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Profession, Société

Publié le 22 déc 2013Lecture 12 min

Le congé maternité étendu à 6 mois après : l’avis du législateur

S.Guillaume, Vice-Présidente du groupe alliance progressiste des socialistes & démocrates au Parlement européen

Il n’y a pas que des arguments médicaux en faveur de l’allongement du congé maternité :
– les arguments relevant de l'égalité entre les femmes et les hommes ;
– ceux liés à l'égalité entre les femmes (selon les Etats membres, selon le statut salarié ou non) ;
– les arguments socio-économiques.
Nous nous appuyons sur le rapport parlementaire de Danièle Bousquet à l’Assemblée nationale et celui de Edite Estrela au Parlement européen. Pour terminer nous ferons l'état des lieux de la réforme en cours en UE.

Pour défendre l'égalité entre les femmes et les hommes   Mieux concilier vie familiale et vie professionnelle Ce sont principalement les femmes elles-mêmes qui ont à arbitrer entre vie de famille et poursuite de leur carrière. Parmi les différents constats – partagés – qui étayent cette difficulté, on notera (extraits de l’exposé des motifs du rapport de l’Assemblée nationale) : – Que c’est d’abord la présence d’enfants en bas âge qui pèse sur le taux d’activité des femmes. Ce taux tombe à 59,8 % pour deux enfants et à 37,5 % pour trois enfants ou plus. – Quand elles travaillent, la moitié des mères de jeunes enfants le font à temps partiel, ceci étant amplifié quand elles ont plusieurs enfants. Or, ce retrait est contraint pour la plupart des femmes. – Il faut noter également que ce sont les femmes peu qualifiées et donc souvent aux ressources les plus faibles, qui sont le plus souvent écartées du marché du travail et dont la protection comme femme enceinte ou ayant accouché est la plus faible. – La situation dans l’emploi semble influer sur la prolongation des congés après une naissance ; assez logiquement, la stabilité professionnelle favorise l’ajout d’autres congés au congé maternité. – Dans le même temps, la maternité entraîne une incidence professionnelle plus forte pour les femmes cadres et de profession intermédiaire. Une incidence trop forte de la maternité sur la vie professionnelle pourrait les dissuader de faire des enfants. Dans nos discussions du Parlement européen, nous avons pu partager d’autres types de constats (extraits de l’exposé des motifs rapport au PE) : – Les stéréotypes liés au genre persistent dans la société, ce qui constitue un obstacle à l'accès des femmes à l'emploi et, surtout, à l'emploi de qualité. Les femmes continuent ainsi à être perçues comme les principales responsables des soins aux enfants et autres personnes à charge, et sont donc souvent confrontées à la nécessité d'opter entre maternité et épanouissement professionnel. – Dans le même temps, les femmes sont fréquemment considérées comme des travailleuses à "risque élevé", de "second choix" ou "problématiques", compte tenu de la probabilité élevée d’être enceinte et de bénéficier d'un droit au congé maternité. De telles discriminations, outre qu’elles sont insupportables, contreviennent aux fondamentaux et aux lois européennes : les femmes doivent donc bénéficier d’une protection renforcée par la législation. Cela se traduit par l’augmentation revendiquée et l’harmonisation de la durée du congé maternité en Europe… première étape des problèmes ! Implication des pères Dans le même temps, les pères doivent être plus impliqués lors de l'arrivée de l'enfant. Même si cela est lent et parcimonieux, les parlementaires constatent des évolutions chez les hommes et futurs pères (extraits du rapport parlementaire AN) : Leur volonté de s’engager dans l’éducation des enfants progresse (étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques : 20 % des pères se disent prêts à interrompre leur activité professionnelle pendant au moins trois ans afin de garder et éduquer leurs enfants. Mais ne nous leurrons pas : 30 % des pères n’accepteraient pas de s’arrêter et 18 % n’accepteraient d’interrompre leur activité que trois mois au maximum… Quoique ambivalents, ces chiffres marquent une évolution des mentalités et du partage des tâches entre les genres. Au plan européen, la maternité et la paternité constituent des droits fondamentaux, essentiels à l'équilibre social (extrait rapport du PE). C’est ce qui a présidé à vouloir réviser la directive 92/85/CEE qui bénéficie aux travailleuses, en protégeant la maternité et la paternité, notamment par le biais de mesures qui incitent les hommes à assumer des responsabilités familiales… L'implication des deux parents dans la vie de l'enfant, dès les premiers mois de la vie, est jugée comme essentielle pour le bon développement physique, émotionnel et psychologique de l'enfant. C’est pourquoi nous avons souhaité avancer sur une législation communautaire qui prévoit également un congé paternité individuel, non transmissible et rémunéré, dont pourrait profiter le conjoint en même temps que le congé maternité. L'allongement du congé maternité a donc semblé devoir aller de pair avec une amélioration du congé paternité… Cela a constitué une deuxième source de courroux ! Harmoniser les situations des femmes Dans un autre registre favorable à l’augmentation de la durée du congé maternité, on trouvera la volonté d’harmoniser les situations des femmes. De nombreuses disparités existent sur la durée du congé maternité en Europe Quelques exemples : – Allemagne, Malte : 14 semaines ; – France, Luxembourg, Chypre, Autriche : 16 semaines ; – République Tchèque, Slovénie : 28 semaines ; – Italie : 5 mois ; – Royaume-Uni : 52 semaines. Avec de grosses disparités : – dans la répartition de ce congé avant et après la naissance ; – sur le montant et la durée de la rémunération également... Des disparités aussi selon le statut des femmes Certaines femmes qui exercent des professions non salariées (chefs d’entreprise, artisans, conjoints collaborateurs, agricultrices) ne peuvent actuellement mettre durablement entre parenthèse leur activité au risque de mettre en danger leur activité, voire leur entreprise. La législation française apparaît très insuffisante pour permettre à ces femmes de mener à bien leur maternité et vivre pleinement cette expérience. De ce fait, elles se trouvent trop souvent contraintes de reprendre rapidement leur travail, bien avant le terme légalement fixé pour les salariées. Arguments socio-économiques La volonté d’augmenter la durée du congé maternité répond aussi à des arguments socio-économiques. Un contexte de vieillissement de la population L'UE est aujourd’hui confrontée à un défi démographique caractérisé par de faibles taux de natalité et une proportion croissante de personnes âgées. L'amélioration des dispositions favorisant l'équilibre entre vie professionnelle et vie familiale est aussi un moyen de lutter contre ce déclin démographique. Pour les parlementaires français, le vieillissement de la population et l’augmentation des dépenses de retraites qu’il induit, de même que la nécessité de consolider la croissance potentielle du pays requièrent, d’une part, le maintien d’un taux de natalité fort, d’autre part, l’amélioration du taux d’emploi des femmes. La conciliation des vies familiale et professionnelle est donc un impératif économique qui doit être pris au sérieux (extrait du rapport de l’AN). Principe de réalité En effet, les congés réels sont déjà plus longs que ce que prévoit la législation. Dans une étude qui date de 2006, mais qui demeure d’une grande actualité, on remarque (extrait étude DRESS) : – dans leur grande majorité, les femmes estiment que le congé maternité devrait être plus long ; – les femmes devenant mère de leur premier ou deuxième enfant ajoutent généralement 38 jours de repos, contre 21 jours pour les femmes devenant mère de leur 3e enfant ou plus ; – 7 mères sur 10 utilisent des congés pathologiques pour augmenter le nombre de ces jours. Dans 77 % des cas, ce congé concerne la période anténatale uniquement ; 9 % de ces congés ont été pris seulement après la naissance et 14 % d’entre eux correspondent à des congés pathologiques à la fois pré- et postnataux ; – en outre, 29 % des mères actives occupées prennent une partie de leurs congés annuels à l’occasion de la naissance, auxquels peuvent s’ajouter des congés spécifiques prévus par les conventions collectives ; – près de la moitié des femmes interrogées affirment avoir prolongé leur congé pour rester plus longtemps avec leur(s) enfant(s). Le rapport de l’Assemblée nationale conclut en indiquant, toujours selon les études, que « la durée moyenne de l’ensemble des congés pris à l’occasion d’une naissance s’élève donc à 150 jours pour les mères dont c’est le premier ou le 2e enfant, soit en moyenne un mois et une semaine de plus que le seul congé légal de maternité. » Dans le rapport du Parlement européen, on trouvera l’étayage supplémentaire selon lequel « la durée du congé maternité de 18 semaines étant déjà une réalité dans de nombreux États membres, l'augmentation de 4 semaines (pour passer des 14 semaines actuelles aux 18 proposées) constitue une évolution modeste ayant un impact probablement peu significatif dans l'actuel tableau législatif de nombreux États membres. Il convient d'ajouter que le Comité consultatif de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes recommande de porter le congé maternité à 24 semaines. » Ce qu’il faut donc retenir de tout cela est que l’allongement et l’harmonisation du congé maternité ne constitue pas véritablement un surcoût pour la collectivité ou l’entreprise. Tous deux correspondent à un alignement sur les pratiques et la réalité. Ils seraient donc considérés comme de réelles avancées sociales, promues par l’Europe, qui est très attendue sur ces protections nouvelles… et dans le même temps souvent taxée de dévorer les droits sociaux. État des lieux de la réforme en cours en UE L'un des objectifs de l’Union européenne a été d’harmoniser le droit au congé maternité, dans le cadre de sa politique d'emploi et de protection sociale. Ainsi, dès 1992, une directive relative aux travailleuses enceintes fixe des mesures minimales visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des femmes enceintes, accouchant ou allaitantes, au travail. Cette directive fixait à 14 semaines minimum le congé maternité. Dans le cadre de leur politique de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité des chances, les institutions européennes ont adopté, en 1996, une directive relative au congé maternité, qui accorde un congé parental à tous les parents, hommes et femmes, afin de leur permettre de s’occuper de leur enfant pendant au moins 3 mois jusqu’à un âge à définir par les États membres. Cette directive accorde aux travailleurs le droit de s’absenter du travail en cas de maladie ou en cas d'accident d'une personne à charge. En octobre 2008, dans sa proposition de révision de la directive, la Commission européenne a proposé les modifications principales suivantes : – porter cette durée minimale à 18 semaines ; – porter le niveau d'indemnisation au dernier salaire mensuel ou au salaire moyen ; – intégrer des dispositions du droit du travail, ainsi qu'interdire le licenciement. Au Conseil, les propositions d’allongement du congé maternité ont fait l'objet de grandes divergences entre les États membres. Si certains étaient favorables pour fixer une période prénatale obligatoire, la fixation à 18 semaines était contestée ; il fut donc demandé que l'on prenne en compte dans ces 18 semaines les efforts faits en matière de congés parentaux ou de paternité via des clauses passerelles. Le Parlement européen, dans sa résolution du 20 octobre 2010, a souhaité aller plus loin que la proposition de la Commission en proposant entre autre : – un congé maternité de 20 semaines ; – rémunéré à 100 % du dernier salaire mensuel, sans plafond ; – doublé de l'introduction d'un congé paternité de 2 semaines. C’est le fameux rapport Estrela, abondamment cité, qui propose d’autres droits liés au droit du travail, dont l'interdiction des licenciements des travailleuses enceintes dès le début de la grossesse et jusqu'à 6 mois, au minimum, après le terme du congé maternité. Enfin, le rapport invite les États membres à faire bénéficier les pères d'un congé paternité entièrement rémunéré d'au moins 2 semaines au cours de la période du congé maternité. Le 6 décembre 2010, le Conseil a examiné la position du Parlement… qui n'a pas été accueillie favorablement. Une minorité d'États désirait purement et simplement l’abandon des mesures, au prétexte de leur ampleur et de leurs coûts. Les autorités françaises estiment ainsi que le passage à 100 % du salaire à 20 ou même 18 semaines représente un surcoût de 1,3 Md d’euros, qu’elles jugent ne pouvoir faire supporter par les entreprises ou le système de Sécurité sociale. Notez pourtant que c’est déjà le cas dans une très grande majorité de situations, comme je l’ai indiqué plus haut. Une autre partie des États membres, majoritaire, s'est montrée ouverte…, mais sur la base de la proposition de la Commission (18 semaines mais sans congé paternité). Les travaux ont continué sous l'égide de la Présidence hongroise puis polonaise, qui ont laissé penser qu’elles tentaient de faire évoluer les différentes positions, tout en laissant soigneusement de côté les points litigieux. Un rapport d'étape a été présenté au Conseil le 17 juin 2011 dans lequel les États ont redemandé une analyse d'impact des amendements du Parlement. Depuis, le Conseil, la Commission et le Parlement européen n'ont pas réussi à trouver d'accord. La situation est donc – selon l’usage sémantique bruxellois – bloquée, ce qui en langage clair veut dire au pire « enterrée » et au mieux, dans le refus d’envisager un quelconque rapprochement des points de vue.   Conclusion   En janvier 2012, lassée d’attendre, la rapporteure Edite Estrela a adressé une lettre à la Présidence danoise pour tenter de relancer les discussions. Nous savons qu’elle veut tenter une médiation… sans succès à ce stade. Il faut donc savoir que l’issue de cette discussion… si discussion il y a, s’appuiera sur la hauteur de quatre curseurs : la durée du congé maternité, le montant de son indemnisation, l’existence et la durée d’un congé paternité et le montant de son indemnisation.

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