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Environnement

Publié le 08 jan 2024Lecture 11 min

Changements environnementaux et asthme de l’enfant : des raisons de s’inquiéter

Flore AMAT, service de pneumologie, allergologie et CRCM pédiatriques, hôpital Robert-Debré, Paris

Le réchauffement climatique, longtemps nié par certains, est bien là et ses conséquences sur la santé sont inquiétantes pour l’enfant. Il est lui-même en rapport avec l’augmentation des gaz à effets de serre dont l’impact sur les êtres vivants est déjà mesurable. L’enfant, dont l’organisme est en pleine maturation, est particulièrement sensible, notamment pendant les deux premières années de croissance qui sont essentielles à son statut immunitaire. C’est à cette période de la vie qu’il est le plus vulnérable aux conditions environnementaux capables de faire évoluer son profil immunologique en faveur d’un statut allergique. Parmi les nombreuses théories expliquant l’augmentation de fréquence des maladies allergiques, la perte de la biodiversité, pourrait, en modifiant notre microbiome, être une des explications de ce constat. Les soignants peuvent proposer des solutions pour s’adapter à ce nouveau monde et essayer d’inverser la tendance par des pratiques raisonnées.

L’hypothèse de la perte de la biodiversité   L’hypothèse de la biodiversité affirme que le contact avec les milieux naturels enrichit le microbiome humain, favorise l’équilibre immunitaire et protège des allergies et des maladies inflammatoires. Ce concept est plus large que celui de la théorie hygiéniste qui soutenait que le manque de proximité avec les agents infectieux dans les premières années de vie favorise une polarisation immunitaire vers un profil allergique. Elle se basait, en grande partie, sur la comparaison de la fréquence des maladies allergiques particulièrement basse dans des communautés ayant un mode de vie rural (fermes en Allemagne et Suède) ou archaïques (communauté Amish aux États-Unis). Le concept d’exposome (figure 1) couvre toutes les expositions environnementales tout au long de la vie d’un individu. Ces expositions peuvent être regroupées en trois catégories : l’environnement externe général (climat, biodiversité, environnement urbain, facteurs sociaux et économiques), l’environnement externe spécifique (allergènes, microbes, alimentation, tabac, polluants et substances toxiques) et l’environnement interne dépendant de l’hôte (facteurs métaboliques, inflammation et stress oxydatif, épigénétique, etc.). Figure 1. Notion d’exposome.   Après la révolution industrielle du XIXe siècle, les gaz à effet de serre ont considérablement augmenté (tableau 1). Ceux-ci contribuent au réchauffement climatique et à la perte de biodiversité non seulement dans le microbiote humain mais aussi dans l’écosystème. *Le potentiel du changement réchauffement global (PRG) d’un gaz est sa capacité à garder la chaleur dans l’atmosphère pendant une période de temps déterminée. Le CO2 a reçu la valeur de 1. On convertit le potentiel de réchauffement de chaque gaz en équivalent CO2 sur une période de 100 ans (période de référence utilisée par le GIEC).   Quels polluants et quels risques pour la santé des enfants ?   L’agression de la barrière épithéliale a été récemment proposée pour expliquer l’effet néfaste de tous ces facteurs sur la santé humaine. Elle attribue l’initiation d’une inflammation péri-épithéliale causée par ces substances aux barrières épithéliales de la peau, aux voies respiratoires et gastro-intestinales. Il existe une longue liste de substances toxiques qui endommagent directement ces épithélia (tableau 2). COV : composés organiques volatils, NOx : composés nitrés, métaux lourds : arsenic, cadmium , plomb, zinc, nickel.   Les particules fines (PM2,5 et PM10), présentes dans l’air inhalé, dont les concentrations en France dépassent souvent les seuils autorisés, sont capables de dégrader les protéines de jonction serrée et les protéines structurelles (cytokératine, filaggrine), de provoquer une augmentation de la perméabilité de la membrane lysosomale, et une méthylation de FOXP3 (modulateur du développement et de la fonction des lymphocytes T régulateurs [Treg]). Le carbone noir produit par la combustion incomplète du carburant (gasoil des véhicules diesel, fioul) et du bois (chauffage, feu de forêt, procédés industriels) est un composant important de la pollution atmosphérique. L’usure des pneumatiques est également responsable de leur émission puisqu’il rentre dans leur fabrication. De nombreuses études ont montré une relation entre l’exposition au carbone noir et le risque de développer de l’asthme, et de favoriser le développement de la réaction allergique en augmentant le stress oxydatif et en induisant l’expression de l’interleukine IL-1β dans les cellules épithéliales nasales humaines. Un polluant important lié à la circulation, le NO2, peut pénétrer profondément et perturber les barrières épithéliales des voies respiratoires supérieures et inférieures, et augmenter le risque de développer des maladies respiratoires. Les nanoparticules traversent la membrane alvéolo-capillaire et peuvent gagner la circulation systémique. Elles stimulent directement les cellules épithéliales, les macrophages et les fibroblastes pour qu’ils sécrètent des médiateurs pro-inflammatoires et profibrotiques. L’exposition aiguë à l’ozone peut aggraver les maladies respiratoires en entraînant un stress cellulaire, une desquamation et la mort cellulaire par dommages oxydatifs. En cas d’exposition chronique, l’ozone induit un dépôt de collagène dans les zones épithéliales et sous-épithéliales, provoquant une fibrose péribronchique. Il existe de nombreuses études in vivo et ex vivo démontrant les risques pour la santé du tabagisme et des cigarettes électroniques. Les substances chimiques toxiques présentes sont responsables d’une peroxydation lipidique rapide, de la mort des cellules épithéliales des voies respiratoires, d’une altération des fonctions des macrophages. Le contact direct ou l’inhalation de détergents perturbent les barrières épithéliales de la peau et des voies respiratoires, même à très hautes dilutions ou au contact des résidus restant sur le linge après rinçage. Les tensioactifs endommagent directement l’intégrité de la barrière épithéliale en agressant les jonctions serrées, facilitant la perte d’eau transépidermique, diminuant l’hydratation de la couche cornée et induisant une inflammation Th2. Il a été démontré que les émulsifiants alimentaires modifient la composition du microbiote intestinal en favorisant les bactéries à potentiel inflammatoire et facilitent la pénétration bactérienne à travers la couche de mucus intestinal. Les microplastiques et nanoplastiques, dérivés du pétrole, peuvent facilement infiltrer les tissus et interagir avec les molécules structurelles cellulaires. Les microplastiques ont d’abord été considérés uniquement comme un polluant des océans. Il existe de plus en plus de preuves indiquant des niveaux élevés d’exposition humaine quotidienne aux micro- et nanoplastiques par inhalation et ingestion. Une fois dans notre système respiratoire, les nanoplastiques peuvent modifier la structure de la membrane lipidique cellulaire et les structures secondaires des protéines, réguler positivement les cytokines pro-inflammatoires, modifier l’expression des protéines associées au cycle cellulaire, induire la transcription des gènes inflammatoires et l’apoptose. Enfin, les activités protéases des allergènes aéroportés tels que les moisissures, les pollens, les blattes et les acariens ont des effets néfastes sur les jonctions serrées dans l’épithélium des voies respiratoires. De plus, les cystéines protéases alimentaires altèrent également la barrière intestinale et augmentent la perméabilité intestinale. La perturbation de l’intégrité de la barrière épithéliale facilite la présentation des allergènes et déclenche une inflammation de type 2.   Conséquences du réchauffement climatique sur l’asthme et les maladies allergiques   Les changements majeurs dans les températures terrestres et océaniques entraînent un nombre accru de catastrophes naturelles, telles que les ouragans, les inondations et les incendies exposant les populations vulnérables, dont les enfants et les asthmatiques, à des risques majeurs pour leur santé. En présence de pollution atmosphérique, le pollen peut s’oxyder et se décomposer en plus petites particules, qui sont inhalées. La combinaison de la saison pollinique et des orages est associée à un phénomène connu sous le nom de « thunderstorm asthma ». Ainsi, les orages faisant suite à des périodes d’intense chaleur peuvent concentrer les grains de pollen au niveau du sol et libérer du pollen fractionné, donc inhalable, pendant les 20 à 30 premières minutes. D’autre part, le stress thermique engendré par les vagues de chaleur favorise l’inflammation des voies respiratoires et abaisse leur seuil d’hyperréactivité. Le réchauffement climatique entraîne par ailleurs une augmentation des quantités de pollen et un allongement de la saison pollinique, provoquant une aggravation des symptômes d’asthme et de rhinite allergique chez les patients sensibilisés. Ces pollens, à leur tour, peuvent favoriser l’implantation de virus respiratoires comme les rhinovirus, le VRS et le SARS-CoV2 en diminuant les défenses innées vis-à-vis de ces agents infectieux. Les fortes précipitations suite aux orages et les inondations associées entraînent une majoration des polluants intérieurs, tels que les moisissures, et sont associées à des taux accrus d’asthme chez les enfants. Les incendies de forêt, associés au changement climatique, provoquent des émissions de gaz à effet de serre, des toxines en suspension dans l’air et des niveaux élevés de particules, qui sont tous associés à une augmentation des visites aux urgences pour exacerbations de l’asthme.   Quels leviers en tant que soignant et comment s’adapter?   Engagement en tant que citoyen et soignant Les enfants dépendent des adultes pour les défendre dans les décisions politiques. Un engagement multidisciplinaire et univoque est à mettre en œuvre pour influencer les politiques de lutte contre le changement climatique. Cet engagement peut concerner les politiques de transport en favorisant, notamment dans les campagnes, la création de pistes cyclables sécurisées. Il est indispensable de revoir la végétalisation des cours de récréation des petits (maternelles) mais aussi dans le primaire et le secondaire (figure 2). Les classes doivent être correctement isolées et bénéficier de système de mesures du CO2. N’oublions pas que nos enfants passent l’essentiel de leur temps au sein de ces établissements. S’engager dans la recherche interdisciplinaire liée à l’impact du changement climatique sur l’asthme est également un levier. L’adhésion et la déclaration à certains réseaux d’aérovigilance des cas d’asthme ou de rhinite allergique peut permettre de mieux évaluer l’impact environnemental sur l’incidence de ces maladies. Figure 2. Exemple de végétalisation de cours d’école.   Approche interdisciplinaire et collaborative Tous les enfants sont vulnérables à l’impact du changement climatique, mais ceux qui vivent dans la pauvreté sont touchés de manière disproportionnée. Une approche interdisciplinaire (médecins spécialistes, médecins traitants, centre de protection maternelle et infantile, infirmières de proximité, assistantes sociales) et collaborative au sein des communautés est à mettre en œuvre chaque fois que possible, afin de mieux cerner les problématiques des familles défavorisées et dans un but d’éducation à la santé. Dans ce contexte, la sensibilisation des maternités à la lutte contre le tabagisme pendant la grossesse doit être renforcée car la proportion de femmes qui fument durant la grossesse est stable dans le temps.   Prévention des facteurs aggravants ou déclenchants les crises d’asthme Des conseils préventifs, au sein d’une action éducative, sont essentiels pour réduire les facteurs déclenchants de l’asthme. La prise en charge de l’asthme à l’ère du changement climatique doit inclure le suivi des conditions météorologiques, la qualité de l’air ambiant, de l’air intérieur, avec un plan d’action en cas de crise intégrant ces facteurs. Il existe des ressources en ligne gratuites, dont beaucoup peuvent être téléchargées sur des appareils mobiles (pour la pollution, Airparif : www.airparif.asso.fr pour l’Ile-de- -France, www2.prevair.org au niveau national ; pour les pollens, le Réseau national de surveillance aérobiologique [RNSA] : www.pollens. -fr), qui fournissent des mesures en temps réel et des prévisions. Il existe également des applications de gestion de l’asthme ou de la rhinite qui peuvent lier les conditions environnementales, telles que la qualité de l’air ambiant (pollution monitor, Alerte orage), la météo et la température aux symptômes (Atchoum-Allergies, France Pollen, etc.) et à l’utilisation de médicaments (exemple de l’application MASK, www.mask-air.com). Faire de l’exercice à l’extérieur reste recommandé y compris en cas d’environnement pollué, car ses avantages devraient dépasser les effets négatifs de la pollution extérieure, du moins dans la plupart des villes européennes. Cependant, limiter le temps passé à l’extérieur pendant la saison pollinique (pour les patients allergiques au pollen) et pendant les heures de trafic intense ou les journées chaudes est une approche raisonnable. Une ventilation adéquate et régulière des espaces de vie et la filtration de l’air intérieur peut empêcher la croissance de moisissures, prévenir l’humidité et réduire les concentrations intérieures de NO2.   Adaptation du système de santé Les effets du changement climatique, y compris les phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes dont la fréquence, la durée et l’intensité, augmentent, menacent de plus en plus la prestation pouvant être offerte par les systèmes de santé. Une résilience des infrastructures du système de santé face au réchauffement climatique est nécessaire, en particulier dans les communautés défavorisées. Les principales vulnérabilités du système de santé doivent être anticipées comme des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, des problèmes d’accès énergétique, etc., en plus de se préparer à l’affluence éventuelle de patients aux urgences et en réanimation lors d’événements météorologiques extrêmes. Les systèmes de santé doivent également prendre des mesures pour atténuer leur impact considérable sur l’environnement. À l’échelle mondiale, le secteur de la santé est responsable de 4,4 % des émissions de gaz à effet de serre. La production de carbone des établissements de santé, ainsi que la chaîne d’approvisionnement des soins de santé nécessitent un engagement à la réduction de production de carbone des établissements de santé et de toute la filière de soins. À l’échelle individuelle, privilégier par exemple une prescription de systèmes d’inhalation rechargeables ou de nébulisations réutilisables pour l’administration des traitements de fond de l’asthme est recommandé.   Conclusion   • La perte de la biodiversité induite par le changement climatique est favorable à l’augmentation des maladies allergiques. • L’impact à court, moyen et long terme du réchauffement climatique sur l’asthme et les maladies allergiques n’est pas discutable. • Prendre en compte l’exposition environnementale au sens large du patient est essentiel pour la prévention des exacerbations. • Il est encore possible d’agir en tant que soignant en proposant des politiques de prévention et en s’efforçant de minimiser notre impact écologique. Pour en savoir plus : • Serebrisky D, Wiznia A. Pediatric asthma: a global epidemic. Ann Glob Health 2019 ; 85 : 6. • Harun NS, Lachapelle P, Douglass J. Thunderstorm-triggered asthma: what we know so far. 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