et ne parlons pas du malade et de sa famille qui étaient en droit d’attendre autre chose que de virulents échanges scientifiques à propos d’une héritabilité que l’on ne sait pas définir. Force est donc de constater que dans le domaine de la génétique médicale, il nous reste pour quelque temps encore à considérer deux ordres de situations où l’évaluation du risque est importante, mais qui ne semblent pas s’être rapprochées : la consultation de génétique individuelle faisant référence à un risque personnalisé conféré par des antécédents reconnus, et, d’autre part, l’évaluation du risque à l’échelle d’une population et les leçons que l’on pourrait en tirer pour une personne de cette population. Cette dernière approche relève de stratégies de prévention, de dépistage, d’attribution de risques dits relatifs accompagnés de leurs mesures statistiques. En premier lieu, il s’agit des analyses qui permettent de déclarer une différence significative en mesurant le risque qu’elle ne le soit pas, plus généralement, donc, à rejeter une hypothèse nulle alors qu’elle est exacte. Toute sorte d’autres mesures, calculs, tests, seuils de signification, d’hypothèses préalables, probabilités et statistiques sont convoqués au chevet de ce généticien désarmé qui souvent conclut comme il y a trente ans : « Bref, vous n’avez pas beaucoup plus de risque que la population générale. » Beaucoup de mésententes vis-à-vis de la génétique moderne et de ses progrès incontestables viennent précisément de l’aveu qu’il n’a pas encore été possible d’aboutir à une théorie synthé- tique prenant en compte à la fois le calcul individuel de risque en situation de maladie héréditaire monogénique, pour des traits plutôt qualitatifs (malade ou indemne), et, par ailleurs, le calcul de risque individuel tiré d’études épidémiologiques de grande envergure et portant surtout sur des caractères quantitatifs. Retour vers le futur de la génétique médicale Aussi, l’épistémologue ingénu et taquin pourrait-il constater que nous sommes exactement au même point qu’il y a un siècle, en 1910, lorsque la querelle entre « mendéliens » et « biométriciens » faisait rage. D’un côté les premiers, conduits par William Bateson, tenant des variations discontinues, avaient fait de la redécouverte des lois de Mendel une explication générale de l’hérédité et des variations de notre population, souvent à juste titre. Bateson a, semble-t-il, suggéré le mot génétique lors d’une conférence en 1906, avant même que Wilhelm Johannsen n’invente le gène. De l’autre, les biométriciens, conduits après Francis Galton par Karl Pearson, mathématicien britannique, fondateur des statistiques modernes et précisément des tests de corrélation et de la mesure du chi2. Pendant que Pearson et Galton créent la revue Biometrika (1901), Bateson fonde le Journal of Genetics (1910). Les titres parlent d’eux-mêmes. De toutes parts, la description des erreurs innées du métabolisme, les fondements biochimiques des maladies enzymatiques, la décou- verte des variations et des polymorphismes humains rendent écrasante la victoire des mendéliens et de leur modèle. On ne peut sûrement pas le regretter, puisqu’elle est à l’origine de très brillantes découvertes de physio-pathologie, et qu’elle a trouvé sa pleine justification dans trente glorieuses années d’identification de gènes par étude de liaison, de conseil génétique modernisé, de tests d’un immense bénéfice pour les malades et leurs familles, et même des premiers développements de thérapies dérivées de la génétique. Pourtant, la résolution théorique de ce conflit spirituel, entre ceux qui pensaient qu’à tout instant il était possible de distinguer un trait héréditaire de ségrégation mendélienne à l’origine de nos caractères et ceux qui ne voyaient que des traits quantitatifs, statistiquement indistinguables, dont les extrêmes pouvaient constituer les phénotypes, avait été opérée entre 1918 et 1925 par trois savants : Ronald A. Fisher, Sewall G Wright et John B. S Haldane. C’est d’ailleurs sous le modèle proposé par Fisher en 1918, dans un article au titre visionnaire (« The correlation between relatives on the supposition of mendelian inheritance »), que nous vivons toujours notre perception des susceptibilités aux maladies communes selon un modèle distribué normalement. Cette dissection de l’hérédité des caractères complexes est fondée sur l’idée de l’accumulation de nombreux facteurs de risque, chacun ayant des petits effets, et qui sont indépendants les uns des autres. Et c’est justement ce modèle, redécouvert dans les années 1960 après des décennies de triomphe mendélien, qui est à l’origine des études génome entier ; elles ont comme principes que l’hérédité mendélienne est plus l’exception que la règle, que l’hérédité polygénique ou multifactorielle est non seulement possible, mais vraisemblable, et que l’on en veut pour preuve que l’écrasante variabilité des génomes humains inimaginables avant les années récentes de séquençage systématique de populations. Ce petit détour historique est essentiel, car il montre que nous sommes à un moment clé de retour de pendule d’une horloge de la génétique dont les rouages sont encore mystérieux ; et alors même que notre instinct le plus intime pressent toujours : « Il a vraiment le menton de son grand- père ! ». Et c’est bien là, à côté du dialogue entre variabilité et ressemblance (« Tous parents, tous différents »), l’autre grand para- doxe de la génétique : cette oscillation entre les modèles les plus élémentaires des petits poids, aux interactions les plus complexes et les moins mesurables entre gènes, mais aussi entre gènes et milieu (nature versus nurture). Pour l’anecdote, n’oublions pas qu’il semble que, les outils statistiques lui faisant défaut, la conviction de Johan Mendel, frère Gregor, l’aurait peut-être poussé à modifier ses résultats pour les rendre plus conformes à ses hypothèses. Vraiment, la nature vit du risque, mais a horreur de la statistique. Peut-on évaluer le risque de survenue d’une maladie multifactorielle ? Sur cette dernière question d’ailleurs, tout comme la nature, il est de notoriété publique que les étudiants de nos bancs de faculté de médecine eux aussi restent souvent interloqués par les outils statistiques qui sont utilisés notamment dans la prédiction de l’influence des variants génomiques communs sur la variabilité+ des phénotypes, qu’ils soient normaux ou pathologiques. Ces concepts complexes, souvent mal compris et parfois mal enseignés, mènent à des interprétations contestables. Certains biostatisticiens travaillent d’ailleurs actuellement à évaluer le nombre de publications scientifiques erronées qui sont basées sur des conclusions à la limite des mesures ou même au-delà. Et les résultats des études d’association génome entier (GWAS) ne font pas exception. Leur analyse, on l’a vu, présuppose que des facteurs génétiques nombreux, indépendants, cumulatifs, d’effets faibles, et sans interaction avec des facteurs de milieu, sont à l’origine des prédispositions aux maladies communes. Or, dans la majorité des maladies multifactorielles, cette hypothèse n’est finalement pas, ou pas encore, justifiée. Une première remarque candide rappelle d’ailleurs que pour certaines maladies on ne peut plus mendéiennes, comme la phénylcétonurie, le phénotype ne survient que si le patient est exposé au facteur de milieu qui la déclenche ; dans cet exemple, l’alimentation pro- téique riche en phénylalanine. Mais c’est tout aussi vrai de l’étude de la prédisposition génétique aux maladies infectieuses, mycobactéries entre autres, ou encore des facteurs de risque au diabète de type 2. Dans ce dernier cas, une personne présentant la totalité des facteurs de risque génétique connus encourt moins de risque d’être atteint s’il est mince et sans antécédent familial, qu’une autre personne qui n’aurait aucun de ces variants de prédisposition génomiques, mais qui serait obèse et aurait des antécédents familiaux. Un rappel sur la valeur qu’il faut accorder aux prédictions de risque pour les maladies multifactorielles a fait l’objet en 2011 d’un texte émanant de la Société française de génétique humaine (« Quelle valeur accorder aux prédictions de risques pour les maladies multifactorielles ?(2) »). Il doit être lu et relu comme un viatique dans la traversée de cette période délicate où nous n’avons pas encore trouvé l’équilibre entre plusieurs vérités : le modèle monogénique, où la cause primaire est la mutation d’un gène déterminant le phénotype, et le modèle multifactoriel, fort utile pour contrôler croisements et environnement dans d’autres espèces animales ou des espèces végétales, mais qui présuppose que les facteurs génétiques n’interagissent ni entre eux, ni avec les facteurs d’environnement. C’est là une des raisons essentielles de ne surtout pas encore abandonner l’étude des maladies mendéliennes monogéniques tant la variabilité d’expression et les défauts de pénétrance, qui sont la règle plus que l’exception dans notre espèce, constituent une fenêtre ouverte vers une génétique plus complexe tendant progressivement vers le modèle multigénique. Quelles sont en effet les raisons qui font qu’à génotype identique, deux personnes malades d’une même famille ne manifesteront pas les mêmes symptômes, ou pas au même âge, ou pas avec la même intensité ? Cette déconstruction de l’architecture des maladies monogénique, qui ne conteste en rien les lois de l’hérédité, s’inspire bien du modèle multifactoriel puisqu’elle recherche des gènes ou des variants génétiques modificateurs, liés ou non liés au locus morbide et à sa mutation qui est bel et bien nécessaire, mais pas suffisante pour déterminer un phénotype. De la même manière, les facteurs d’environnement, métaboliques ou infectieux par exemple, peuvent expliquer une partie de cette variance. Le deuxième plaidoyer tiré de ces observations est en faveur d’une meilleure introduction de nombreux instruments de mesure qu’utilise la génétique statistique et quantitative. Au premier rang desquels l’héritabilité d’un trait ; sous un modèle donné, cette mesure estime la contribution de la variabilité génétique à la variabilité totale au sein d’une population. Cette notion n’a de validité que si les hypothèses faites au départ sont correctes. Or, pour les maladies multifactorielles, on ne connaît ni le nombre des facteurs en jeu, ni leur importance individuelle, ni leurs interactions, ni celle des facteurs d’environnement. Dans le même ordre d’idées, le risque relatif (RR ou λs), rapport entre le risque d’être atteint pour l’apparenté d’un malade et le risque d’être atteint pour une personne tirée de la population générale, est elle aussi une mesure mal comprise. Ainsi, un risque relatif élevé ne traduit pas nécessairement des effets génétiques importants ou, en tout cas, pas plus importants que pour la population générale ; et un grand risque relatif peut donc correspondre à un petit risque d’être atteint (et vice-versa). Cela dépend naturellement de la prévalence de la maladie dans la population générale. Il en est de même de la validité des signaux d’association génétique vis-à-vis d’un variant génomique à risque, souvent mesurée par l’odds ratio (OR, ou rapport de cote) pour dire que ce variant a une fréquence significativement différente entre cas et témoins. Cet odds ratio, rapport de risque d’être atteint selon que l’on est ou pas porteur du variant, est un signal qui ne rend pas compte de la complexité des mécanismes physiopathologiques. Et, tout comme pour le risque relatif, à un odds ratio élevé peut correspondre un faible risque d’être atteint, et donc une valeur prédictive positive faible, faisant du variant un test sans intérêt. Résister à l’ignorance, au dogme et à la magie Lors du séminaire Pierre Royer de génétique de mars 2013 (« Le risque », Paris-Descartes), Josseline Kaplan, auteur d’un texte intitulé : « Comme c’était bien le risque avant ! », concluait en citant le professeur Marie-Louise Briard qui avait l’habitude de dire en consultation depuis les années 1980 : « Le risque, c’est la probabilité d’attendre un bien dans l’appréhension d’obtenir un mal. ». Les calculs et les mesures de cette époque, pas si lointaine, s’inspiraient de la ségrégation des caractères d’hérédité mendélienne, et d’autre part, des probabilités conditionnelles selon Bayes et Laplace. Peu ou pas de génotypage, pas de microsatellite, de CGH, pas de PCR, d’exome et de séquence automatique, et même peu ou pas d’ordinateurs. Cette génétique pourrait paraître aujourd’hui poussiéreuse, démodée, couleur sépia. Est-ce à dire qu’elle doit être remisée ou même reniée ? Certainement pas. Forgée d’une très solide science de l’hérédité, d’une clinique irréprochable, de grand bon sens, d’un art de la consultation, d’exigence, d’espérance et d’indulgence, elle a accouché de la génétique médicale : une génétique personnalisée, individuelle, qui est notre seul point de résistance à l’emprise des démons traditionnels de l’ignorance, du dogme et de la magie. Les conditions de cet exercice sont pourtant régulièrement mises en cause par ceux qui confondent à l’envi diagnostic et dépistage, génétique et eugénisme. Mais le bon sens ne l’emportera sur la provocation qu’à quelques conditions que les généticiens doivent bien connaître : rester unis dans des centres où clinique et biologie coexistent afin de garantir pour les patients la maîtrise raisonnée de la prescription et l’explication des tests génétiques, rester unis dans des départements où recherche et pratique sont alliées, notamment entre clinique et bio-informatique, pour garantir la qualité de l’interprétation et du rendu de ces mêmes tests, et rester unis dans des réseaux où la génétique s’est ouverte aux autres disciplines de la médecine et ne se recroqueville ni sur ses découvertes, furent-elles brillantes pour certaines, ni ses concepts en mal de preuves et ses savants calculs de risque. Annexes  Tests génétiques Au cœur des débats depuis de nombreuses années, les tests génétiques suscitent espoirs et craintes. Avec l’essor des technologies haut débit, la tentation de tout prédire est grande. Or, s’il rend plus facile la réalisation de certains tests génétiques, le séquençage haut débit ne résout pas la question de l’interprétation de ces résultats, mais, au contraire, l’accroît paradoxalement : plus on séquence d’ADN plus l’interprétation en est délicate, et non l’inverse ! Et cela est lié à l’immense variabilité de notre génome. L’ADN humain compte environ 6,5 milliards de nucléotides (pour moitié héritée de la mère, pour moitié du père), les éléments constitutifs de notre génome. Globalement, il existe assez peu de différences entre deux individus, de l’ordre de 0,01 %, mais ce qui représente tout de même 3 millions de nucléotides différents entre deux individus, précisément du fait de la taille inouïe du génome. Ces différences, appelées variants, peuvent être neutres (le plus souvent), pathogènes (rarement), ou de signification inconnue à ce jour. L’enjeu de la génétique consiste à déterminer leur signification pour, entre autres, identifier ceux d’entre eux qui ont une pertinence clinique. Qu’est-ce qu’un test génétique ? Un test génétique consiste à rechercher la présence d’une variation ou d’une anomalie de l’ADN, la molécule support de l’information génétique. Ces tests étudient : – soit une petite partie des gènes : un seul gène, ou un panel de gènes pertinents, par exemple en fonction des symptômes présentés dans le cadre d’une maladie ; – soit l’ensemble de l’ADN codant : l’exome, qui représente moins de 2 % du génome ; – soit le génome entier. Les tests génétiques peuvent s’entendre aussi dans le contexte de l’identification des caractéristiques d’une personne, comme dans le domaine judiciaire par exemple. En France, pour l’ensemble des médecins et conseillers en génétique , c’est dans le contexte médical et de la recherche en génétique que ces tests sont pratiqués. En présence d’une maladie supposée d’origine génétique, ils ont avant tout une vertu diagnostique, mettant fréquemment un terme à de nombreux mois ou années d’errance à la recherche de la cause des symptômes présentés par un enfant ou un adulte, souvent dans le contexte d’une maladie génétique rare. Un test génétique positif a aussi l’immense intérêt de rapprocher un patient d’autres cas, formant ainsi des groupes homogènes, prêts à des études de recherche, fondamentales ou cliniques, voire à des projets de recherche thérapeutique. Un troisième grand intérêt des tests génétiques est de poser les bases d’un conseil génétique solide pour les familles concernées, en identifiant des altérations génétiques dont, pour certaines, l’origine parentale permet alors un calcul de risque de récidive de la maladie dans la famille, ou au contraire, dont le caractère accidentel (mutation nouvelle) autorise à très largement rassurer l’ensemble de la famille. Dans certains domaines de la médecine, comme la génétique des cancers, au-delà du diagnostic et du conseil génétique, les analyses génétiques de la tumeur peuvent parfois permettre d’identifier des facteurs pronostiques, des cibles thérapeutiques, voire des adaptations de traitements. C’est en particulier cette idée qui a permis de développer le concept de médecine dite de précision, le traitement d’une personne étant adapté non seulement à son type de cancer, mais aussi aux variations génomiques de la tumeur, variations qui ont été acquises au cours du processus tumoral ou qui, pour certaines, étaient constitutionnelles. Mais dans d’autres cas, chez des individus indemnes de tout symptôme reconnu, des tests génétiques peuvent être proposés : – chez une personne faisant partie d’une famille à risque d’être atteint du fait d’un antécédent (tests présymptomatiques lorsque le risque est majeur, parfois de 50 %, ou test de prédisposition lorsque les risques sont moindres) ; – chez une personne d’une telle famille, indemne, mais à risque d’avoir des enfants atteints (test d’hétérozygotie ou de conductrice) ; – sur un embryon ou un fœtus à risque d’être atteint de maladie génétique (diagnostic prénatal ou préimplantatoire) ; – on peut y voir enfin, avec prudence, des applications généralisables à l’ensemble de la population, chez des personnes sans symptôme ni le moindre lien avec une personne atteinte de maladie génétique. Question notamment posée pour les tests d’hétérozygotie à la recherche d’allèles de maladies récessives, autosomiques ou liées à l’X. Le cadre législatif français autorise aujourd’hui en France : – les tests diagnostiques chez un enfant ou un adulte qui présentent des symptômes pour nommer la maladie et consécutivement en adapter la prise en charge ; – les tests prédictifs d’une maladie donnée pour rechercher une pré-disposition génétique chez une personne qui fait partie d’une famille définie comme à risque. Par exemple, dans des familles où plusieurs cas de cancer du sein et de l’ovaire ont été détectés et ce d’autant plus s’ils sont survenus tôt, une recherche de mutation des gènes BRCA1 et BRCA2, mais aussi maintenant de 10 autres gènes, peut être proposée. Le test recherche chez une personne ayant eu un cancer du sein si elle est porteuse d’une mutation dans l’un de ces gènes. Cette recherche dite de cas index peut être longue ou d’interprétation difficile, car la nature de la mutation peut être très variée. Quel que soit le domaine concerné, si une prédisposition génétique a été détectée et que des mesures de soins, de prévention, voire de conseil génétique peuvent être prises, le test peut ensuite être proposé aux apparentés à risque. Se pose alors la question de l’information à la famille ; les lois de bioéthique de 2004 et 2011 ont retenu que la personne chez laquelle la prédisposition a été constatée a le devoir de contacter elle-même les membres de sa famille, soit directement, mais avec l’aide d’une lettre du généticien résumant les enjeux du test génétique, soit indirectement en demandant au généticien de le faire pour elle. Le diagnostic pré-natal et préimplantatoire pour les couples où l’un des parents ou l’un des enfants est déjà atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité. Le diagnostic prénatal vise à déterminer in utero si le fœtus est atteint de la maladie en question. Les tests préimplantatoires sont, quant à eux, réalisés in vitro afin de transplanter un embryon non atteint de la maladie recherchée. Tests préconceptionnels Enfin, les tests d’hétérozygotie pour lesquels, à ce jour et à tort selon moi, les nouvelles lois de bioéthiques n’ont pas envisagé d’évolution : certaines maladies génétiques dites récessives ne se développent que lorsque les deux versions d’un même gène – celle héritée de la mère et celle héritée du père – sont mutées. C’est notamment le cas de la mucoviscidose et de la drépanocytose. Si deux parents sont « porteurs » du gène muté, et bien qu’eux-mêmes ne soient pas atteints (on dit qu’ils sont hétérozygotes), ils ont un risque sur quatre que cha- cun de leurs enfants soit atteint d’une maladie qui ne s’était jamais manifestée dans la famille. En utilisant cette dernière notion, on pourrait envisager que des tests génétiques puissent être proposés à des couples indemnes, cherchant à savoir s’ils ne sont pas hétérozygotes tous les deux pour le même gène et donc à risque de transmettre une maladie. C’est le raisonnement sur lequel sont fondés les tests dits préconceptionnels qui, aujourd’hui, ne sont proposés que si un des deux membres du couple est connu pour avoir un risque plus élevé que celui de la population générale, par exemple en tant qu’apparenté d’une personne atteinte, ou encore pour les personnes faisant partie d’un isolat génétique, c’est-à-dire d’une population dans laquelle la fréquence des hétérozygotes pour un gène particulier est élevée (par exemple dans les groupes de populations d’origine africaine pour la drépanocytose).  Une avancée reste possible, et je crois souhaitable, dans ces tests d’hétérozygotie et leur extension à des couples n’ayant pas eu d’enfant malade. Si l’on considère par exemple la mucoviscidose, un Français sur 30 est porteur d’une mutation d’un des deux gènes. Le risque que deux personnes porteuses d’un tel gène aient un enfant atteint n’est donc pas anodin. C’est vrai aussi de la drépanocytose, maladie génétique autosomique récessive la plus fréquente au monde, fortement présente dans nos populations d’immigration ou d’outre-mer (et donc la maladie génétique la plus fréquente en Île-de-France notamment) ; dans ces populations, parfois, près de 15 à 20 % de la population sont hétérozygotes. Pourquoi ne pas ouvrir ces tests aux couples qui le souhaiteraient ? Et pour s’écarter de toute démarche taxée d’eugénique, c’est-à-dire systématique et généralisée, cette option doit évidemment rester individuelle, volontaire et aussi s’accompagner d’une information médicale fiable et complète. Il n’y aurait alors pas d’obstacle à ce que certains couples, bien informés, décident de telles recherches pour savoir s’ils sont à risque de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique rare et grave, et dont la fréquence des hétérozygotes dans notre population (c’est- à-dire aussi la prévalence) justifierait une telle étude. Ces tests pourraient être proposés pour les 20, 30 ou 40 maladies rares, lourdement handicapantes et sans traitement à ce jour (selon les termes de la loi), et donc relativement fréquentes ; il s’agit notamment de la mucoviscidose, des amyotrophies spinales infantiles, de la drépanocytose et des thalassémies. On pourrait envisager le lancement d’une étude pilote à ce sujet, en termes de recherche clinique. Une telle étude aurait pour objectif d’évaluer le désir des couples, l’acceptabilité de ce type de tests, leur impact sur le risque de maladie autosomique récessive ayant pu être évité, les conséquences financières de cette extension de prescription, des analyses d’ordre de l’acceptabilité et du retentissement psychologique et de la perception individuelle et de couple, ainsi que des études de type médico-économique. Ce projet de recherche clinique pourrait concerner une ou plusieurs régions de France (métropolitaine et outre-mer), être conduit dans le cadre du plan France-Médecine-Génomique 2020-2025, et se dérouler de manière expérimentale sur deux années par exemple. Un tel projet pilote semble d’autant plus pertinent aujourd’hui, dans le strict contexte de respect des bonnes pratiques de la génétique médicale française et européenne, que ces tests sont déjà accessibles dans d’autres pays, sans aucun accompagnement médical, le plus souvent sans information préalable, pour des gènes infiniment plus nombreux et dont les ariants sont d’interprétation difficile ou impossible à ce jour. Autrement dit, l’inégalité d’accès aux soins, légitimement crainte, existe déjà, de fait et doublement : seules les personnes informées et qui en ont les moyens peuvent avoir accès à ces tests à l’étranger ; ils le font dans des conditions d’information, de consentement et de qualité qui n’ont rien à voir avec les exigences de la génétique médicale française (d’ailleurs, beaucoup d’entre eux viennent ensuite en consultations de génétique, munis de résultats qu’ils ne comprennent pas et souvent n’avaient absolument pas souhaités).  Bien sûr, au-delà d’une étude pilote, le financement de ces tests est une question délicate : le coût pourrait-il être supporté par les familles elles-mêmes, tout en prévoyant un fonds de solidarité pour des couples plus démunis ? Un tel fonds de solidarité devrait, à mon sens, avoir aussi une claire mission de financement de la recherche sur les maladies concernées, car le but n’est pas l’éradication des maladies génétiques (un objectif par essence eugénique, mais aussi inatteignable), mais avant tout la recherche thérapeutique au bénéfice des familles en enfants touchés. Découvertes fortuites Un autre sujet de préoccupation concerne les découvertes fortuites lors d’un test génétique. Que doit faire un généticien lorsqu’il découvre qu’une personne venue pour savoir si l’épilepsie de son enfant est d’origine génétique, par exemple, découvre qu’elle est elle-même porteuse d’une mutation dans un gène responsable d’une dégénérescence neurologique provoquant d’importants troubles moteurs, cognitifs ou psychiatriques, et évoluant jusqu’à la perte d’autonomie sans traitement à ce jour ! Ou encore à une prédisposition à un cancer qui n’avait jamais touché quiconque dans sa famille. Ces cas montrent qu’il est très difficile de généraliser. Certaines de nos sociétés savantes de génétique ont établi des listes de quelques dizaines de gènes dits « actionnables », c’est-à-dire pour lesquels l’annonce de la découverte incidente ou secondaire d’une altération génomique serait légitimée par la possibilité d’un traitement préventif ou curatif. Mais, comme toujours en génétique, chaque situation est unique et la difficulté consiste à peser les conséquences d’une telle annonce. Signifierait-elle pour une personne de vivre avec une épée de Damoclès suspendue à sa tête ou permettrait-elle une prise en charge précoce qui influra positivement sur son bien-être ? Il ne faut jamais oublier en effet que ce qui prime est le bénéfice direct et le « bien » de la personne en tenant compte de toute la complexité que recouvrent ces termes : prédire est parfois médire ! Information et tests génétiques L’un des fondements de l’éthique repose sur le consentement librement éclairé et consiste donc à tout mettre en œuvre pour que la personne puisse opérer un choix en toute connaissance. Cet accès à l’information incombe aux médecins généticiens et aux conseillers en génétique. En amont des tests génétiques, mais aussi lors de leur restitution, nous devons nous assurer que la personne a bien pris la mesure de l’annonce qui vient de lui être faite, d’autant plus que parfois le résultat d’un test influe aussi sur ses proches. Aujourd’hui, la personne chez laquelle on a détecté une prédisposition génétique est tenue d’informer sa famille. Le médecin, quant à lui, doit s’assurer que la personne a compris tous les enjeux de cette annonce. Être le porteur de mauvaise nouvelle n’est pas toujours aisé, et à cela s’ajoutent des situations familiales parfois complexes. Se pose toutefois la question du droit des proches à savoir – voire à ne pas savoir – dès lors que le mes- sager ne joue pas son rôle. C’est pour protéger ce droit des apparentés à l’information sur la disponibilité d’un test génétique que la personne qui se sait porteuse engage sa responsabilité au moins sur le plan civil. Une autre question est : qui peut prescrire les tests génétiques ? Aujourd’hui, ils sont l’apanage des généticiens. La délégation de compétence au conseiller en génétique est à mon sens indispensable à faciliter et légitimer leur déploiement, tout en respectant le besoin d’une information pesée et choisie aux personnes concernées. Encore peu connu, le métier de conseiller en génétique est central dans l’accompagnement des familles. En complément des rendez-vous avec des médecins généticiens, les patients rencontrent ces professionnels en consultation. Ils sont formés pour informer et accompagner les patients afin qu’ils puissent prendre en toute connaissance leur décision. Le conseiller en génétique prend le temps d’expliquer les choses, d’où l’importance d’accroître son rôle. Et il n’agit pas seul, mais en lien constitutif avec un centre de génétique labellisé, même si certaines consultations peuvent ou doivent être délocalisées. Parallèlement, et toujours dans l’optique de l’accroissement du recours aux tests génétiques, le médecin-généticien doit être partie intégrante des réseaux de soins, et ce afin de proposer le bon test au bon moment.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  •  
  • 1 sur 2