Publié le 31 mai 2025Lecture 7 min
Quand évoquer une infection ostéo-articulaire chez l’enfant ?
Catherine FABER, Saint-Mandé

La physiopathologie et les présentations cliniques des infections ostéo-articulaires pédiatriques sont largement décrites. Cependant, dans la pratique en vie réelle, on part d’un signe d’appel et on en recherche d’autres pour arriver au diagnostic. Ces infections constituent une urgence diagnostique et thérapeutique.
Les infections osseuses et/ou articulaires de l’enfant sont des infections bactériennes disséminées par voie hématogène. Les ostéomyélites touchent préférentiellement certaines zones, à savoir les extrémités métaphysaires des os longs (« près du genou et loin du coude ») et les arthrites touchent les articulations. Il s’agit de zones richement vascularisées, au niveau desquelles la multiplication des germes est favorisée par le ralentissement du flux vasculaire. Les germes impliqués dans les infections ostéo-articulaires (IOA) dépendent de l’âge. Chez les nouveau-nés et les nourrissons, les principaux germes sont ceux des infections maternofœtales ou nosocomiales tels que Staphylococcus aureus, Escherichia coli et le streptocoque B. Chez les moins de 3 ans, le plus fréquemment en cause est Kingella kingae, un cocci Gram négatif dont la croissance est lente. Après l’âge de 3 ans, S. aureus apparaît comme le germe majoritaire. Une salmonelle doit être évoquée chez les enfants drépanocytaires.
La porte d’entrée du germe n’est identifiée que dans 50 % des cas. On retrouve alors le plus souvent un épisode infectieux de la sphère ORL dans les 10 à 15 jours précédents. La contamination se fait parfois par voie cutanée, par inoculation directe ou à l’occasion d’un traumatisme. La porte d’entrée peut aussi être digestive ou urinaire. Elle doit être recherchée systématiquement.
Des tableaux cliniques variés
Les IOA se manifestent par des tableaux cliniques variés. L’ostéomyélite, une infection de l’os principalement du fémur et du tibia, peut être aiguë, subaiguë ou chronique. Elle est caractérisée sur le plan physiopathologique par le développement d’un œdème intra-osseux, puis une diffusion de l’infection métaphysaire vers le cartilage de croissance et l’épiphyse. Si elle n’est pas traitée ou si son traitement n’est pas optimal, elle progresse, entraînant un décollement du périoste – très épais chez l’enfant – et la formation d’un abcès sous-périosté. À un stade plus tardif, on observe une nécrose osseuse et la formation de séquestre. L’infection peut aussi diffuser au niveau de l’articulation et entraîner une arthrite de contiguïté.
L’arthrite est une infection de l’articulation. Elle part de la synoviale, s’étend à toute l’articulation, avec constitution d’un épanchement intra-articulaire.
Dans la spondylodiscite, l’infection débute au niveau des plateaux vertébraux, s’étend vers le disque intervertébral et jusqu’à la vertèbre adjacente. On peut constater une atteinte en miroir des plateaux vertébraux. L’ostéoarthrite du nouveau-né est un tableau particulier. Dans cette population d’enfants, il n’y a pas d’ostéomyélite car les métaphyses sont intra-articulaires.
Les éléments d’orientation diagnostique
L’impotence fonctionnelle, la fièvre et le syndrome inflammatoire sont les principaux éléments à rechercher lors de la consultation pour une suspicion d’IOA. Ces infections touchent beaucoup plus souvent les membres inférieurs que les membres supérieurs. L’enfant peut présenter une boiterie douloureuse, une attitude pseudoparalytique. La présence d’un signe du pot (refus de maintenir la position assise) évoque une atteinte du rachis. La première question à poser est de savoir si l’impotence fonctionnelle est survenue au décours d’un traumatisme, par exemple, après une chute ou une bagarre. Cependant, même si un traumatisme antérieur est mis en évidence, il reste essentiel d’éliminer l’urgence représentée par l’infection.
Le diagnostic d’IOA est évoqué devant une impotence fonctionnelle avec refus d’appui, boiterie d’esquive, marche sur le bord externe du pied, diminution des mouvements actifs spontanés, associée à une douleur, en l’absence de traumatisme évident et important. Le tableau clinique est plutôt frustre en cas d’infection à K. kingae et bruyant lorsque le germe responsable est S. aureus. Dans les IOA dues à un staphylocoque doré sécréteur de la toxine de Panton-Valentine, il est particulièrement sévère avec un sepsis majeur clinique et biologique, et possiblement une atteinte pluriarticulaire, ainsi que des abcès sous-périostés, musculaires, pariétaux. Devant cette présentation chez un grand enfant très fébrile, il est important d’y penser et de rechercher la toxine par PCR.
Examens clinique et complémentaires
L’examen clinique évalue l’état de l’articulation, les mobilités articulaires et recherche un épanchement intra-articulaire (signe du glaçon au niveau du genou) et des signes d’inflammation locale ou locorégionale. Ces données permettent d’orienter vers une arthrite ou une ostéomyélite. Il met en évidence un épanchement et une limitation des mobilités articulaires uniquement en cas d’arthrite. Une douleur provoquée par la palpation des métaphyses des os longs est évocatrice d’une ostéomyélite. Une articulation enflée, rouge et chaude témoigne d’un syndrome inflammatoire. L’examen clinique inclut la palpation des aires ganglionnaires sous-jacentes. La présence d’une fièvre a une forte valeur prédictive positive, mais elle est inconstante et le plus souvent modérée. Il faut également vérifier qu’il n’y a pas d’autres points d’appel d’une infection ORL, digestive, urinaire ou cutanée, et rechercher des comorbidités et un terrain favorisant comme la drépanocytose.
Dans l’ostéomyélite subaiguë, définie par une durée d’évolution de plusieurs semaines, la douleur est modérée et il n’y a pas de syndrome inflammatoire clinique franc. La spondylodiscite est responsable d’une impotence fonctionnelle douloureuse. Dans la majorité des cas, la fièvre et le syndrome inflammatoire biologique sont absents. L’ostéo-arthrite du nouveau-né s’accompagne d’un épanchement intra-articulaire donc d’une limitation de la mobilité articulaire, et la mobilisation des articulations est douloureuse. Cette IOA localisée essentiellement à la hanche peut passer inaperçue, d’où un retard diagnostique.
Le bilan complémentaire vient étayer le diagnostic d’IOA. Les examens biologiques recherchent un syndrome inflammatoire attesté par une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles et une élévation de la CRP (> 5 mg/dl), du fibrinogène et des plaquettes. Des hémocultures sont réalisées en cas de fièvre. Fréquemment utilisée il y a quelques décennies, la culture sur ponction métaphysaire n’est plus d’actualité. Les examens d’imagerie permettent d’objectiver un épanchement articulaire (échographie), de rechercher d’éventuelles complications et d’éliminer les diagnostics différentiels. Au cours de l’ostéomyélite subaiguë, la biologie est souvent normale et la radiographie peut être normale ou montrer une géode métaphysaire.
Quels diagnostics différentiels ?
Chez les enfants entre 3 et 8 ans, les diagnostics différentiels à évoquer sont le rhume de hanche (synovite aiguë transitoire) et l’ostéochondrite fémorale supérieure. Ces deux pathologies ont une présentation initiale à peu près similaire. Elles se caractérisent par l’absence de fièvre et de syndrome inflammatoire biologique. Un épanchement de hanche est systématiquement présent dans le rhume de hanche. Son évolution spontanée est favorable avec un repos et sans traitement. Les signes radiologiques de l’ostéochondrite fémorale supérieure dépendent de son évolution qui est plus lente que celle du rhume de hanche. Des auteurs ont proposé un algorithme pour différencier arthrite et rhume de hanche chez l’enfant(1). Cet outil a été élaboré à partir des critères suivants : une fièvre, un refus d’appui, une vitesse de sédimentation d’au moins 40 mm/h et un taux de globules blancs supérieur à 12 000/mm3. La probabilité d’avoir une arthrite augmente avec le nombre de critères présents. Elle atteint 99,6 % lorsque les quatre sont positifs. La fracture en motte de beurre ou le plus souvent en cheveux surviennent à tout âge, mais plus volontiers chez les jeunes enfants. Il n’existe pas de fièvre ni de syndrome inflammatoire. La radiographie initiale est souvent normale. Pour affirmer le diagnostic, il peut donc être nécessaire de la répéter ou de s’aider d’autres examens d’imagerie. Ce type de fracture évolue favorablement au bout de 10 jours. Une tumeur ou une hémopathie peut aussi apparaître à tout âge. Le diagnostic repose sur la biologie, l’imagerie et l’analyse cytologique.
Deux autres diagnostics différentiels doivent être envisagés : l’ostéomyélite chronique multifocale récurrente et l’arthrite inflammatoire. Ces maladies inflammatoires affectent avec prédilection le grand enfant et l’adolescent. Leur tableau clinique comporte souvent une fébricule. La recherche d’antécédents autoimmuns familiaux fait partie de la démarche diagnostique. L’évolution et la biologie spécifique, et surtout l’absence d’identification de germes en cas de geste chirurgical et l’échec d’un traitement antibactérien, aident à poser le diagnostic. À noter qu’il n’y a pas de tendinite chez l’enfant ni chez l’adolescent. Il faut aussi toujours garder à l’esprit la possibilité de douleurs de hanche projetées au genou. En cas de doute sur le diagnostic, le patient devra être revu et bénéficier d’un contrôle clinicobiologique et échographique à 48 h, selon la fiabilité parentale.
Le rôle de l’orthopédiste
Les IOA nécessitent un diagnostic et un traitement urgents. Leur prise en charge est médicale et/ou chirurgicale. Le risque de complications est réel. Une altération de plus de 30 à 50 % de la physe peut en effet provoquer un trouble de croissance. Cette épiphysiodèse a pour conséquences une inégalité de longueur et des déformations d’axe des membres inférieurs (déviation en varus ou en valgus). Le traitement des IOA de l’enfant est du ressort de l’orthopédiste. De même, la surveillance des complications et la correction d’axe et de longueur relèvent de la spécialité orthopédique.
D’après la communication d’Alexandra Alves (service de chirurgie orthopédique et réparatrice de l’enfant, hôpital Armand-Trousseau, Paris) lors des 29es Rencontres de Pédiatrie Pratique, janvier 2025
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