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Profession, Société

Publié le 03 fév 2023Lecture 11 min

Les confinements : accélérateur de la télémédecine et/ou révélateur de ses possibles dérives

Bertrand CHEVALLIER, Boulogne-Billancourt

Si le Covid-19 a mis à l’épreuve nos systèmes de santé, il pourrait aussi constituer pour la télémédecine une formidable opportunité de diffusion. En France, le décret publié le 9 mars 2022 a levé un frein réglementaire en assouplissant les règles d’accès à cette pratique pour la durée de l’épidémie. Face à des hôpitaux sous tensions, la télémédecine est présentée comme un outil pour gérer l’afflux de demandes de consultation de patients inquiets, et cela dans le respect des mesures de confinement. La situation sanitaire et le recours dans l’urgence à la télémédecine offrent un terrain d’observation et d’expérimentation inédits à grande échelle.

La visite préalable chez le médecin généraliste n’est plus une condition d’accès à la téléconsultation, désormais remboursée à 100 % par l’Assurance maladie. La pratique ne manque pas d’atouts : c’est un outil efficace pour la prise en charge des maladies chroniques et elle peut également répondre à la désertification médicale. Elle contribue aussi à réduire les fortes tensions économiques que connaît le système de santé.   « La télémédecine regroupe 5 types d’actes »   Définie comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication », la télémédecine regroupe cinq types d’actes décrits à l’article R. 6316-1 du Code de la santé publique (CSP) : la téléconsultation : consultation à distance entre un médecin et son patient ; la téléexpertise : sollicitation à distance par un médecin de l’avis d’un ou de plusieurs autres confrères en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d’un patient ; la télésurveillance : interprétation à distance par un médecin des données nécessaires au suivi médical d’un patient ; la téléassistance : assistance à distance par un médecin d’un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte ; ainsi que la réponse médicale apportée dans le cadre de la régulation médicale des appels au SAMU ; s’y ajoute le télésoin, qui constitue « une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication », mettant en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux. Compte tenu de la diversité des pratiques qu’elle recouvre, la télémédecine est, depuis plusieurs années, pressentie comme une réponse possible « au vieillissement de la population et au suivi coordonné des maladies chroniques, en facilitant le maintien à domicile par des dispositifs de télésurveillance, aux difficultés géographiques d’accès aux soins, par la mise en œuvre de téléconsultations et de téléexpertises ». Les hôpitaux ont développé, ces 20 dernières années, une diversité de pratiques de télémédecine reposant principalement sur une mise à disposition de l’expertise médicale. En 2001, la première opération d’une patiente à Strasbourg, réalisée par une équipe chirurgicale localisée à New York (États-Unis) a ouvert la voie à la réalisation d’actes chirurgicaux, d’examens cliniques à distance, ou de télé-expertise, par exemple pour l’interprétation d’examens radiographiques ou de cas cliniques. Ces outils répondent également aux besoins d’expertise hospitalo-universitaire dans les territoires sous-dotés. Cette expertise est une ressource rare dans certaines zones géographiques. Le suivi à distance des patients est particulièrement efficace dans le cas des maladies chroniques (diabète, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale ou encore cancers), et en est l’application la plus emblématique. On peut recenser de nombreuses structures et dispositifs tel que le service de télésurveillance et de coordination des soins des insuffisants cardiaques « Cardiauvergne », créé en 2011. Ce groupement de coopération sanitaire s’attache à réduire le cloisonnement entre médecine de ville et hôpital pour une meilleure prise en charge de plus de 1 500 patients bénéficiaires d’une surveillance à distance. Des solutions similaires mais plus légères ont été et sont développées depuis le début de la crise sanitaire. Compte tenu du nombre de personnes contaminées par le coronavirus mais ne nécessitant pas de prise en charge lourde, le déploiement rapide de solutions de télésurveillance s’est imposé. Plusieurs applications ont vu le jour, dont Covidom, conçue par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l’éditeur de logiciels Nouveal e-santé. L’actualité semble donc montrer que la télémédecine constitue une solution intéressante pouvant compléter utilement les autres dispositifs de prise en charge. Le vécu des professionnels de santé Au moment des premiers usages, les professionnels ont tous craint de pratiquer une « médecine dégradée ». Ils ont vu parfois arriver de nouveaux patients, avec lesquels il a fallu de surcroît apprendre au pied levé à communiquer et adapter les pratiques cliniques. Au-delà des périodes de confinement, une fois rétablies les conditions d’une relation face-à-face, qu’est-ce qui pourrait alors justifier la poursuite de l’utilisation de la téléconsultation ? Il est pertinent de comprendre quelles leçons ou conclusions les professionnels néo-utilisateurs ont tiré de leurs premières expériences, que certains ont qualifiées de « télémédecine de guerre », signifiant par là qu’il fallait composer avec les « moyens du bord », nécessairement limités. Des recherches menées par la Drees ont montré à cet égard que si environ trois médecins généralistes sur quatre avaient expérimenté la téléconsultation pendant le premier confinement, environ la moitié d’entre eux déclarent avoir rencontré des difficultés techniques et considèrent que l’examen clinique en face-à-face demeure souvent indispensable.   « Trois médecins généralistes sur 4 ont expérimenté la téléconsultation pendant le premier confinement »   Une question reste en suspens : ce dispositif permet-il de connecter des équipements bio-médicaux (tensiomètre, otoscope, spiromètre, dermatoscope, stéthoscope, etc.), dont l’usage peut, dans certains cas, être délégué à un professionnel-tiers éventuellement présent aux côtés du patient ? De plus, la relation clinique ne se déroulant plus dans l’espace unique et relativement protégé du cabinet médical, il importe également de s’enquérir des lieux où se situent les protagonistes (par exemple, des espaces médicaux divers pour les praticiens, une pièce du domicile ou de l’espace professionnel pour le patient, etc.). La téléconsultation doit aussi être envisagée dans le contexte organisationnel de la trajectoire des soins, qui peut alterner pour chaque patient entre consultation en face-à-face et à distance, et se caractérise par l’intervention de professionnels médicaux aux statuts divers, dont le rôle et la prééminence dans l’orientation des soins demeurent d’importance variable. C’est en fonction de tous ces critères, qui déterminent pour une large part la configuration, le déroulement et le contenu même de la relation thérapeutique, qu’il importe de caractériser les conditions du développement à venir de la téléconsultation. Vécu des patients Le patient et leurs familles connaissent beaucoup mieux la télémédecine qu’auparavant et la considèrent aujourd’hui comme utile, mais ces usages semblent être envisagés pour des besoins dits de second plan, comme le renouvellement d’ordonnance, un conseil médical ou des problèmes de santé jugés peu importants. Les patients expriment également des craintes à propos de la sécurité de la transmission via l’informatique, du piratage, de la probabilité pour le praticien de commettre une erreur médicale à distance et de la perte de la dimension humaine inhérente à la relation avec le médecin.   Télémédecine : les bons et les mauvais effets de la médecine connectée Les effets positifs • La télémédecine a d’abord été pratiquée dans des déserts médicaux, où trouver un professionnel relève du parcours du combattant. Outre cet accès aux soins facilité et sécurisé, les téléconsultations permettent un gain de temps – le patient n’a pas à se déplacer – et une prise en charge plus rapide, puisque de nombreux créneaux sont disponibles. Depuis le 15 septembre 2018, date de la signature d’un avenant qui a légalisé la pratique, tout médecin, généraliste ou spécialiste, peut proposer des consultations vidéo à ses patients. • La consultation se déroule de la même manière qu’un rendez-vous médical « classique ». Le praticien téléconsultant envoie ensuite une prescription ou une ordonnance par courrier ou sous format électronique. Le paiement peut se faire selon les voies traditionnelles : en ligne mais aussi chèque ou virement bancaire. Les tarifs et les remboursements sont les mêmes qu’une consultation « physique », si le professionnel de santé est conventionné et certains points respectés. • Autres effets bénéfiques : étrangement, la barrière virtuelle fait tomber certaines réticences du patient à aborder des sujets « délicats ». Cela vaut en particulier pour les téléconsultations psychiatriques. Et au sein de la télémédecine, une autre pratique se développe : la télé-expertise. Un médecin peut demander l’avis d’un confrère qui détient une compétence supplémentaire. Si le patient y consent, cet échange a lieu en direct lors d’une consultation, grâce à la messagerie instantanée. Toutes les situations cliniques ne se prêtent pas nécessairement à la téléconsultation.   « La barrière virtuelle fait tomber certaines réticences du patient à aborder des sujets « délicats »   Il est pour l’heure impossible d’établir une recommandation de prise en charge pour chaque plainte rencontrée en médecine ambulatoire. Le Collège de médecine générale (CMG) a adopté en 2021 une approche « plus générique », distinguant les « situations aiguës » des « situations non aiguës ». À charge pour le médecin de déterminer dès le début de la téléconsultation si les conditions sont réunies pour poursuivre par écran interposé : le patient est- il à l’aise avec les outils ? Peut-on vraiment se passer d’une consultation physique ? « Pour être un bon praticien en télémédecine, il faut d’abord être un clinicien expérimenté, considère le président du CMG. C’est avec l’expérience que l’on va sentir ce qui est caché et se méfier de certains tableaux. Dans les situations aiguës, la téléconsultation paraît difficile ». Le médecin est en effet « limité » dans son analyse par l’absence d’examen physique ou d’examens cliniques complémentaires rapides (bandelette urinaire, mesure tensionnelle, TDR, etc.). L’écran interposé modifie la relation médecin-malade et la perception de l’état du patient. Enfin, le praticien ne dispose pas d’une vision d’ensemble du patient : il ne voit que le haut de son corps, ne peut évaluer sa position debout, sa marche, etc. Le CMG recommande donc aux généralistes de se limiter aux demandes de soins non programmés simples ne nécessitant pas d’examen clinique (type ordonnance de pilule contraceptive) et aux téléconsultations visant à réévaluer l’évolution d’une pathologie aiguë. À l’inverse, dans les situations non aiguës, le recours à la téléconsultation peut être indiqué dans le cadre d’un suivi d’une pathologie chronique ou mentale (dépression, anxiété), d’une évaluation après un premier traitement, pour décrypter des résultats d’examens biologiques ou radiologiques, pour adapter une posologie ou renouveler un traitement. « Avant, on faisait la même chose par téléphone, mais gratuitement , constate le Dr Serge Gilbert. Dans le cadre du paiement à l’acte, c’est une façon de rémunérer le temps passé pour le patient.»   Les freins au déploiement Si la crise sanitaire que nous connaissons contribue à lever les réticences, un certain nombre de freins contrarie son déploiement. L’absence de l’enseignement de l’éducation sanitaire dans les programmes scolaires, nécessaire pourtant pour que le futur patient puisse mettre des mots sur ses maux en téléconsultation. La formation des professionnels de santé à la télémédecine est également un enjeu important, encore trop peu abordé dans les études des professionnels de la santé. En matière de téléconsultation, la France se distingue des autres pays par la coexistence de plateformes publiques et privées, et un encadrement de cette pratique par plusieurs instances (Cnam, ARS, ministère des Solidarités et de la Santé). Il y a nécessité d’une structure unique pour une stratégie publique pensée pour l’ensemble du territoire, dans une approche coordonnée. Par ailleurs, malgré les progrès importants réalisés, les questions de partage des données des patients (via le dossier médical informatisé), de sécurisation et de valorisation des actes de télémédecine restent des points de vigilance comme le montre le « baromètre télé-médecine » publié en janvier 2020. Enfin, on ne peut nier qu’il existe un risque d’uberisation et de dérives de la téléconsultation, et finalement d’une marchandisation comme le montre la polémique éthique et médicale autour du site de téléconsultation privé allemand : arretmaladie.fr. Ce site, qui n’accepte pas la carte vitale, offre de délivrer des arrêts maladie d’une durée maximum de trois jours pour des « pathologies simples et courantes », après un rendez- vous à distance.   Conclusions Il n’est plus à démontrer que la télémédecine est en plein essor et qu’elle est en train de s’inscrire durablement dans les protocoles de soins. Vu les circonstances actuelles, elle connaît une accélération sans précédent qui, sans aucun doute, va la pérenniser dans les habitudes de consultation. Les avantages évidents de la télémédecine sont apparus. Les médecins ont pu voir leurs patients sans risque d’attraper ou de propager le virus et vice-versa. Les médecins ont également été en mesure de suivre les symptômes des patients à distance pour essayer de limiter un voyage à l’hôpital. Ils essaient de garder une cohérence avec leurs patients via la télémédecine utilisée dans le cadre d’un parcours de soins structuré, pour le suivi d’une maladie chronique chez une personne connue. Cette avancée, permise par les technologies de la communication, expose à certaines dérives et cela pourrait certainement devenir un problème. Dans certains programmes de télémédecine, un patient consulte un médecin différent chaque fois qu’il a un rendez-vous. La formation des professionnels de santé à la télémédecine est également un enjeu important, encore trop peu abordé dans les études des professionnels de santé. En cas d’erreurs médicales constatées lors de cette consultation délivrée à distance, certaines décisions récentes de justice ont indiqué, dans leurs attendus, qu’à chaque fois qu’une consultation physique est possible, celle-ci doit être encouragée dans le respect du contrat médical passé entre le médecin et son patient, qui implique le respect « de l’obligation de fournir des soins consciencieux, attentifs, conformes aux données actuelles de la science ». La responsabilité qui en découle est fondée sur une obligation de moyens.

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