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Pédiatrie générale

Publié le 15 déc 2020Lecture 7 min

Conduite pratique devant un enfant qui marche sur la pointe des pieds : comment ne pas passer à côté d’une maladie neuromusculaire ?

Bruno DOHIN, PU-PH, service de chirurgie pédiatrique, CHU Nord, Saint-Étienne ; Université Jean Monnet, Campus Santé Innovation, Saint-Étienne

La marche sur la pointe des pieds est un motif de consultation très fréquent en pédiatrie. La grande majorité des cas expriment simplement une étape physiologique de l’acquisition du tonus et de la marche. La problématique pour le praticien est d’identifier parmi ces enfants ceux qui expriment les premiers symptômes d’une pathologie neurologique ou musculaire dont la prise en charge thérapeutique est indispensable.

La marche sur la pointe des pieds ou autrement dit « en équin » est une situation fréquente de consultation. Cette manifestation est la plupart du temps bénigne et temporaire, elle correspond simplement à une étape physiologique de l’acquisition du tonus et de la marche, mais elle peut être chez le jeune enfant la première manifestation d’une pathologie grave ou chronique. En quelques éléments sémiologiques simples, il est possible de faire la part entre une situation banale et un symptôme préoccupant qui mérite d’être exploré ou tout au moins, surveillé attentivement.  Notre propos se limitera à la période de la petite enfance, de l’âge de la marche à l’âge scolaire, car c’est à cette période que la plupart des pathologies qui nous intéressent sont diagnostiquées. Chez l’enfant plus âgé, il est rare que le diagnostic de ce symptôme n’ait pas fait l’objet d’explorations complémentaires. Analyse sémiologique D’un point de vue sémiologique, quelques éléments seulement sont nécessaires à une orientation. La chronologie est le premier point : l’enfant a-t-il toujours marché en équin ou seulement depuis peu ? À quel âge a-t-il acquis la marche ? Existe-t-il une instabilité à la marche, des chutes, une fatigue chronique caractéristique d’un enfant qui refuse les jeux extérieurs que d’une demande répétée d’être pris dans les bras (symptôme courant). L’examen physique débute par l’observation de la marche, cela nécessite un minimum de place dans la salle d’examen. L’enfant est-il capable de poser les pieds à plat ? Une fois à plat, perd-il l’équilibre ? La marche peut-elle être corrigée à la demande ? Existe-t-il un trouble statique des pieds (pied plat ou creux, griffe d’orteils) ? La recherche de rétraction musculaire est un point essentiel. À cet âge, les enfants présentent une amplitude articulaire importante. Lorsque l’anomalie est unilatérale l’examen comparatif facilite l’évaluation, cependant une flexion dorsale de cheville inférieure à 20°, genou étendu en décubitus dorsal, à cette période de vie peut être considérée comme une anomalie (figures 1 et 2). L’examen ne doit pas se limiter à la longueur du muscle triceps sural, mais élargi à celle des muscles ischio-jambiers (figure 3) : en décubitus dorsal, hanches pliées à 90°, l’extension de genou ne doit pas être plus limitée que de 20°, chez le petit l’extension du genou doit être complète aisément, c’est-à-dire dans l’alignement de la cuisse. Les fléchisseurs de hanche peuvent aussi être concernés (figure 4). L’identification d’une rétraction musculaire est hautement significative à cet âge : nous pouvons considérer que toute rétraction musculaire constatée à cet âge signe l’organicité et est pathologique et conduire à des investigations.  ​​​ Figure 1. Flexion dorsale d’articulation tibio-tarsienne normale : absence de rétraction du muscle triceps sural. Figure 2. Flexion dorsale d’articulation tibio-tarsienne limitée : rétraction du muscle triceps sural. Figure 3. Extension de genou limitée : rétraction des muscles ischio-jambiers. Figure 4. Limitation de la flexion de hanche droite : rétraction des muscles fléchisseurs de hanche.   La force musculaire doit être explorée, mais son estimation précise n’est pas utile en circonstance de dépistage. L’impossibilité d’avoir un appui stable monopodal est, par exemple, utile au test des muscles fessiers. Des tests simples et réalisés symétriquement suffisent. Les troubles statiques des pieds sont plus difficiles à mettre en relation avec une pathologie musculaire ou neurologique, car à cet âge la morphologie du pied est en pied plat. On sera attiré par une déformation entraînant des lésions cutanées. Un pied creux est hautement pathologique à cet âge. D’autres déformations plus rares et plus sévères peuvent être présentes et doivent conduire à un avis L’examen neurologique est une étape exigée et exigeante. La recherche d’une anomalie des réflexes ostéotendineux et de la présence de signes en faveur d’un syndrome pyramidal est essentielle, car la paralysie cérébrale est une des pathologies neurologiques les plus fréquentes chez l’enfant. Son expression est parfois fruste et il faut être attentif et savoir répéter les examens à distance. Une hyporéflexie, des troubles de la sensibilité ou de l’équilibre peuvent être constatés. L’examen est complété par une analyse du rachis à la recherche d’une scoliose symptomatique, d’une fossette sacrée, de tâches cutanées, d’une amyotrophie (figure 5) ou, au contraire, d’une hypertrophie musculaire. Les neuropathies périphériques ou les myopathies ne sont parfois que très peu sympto- matiques au début. Figure 5. Recherche de l’amyotrophie, ici à la cuisse. Des troubles du comportement et/ou de la communication peuvent orienter vers les troubles psychomoteurs et du schéma de marche des enfants atteints de pathologie de la sphère autis- tique. Les diagnostics La marche idiopathique sur la pointe des pieds Le plus souvent nous serons en présence d’une marche idiopathique sur la pointe des pieds : le « toe walker » des Anglo-Saxons. Ces enfants sont le plus souvent dans leur première année de marche ou peu après. Ils ont débuté la marche à un âge normal et les pieds à plat. On ne révèle pas de rétraction et l’examen neurologique est normal. Ils peuvent marcher à plat à la demande insistante et sont stables en position debout. Un autre test est la possibilité de marcher à reculons qui demande une bonne longueur de muscle triceps. Aucun examen n’est nécessaire, cette attitude doit se corriger en quelques mois. Si ce n’est pas le cas, après un nouvel examen clinique normal, il faut renforcer les consignes auprès de l’enfant. Ce n’est que rarement en cas d’apparition d’une rétraction fixée et importante, sans autre diagnostic retenu, que l’on aura recours à des plâtres d’étirement. Cela consiste à étirer le triceps sural passivement à l’aide de bottes plâtrées réalisées toutes les semaines en position maximale de flexion dorsale. En général, 2 ou 3 plâtres suffisent à la correction. La prise en charge kinésithérapique est difficile à cet âge faute d’attention prolongée possible. Les étirements passifs manuels peuvent être utilisés au début de la rétraction et peuvent parfois suffire. On ne laissera pas de côté la possibilité de troubles du comportement ou d’hyperactivité qui nécessitent évidemment des investigations spécifiques. La paralysie cérébrale Elle est une des pathologies neurologiques de l’enfant les plus fréquentes. Hors du contexte de grande prématurité ou d’accident/pathologies de la période périnatale, les tableaux cliniques peuvent être très frustes et il n’est pas rare de faire le diagnostic d’hémiplégie cérébrale infantile à 2 ans, voire plus tard. La marche peut avoir été asymétrique dès l’acquisition, cette dernière pouvant survenir de manière retardée ou compliquée par une instabilité (chutes anormalement fréquentes). Le caractère asymétrique est donc évocateur. L’identification du syndrome pyramidal est parfois difficile, mais l’existence d’une rétraction musculaire étagée du membre inférieur (triceps sural et ischio-jambiers), une hyper-réflexivité ou l’identification d’un clonus musculaire à l’étirement (Tardieu) documentent le diagnostic qui sera confirmé en consultation spécialisée. D’autres signes associés peuvent étayer le diagnostic : retard à la marche, marche asymétrique (usure anormale des chaussures), chutes, atteinte du membre supérieur, maladresse, troubles émotionnels ou du caractère, troubles du langage, entre autres. Les myopathies La myopathie de Duchenne de Boulogne est la plus classique. Elle se manifeste par des difficultés croissantes à la marche, une fatigabilité augmentant avec le temps, des rétractions musculaires et une hypertrophie musculaire bien visible aux mollets. Le signe de Gowers (relèvement du sol avec nécessité d’appui sur les cuisses) est très significatif. Certaines myopathies des ceintures sont plus difficiles à diagnostiquer : amyotrophie, faiblesse musculaire, instabilité ou difficultés à la marche, fatigabilité doivent attirer l’attention. Point important, l’examen neurologique est normal, mais l’atteinte musculaire peut entraîner une hyporéflexie. Les neuropathies Hyporéflexie et amyotrophie sont également constatées dans les neuropathies périphériques. Elles débutent en distalité au niveau des membres et les rétractions sont assez tardives. Ces dernières peuvent être en relation avec des atteintes asymétriques des groupes musculaires. Une maladresse ou une baisse de force musculaire peuvent être observées. Plus tardivement peuvent apparaître des troubles statiques des pieds : pied creux, griffe d’orteils, etc. L’orientation La découverte ou la suspicion d’une pathologie neurologique ou musculaire impose l’orientation sur un neuropédiatre, un médecin de médecine physique et rééducation pédiatrique ou un chirurgien orthopédiste pédiatre. Les explorations seront menées en fonction du contexte et la prise en charge supervisée par une équipe pluridisciplinaire. Les principaux examens complémentaires seront le dosage des CPK, une IRM cérébrale et médullaire, un électromyogramme et l’examen des vitesses de conduction nerveuses (par un neurophysiologiste expérimenté chez les enfants). Les autres examens plus spécialisés ne sont pas du domaine du dépistage. Pour les enfants identifiés comme « toe walker », l’avis spécialisé est préférable dès l’apparition d’une rétraction musculaire. Conclusion La difficulté de cette situation clinique est bien de dépister une maladie neuromusculaire sous-jacente et cela doit rester à l’esprit. Les signes cliniques sont aisés à identifier en pratique courante et l’existence d’une ou deux des anomalies décrites doit conduire à demander un avis spécialisé. Il n’est pas utile d’alerter immédiatement les parents, mais la nécessité de faire le point sur les symptômes doit être clairement exprimée.

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