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Psycho-social

Publié le 08 oct 2009Lecture 9 min

Prises de risque chez l’adolescent : le pédiatre a-t-il une place ?

S. LEMERLE-GRUSON, Centre Hospitalier Intercommunal, Créteil

Quand on interroge les adolescents sur la personne avec qui ils ont parlé de leur santé la dernière fois, le premier interlocuteur est le médecin généraliste (75 %), le deuxième l’infirmière scolaire (43 %) et très loin derrière, le pédiatre (7 %). Cela voudrait-il dire que le pédiatre n’a pas sa place dans la prise en charge de la santé des adolescents ? Nous essayerons ici de resituer l’adolescent dans sa trajectoire de vie, de voir comment les prises de risque se situent dans la période de l’adolescence, enfin nous étudierons le rôle que doit jouer le pédiatre dans leur prévention.

 
Qu’est-ce qu’un adolescent ? Est-ce une tranche d’âge (10-19 ans comme l’exprime l’OMS) ? Est-ce un statut, un look, une « culture »?… est-ce une « crise » ? Tout est vrai, et on parle aujourd’hui de « travail de l’adolescence » : accepter les modifications de son corps, trouver son identité sexuelle, gagner son autonomie, devenir sa propre personne sociale, se faire reconnaître comme un sujet. L’adolescent doit s’affirmer, se séparer en particulier de ses parents dont, paradoxalement, il a encore tant besoin ; prendre du plaisir, avoir ses propres champs d’intérêt. Et il a du mal ! Plusieurs phénomènes accompagnent très fréquemment cette période difficile. L’adolescent se plaint de maux, il « somatise », mais il n’a pas les mots pour exprimer ses difficultés. Il déprime, et quel est l’adolescent que les parents ne trouvent pas morose à certains moments. Il se rebelle contre ce qui représente l’autorité, mais surtout, plutôt que de penser ou de parler, il agit, il essaye.   Pourquoi des conduites à risque ? Tout adolescent a besoin de découvrir, de tester ses limites, de voir où s’arrête sa toute puissance, de vérifier un certain nombre de croyances. Pour cela il peut prendre des risques sans obligatoirement en être conscient. Ces conduites peuvent être dangereuses pour lui. Elles peuvent être bruyantes : tentatives de suicide, accidents, fugues, bagarres, vols, et consommations excessives de produits licites ou illicites. Elles peuvent être plus discrètes mais non moins dangereuses : errance, refus ou négligence de soins, sexualité à risque, troubles des conduites alimentaires. Certaines grossesses avec ou sans IVG rentrent dans ce cadre. Ces conduites à risque ont des significations multiples : – soit il s’agit simplement d’essayer quelque chose par curiosité pour s’assurer de la valeur de son existence ; – soit au contraire, l’objectif est de tenter de s’extraire de la souffrance en agissant (par exemple tenter de changer sa vie sans volonté de mourir et surtout fuir ou trouver une alternative à la difficulté de verbaliser et, à fortiori, de mentaliser des conflits internes). Les conseils des adultes sont volontiers intégrés comme des tentatives d’entrave à la liberté. Les différentes formes de prises de risque Les accidents Les accidents de la voie publique sont la première cause de mortalité chez les 15-19 ans, et notamment les accidents en deux-roues. S’inquiéter du port du casque, dissuader de l’achat d’un deuxroues quand la question est posée, peuvent revenir au pédiatre. J.-P. Assailly insiste tout particulièrement sur l’importance de l’exemple des parents : bons ou mauvais conducteurs.   Le suicide C’est la deuxième cause de mortalité chez les 15-19 ans. Dans ces deux domaines, accidents et suicides, les garçons sont de loin les plus concernés. Ce sont 800 adolescents âgés de15 à 24 ans qui se suicident chaque année en France.   Les tentatives de suicide sont fréquentes : 6,5 % des adolescents scolarisés déclarent en avoir faite une. Il est classique de dire que le risque de récidive est de 30 à 40 %. C’est dire l’importance de ne pas banaliser même en l’absence de gravité somatique. Un consensus s’est fait autour de la nécessité d’hospitaliser l’adolescent en urgence pour le soumettre à une évaluation médicale, psychologique et sociale complète. L’entretien familial au moment de cette crise serait un facteur préventif de récidive. La recherche systématique d’idées noires lors de l’entretien avec un adolescent, l’utilisation du test TSTS-CAFARD mis au point par Ph. Binder peut aider le pédiatre à repérer les adolescents à risque. Et on ne saurait penser que poser des questions à un adolescent pourrait lui donner des idées…   Consommation de toxiques En ce qui concerne les consommations de toxiques, des études ont été effectuées récemment par l’OFDT-Inserm : l’enquête ESPAD (European School Survey on Alcohol and other Drugs) menée sur 2 800 jeunes scolarisés âgés de 16 ans a mis en évidence pour l’année 2007 : – un recul confirmé du tabagisme quotidien ; – une consommation régulière d’alcool en hausse, mais des ivresses stables ; – une baisse des niveaux d’usage de cannabis ; – une diminution de la polyconsommation d’alcool, de tabac et de cannabis. La position du pédiatre doit être informative, honnête sans dramatisation ni banalisation. La question est de comprendre le pourquoi de la consommation : plaisir festif, ou plaisir solitaire anxiolytique, hypnotique, antidépresseur ou addictif ? Il s’agit en général d’un symptôme de mal-être et une consultation préparée en centre médicopsychologique ou auprès d’un psychologue habitué aux problématiques de l’adolescence peut être nécessaire. Pour toutes les consommations excessives, l’orientation vers un centre de soins spécifique du produit ne semble pas adapté à cette tranche d’âge, en raison du risque de stigmatisation ou de rencontres de consommateurs adultes dépendants. Les grossesses précoces Si les années 1980 à 1990 ont vu décroître puis se stabiliser la fréquence des grossesses chez les adolescentes, la proportion des adolescentes enceintes qui recourent à l’interruption volontaire de grossesse n’a cessé de croître durant cette même période. Les résultats du baromètre santé de 2005 confirme l’augmentation du taux d’IVG chez les mineures entre 2002 et 2005. Est-ce l’effet de la loi du 4 juillet 2001 ? Cette loi porte de 10 à 12 semaines de grossesse le délai de recours à l’IVG, et les mineures peuvent dorénavant y avoir accès sans autorisation parentale, en se faisant accompagner d’une personne majeure de leur choix. Cette banalisation doit faire réfléchir à la prévention secondaire et suggère que l’on accueille spécifiquement les mineures qui font une première IVG, peut-être à l’image de l’accueil des adolescents ayant fait une tentative de suicide. Consulter un gynécologue représente une véritable angoisse pour la majorité des adolescentes. La peur de subir un premier examen gynécologique et de devoir s’ex-primer sur sa sexualité repousse de nombreuses adolescentes à consulter. Le contact de l’adolescente avec le mé-decin est primordial au cours de la première consultation pour le choix d’une contraception. Le pédiatre peut lui-même prescrire une première contraception, sans examen, ni gynécologique ni biologique, s’il pense que c’est le moment ou si l’adolescente la demande. Il doit informer la jeune fille sur la pilule du lendemain. S’il ne se sent pas apte, il peut adresser la jeune fille dans les centres de planning (départemental ou associatif) habilités à prescrire et à distribuer les contraceptifs sans autorisation des parents. Mauvaise observance d’un traitement pour maladie chronique La mise à mal du traitement des maladies chroniques est probablement la conduite à risque qui concerne le plus directement le pédiatre. L’observance d’un traitement est « le degré de concordance entre le comportement d’un individu (en termes de prise médicamenteuse, suivi de régime, fidélités aux rendez-vous, etc.) et la prescription médicale ». La maladie chronique s’oppose frontalement aux tâches et besoins de l’adolescence. Refus, aménagements « personnels » du traitement, voire révolte, sont « physiologiques », et c’est cette expérimentation qui permettra au jeune de se réapproprier sa maladie. Mais parfois, la mauvaise observance est de nature dépressive, associant mésestime de soi, honte, culpabilité à l’égard des parents, et surtout refus de sa différence par rapport à ses pairs. Le rôle du pédiatre dans l’approche de ces comportements adolescents est central, car il peut toucher l’adolescent et ses parents. Le pédiatre doit travailler avec les parents parce que la réponse des adultes est décisive. L’indifférence est synonyme d’abandon, la démission et la permissivité sont synonymes de négligence. Les reproches faits par les adultes qui témoignent d’une préoccupation à l’égard de l’adolescent sont rassurants. La confrontation à l’autorité est indispensable. C’est le rôle des parents. Le pédiatre doit les y aider bien qu’il puisse être complètement déstabilisé et ses liens affectifs d’empathie et de compassion débordés. Il faut préparer ce « passage » par des entretiens avec l’adolescent en lui réexpliquant sa maladie, en négociant chaque prescription en lui demandant son avis sur sa capacité à l’observer et en l’associant, lui et ses parents, au programme de soins. Il prendra par ailleurs l’habitude de recevoir le patient seul dès sa grande enfance. L’indifférence est synonyme d’abandon, la démission et la permissivité sont synonymes de négligence. Une approche pluridisciplinaire est souvent nécessaire pour permettre un regard global de la situation, primordial à cet âge de la vie. Cependant, vis-à-vis du jeune patient, le pédiatre, tout en adoptant une position claire, devra sortir du rôle de médecin délégué par les parents. Il n’est pas rare que les parents téléphonent affolés pour dénoncer « en douce » auprès du médecin les fantaisies de leur enfant. Il est indispensable de pouvoir reparler de cette inquiétude devant l’adolescent avec ses parents. Conclusion En termes de prévention, on essaye de louvoyer entre permissivité excessive et tout sécuritaire. La prévention de tout risque n’est ni souhaitable ni possible. Le pédiatre doit donner l’occasion à l’adolescent d’en parler en osant lui poser la question de ses prises de risque quel que soit le motif de la consultation, dans un espace confidentiel. L’évocation de ces questions par le médecin d’abord, permet à l’adolescent de se confier, cet interrogatoire ne l’entraîne pas vers d’autres comportements à risque, comme on l’entend souvent dire. Jusqu’où le pédiatre doit-il tolérer les prises de risque ? L’âge, le danger patent, l’absence des parents sont des éléments qui doivent nous amener à partager cette prise en charge avec d’autres professionnels. L’adolescence n’est pas une déviance, mais le plaisir est aussi dans le risque… Le pédiatre se doit d’être bienveillant mais attentif et contenant pour préserver l’avenir.  

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