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Douleur

Publié le 08 nov 2012Lecture 11 min

Les douleurs myofasciales de l’enfant

B. HORLÉ - Consultation de douleur chronique enfant - CH Brive-La-Gaillarde, C. WOOD - Hôpital Robert Debré - Paris
Même si le terme « douleur myofasciale » est mal connu du monde des pédiatres, il est possible que beaucoup d’entre nous aient été ou soient confrontés tôt ou tard à ce type de douleurs chez nos petits patients. La douleur myofasciale est une douleur musculo-squelettique qui apparaît dans les suites d’une surcharge de travail musculaire, soit par sollicitation excessive, soit par traumatisme musculaire. L’événement à l’origine de cette surcharge musculaire peut être aussi banal que la prise d’une mauvaise posture, mais peut aussi être la conséquence d’un traumatisme grave secondaire à un accident de la voie publique. C’est la surcharge musculaire aiguë et brutale d’un muscle qui l’amène à dépasser ses capacités de résistance, entraîner des lésions et, au final, faire mal. Plus le muscle est entraîné, plus il est protégé et plus la surcharge doit être importante pour entraîner des lésions. Moins un muscle est entraîné, plus il s’expose à des lésions, même avec des « petites » surcharges (1,2).
Examen clinique Cliniquement, l’enfant se présente avec une douleur. Cette dernière est le plus souvent localisée, rarement diffuse. Les douleurs myofasciales surviennent au niveau des muscles striés, le plus souvent au niveau des membres inférieurs ou du dos. ● L’interrogatoire permet de préciser : – depuis quand l’enfant a mal (douleur aiguë ou chronique ?) ; – comment la douleur a commencé (les circonstances d’apparition ?) ; – à quel moment l’enfant a mal ? (préciser le caractère mécanique, inflammatoire ou constant de la douleur) ; – qu’est-ce qui augmente ou soulage la douleur ? (le mouvement, le repos ; le froid, le chaud ?) ; – où est située la douleur ? (grâce à un schéma l’enfant localise la douleur [figure 1]).   Figure 1. Où se situe la douleur ? Cela peut donner une orientation anatomique du muscle touché, de sa fonction et permet de déterminer par la suite quel type de mouvement (stretching-étirement) est indiqué ou, au contraire, contre-indiqué dans la prise en charge thérapeutique ; – quelle est l’intensité de cette douleur ? (à l’aide des échelles) ; – comment s’exprime-t-elle ? (mots adaptés à son âge) ; – est-ce que la douleur a un impact sur son sommeil ? – est-ce que l’enfant se sent actuellement stressé, soucieux ? (le stress majore la douleur) ; – et surtout, prendre le temps d’écouter l’enfant parler de son symptôme, mais aussi de sa vie. ● L’examen clinique doit être le plus complet possible et inclure l’examen des muscles. La palpation des muscles retrouve une bande musculaire tendue, facilement localisable dans laquelle on trouve ce que nous appelons banalement un « noeud » ou une « nouure ». En fait, il s’agit du point gâchette ou « trigger point » qui est une des caractéristiques de la douleur myofasciale. La pression manuelle sur ce point déclenche soit une douleur locale, soit une douleur à distance dans une ou plusieurs zones référées, caractéristiques du muscle concerné. C’est d’ailleurs souvent de cette douleur référée dont se plaignent les patients. Le diagnostic de douleur myofasciale repose sur la mise en évidence d’un point gâchette à la palpation des muscles. Prenons l’exemple du muscle trapèze. Dans les suites d’une chute ou d’un accident, les points gâchettes pd 2, 3, 4 ou 5 (figure 2) peuvent être activés. Cliniquement, cela peut se traduire par des douleurs à distance de type céphalées occipitales, douleurs supra- ou interscapulaires. Comme nous venons de le voir, le diagnostic de douleur myofasciale est surtout un diagnostic clinique. Les examens paracliniques, souvent faits pour écarter d’autres diagnostics, sont normaux (notamment les dosages des enzymes musculaires). Les taux d’enzymes musculaires (CPK et LDH) sont normaux dans les douleurs myofasciales. Figure 2. Points déclenchants du muscle trapèze et zones douloureuses repérées (d’après J.G. Travell(2)). Ce diagnostic différentiel se pose avec d’autres tableaux douloureux musculo-squelettiques qui sont les suivants : ● Les myopathies génétiques (ex. myopathie de Duchenne) ou auto-immunes (dermato- ou polymyosite). Cliniquement, elles se présentent plutôt avec une faiblesse musculaire, la plainte douloureuse étant au second plan. Le dosage des enzymes musculaires créatine-phosphokinase (CPK) et la lactico-déhydrogénase (LDH) sont élevés dans les myosites. Dans la douleur myofasciale, la douleur est la plainte principale, avec un taux normal des enzymes musculaires. ● Les myalgies, surtout virales, sont des douleurs diffuses au niveau de plusieurs muscles chez un patient le plus souvent fébrile. Dans la douleur myofasciale, la douleur est le plus souvent localisée et il n’y a pas de fièvre. ● Une douleur d’arthrite pour laquelle on cherchera des signes spécifiques d’une pathologie rhumatismale ou des points gâchettes d’une douleur myofasciale. ● Une tendinite ou une bursite : certaines douleurs myofasciales peuvent donner une sensibilité référée dans des régions où se situent des tendons ou des bourses séreuses. C’est la douleur associée à la présence d’une inflammation qui peut évoquer le diagnostic de tendinite ou de bursite. ● Les « douleurs de croissance » : elles concernent les enfants jeunes, âgés de 3 à 6 ans. Il s’agit de douleurs musculaires voire osseuses, localisées aux membres inférieurs, survenant la nuit et pouvant réveiller l’enfant. Les accès sont habituellement de courte durée (15-30 minutes). Ces douleurs, sans être la conséquence directe de la croissance staturale de l’enfant, surviennent au décours de cette dernière. Elles peuvent être la conséquence directe d’un manque d’entraînement physique régulier ou, au contraire, survenir après un entraînement physique intense, irrégulier. Dans les deux cas, il y a une atteinte de la masse musculaire qui est faible et mal entretenue physiquement. Cela s’accompagne parfois d’une densité osseuse plus basse que la norme habituelle. Enfin, comme dans beaucoup de tableaux algiques chroniques, cela peut être en rapport avec un seuil douloureux diminué. ● La fibromyalgie : elle se présente comme un tableau douloureux musculo-squelettique diffus et chronique. Elle peut être associée à d’autres tableaux douloureux (céphalées de tension, douleurs abdominales, etc.). Ici, le patient présente un grand nombre de points gâchettes(3).   La recherche de facteurs favorisants Cette pathologie musculaire étant peu connue des médecins (les muscles n’étant pas toujours examinés par les praticiens), le diagnostic de douleurs myofasciales est souvent fait à un stade chronique. Mais il arrive également, que l’enfant reste algique, la douleur « se chronicise » malgré un diagnostic initial bien posé. Cela est souvent dû à des facteurs favorisant la chronicisation, qui sont à rechercher même à la phase aiguë, et dont il faut tenir impérativement compte dans la prise en charge afin de tenter d’éviter une éventuelle chronicisation de la douleur (encadré). Des facteurs favorisant la chronicisation de la douleur sont à rechercher.   Prise en charge et traitement Ce type de pathologie ne peut être prise en charge, qu’en adoptant une approche globale du patient, associant des thérapeutiques médicamenteuses et complémentaires, ainsi qu’une éducation thérapeutique de l’enfant, de sa famille et au cas par cas des professionnels de santé qui interviennent dans la prise en charge.   Traitements médicamenteux Les traitements médicamenteux comportent : ● les antalgiques non opioïdes, prescrits en monothérapie ou en association : – le paracétamol, de préférence par voie orale, à la dose de 15 mg/kg/6 h (la voie rectale n’est plus recommandée en raison de sa faible biodisponibilité et de son délai d’action qui est de 2-3 h) ; – l’ibuprofène à la dose de 10 mg/ kg/8 h ou de 7,5 mg/kg/6 h ; – le kétoprofène à la dose de 1 mg/kg/j peut probablement être utilisé hors AMM avant 1 an ; – l’acide niflumique par voie rectale n’est plus recommandée en raison d’une faible biodisponibilité. ● les antalgiques opioïdes faibles La codéine à la dose de 1 mg/ kg/6 h. En raison d’un polymorphisme génétique, son efficacité est diminuée chez 35 % des enfants et de ce fait, il est conseillé de l’associer au paracétamol ou à l’ibuprofène. Le tramadol, à la dose de 1-2 mg/kg/6-8 h, peut être une alternative thérapeutique aux AINS ou à la morphine. ● Les antidépresseurs tricycliques Dans certains cas, la douleur myofasciale peut se présenter avec une composante neuropathique, avec des picotements, fourmillements. Cette dernière est secondaire à une compression d’une fibre nerveuse à l’intérieur de la bande musculaire tendue. Dans ce cas, la prescription d’un antidépresseur tricyclique peut être indiquée. Chez l’enfant, on utilisera l’amitriptyline prescrit le soir à une dose qui augmente progressivement de 0,3-1 mg/kg/ soir. Ce médicament a un délai d’action long de 7-10 jours, et l’enfant et sa famille doivent être prévenus que son efficacité sera retardée. ● L’injection d’anesthésique local dans le « point gâchette » préalablement repéré. On injecte de la xylocaïne 0,5-1 % par intermédiaire d’une aiguille de 22-G. Il s’agit d’un traitement efficace qui amène rapidement une disparition de la douleur référée et du point sensible. C’est également un test diagnostique. Les seules contre-indications sont les troubles d’hémostase sévères connus ou un traitement par anticoagulants( 1,5). Les traitements médicamenteux sont destinés à faire diminuer la douleur et à aider l’enfant à se mettre en mouvement, à bouger. Le repos, voire le fauteuil roulant sont à proscrire dans le cadre des douleurs myofasciales. Une masse musculaire sous-entraînée, en partie déjà responsable de la douleur, continuera à s’affaiblir et ne fera qu’aggraver la douleur.   Autres traitements Aux thérapeutiques médicamenteux, on associe également les traitements complémentaires, aussi appelés non médicamenteux : ● Les thérapeutiques physiques : – la thermothérapie chaud-froid par application de chaleur qui entraînera une détente musculaire ; – la neurostimulation transcutanée externe (TENS), utilisable dès 6-8 ans, le plus souvent sur la région douloureuse, ou le trajet du muscle. L’enfant peut utiliser l’appareil 3 à 4 heures, 3 à 4 fois par jour. Il choisit le programme qui lui convient : soit des stimulations non douloureuses, soit des massages, soit des stimulations de type acupunctural. Cette technique peut bien soulager l’enfant qui devient moins dépendant des prises médicamenteuses. ● Les thérapeutiques manuelles corporelles : – la kinésithérapie est un moyen thérapeutique efficace et intéressant par les techniques de stretching ou d’étirements musculaires. Dans ce contexte, le kinésithérapeute est un véritable « coach » qui montre à l’enfant et à ses parents les exercices à faire à domicile. Il fixera également le rythme et la durée journalière de ces derniers ; – l’ostéopathie peut avoir un intérêt, notamment s’il s’agit de douleurs myofasciales localisées au niveau du dos ; – l’acupuncture a montré son efficacité dans les syndromes douloureux musculaires comme, par exemple, la fibromyalgie ou les douleurs myofasciales. – le toucher-massage est un excellent moyen pour détendre les muscles douloureux. ● Les thérapeutiques cognitivo- comportementales : – la relaxation permet à l’enfant de « décontracter » les muscles grâce à un apprentissage progressif ; – l’hypnose est un outil intéressant, non seulement pour faire diminuer la sensation douloureuse mais aussi pour apprendre à l’enfant à détendre ses muscles. ● Les approches globales « corps-esprit » comme le yoga : des études démontrent qu’une pratique régulière, dans le cadre de douleurs musculaires, a un impact positif au niveau de la douleur. ● La psychothérapie Dans le cadre d’une douleur chronique, l’avis d’un(e) psychologue peut être indiqué. Si une prise en charge s’avère nécessaire, cette dernière peut se faire sous forme de psychothérapie individuelle ou familiale (1,6,7).   L’éducation thérapeutique de l’enfant et de ses parents Une explication du diagnostic doit être faite à l’enfant et à sa famille, en « démystifiant » la douleur. Cela s’avère d’autant plus important que l’enfant a souvent passé des examens paracliniques qui se sont révélés normaux. L’utilisation de dessins ou de livres (comme par exemple Douleurs et troubles fonctionnels et myofasciaux de J.G. Travell(2)) permet de voir les muscles atteints et de mieux expliquer la douleur. Dans le cadre d’une douleur chronique, il est essentiel que les parents sachent gérer la douleur et les traitements de leur enfant, mais aussi leurs propres angoisses, doutes et limites. Nous savons également à quel point trop d’empathie peut avoir un impact négatif sur l’intensité de la douleur et son vécu (1,8).   En conclusion Les douleurs myofasciales de l’enfant sont fréquentes. La prise en charge doit être globale en tenant compte des aspects somatiques de la douleur, de l’état psychique et émotionnel de l’enfant, ainsi que son environnement familial et socio-scolaire. Ceci s’avère d’autant plus important que le diagnostic est souvent fait à un stade chronique de l’évolution.

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