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Rhumatologie - Os - Orthopédie - Traumatologie

Publié le 02 avr 2008Lecture 15 min

L’« enfant secoué »

C. ADAMSBAUM*, C. BORDONNE*, C. REY-SALMON**, *Université Paris-Descartes, Faculté de Médecine, AP-HP, Service de Radiopédiatrie, Hôpital Saint-Vincent de Paul, Paris **AP-HP, UMJ, Hôpital Trousseau, Paris
Dans le diagnostic du syndrome de « l’enfant secoué », forme particulière de maltraitance du nourrisson, l’imagerie est en première ligne. Elle seule permet le plus souvent de rapporter les éléments cliniques, très variables dans ce contexte, à leur origine, d’écarter les diagnostics différentiels et de faire le bilan des lésions.
Les traumatismes non accidentels de l’encéphale (syndrome de « l’enfant secoué ») représentent la principale cause de morbidité et de mortalité dans le cadre des mauvais traitements aux enfants et concernent surtout le nourrisson âgé de moins de 8 mois. Les secousses en cause sont toujours très violentes et parfois associées à un impact final, facteur d’aggravation et de fracture(s) du crâne. Les lésions intracrâniennes peuvent être isolées, sans traumatisme squelettique, ni cutané. La simple évocation du diagnostic impose l’hospitalisation. Le scanner crânien est la clé du diagnostic. Les hématomes sous-duraux sont de localisation particulière, diffus et situés dans des zones profondes (vertex, espace interhémisphérique et tente du cervelet). Il n’y a souvent aucun contexte traumatique clair. Les lésions intraparenchymateuses (contusion, anoxo-ischémie ou cisaillement) sont mieux appréciées en IRM et ont un intérêt pronostique. Le fond d’œil à la recherche d’hémorragies rétiniennes et les radiographies de l’ensemble du squelette sont systématiques. Les autres arguments diagnostiques inconstants sont la présence d’ecchymoses, de fractures multiples d’âges différents et des fractures complexes du crâne. La datation précise des lésions squelettiques et/ou encéphaliques est impossible. Contexte et définitions Le syndrome de « l’enfant secoué » correspond à une forme particulière de maltraitance concernant surtout le nourrisson. L’imagerie est le plus souvent à l’origine du diagnostic, car la présentation clinique est variable (cf. infra). Ces traumatismes non accidentels de l’encéphale représentent la cause principale de morbidité et de mortalité chez l’enfant maltraité. Plusieurs termes sont utilisés pour dénommer les pathologies liées à la maltraitance et il est important d’en connaître les définitions : - le syndrome de Silverman, d’Ambroise Tardieu ou des « enfants battus » correspond à la présence de fractures multiples et d’âges différents ; - le « syndrome du bébé secoué » correspond à un traumatisme non accidentel de l’encéphale, indépendamment d’éventuelles fractures associées. Le terme de « traumatisme non accidentel » est utilisé parfois dans les comptes-rendus par souci de prudence, mais peut être mal interprété par le milieu judiciaire. La fréquence des sévices sur un enfant est difficile à déterminer, mais il semble que son incidence ait augmenté ces dernières années. Certaines morts subites inexpliquées du nourrisson sont vraisemblablement imputables à un syndrome de « l’enfant secoué » méconnu, soulignant l’intérêt de l’autopsie. Certaines morts subites inexpliquées du nourrisson sont vraisemblablement imputables à un syndrome de « l’enfant secoué » méconnu. Mécanismes des lésions Le syndrome de l’enfant secoué est en fait un syndrome du « bébé secoué », puisqu’il se rencontre surtout chez les jeunes nourrissons. Les enfants concernés sont le plus souvent âgés de 4 à 6 mois et il existe une prédominance masculine. Le syndrome du « bébé secoué » peut être responsable de séquelles neuropsychologiques très lourdes, avec une forte incidence d’épilepsie résiduelle et de retard psychomoteur. Les mécanismes à l’origine des lésions encéphaliques sont des secousses parfois associées à un impact final (shaken-impact baby syndrome), beaucoup plus rarement à une strangulation. Les secousses en cause sont toujours très violentes, effectuées lors d’une perte de contrôle, avec les mouvements de décélération importante antéro-postérieure et parfois les forces rotationnelles. Ces secousses ne peuvent en aucun cas être confondues avec des jeux type « bateau sur l’eau », comme le confirment les aveux disponibles. Le terrain particulier du nourrisson s’explique par la particularité du pôle céphalique dans cette période de la vie : le cerveau du nourrisson est riche en eau du fait de la pauvreté physiologique en myéline, la boîte crânienne est souple (sutures physiologiques) et les espaces péricérébraux sont larges. De plus, les muscles cervicaux sont faibles par rapport au poids du pôle céphalique, et tous ces éléments permettent sur un sujet de faible poids la mobilisation facile de l’encéphale dans la boîte crânienne lors de mouvements violents de secousses, sans maintien de la tête. Les veines corticales se rompent et entraînent des hémorragies sous-arachnoïdiennes et sous-durales diffuses, périphériques et profondes dans des localisations particulières (espace interhémisphérique, tente du cervelet, vertex). Ces hémorragies extracérébrales sont souvent associées à des contusions cérébrales, surtout si les secousses sont accompagnées d’un ou plusieurs chocs, et à des lésions axonales diffuses d’étirement. Il se met en place un cercle vicieux d’aggravation des lésions : secousses, saignements, hypoxie, œdème cérébral, augmentation de la pression intracrânienne, diminution de la perfusion, ischémie, lésions axonales (1). Un tableau clinique variable Le tableau clinique est très variable et le diagnostic doit être évoqué largement chez le nourrisson. Les formes aiguës réalisent un tableau de détresse vitale neurologique avec des troubles de la conscience, parfois associés à un état de mal convulsif et à une pâleur traduisant une anémie d’intensité variable. Dans les formes chroniques, l’augmentation de la vitesse de progression du périmètre crânien peut être la seule manifestation initiale et doit conduire à la réalisation d’examens complémentaires. Elle peut être associée à des troubles du comportement (irritabilité excessive, somnolence anormale), à un tableau pseudo-digestif (anorexie, vomissements) ou à des signes neurologiques (convulsions, déficit, strabisme…). Si dans l’entourage, un traumatisme est rapporté (chute, heurt, mouvement de la tête en arrière), l’importance de celui-ci est en discordance avec les lésions observées. Le fond d’œil est essentiel à la recherche d’hémorragies rétiniennes et doit être systématique dès lors que le diagnostic d’enfant secoué est évoqué. Elles sont observées dans environ 80 % des cas et constituent un argument diagnostique fondamental, car elles ne s’observent pas dans un traumatisme banal de la vie quotidienne (2). Le fond d’œil, essentiel à la recherche d’hémorragies rétiniennes, doit être systématique. L’imagerie cérébrale, clé du diagnostic L’imagerie cérébrale est la clé du diagnostic. Elle est basée sur le scanner, facile d’accès dans l’urgence. L’IRM, effectuée si possible précocement, montre mieux les atteintes parenchymateuses dans une optique pronostique (3). Les radiographies du crâne sont systématiques dans ce contexte, à la recherche de fractures. La pratique d’un topogramme au scanner ou de reconstructions volumiques de la boîte crânienne peuvent être une alternative à la radiographie du crâne, si leur analyse est possible sans ambiguïté (absence d’artéfact de mouvements). Fractures du crâne (figure 1) Certains types de fracture de la voûte sont évocateurs de maltraitance : les fractures extrapariétales, en particulier les fractures occipitales, les fractures avec un diastasis de plus de 5 mm, les fractures multiples ou stellaires, et les kystes lepto-méningés.   Figure 1 A et B. Fracture occipitale complexe (flèches) chez un nourrisson âgé de 3 mois. A : radiographie de crâne de profil. B : scanner sans injection, reconstruction sagittale. L’épaississement des parties molles du scalp (*) traduit le caractère récent ou semi-récent de la fracture. La datation d’une fracture du crâne n’est pas possible, sauf en présence d’une tuméfaction du cuir chevelu en regard indiquant un impact de moins d’une dizaine de jours environ. Il n’y a pas de formation de cal et le trait de fracture peut persister pendant plusieurs mois. Hématomes sous-duraux (figures 2, 3) Les lésions intracrâniennes sont constituées principalement par des hémorragies sous-arachnoïdiennes et des hématomes sous-duraux, dont la localisation particulière doit faire évoquer le diagnostic. Lorsqu’ils sont périphériques, ces hématomes sont souvent situés au niveau du vertex ou dans les régions fronto-temporales. Ils sont diffus et profonds, situés le long de la tente du cervelet et dans l’espace interhémisphérique, au niveau de la faux du cerveau.   Figure 2. Hématome sous-dural interhémisphérique (flèches) chez un nourrisson âgé de 4 mois. Scanner sans injection, coupes axiales. Hypersignal interhémisphérique au niveau du vertex signant l’hémorragie. Effacement des sillons cérébraux à droite, en rapport avec un effet de masse.   Figure 3 A et B. Hématome sous-dural de la tente du cervelet (flèches). A : scanner sans injection, coupe axiale. B : reconstruction coronale chez un enfant âgé de 2 ans. L’hématome de la tente prédomine à gauche et s’associe à une lame sous-durale interhémisphérique et périphérique gauche. Chez le nourrisson, la faux du cerveau peut être spontanément hyperdense, mais elle est toujours fine, à bords réguliers, alors qu’en cas d’hématome, la faux s’épaissit et ses bords deviennent irréguliers. Cet élément est un excellent signe diagnostique du syndrome de « l’enfant secoué ». Les collections sous-durales de la fosse postérieure sont également très évocatrices de lésions de secousses. En cas de doute diagnostique, il est utile de répéter le scanner 24 heures plus tard, car les hématomes sous-duraux deviennent alors évidents. Les hémorragies intraventriculaires sont possibles mais rares, en rapport avec une plaie veineuse sous-épendymaire. En cas de doute diagnostique, il est utile de répéter le scanner 24 heures plus tard. L’hématome sous-dural aigu est spontanément hyperdense au scanner, puis devient progressivement hypodense en 7 à 10 jours environ. Un épanchement hétérogène de densité mixte peut correspondre à un hématome en voie de résorption, mais aussi à un hématome sous-dural hyperaigu. La présence d’épanchements péricérébraux concentriques de densité différente correspond à des hématomes d’âges différents et constitue un argument supplémentaire en faveur du diagnostic. Il n’est cependant pas possible de dater les saignements, d’autant que de nouveaux épisodes de saignements quasiment spontanés peuvent survenir dans une chambre de décollement sous-durale préexistante. Lésions parenchymateuses (figures 4, 5) Les lésions parenchymateuses (contusions, œdème, anoxie, cisaillement) sont appréciées au mieux en IRM. Au scanner, ces lésions se traduisent par des hypodensités associées à une perte de contraste entre substances blanche et grise, et à une diminution des espaces liquidiens en rapport avec un œdème cérébral. Ces signes sont difficiles à apprécier chez le nourrisson, dont le cerveau n’est pas myélinisé. Figure 4 A et B. Atteinte parenchymateuse. Scanner sans injection, coupes axiales, chez un enfant âgé de 20 mois. Hématome sous-dural massif à gauche compliqué d’un œdème cérébral avec engagement sous-falcoriel ; déplacement de la ligne médiane et compression des ventricules latéraux refoulés à droite et perte de contraste entre substances blanche et grise à gauche. L’enfant est décédé.   Figure 5 A, B et C. Lésions intra- et extraparenchymateuses chez un nourrisson âgé de 6 mois. IRM coupes T1 parasagittales (A), axiales, T2 écho de gradient (B) et diffusion (C). A : hématome sous-dural frontopariétal hypo-intense, d’aspect chronique (*). B : dépôts d’hémosidérine (têtes de flèches) traduisant la présence d’hémorragies. C : hypersignal de la substance blanche global, bilatéral, prédominant en occipital en rapport avec un œdème cytotoxique (le coefficient de diffusion a été diminué). En IRM, les séquences pondérées en diffusion permettent la détection précoce des lésions œdémateuses. Les séquences en écho de gradient T2, sensibles aux dépôts d’hémosidérine peuvent mettre en évidence des pétéchies parenchymateuses millimétriques. Les contusions doivent être particulièrement recherchées dans les régions frontales et temporales, du fait de l’impact de ces zones sur les tables osseuses internes lors des mouvements de secousses. La jonction substance blanche/substance grise est également une zone d’atteinte élective. Les lésions de cisaillement sont recherchées dans les centres semi-ovales et le corps calleux. Des lésions anoxiques diverses peuvent se voir : atteinte du cortex, des noyaux gris et des thalamus. La présence d’un coefficient de diffusion (ADC) restreint permet de donner des éléments pronostiques réservés en indiquant la présence d’un œdème cytotoxique. Le pronostic global des lésions parenchymateuses est dans l’ensemble très péjoratif, car l’évolution se fait vers une atrophie, parfois majeure, associée à des zones de nécrose laminaire et de gliose cicatricielle (4,5) (figure 6).   Figure 6 A, B et C. Séquelles parenchymateuses chez un nourrisson âgé de 2 mois et demi. A : scanner sans injection, coupe axiale. B : IRM, coupe sagittale T1. C : IRM, coupe axiale. Atrophie cérébrale majeure et diffuse avec zones de nécrose laminaire (flèche). Dilatation passive des ventricules et des sillons cérébraux. Épanchement sous-dural résiduel (*) de densité intermédiaire. Le pronostic global des lésions parenchymateuses est dans l’ensemble très péjoratif. Autres explorations en imagerie (figure 7) Lorsque le diagnostic de syndrome des « enfants secoués » est posé ou fortement suspecté, il est indispensable de pratiquer une étude radiologique complète du squelette à la recherche de fractures : fracture-arrachements métaphysaires, fractures de côtes, fractures anciennes négligées, etc. Ces radiographies du squelette (incluant l’étude du crâne de face et de profil) doivent être d’excellente qualité. Sur le plan judiciaire, le dossier sera toujours revu lors de l’instruction par un ou plusieurs experts, et il est important de disposer de documents initiaux objectifs et clairement lisibles.   Figure 7 A, B et C. Syndrome de Silverman. Fractures multiples d’âges différents. Radiographies de squelette à l’âge de 8 mois. A : gril costal, cals de fractures des arcs postérieurs de côtes (flèches). B : bras droit, fracture-arrachement de la métaphyse humérale et appositions périostées humérales. C : avant-bras droit, fracture-tassement de l’extrémité inférieure du radius. La scintigraphie osseuse n’est pas systématique, mais elle peut être très utile au diagnostic en mettant en évidence des fractures infraradiologiques récentes. En revanche, les fractures anciennes et les fractures métaphysaires ne sont pas visibles. La recherche de lésions viscérales par une échographie abdominale est largement pratiquée chez le nourrisson. Éliminer les diagnostics différentiels (6) Le diagnostic d’« enfant secoué » nécessite d’éliminer plusieurs diagnostics différentiels. La recherche d’anomalies de l’hémostase, d’une infection cérébro-méningée, d’une déshydratation hypernatrémique, de maladies métaboliques comme l’acidurie glutarique de type 1 ou les anomalies du métabolisme du cuivre est systématique (7). Les autres diagnostics différentiels sont : - un traumatisme accidentel, mais l’absence d’anamnèse claire, le caractère diffus et profond des hématomes sous-duraux et la présence d’hémorragies rétiniennes sont des éléments permettant de réfuter cette hypothèse. - Les suites d’un traumatisme obstétrical. L’âge de l’enfant est essentiel car le diagnostic de « bébé secoué » est difficile à porter en période périnatale, étant donné la fréquence des hémorragies sous-durales de la fosse postérieure et des hémorragies rétiniennes en cas d’accouchement par voie basse à cette période. Une étude récente indique la régression de ces collections sous-durales périnatales en moins de 3 semaines (8). Le principal problème est en pratique, celui du saignement sous-dural favorisé par un trouble transitoire de la résorption du liquide céphalo-rachidien (LCR), anciennement appelé hydrocéphalie externe. En effet, la présence d’un épanchement sous-arachnoïdien pourrait mettre en tension les veines corticales, provoquant des saignements pour des traumatismes minimes, voire, pour certains, spontanément. Dans notre expérience, tout hématome sous-dural diffus ou atypique sans traumatisme avéré sérieux doit être considéré comme une pathologie liée à des « secousses », et l’enfant doit être hospitalisé s’il est symptomatique et subir dans tous les cas un fond d’œil, des radiographies du squelette et une étude de l’hémostase. Ce point illustre aussi la nécessité de disposer de la courbe de périmètre crânien de l’enfant, afin de déterminer la présence antérieure d’une macrocrânie. Tout hématome sous-dural diffus ou atypique sans traumatisme avéré sérieux doit être considéré comme une pathologie liée à des « secousses ». Conduite à tenir : hospitaliser La suspicion d’un syndrome du « bébé secoué » doit toujours conduire à une hospitalisation en urgence. Cette hospitalisation permet d’effectuer le bilan lésionnel, d’éliminer les diagnostics différentiels et de conduire l’évaluation pluridisciplinaire. Celle-ci est indispensable à l’estimation du danger encouru par l’enfant et à l’appréciation des mesures de protection nécessaires, donnant lieu le plus souvent dans ce cadre à la rédaction d’un signalement. Il est donc indispensable que le radiologue, souvent en première ligne pour évoquer ce diagnostic, prenne directement contact avec le clinicien ou une structure hospitalière pédiatrique. Enfin, il est important de rappeler que s’il est de l’obligation du médecin de soustraire rapidement un enfant à une situation de danger, il ne lui appartient pas de déterminer la responsabilité de l’entourage, cette tâche incombant aux services enquêteurs et aux magistrats.

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