publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Douleur

Publié le 13 déc 2017Lecture 7 min

Le tramadol sous surveillance des pédiatres

Hélène CHAPPUY, Urgences pédiatriques, hôpital Armand Trousseau, Paris ; Université Pierre et Marie Curie, Paris

Comme alternative à la codéine pour les plus jeunes, la HAS recommande depuis janvier 2016 d’utiliser le tramadol chez l’enfant de plus de 3 ans dans certaines situations cliniques de prise en charge d’une douleur intense d’emblée ou en cas d’échec du paracétamol et de l’ibuprofène(1). Mais il existe pour le tramadol comme pour tout médicament des effets indésirables, ainsi que d’autres risques qui sont décrits dans cet article.

Le soulagement de la douleur aiguë chez les enfants est une obligation pour tous les soignants et représente une part importante des soins au quotidien. La douleur est un motif fréquent de consultation pour laquelle plusieurs options existent en termes d’analgésie et notamment les opioïdes. Suite aux alertes de la Food and Drug Administration (FDA), du Pharmacovigilance Risk Assessment Committee (PRAC) et de la publication de 10 cas d’enfants décédés entre 1969 et 2012, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a recommandé dans un communiqué du 12 avril 2013(2) : – de n’utiliser la codéine chez l’enfant de plus de 12 ans qu’après échec du paracétamol et/ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ; – de ne plus utiliser ce produit chez les enfants âgés de moins de 12 ans ; – de ne plus utiliser ce produit après amygdalectomie ou adénoïdectomie (du fait du facteur aggravant du syndrome d’apnée obstructif du sommeil) ; – de ne plus utiliser ce produit chez la femme qui allaite. Le tramadol chez les plus jeunes comme alternative à la codéine ne met pas à l’abri des complications et autres risques décrits ici. Effets indésirables et variabilité individuelle Le tramadol agit comme agoniste des récepteurs morphiniques mais aussi comme inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. La naloxone est efficace sur les effets indésirables de type morphinique. La fré- quence des effets indésirables est variable. Les plus habituels sont les nausées et les vomissements, la sensation vertigineuse, une pseudo-ébriété et une somnolence. Les effets sérotoninergiques peuvent être une tachycardie, une hypertension artérielle (HTA), une diarrhée, une agitation, une insomnie, des hallucinations, des sueurs, une hyperthermie et des myoclonies(3). Les principales contre-indications du tramadol sont l’insuffisance rénale sévère, l’insuffisance hépatique sévère, l’hypersensibilité au tramadol et une épilepsie non contrôlée. Cependant, le tramadol est une prodrogue qui est métabolisée par les enzymes CYP2D6 et CYP3A4 du cytochrome P450 en métabolite au pouvoir opioïde plus efficace, en particulier le O-déméthylation M1. Le métabolisme du tramadol suit en partie la même voie que la codéine par le CYP2D6 et des événements indésirables graves peuvent survenir (dépression respiratoire, convulsions, collapsus)(4). Chez l’enfant, l’équipe de G. Orliaguet a rapporté en 2015 le cas d’une dépression respiratoire(5). Il s’agit d’un garçon âgé de 5,5 ans qui recevait du tramadol en post-opératoire ORL. Il a été pris en charge en urgence à J1 post-opératoire car il avait un score de Glasgow égal à 8, un myosis, une bradypnée/apnée, une SaO2 égale à 48 %. Les gaz du sang ont montré un pH à 7,06. Cet enfant s’est révélé être un métaboliseur ultrarapide. En raison de ce polymorphisme génétique, de 9 cas de dépression respiratoire grave (incluant celui décrit plus haut) dont trois décès de janvier 1969 à mars 2016 chez des enfants recevant du tramadol, la FDA a restreint en avril 2017 l’utilisation du tramadol chez les enfants âgés de plus de 12 ans et conseillent aux mères qui allaitent de ne pas en prendre en raison d’une dépression respiratoire potentiellement mortelle chez l’enfant allaité(6). Le surdosage accidentel Le tramadol existe sous forme de suspension buvable. Sa posologie est de 1 à 2 mg/kg/prise, 3 à 4 fois/j sans dépasser 8 mg/kg/j. La concentration de la solution buvable est de 100 mg/ml. Le flacon contient 10 ml, soit 1 g de tramadol par flacon. L’ANSM a été destinataire de signalements graves d’erreurs médicamenteuses chez l’enfant, pouvant être d’évolution fatale, concernant le tramadol en solution buvable. Ces erreurs ayant conduit à un surdosage étaient principalement liées à un manque d’information ou à des incompréhensions de la posologie. Dans ce contexte, l’ANSM a alerté le 16 juin 2016 sur ce risque d’erreur et a rappelé aux professionnels de santé l’importance d’une posologie claire et aux parents l’importance du respect strict de la prescription du médecin. Dans le contexte d’un surdosage, un autre effet indésirable grave du tramadol a été décrit par l’équipe de E. Perdreau(7). Il s’agit d’un enfant âgé de 7 ans sans aucun antécédent. Pris en charge en urgence pour une convulsion généralisée qui a duré 10 minutes suivie d’une détresse respiratoire, l’exploration cardio-respiratoire a mis en évidence un choc cardiogénique avec une FEVG (fraction d’éjection ventriculaire gauche) égale à 30 % et une HTAP (hypertension artérielle pulmonaire). Au domicile, un emballage vide d’1 comprimé de tramadol LP 150 a été retrouvé. Le dosage de la concentration plasmati que du tramadol était égale à 1 000 ng/mL et le métabolite actif du tramadol, le O-desméthyltramadol, avait une concentration égale à 1 500 ng/ml. L’enfant a été pris en charge en réanimation et a retrouvé une fonction du VG normale à J2. Son IRM cardiaque était normale à J3, de même que l’échographie cardiaque de contrôle à 6 mois. Le surdosage volontaire : un phénomène mondial Dans son rapport de l’Expert Committee on Drug Dependence en juin 2014, l’OMS décrit des intoxications aux doses supra-thérapeutiques, et rarement aux doses thérapeutiques à type de dépression du système nerveux central (SNC) : coma, tachycardie, collapsus cardiovasculaire, convulsions, dépression respiratoire, arrêt respiratoire mais aussi des intoxications fatales rares (surdosage élevé ± autre substance)(8). L’OMS décrit des abus de tramadol, notamment dans certains pays (Afrique, Asie occidentale, Égypte, Gaza, Jordanie, Liban, Libye, Maurice, Arabie saoudite) pour des effets souhaités similaires à d’autres opiacés : recherche d’un bien- être, d’un effet plaisant, euphorisant ou stimulant. L’OMS rappelle également dans son rapport que le tramadol est disponible via Internet sans ordonnance. En France, dans son bulletin de février 2017, l’ANSM écrit « qu’en raison de l’augmentation des signalements des cas d’abus, de dépendance et de mésusage au réseau des Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP), un suivi national d’addictovigilance des spécialités renfermant du tramadol a été ouvert en 2010. Depuis 2013, il a été observé une augmentation de l’usage détourné du tramadol, bien que ce dernier soit majoritairement obtenu sur prescription médicale. Dans l’enquête Décès Toxiques par Antalgiques (DTA) 2014, le tramadol est impliqué dans 48 % des décès (32 décès dont 6 où le tramadol est la seule substance en cause). Le tramadol est la première substance active retrouvée dans les décès, devant la morphine ». Ces données concernent majoritairement les adultes, mais ces abus touchent aussi les adolescents. Dans une étude iranienne décrivant les intoxications au tramadol, sur les 114 patients admis d’avril à mai 2007, 38 % d’entre eux étaient âgés de 12 à 20 ans(9). Aux États-Unis, à l’aide du Système de surveillance de la toxicomanie (RADARS®), 16 209 expositions intentionnelles chez des adolescents ont été identifiées entre 2007 et 2009, dont 68 % aux opioïdes et 32 % aux stimulants(10). Les cinq drogues les plus fréquemment retrouvées étaient l’hydrocodone (32 %), les amphétamines (18 %), l’oxycodone (15 %), le méthylphénidate (14 %) et le tramadol (11 %). Une autre équipe américaine rapporte en 2016 les résultats de leur travail issu d’une base de données reprenant les dossiers médicaux des patients âgés de 1 à 19 ans ayant été hospitalisés pour des intoxications aux opioïdes entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2012(11). Ils ont identifié 13 052 dossiers médicaux. Comme le montre la figure, les hospitalisations ont augmenté dans tous les groupes d’âge entre 1997 et 2012, et les jeunes enfants et les adolescents étaient les plus vulné- rables aux risques d’exposition aux opioïdes. Figure 1. Estimation de l'impact aux États-Unis des hospitalisations des enfants pour prescription d'opioïdes par catégories d'âge de 1997 à 2012, d’après J. Galther, JAMA Pediatrics 2016(11). Conclusion Le tramadol a des effets indésirables non négligeables. Il existe aussi une variabilité interindividuelle par polymorphisme génétique du CYP2D6 comme la codéine. Par ailleurs, le problème d’intoxication touche le nourrisson par ingestion accidentelle mais aussi les adolescents que ce soit à visée « récréative » ou pour une tentative d’autolyse. Nous pouvons dire que le tramadol n’est très probablement pas une alternative sûre à la codéine. Il est important de conjuguer un équilibre entre les problèmes liés à la prescription du tramadol et le traitement de la douleur qui doit rester un souci permanent. Afin de limiter le risque de surdosage chez le plus jeune, il faut prévoir des stratégies qui améliorent le stockage et l’emballage du tramadol. Une communication auprès des médecins, dentistes, pharmaciens est nécessaire, afin de rappeler que la prescription du tramadol doit se faire de manière raisonnée.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  •  
  • 1 sur 4

Vidéo sur le même thème