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Profession, Société

Publié le 27 fév 2014Lecture 7 min

L’enfant pris en otage par la publicité

S. TISSERON, Psychiatre, psychanalyste, docteur en psychologie HDR (Université à Paris Ouest Nanterre)
En 1998, une société spécialisée dans les études de marché publie un rapport intitulé Le Facteur Caprice*. Il révèle qu’un caprice habilement mené par un enfant peut augmenter les achats parentaux de 30 % dans tous les domaines : parc d’attraction, cinéma, restaurant… La mise en scène du caprice devint même, dans les années 2000, un must des séquences publicitaires. On pouvait y découvrir des parents s’amusant de voir mis en scène ce que leurs enfants font avec eux… ou se réjouissant de voir ce que leurs enfants ne font justement pas. Dans tous les cas, leurs rejetons découvrent le bon maniement d’une arme, qu’ils l’aient déjà employée ou non.
  Les enfants sont-ils plus menacés que les adultes ?   L’impact de la publicité sur les jeunes est aujourd’hui au centre de nombreux débats, et c’est tant mieux. Il serait évidemment souhaitable que les programmes pour enfants en soient exempts, y compris dans les tranches horaires qui les précèdent et les suivent, dans la mesure où les enfants les regardent souvent. Cela ne réduirait malheureusement pas l’impact des produits dérivés, qui constituent le modèle économique principal des chaînes de télévision destinées aux jeunes enfants. Mais il ne faut pas non plus exagérer le risque que les publicités font courir aux enfants, et le type de « confusion » qui est la leur. En fait, nos enfants ne courent pas plus le risque de « croire » aux publicités que nous… à partir du moment où ils comprennent que ce sont des publicités. C’est en effet la difficulté majeure à laquelle ils sont confrontés. Pour un enfant, deux images proches ou qui se succèdent sont lues comme participant à une même logique. En pratique, cela signifie que, à la différence d’un adulte, un enfant qui voit une publicité dans un programme qui lui est destiné est dans l’incapacité de repérer qu’il s’agit d’un message publicitaire. Et c’est encore plus le cas si cette publicité trouble ses repères en reproduisant des personnages ou des motifs musicaux présents dans ses programmes préférés. C’est sur cela que jouent des publicitaires peu scrupuleux, qui font voisiner sans transition des programmes pour enfants – comme un documentaire animalier – et des spots publicitaires. L’enfant regarde ceux-ci comme de petits documentaires destinés à l’informer.   Aider l’enfant Mais cette absence de distance critique n’est pas une fatalité. Si les parents partent de l’idée que leur enfant ne maîtrise pas les codes télévisuels, mais qu’il est tout à fait capable de les apprendre, ils peuvent facilement les lui expliquer. L’enfant en sera ravi – il s’empressera probablement d’expliquer à ses copains ses nouvelles compétences – et il deviendra alors comme l’adulte : plus ou moins sensible aux publicités selon les moments, ses goûts et ses préoccupations. Il y a donc là un domaine autour duquel les parents doivent être particulièrement vigilants. Il ne s’agit pas d’interdire à l’enfant de regarder des publicités (et d’ailleurs, comment serait-ce possible ?) et encore moins de lui interdire de regarder des programmes dans lesquels des publicités pourraient se trouver. Mais il s’agit de lui apprendre à repérer les programmes publicitaires. Les parents doivent ainsi attirer l’attention de l’enfant sur les fenêtres qui annoncent ces programmes et sur les motifs musicaux qui les précèdent et les suivent. L’adulte a intériorisé ces distinctions, mais pas l’enfant. Et il est urgent pour celui-ci de les intérioriser le plus vite possible afin de ne pas se trouver pieds et poings liés dans les mains de publicitaires pas toujours très honnêtes…   Du bonheur réel des images au bonheur attendu du produit En fait, la publicité est attractive parce qu’elle est « magique ». Il y a tellement d’argent, d’imagination et de travail dans les publicités qu’elles sont souvent très réussies sur le plan formel… même si elles pèchent par les valeurs qu’elles prônent. Elles sont faites pour séduire. Face à la publicité, enfants et adultes sont confrontés exactement au même problème. La plus grande difficulté n’est pas de faire la différence entre ce que nous disent les pubs et la réalité des produits – nous savons bien qu’elles sont conçues pour vendre plus que pour informer – mais entre le plaisir qu’elles nous procurent et celui que nous pourrions avoir à utiliser les objets qu’elles mettent en valeur. Le plaisir – voire le bonheur – que nous donnent certaines publicités a en effet un pouvoir irrésistible : nous ne pouvons pas nous empêcher de croire que l’objet dont elles parlent nous procurerait le même plaisir. C’est plus fort que nous. Ou, quand elles nous procurent un déplaisir – comme c’est le cas, par exemple, avec certaines campagnes pour la marque Benetton qui ont été conçues pour susciter de l’angoisse –, il nous apparaît que la seule manière de nous libérer de ce malaise serait d’acheter le produit qu’elles nous proposent. Il y a encore quelques années, on pensait que la publicité agissait par des messages « subliminaux » que le spectateur ne voyait qu’une fraction de seconde, sans même s’en rendre compte. En fait, de tels messages sont bien capables d’entraîner le désir d’acheter le produit dont l’image est mise en scène, mais ce désir est de très courte durée : aussitôt que le spectateur a quitté la salle de cinéma ou son écran domestique, ce désir s’éteint. En revanche, le bonheur provoqué par les publicités, lui, dure longtemps et il tente de se prolonger dans l’acte d’achat. C’est pour cela qu’un nombre croissant d’entre elles évoque à peine les articles qu’elles vantent. Seuls comptent le plaisir pris à les regarder et le souvenir du nom de l’objet, c’est-à-dire sa marque.   Conclusion   Nous voyons que l’éducation à la publicité doit commencer aussitôt qu’il est possible d’échanger avec l’enfant, parce qu’il risque d’en être l’otage avant même de savoir parler. Cela prend d’abord la forme d’échanges autour des panneaux publicitaires qu’il voit dans la rue. Il vaut également mieux que les parents évitent à leurs enfants les émissions et les programmes de télévision saturés en publicités et préfèrent les DVD. Les pédiatres et les médecins généralistes ont un rôle à jouer dans cette direction : ils peuvent conseiller la constitution d’une vidéothèque familiale qui se substitue à des programmes de mauvaise qualité, tout en échappant à la publicité. Enfin, l’institution scolaire doit expliquer dès l’école primaire les modèles économiques et marketing d’Internet : jeux vidéo, Facebook, Google, Skype, YouTube, etc. Car il y aurait un grand risque à leur laisser croire que les services – bien réels – que ces entreprises nous rendent sont sans contreparties, autant dire « gratuits ». Une éducation aux médias est donc indispensable. Elle doit montrer que le risque dans l’utilisation d’Internet ne vient pas seulement, loin s’en faut, de ce que la personne révèle d’elle-même. En effet, les médias numériques collectent et exploitent également les traces que nous laissons à notre insu ou qui sont mises à disposition par des tiers. Une éducation doit les sensibiliser au fait qu’Internet est aussi un gigantesque marché dans lequel les jeunes représentent, en tant qu’utilisateurs, une source de revenus dont on cherche à tirer parti par des moyens parfois douteux… *The Nag Factor. édité par la Société Western International, Media Company

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