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Pédiatrie générale

Publié le 05 déc 2011Lecture 8 min

Jeux dangereux : enfants à risque ou risque pour tous les enfants ?

M.-F. LE HEUZEY, Service de psychopathologie de l'enfant et l'adolescent, Hôpital Robert Debré (APHP), Paris

Peut-on dégager un profil d’enfants plus particulièrement à risque de pratiquer et d’être victimes de ces jeux ? Si certains semblent avoir un risque augmenté, tous les enfants peuvent être concernés, et il n’a pas à présent été mis en évidence de profil type.

 
Des pratiques méconnues par les médecins En 2003, j’attirais déjà l’attention des praticiens sur les dangers encourus par les enfants lors de la pratique de certains « jeux » dans les cours d’école, en particulier les jeux d’évanouissement ou de non-oxygénation. La diffusion de ces « jeux » se poursuit, relayée par les jeunes eux-mêmes, qui n’en perçoivent pas la dangerosité, et aussi par Internet. En 2009, 6 vidéos de jeux de non-oxygénation ont été visionnées plus de 173 000 fois sur YouTube. Les médecins d’enfants se doivent d’être informés de ces pratiques, afin de savoir repérer les signes évocateurs, informer les enfants des risques et contribuer à la prévention. Or, il semble que les médecins comme la plupart des adultes manquent d’information sur ces « jeux » ; ainsi, un tiers des médecins interrogés dans une enquête récente aux États-Unis n’avaient jamais entendu parler du jeu du foulard, en dépit de son risque mortel. Sur les 68,1 % qui en avaient entendu parler, 75 % connaissaient au moins un signe évocateur et seulement 52 % connaissaient trois signes ou plus. Et 1,9 % seulement avaient inclus dans leur pratique de consultation des éléments systématiques de prévention. En 2009, 6 vidéos de jeux de non-oxygénation ont été visionnées plus de 173 000 fois sur YouTube.   Méconnues ou déniées par les psychiatres Les décès par strangulation sont souvent assimilés soit à des suicides, soit à des activités paraphiliques (perversions). L’asphyxie auto-érotique est en effet une pratique qui consiste à utiliser la privation d’oxygène pour augmenter le plaisir de la masturbation. Ainsi, sur les 117 cas de décès par autostrangulation publiés en 1991 par Blanchard, un tiers des victimes est âgé de 10 à 19 ans, ne présente pas les caractéristiques habituelles de l’autoasphyxie érotique, et pourtant l’auteur n’évoque pas d’autres hypothèses. De même, l’étude de Nixon (portant sur 136 enfants décédés par strangulation, pendaison et suffocation en Grande Bretagne) interroge, sans réponse, sur la cause exacte du décès de 21 enfants de 8 à 14 ans. Dans l’étude de Wyatt, 6 décès par pendaison sont qualifiés de suicides uniquement parce qu’ils ne sont pas accidentels. Il faut attendre la publication canadienne de Mac Nab en 2001 pour que l’on évoque ces jeux de strangulation chez les jeunes, dans les sanitaires des collèges. La mort de 4 enfants et le coma d’un cinquième ont fait prendre conscience de l’existence de ce jeu, avec pour conséquence la décision de supprimer les distributeurs d’essuie-mains en tissu dans les toilettes, etc.   Que recherchent ces jeunes ? Les dénominations multiples et colorées (jeu de la tomate, jeu de la grenouille, jeu du foulard, jeu du cosmos, rêve indien, navette spatiale, jeu des poumons, jeu de la serviette, nuit merveilleuse, 30 secondes de bonheur...) évoquent bien les objectifs recherchés : la recherche de vertige, de sensations (impression de « planer »), d’hallucinations visuelles ou auditives, d’état euphorique, de sensations de plaisir physique et psychologique, parfois sexuel. Les jeux sont « appris » à l’école, en colonie de vacances, c'està- dire en groupe, les plus âgés initiant les plus jeunes. Certains joueurs sont occasionnels, d’autres sont des joueurs réguliers, parfois dépendants. Généralement, étrangleurs et étranglés sont les mêmes enfants, qui jouent à tour de rôle, bien qu’on ait pu mettre à jour des situations où les enfants « sont contraints » au jeu. Les décès sont le plus souvent le fait de jeux solitaires, sans témoin, et sans secours, dans le secret de la chambre à coucher. Ces jeux peuvent aussi s’inscrire au sein des jeux de défi, caractérisés par la recherche de l’exploit : l’enfant se lance dans des activités de plus en plus dangereuses pour impressionner ses pairs, souhaitant que son exploit soit raconté, voire filmé. Dans les jeux d’évanouissement, les enfants peuvent faire des compétitions sur la durée du blocage de la respiration. Les décès sont le plus souvent le fait de jeux solitaires dans le secret de la chambre à coucher.   Qui sont les joueurs ? Les données sur les caractéristiques des joueurs sont encore très insuffisantes, et peu d’études se sont penchées sur la psychopathologie (ou l’absence de psychopathologie) des joueurs. Le plus souvent, les auteurs intègrent ces pratiques dans le grand domaine des conduites à risque, allant des sports à risque à la consommation de toxiques et d’alcool. Ainsi, Friedrich en 1994 décrit 5 adolescents âgés de 14 à 17 ans, joueurs réguliers, dont la pratique des jeux d’évanouissement est associée à la pratique d’autres comportements à risque. Ces jeunes ont un passé d’enfance traumatique. Andrew, en 2009, donne un sex ratio de 1,5 à 2 garçons pour une fille. Il évoque le côté « drug free » et « cool » de ces pratiques, que les jeunes peuvent préférer aux consommations de toxiques pour avoir des sensations. Il rappelle que dans les premières communications dans les médias, ces pratiques étaient présentées comme des jeux appréciés par de « bons enfants », « bons élèves » et sportifs. Néanmoins, il évoque l’existence de sous-groupes de joueurs, souffrant soit de troubles anxieux, soit de troubles dépressifs, soit de troubles du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), qui utilisent les jeux comme automédication contre leur mal-être, comme produit de substitution, à la place de l’alcool ou des drogues. Les travaux de G. Michel en France, sur un échantillon de 416 collégiens ont révélé une proportion de 12,5 % de joueurs, sans différence entre les sexes. Parmi ces joueurs, 61 % ont connu un redoublement, 62 % fument, 92 % consomment de l’alcool, 46 % du cannabis et 55 % ont des comportements à risque dans le domaine sportif. L’association jeu d’évanouissement/autres conduites à risque est ainsi évoquée, comme le souligne la récente publication de Dake. Sur 1 385 collégiens âgés de 12 à 15 ans et 2 043 lycéens âgés de 14 à 18 ans, recrutés dans 88 écoles de l’Ohio, 9 % pratiquent ces jeux : ils touchent 7 % des filles et 11 % des garçons ; 11 % au lycée, 5 % au collège. Les variables associées significativement à la pratique des jeux sont au collège, d’être plus âgé (donc en retard scolaire), d’être fumeur ou consommateur de drogue ou d’alcool. Au lycée, le facteur âge, la consommation de substances et d’alcool sont aussi significatifs ; il s’y ajoute la notion de tentative de suicide dans l’année précédente et la notion d’antécédent d’agression sexuelle.   Quels mécanismes psychologiques ? Les caractéristiques des enfants pratiquant ces jeux sont difficiles à cerner. Des enfants semblent jouer par curiosité, « pour savoir ce que cela fait », en recherche de sensations : l’objectif est de ressentir des sensations intenses, de s’exciter par la peur, de braver l’interdit, de ressentir un vertige… Parfois, ces sensations de plaisir conduisent à la répétition, pour se « remplir de sensations intenses », et le comportement évolue vers une sorte d’addiction, une toxicomanie sans drogue. Parfois, le comportement évolue vers une sorte d’addiction, une toxicomanie sans drogue. Certains jeunes ont une attirance globale pour les conduites à risque. La confrontation au danger et à la mort se fait dans une perspective de recherche identitaire : braver l’interdit, faire l’expérience du vertige, puis de sa propre disparition, et se réveiller vivant. La mort n’est pas recherchée, et le comportement n’est pas suicidaire. La mort est instrumentalisée pour restaurer un sentiment d’identité défaillant, et ces mêmes jeunes expérimentent d’autres conduites ordaliques (toxiques, alcool). D’autres jeunes ne peuvent pas être assimilés à ces aventuriers de la sensation. Ce sont des enfants en recherche de nouveauté, souffrant d’ennui, parfois des enfants précoces animés d’une curiosité insatiable, ou même plus simplement pour faire comme les camarades dans une recherche de reconnaissance par les pairs. Dans ce dernier cas, les enfants sont des enfants ordinaires qui veulent faire comme les copains, pour ne pas être seul, pour appartenir au groupe. Aux injonctions « cap/pas cap », l’enfant ne se sent pas capable de résister… et il joue comme les autres pour ne pas « se dégonfler ». À l’extrême, l’enfant est contraint au jeu ou terrorisé, car les autres filment les scènes et transmettent les images sur le net, en illustrant les bons et mauvais « joueurs ».   Enfants à risque augmentés Il existe des sous-groupes d’enfants à risque augmenté : – les enfants souffrant de TDAH, toujours dans l’action, le corporel, les sensations fortes, et tout particulièrement ceux qui souffrent de difficultés d’apprentissage, malheureux en classe et en recherche de satisfaction ; – les enfants souffrant de troubles des conduites, avec violations des règles sociales, qui testent les limites ; – les enfants anxieux, manquant d’affirmation et d’estime de soi, vivant mal les situations d’exclusion et de rejet social ; – les enfants dépressifs qui ont besoin pour se sentir vivre de sensation extrême. Mais pourtant tous les enfants sont à risque, en particulier à travers l’influence des pairs.   Conclusion Le rôle des adultes, y compris des médecins, est de mettre en place des mesures de prévention. Parmi ces mesures, nous devons développer les capacités de résilience et d’assertivité pour que les enfants repoussent les tentations de participer à ces pratiques dangereuses.  

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