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Le risque en pédiatrie

Publié le 04 jan 2021Lecture 7 min

La crise suicidaire - La repérer, l’écouter, l’écourter

Renaud DE TOURNEMIRE, Médecin pour adolescent, CHU Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt (AP-HP)

Une crise suicidaire est un moment où le risque de passage à l’acte suicidaire est élevé et peut conduire à une tentative de suicide ou à un suicide. Cette crise est limitée dans le temps. Accompagner l’adolescent et sécuriser son environnement sont essentiels. Une tentative de suicide est presque toujours une tentative de mieux vivre. La crise suicidaire, si elle ne conduit pas à la mort, peut ainsi être le contraire d’un échec : réussir à dire son désarroi, sa tristesse, son angoisse, son ras-le-bol. Réussir à changer ce qui est en somme le but de toute adolescence. Être soi.

Apprendre des données épidémiologiques Suicide Contrairement aux idées reçues, la mort par suicide est rare à l’adolescence. En 2016, les données de l’INserm (CépiDc-INserm, Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès) indiquent 26 décès par suicide chez les 5-14 ans, 352 suicides dans la tranche des 15-24 ans. Ce nombre est à rapporter aux 8 427 suicides de l’année. En extrapolant les données concernant les 12-18 ans, il y a moins de 200 suicides en 2016 soit 2 % de l’ensemble des suicides. Le suicide concerne deux à trois fois plus les garçons que les filles, ce sex-ratio grandissant avec l’âge. Deuxième information importante (prénotion là encore souvent fausse), le nombre de suicides baisse régulièrement et fortement depuis 25 ans, particulièrement chez les adolescents et jeunes adultes. En 1993, on comptait 1 020 suicides chez les 15-24 ans. Le taux de suicide dans cette tranche d’âge est ainsi passé de 12,5 pour 100 000 à 4,6 pour 100 000, soit une diminution de 63 %. Espérons que les « années COVID » ne voient pas remonter le nombre de suicides comme peuvent le faire craindre les travaux bien connus du sociologue Émile Durkheim à la fin du XIXe siècle. Le suicide reste cependant la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans représentant 15 % des décès. Et ces chiffres ne disent pas les conséquences biopsychosociales sur un grand nombre de personnes. C’est toujours un « deuil aggravé » selon la formule de Michel Hanus. Tentatives de suicide et idées suicidaires En 2017, 4,3 % des filles de 17 ans et 1,5 % des garçons ont déclaré avoir fait au cours de leur vie une tentative de suicide les ayant conduits à l’hôpital (enquête ESCAPAD réalisée lors de la journée de défense et de citoyenneté auprès de 39 115 adolescents de nationalité française métropolitains, avec un questionnaire autoadministré anonyme)(1). Le pourcentage d’adolescents ayant fait une tentative de suicide est cependant plus élevé ; de nombreux passages à l’acte restent secrets, cachés ou ne conduisent pas à une évaluation hospitalière. Dans l’enquête en milieu scolaire « Portraits d’adolescents » réalisée en 2013, il y a ainsi 11,5% des 15 235 élèves de 11 à 23 ans qui déclarent avoir fait une tentative de suicide(2). Plus d’un adolescent de 17 ans sur 10 déclare avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois(1). Les pensées suicidaires et les tentatives de suicide ont augmenté significativement entre 2011 et 2017 (ESCAPAD 2011, 2014, 2017). En 2020, d’après les données de l’INsee, il y a en France 5 575 368 individus nés entre 2002 et 2008 qui ont donc sensiblement entre 12 et 18 ans. Selon les données déclaratives des enquêtes sur la santé de jeunes, on peut en déduire que chaque année plus de 500 000 adolescents français ont des idées suicidaires et qu’environ 170 000 d’entre eux ont été à l’hôpital pour une tentative de suicide. La mort par suicide est ainsi heureusement rare à cet âge eu égard à la prévalence des comportements suicidaires. Nous devons chacun apprendre à travailler avec ces adolescents sans être terrorisé par ce risque. La prévention du risque suicidaire est aussi la prévention de la santé physique, psychique et sociale du futur adulte que deviendra l’adolescent suicidant. Nous proposons ici des outils pour dépister les idées suicidaires, ainsi qu’une aide concrète afin d’évaluer le risque de mort par suicide et donc de savoir comment ajuster les mesures de protection d’un adolescent suicidaire. Ces mesures de protection, ponctuelles autour de la crise suicidaire, visant à éviter un drame, doivent être suivies d’actions favorisant des changements vécus comme positifs. Repérer les idées suicidaires Question directe, questionnaires de préconsultation, HEEADSSS ou BITS ? Les médecins d’adolescents et psychiatres posent de façon très directe la question des idées noires ou des idées suicidaires aux adolescents qu’ils rencontrent. Ils sont au fait des statistiques et savent que cette problématique est fréquente. Les adolescents répondent facilement à cette question. Des questionnaires de préconsultation (questionnaire de Bicêtre), parfois utilisés en hospitalisation comme outils d’évaluation ou comme médiation incluent une interrogation sur les idées suicidaires. Il n’est ainsi pas rare de repérer chez tel adolescent hospitalisé pour une appendicite des idées suicidaires (logiquement dans 5 à 10 % cas, l’adolescent aura eu récemment, dans l’année, des idées suicidaires). Le modèle d’interview biopsychosocial HEEADSSS (Home, Education, Eating, Activities, Drugs, Sexuality, Suicide, Safety from injury and violence) recherche des symptômes de dépression et interroge sur la présence d’idées suicidaires. Pour d’autres médecins moins à l’aise avec les questions directes, Philippe Binder a récemment développé et évalué un outil connu sous le terme BITS. Les réponses à 4 questions simples sont corrélées au risque d’idées suicidaires(3) (tableau). Le « cut-off» a été fixé à 3. Ainsi au-delà de 3, il est fréquent de retrouver des idées suicidaires. Il faut alors passer le cap et poser la question. Évoquer le suicide n’augmente pas le risque de survenue d’idées suicidaires ! Évaluer le risque suicidaire L’acronyme RUD (Risque Urgence Dangerosité) permet d’évaluer le risque de suicide à court terme. R : Risque comme facteurs de risque L’addition de facteurs de risque ou des facteurs de risque « fort » nécessite une plus grande attention. Il faudra en parallèle rechercher des facteurs protecteurs : relations personnelles solides, résilience, capacité à mettre en place des strategies positives, croyances spirituelles. • Antécédents personnels • Antécédents (ATCD) de trouble suicidaire (TS) (+++) ; • violences subies et notamment harcèlement, cyberharcèlement et sexting (++) ; • abus sexuel (+++) ; • perte précoce (parent, fratrie) ; • adoption ; • surpoids (filles) ; • maladies chroniques ; • maladies psychiatriques : dépression (+++), anorexie mentale (+++) et autres TCA, trouble anxieux, trouble panique, stress post-traumatique, psychose ; • troubles Dys ; • homosexualité, dysphorie de genre (discrimination ++). • Facteurs familiaux • ATCD familiaux de suicides, de tentatives de suicide, maladies psychiatriques, addictions ; • décès ou maladie d’un proche ; • famille recomposée ou monoparentale ; • problématique familiale (séparation, conflits). • Facteurs environnementaux et sociétaux • Suicide au collège ou au lycée (effet contagion ou Werther) ; • traitements médiatiques des suicides ; • contexte général anxiogène (attentats, COVID). • Changements récents • Irritabilité, impulsivité, tristesse, émotivité changeante, pleurs ; • absence d’affect, évitement du contact visuel ; • isolement, ennui, sentiment de désespoir ; • désinvestissement ou hyper-investissement scolaire, échec scolaire ; • trouble des conduites alimentaires ; • consommation de toxiques, ivresses ; • conduites à risque (dont sexuelles) ; • symptômes flous : maux de ventre ou maux de tête fréquents, troubles du sommeil, consultations répétées pour des symptômes inexpliqués ; • utilisation excessive d’Internet et jeux vidéo (> 5 h/j) ; • automutilations, scarifications. U comme Urgence L’urgence suicidaire est considérée comme faible lorsque l’adolescent pense au suicide mais qu’il n’a pas de scénario précis, et peut trouver une alternative pour faire face à sa souffrance. L’urgence est moyenne quand un scénario est envisagé, mais décale dans l’avenir ou imprécis. L’urgence est élevée lorsque la planification suicidaire est claire, avec un passage à l’acte programme pour les jours ou même les heures à venir. D pour dangerosité La dangerosité se réfère au potentiel létal des moyens à disposition ou facilement accessibles (armes à feu, étage élevé, trajets en métro, cordages, médicaments ou produits dangereux). Sur cette base, le danger suicidaire peut être considéré comme faible, moyen ou élevé. Le moyen le plus couramment utilisé par les personnes qui meurent par suicide est la pendaison. R+U+D Un risque suicidaire faible, en l’absence d’autres motifs nécessitant une hospitalisation, ne relève pas d’une hospitalisation. On s’assu- rera que l’adolescent a dans son entourage un ou des adultes à qui se confier et on pourra lui laisser un numéro de téléphone « si besoin » tel celui de Fil Santé Jeune : 0800 235 236. Un risque suicidaire moyen nécessite une consultation d’évaluation rapide à programmer selon les possibilités locales (CMP, CMPP, psychiatre ou psychologue en libéral, consultation post-urgence). Les parents doivent être informés des idées suicidaires. Si des moyens létaux ou dangereux sont présents au domicile (médicaments notamment psychotropes et paracétamol, arme à feu), ceux-ci seront mis hors de portée de l’adolescent. Un risque suicidaire élevé nécessite une hospitalisation, au minimum en UHCD, et une évaluation par un médecin d’adolescent ou un psychiatre. En cas d’hospitalisation, l’environnement doit être sécurisé et l’équipe prévenue du risque suicidaire. Les grandes causes de suicide à l’hôpital sont la pendaison et la défenestration/précipitation. La sécurisation de l’environnement correspond au minimum à un verrouillage des fenêtres avec retrait des objets dangereux lors de l’inventaire à l’entrée : matériel pouvant servir à se pendre, objets tranchants, produits toxiques (y compris médicaments personnels). Ces mesures doivent être expliquées au patient et faire l’objet d’une prescription et d’une traçabilité. L’information est transmise au sein de l’équipe avec une réévaluation pluriquotidienne (au moins une fois par équipe). Il faut éviter au maximum de laisser le patient seul (présence soignante très régulière, porte ouverte si besoin, chambre double si possible). Un transfert en pédopsychiatrie (ou en attendant en unité de soins intensifs) doit être envisagé après évaluation médicale en cas de risque suicidaire très élevé, en cas d’impossibilité de sécuriser l’environnement ou en cas de passage à l’acte suicidaire pendant l’hospitalisation. Dans le cadre du programme pluriannuel « Psychiatrie et santé mentale » 2018-2023 de la HAS, il est prévu une réflexion sur la pertinence d’une actualisation de la recommandation de bonne pratique datant de 1998 : « Prise en charge hospitalière des adoles- cents apres une tentative de suicide(4) ».

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