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Thérapeutique

Publié le 24 fév 2013Lecture 7 min

Tartrazine : un risque d’intolérance ou d’allergie largement surévalué ?

G. DUTAU, Toulouse
La tartrazine, E102 selon la nomenclature européenne et Sunset yellow (ou yellow) selon la nomenclature américaine, est un colorant azoïque de synthèse de couleur jaune. Parmi la longue liste des colorants et additifs alimentaires, il fut le premier incriminé à la fin des années 1970.
Utilisé pour la coloration des aliments, des boissons, des friandises et des médicaments, il fut alors tenu responsable d’urticaire, de dermatite atopique, d’asthme et même de chocs anaphylactiques(1). Avec les salicylés et les benzoates, il a été incriminé au cours du syndrome d’hyperactivité de l’enfant, ce qui a conduit un pédiatre américain, Benjamin Feingold, à proposer, en 1973, un régime d’exclusion qui fut loin de faire l’unanimité parmi les neuropédiatres spécialistes de cette affectiona. Il pourrait aussi avoir des effets mutagènes. Ce colorant est interdit en Autriche, Finlande et Norvège. Il est permis ailleurs, sa présence (et celle des autres additifs et colorants) devant être mentionnée sur les étiquetages. Cependant, des produits peuvent échapper à cette règle en particulier les friandises colorées vendues en vrac.   Qu’en est-il des autres additifs et colorants ? Toutefois, le rôle des additifs et colorants en général (et celui d’E102 en particulier) a été probablement surestimé comme le suggèrent des données nouvelles. À partir des années 1980, l’épidémie d’allergies alimentaires a commencé et s’est confirmée, et plus grand monde n’a parlé des « allergies aux colorants »b, mis à part des cas survenus dans des circonstances bien particulièresc. Les mécanismes d’action des effets adverses imputables aux additifs et aux colorants sont nombreux. Un mécanisme IgEdépendant est incriminé pour le carmin de cochenille (E 120), les carraghénanes (E 407), la gomme adragante (E 413), le lysosyme (E 1105) et l’annatto (ou rocou)(2,3). On dispose d’études épidémiologiques sur l’intolérance aux additifs et colorants. La prévalence est faible, évaluée entre 0,026 et 0,040 % par Young en population générale au Royaume-Uni(4). En 1994, en Hollande, elle fut estimée à 1,5 %(5). En Allemagne, l’allergie alimentaire IgE et non IgEdépendante a été étudiée par des questionnaires adressés à 13 300 habitants de tous âges de la ville de Berlin. Il y a eu 4 093 réponses (30,8 %), 814 explorations individuelles avec test de provocation en double insu, contrôlé par placebo pour 23 additifs répartis en 13 gélules. Le taux de prévalence fut de 0,18 % pour l’intolérance aux additifs(6). D’autres études donnent des chiffres comparables : pour M.O. Elhkim et coll.(7), la prévalence de l’intolérance à la tartrazine est inférieure à 0,12 % dans la population générale.   La tartrazine, innocente ? Il existe cependant des cas individuels comme, par exemple, celui d’un adolescent âgé de 19 ans qui développa, entre 4 à 8 ans, des épisodes d’anaphylaxie avec angio-oedème du pénis et du scrotum. Ils survenaient à chaque fois, 2 heures après la consommation de thon à l’huile d’olive de diverses firmes(8). Après un intervalle libre de l’âge de 8 à 17 ans, les symptômes devaient réapparaître. Ce patient non atopique n’était pas allergique au poisson (test de provocation oral négatif), ni allergique aux allergènes usuels. Des tests de provocation en double insu, contrôlés par placebo furent alors effectués vis-à-vis de plusieurs additifs, dont la tartrazine, qui donna un résultat positif : urticaire généralisée et angiooedème des lèvres et des bras (mais pas du scrotum !), 2 heures après la prise du colorant(8). La tartrazine a également été incriminée au cours de l’eczéma atopique. En 1989, en Belgique, H.P. Van Bever et coll.(9) ont effectué des tests de provocation en double insu, contrôlés par placebo chez 25 enfants atteints de dermatite atopique sévère : 18 tests (70,8 %) furent positifs pour l’œuf, 12 (50 %) pour le blé, 8 pour le lait de vache (33,3 %), et 8 (33,3 %) pour le soja. Sur 6 tests de provocation envers les additifs alimentaires, la tyramine et l’aspirine, 2 enfants réagirent à la tartrazine, 3 au benzoate de sodium, 2 au glutamate de sodium, 2 au métabisulfite de sodium et 4 à l’aspirine (ce qui fait beaucoup pour 6 enfants…)(9). Par ailleurs, au Royaume-Uni, J. Devlin et T.J. David(10) ont effectué des tests oraux de provocation à la tartrazine à la dose de 50 mg chez 12 enfants âgés de 1 à 16 ans : seul un test fut positif. Il n’existe pas d’autre étude sur le rôle de la tartrazine au cours de l’eczéma atopique. La tartrazine étant incriminée au cours de la rhinite allergique, de l’asthme, de l’urticaire ou de l’intolérance aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, S. Pestana et coll.(11) ont effectué, en 2010, une étude chez 26 patients atteints de ces pathologies en utilisant le test de provocation oral en double insu contrôlé par placebo (35 mg de tartrazine ou de placebo). Tous les tests furent négatifs n’entraînant ou ne précipitant pas le moindre symptôme cutané, respiratoire ou cardiovasculaire(11). Bien qu’un nombre plus important de sujets aurait été nécessaire pour détecter des changements mineurs ou modérés, ces résultats sont cependant en accord avec trois études bien menées disponibles dans la littérature(11). Une métaanalyse de la Cochrane Library consacrée aux effets de l’exclusion de la tartrazine sur les symptômes d’asthme. Parmi 90 abstracts, 18 ont été considérés comme pertinents, 6 ont satisfait aux critères d’inclusion, et seulement 3 permettaient une analyse (ne pouvant cependant être rassemblés pour une métaanalyse). Toutefois, aucun article n’était en faveur d’une amélioration des symptômes d’asthme sous régime d’éviction de la tartrazine. Il est donc impossible de fournir la moindre conclusion en termes de médecine, basée sur les preuves, sur le rôle de la tartrazine dans l’asthme. Il a été indiqué que la tartrazine pouvait être responsable d’intolérances croisées chez les individus atteints d’asthme à l’aspirine. Chez 156 patients atteints d’intolérance à l’aspirine, Allemands, Polonais et Italiens, les tests de provocation en double insu à la tartrazine (25 mg) contrôlés par placebo n’ont été positifs que 4 fois (2,56 %) avec baisse du débit expiratoire de pointe de 25 % (ou davantage) et symptômes respiratoires(13). De plus, 65 patients qui toléraient 25 mg de tartrazine ont pu recevoir 50 à 3 000 mg de tartrazine sans présenter le moindre symptôme(13)… En France, pour M.O. Elhkim et coll.(7), la dose maximale ingérée par les enfants est estimée à 37,2 % de la dose maximale autorisée quotidiennement. Elle serait même bien inférieure autour de 5 %d. En conclusion, et contrairement à des idées reçues, l’ensemble des études disponibles, en particulier l’étude de S. Pestana et coll.(11) qui a motivé cette révision semblent donc, sinon innocenter la tartrazine, au moins minimiser son rôle en pathologiee. Mais autant s’en passer si c’est possible.    Notes : a. Une diète d’exclusion de tous les additifs, des colorants et des salicylés (un millier de substances) fut préconisée en 1973 par Benjamin Feingold (voir : Feingold BF. « The Feingold Cookbook for Hyperactive Children ». New York:Random House, 1979) au cours du syndrome d’hyperactivité de l’enfant, mais ce régime est très controversé (voir : Barrett S. « La diète de Feingold. Bénéfices douteux, risques subtils ». In : http://www.johnweisnagelmd.com/dietefeing.html [consulté le 19 mars 2011]). b. Il existe cependant un important « bruit de fond » sur ce thème dans les discours sur la pollution alimentaire, souvent documentée de façon incertaine. c. Voir les références 2 et 3. d. La consommation moyenne de tartrazine chez les adultes ne représente guère plus de 5 % de la dose journalière admissible (DJA). Chez les enfants, pourtant gros consommateurs de bonbons et de sirops colorés, l'exposition maximale ne dépasse pas 52 % de la DJA, selon Gisèle Kanny. Voir : http://www.bebelotus.fr/Files/colorantl.pdf (consulté lé 20 mars 2011). f. Les réactions à la tartrazine sont devenues rarissimes. Depuis 1993, la banque de données française du Cercle d'investigations cliniques et biologiques en allergologie alimentaire (Cicbaa) n'a recensé qu'un seul cas d'intolérance à la tartrazine sur 1 227 observations d’allergies signalées (soit 0,08 %). Voir : http://www.bebelotus.fr/Files/colorantl.pdf (consulté le 20 mars 2011).

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