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Environnement

Publié le 05 fév 2024Lecture 11 min

Perturbateurs endocriniens : une thématique (de plus) à rajouter dans sa pratique clinique ?

Nicolas CHEVALIER, service d’endocrinologie-diabétologie et reproduction, hôpital de l’Archet, CHU de Nice ; Inserm U1065 C3M

Si le mot « perturbateur endocrinien » (PE) est devenu courant dans la société, il lui aura fallu plus de temps pour approcher le monde de la santé. Cette thématique, qui dépasse largement le seul monde de la santé, soulève des questions d’ordre sociétal auxquelles le professionnel de santé ne sait habituellement pas répondre, ou alors sur le mode « blanc/noir », notamment par défaut de formation initiale et/ou fausse croyance. Sans aucun doute, cette thématique ne peut que susciter des doutes ou au moins des interrogations… Pour autant, les professionnels de la périnatalité et de la petite enfance sont maintenant régulièrement sollicités par les patients, notamment les mères et futures mères, sur la toxicité potentielle de ces molécules.

Comment sommes-nous exposés au quotidien ?   Nous « baignons » quotidiennement dans une « soupe » de PE depuis plusieurs décennies. Il aura néanmoins fallu attendre avril 2021 pour qu’une liste officielle soit rendue publique par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) à la demande des ministères de tutelle, dans le cadre de la Stratégie nationale perturbateurs endocriniens 2 (SNPE2) débutée en 2018. Cette liste comprend exactement 906 substances identifiées comme PE, dont certaines font l’objet d’une législation rendue de plus en plus restrictive comme nous le verrons plus loin. Ces molécules sont habituellement classées en fonction de leur structure physicochimique (organochlorés, polybromés, polychlorobiphényles, dioxines, hydrocarbures polycycliques, etc.), avec des noms très complexes et parfois bien difficiles à intégrer dans une pratique clinique quotidienne. Certaines molécules sont dites persistantes, car ayant une longue demi-vie et la capacité, pour la plupart, de s’accumuler dans notre tissu adipeux, responsables ainsi d’une contamination à bas bruit, à faible dose, de manière chronique et loin de l’exposition initiale. On les qualifie parfois de polluants « éternels », comme pour le cas des composés perfluorés (bien connus pour leurs propriétés anti-adhésives et déperlantes, utilisées dans les ustensiles culinaires et dans l’industrie textile). À l’inverse, les phtalates et les bisphénols, principalement retrouvés dans les revêtements plastiques, ne sont pas persistants mais tellement utilisés que l’ensemble de la population y est exposé au quotidien à des doses très variables.   Via l’alimentation L’une des grandes voies de contamination correspond à notre alimentation : bien évidemment le contenu (quelle que soit sa nature) peut être contaminé par l’air, l’eau et par les molécules utilisées lors de la production ou l’élevage (comme les pesticides, les additifs, etc.) ; mais il faut également prendre en compte le contenant qui bien souvent est fait de plastique avec la problématique des migrats d’emballage (c’est en particulier cet aspect qui a permis la législation du bisphénol A pour les contenants alimentaires destinés aux enfants de moins de 3 ans). Si la contamination plastique saute rapidement aux yeux (suremballages), il ne faut pas oublier que l’on en trouve également ailleurs, notamment dans des revêtements de carton, papier ou boîtes de conserve. Autant dire qu’il est difficile de leur échapper.   Via l’eau L’autre grande voie de contamination est l’eau que nous consommons au quotidien, même si elle fait l’objet d’un programme de surveillance renforcé pour l’aspect PE. La contamination de l’eau a un impact sur la santé humaine (et notamment source d’inquiétude dans certaines communes, avec l’exemple récent de la contamination en perfluorés de la région lyonnaise) mais plus largement sur tout l’écosystème, et pose plus généralement le problème de l’impact sur la santé planétaire.   Les autres voies de contamination Les autres voies de contamination possibles sont l’air (les particules fines étant capables de véhiculer certains PE), la peau (qui laisse facilement pénétrer des substrats hormonaux) et, enfin, la voie fœtoplacentaire. Très longtemps décrite comme une barrière infranchissable aux PE, plusieurs études épidémiologiques ont pourtant montré qu’une exposition des mères aux PE pendant la grossesse augmentait le risque de prématurité, de retard de croissance, d’hypertension artérielle gravidique, de diabète gestationnel, et de malformations du tractus génital des enfants. Finalement, des études récentes ont montré que les PE étaient capables de traverser librement le placenta mais, pour la plupart d’entre eux, avec des voies de retour incomplètes. Par ailleurs, le fœtus ne possède pas l’équipement enzymatique permettant la métabolisation de ces substances. Ceci explique in fine qu’il existe une accumulation fœtale progressive en PE, ce qui a été confirmé à plusieurs reprises sur des échantillons de liquide amniotique prélevés dans diverses populations.   Quels sont les risques liés à une imprégnation chronique aux PE ?   Si les pathologies de la reproduction ont toujours été mises en avant dans l’histoire des PE, il ne faut pas oublier que ce sont ces pathologies, observées chez l’animal, qui ont permis de sonner l’alerte. Ainsi, on a décrit initialement le syndrome de dysgénésie testiculaire dans le sexe masculin, regroupant cryptorchidie, hypospadias, anomalies du spermogramme et cancer du testicule. Chez les femmes, les premières observations se sont concentrées sur la survenue de pubertés précoces mais il existe maintenant des arguments pour expliquer une part de survenue du syndrome des ovaires polykystiques (avec notamment un mécanisme physiopathologique bien détaillé concernant le bisphénol A) et, plus récemment, d’extinction ovarienne prématurée. L’étude PEPS’PE conduite par Santé publique France en 2021 a d’ailleurs confirmé qu’il existait dans la littérature un niveau de preuve suffisant entre l’exposition aux perturbateurs endocriniens et des pathologies principalement reprotoxiques : diminution de la fertilité chez l’homme et chez la femme, malformations génitales, endométriose, cancers hormono-dépendants (sein, prostate). Mais on sait aujourd’hui qu’aucun système endocrinien n’échappe à l’action des PE. Parmi eux, l’axe thyroïdien est particulièrement scruté puisque il pourrait expliquer l’impact des PE sur le neurodéveloppement fœtal, et notamment le sur-risque de troubles du comportement et de diminution du QI moyen observés chez l’enfant. En effet, de nombreuses observations, dans des zones extrêmement exposées en PE, ont mis en évidence des retards psychomoteurs d’intensité variable. Il est possible que cette neurotoxicité passe par une voie directe puisqu’il est décrit des maladies professionnelles en lien avec l’exposition à certains insecticides, notamment la maladie de Parkinson et plus récemment la démence. Pour autant, ces molécules contiennent, pour la plupart d’entre elles, des atomes halogénés, de la même classe que l’iode, et pourraient donc interférer de manière extrêmement pointue avec le métabolisme des hormones thyroïdiennes, comme cela a été montré par plusieurs équipes. Or, l’homéostasie thyroïdienne maternelle (et secondairement) fœtale est cruciale pour le neurodéveloppement de l’enfant. Cela a été parfaitement illustré à travers l’étude de la génération R pour laquelle il existe une corrélation étroite entre le niveau de T4 maternelle pendant la grossesse et le futur QI des enfants à naître. Le suivi à plus long terme, par IRM, jusqu’à l’âge de 12 ans, a confirmé cette relation avec des modifications structurales du système nerveux central objectivées en cas de dysthyroxinémie maternelle pendant la grossesse. La thyroïde pourrait donc être un intermédiaire pouvant expliquer le rôle néfaste des PE sur le développement neurologique des enfants, et notamment sur la plus grande fréquence des troubles déficitaires de l’attention et des cas d’autisme. Un panel de pathologies qui fera probablement écho, pour un certain nombre d’entre vous, à des situations cliniques que vous n’aurez pas forcément expliquées par vos mécanismes physiopathologiques habituels. Quand on ne comprend pas, c’est donc bien le moment de penser aux PE !   Comment diminuer ma charge en perturbateurs endocriniens ?   Une fois le constat de la dangerosité des PE établi, il devient essentiel de pouvoir les éliminer de notre organisme. Néanmoins, à ce jour, il n’existe aucun traitement ayant scientifiquement prouvé sa capacité à le faire. La seule solution pour nous prémunir de leurs effets néfastes, à court et long terme, est donc de les éradiquer de notre environnement quotidien. Une tâche qui se révèle ardue lorsque l’on ne connaît pas bien le sujet…   Guides et recommandations Plusieurs guides ont été établis, notamment par des URPS (Unions régionales des professionnels de santé), et sont disponibles en téléchargement libre. Il existe également des fiches d’information à destination des patients, très faciles à comprendre et assez détaillées. Elles sont le plus souvent orientées sur le thème de la périnatalité, et notamment les conseils à mettre en place pour se prémunir au maximum d’une exposition durant la grossesse et la petite enfance. Plus récemment, la Direction générale de la santé (DGS) a élaboré et mis à disposition, pour les professionnels et pour les patients, une fiche d’information sur les PE, leurs effets néfastes et les mesures à mettre en œuvre pour diminuer l’exposition individuelle. Cette action sera également relayée dans les collèges et les lycées, le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse ayant diffusé un guide méthodologique pour la mise en place de séance découverte en établissement du secondaire. De manière résumée (et assez grossière), il s’agit en fait le plus souvent de donner des conseils simples pouvant s’apparenter aux méthodes dites « de grand-mère » : – aérer régulièrement son habitation au moins 10 minutes par jour ; – acheter des produits issus de l’agriculture biologique ; – laver et éplucher les fruits et légumes ; – cuisiner maison ; – cuisiner dans des matières nobles comme l’inox ou le verre ; – laver son intérieur avec des produits naturels comme le vinaigre blanc ou le savon noir ; – limiter au maximum les produits ménagers et les parfums d’intérieur ; – nettoyer ses vêtements avant de les porter et privilégier les achats dits de seconde main en coton ou en laine ; – privilégier des meubles en bois massif ; – éviter de peindre ou de changer l’ameublement durant la grossesse.   Réduction du plastique Un autre grand véhicule d’exposition, très facile à maîtriser, est la réduction du plastique dans notre quotidien. Certaines municipalités se sont d’ailleurs engagées dans cette voie depuis plusieurs années, ce d’autant qu’une métanalyse publiée en 2022 sur des données américaines a montré que diminuer de 50 % l’exposition aux phtalates pendant la grossesse permettrait d’éviter une naissance prématurée sur 8 ! Dans notre quotidien, si le plastique culinaire a fait l’objet d’une restriction stricte grâce à la loi AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire), il en reste encore beaucoup. Cherchez leur étiquetage spécifique (un logo triangulaire fait de flèches avec un numéro en son centre) et privilégiez les numéros 2 et 4. Par sécurité, quel que soit le numéro, retenez surtout le conseil simple de ne jamais faire chauffer ou d’exposer à la chaleur un plastique, sans quoi le risque de contamination du contenu est extrêmement important, dépassant souvent les valeurs toxiques de référence proposées par l’ANSES.   Scruter l’alimentation et les expositions Un autre levier possible est le recours aux produits « bio ». S’il a été montré que l’alimentation issue de l’agriculture biologique permettait de diminuer significativement la charge en PE (notamment dans l’étude NutriNet Santé), tous les labels « bio » ne se valent pas et certains sont des faux amis, ne garantissant pas forcément une absence de PE dans leurs contenus. Il est important d’en avertir les consommateurs. À titre d’exemple, sur divers échantillons, il existe des résidus de pesticides dans les produits issus de l’agriculture biologique. S’il est difficile financièrement pour les patients de se tourner vers ce type de rayons, un bon conseil reste d’éplucher les légumes et les fruits avant de les consommer et, lorsque ceci n’est pas possible, de bien les laver avant consommation. Concernant l’alimentation du nourrisson, même si le lait maternel peut contenir des PE (ce qui est assez logique puisque la mère est elle-même exposée à ces molécules), l’allaitement maternel reste la meilleure alimentation pour le nouveau-né. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que le lait artificiel contient également des PE, et notamment des résidus de pesticides (puisque issu d’animaux eux-mêmes exposés à ces molécules), et que sa consommation pose aussi le problème du contenant utilisé pour l’administrer, qui doit donc être en verre et non en plastique, sans compter la grande question de la tétine, etc. Au-delà de l’alimentation, il faut prendre en compte également les expositions tierces, et notamment le recours aux cosmétiques, que ce soit pendant la grossesse (crème anti-vergetures, par exemple) ou pendant la petite enfance (nombreux produits d’hygiène, crèmes pour le siège, divers parfums, etc.), qui sont autant de vecteurs potentiels de PE (en moyenne une dizaine de molécules PE par produit, si aucune attention spécifique n’a été portée quant à leur formulation). Il est donc important d’en informer les futurs parents pour qu’ils limitent leur utilisation au strict nécessaire. Enfin, il ne faut pas sous-estimer la contamination possible liée à l’utilisation des jouets, eux-mêmes composés pour la plupart de plastique, et importés de pays où la réglementation autour des PE est bien moindre qu’en Europe ou en France (voire totalement inexistante). Au-delà de la simple information, certains professionnels ont inclus cette thématique dans des ateliers d’éducation thérapeutique, tellement elle est riche de questionnements et d’actions à mener au quotidien.   En conclusion : s’informer   Et comme vous l’aurez compris, si on veut un jour limiter drastiquement l’exposition populationnelle et, notamment, dans la période de grossesse et de la petite enfance, le seul moyen est donc de pouvoir identifier facilement les produits contenant des PE pour que les consommateurs ne se tournent plus vers eux. L’avènement d’un toxiscore n’est pas prévu à court terme, puisque sa fiabilité et son interprétation soulèveraient sans aucun doute des critiques de toute part. En attendant, dans le cadre de la SNPE2, le champ d’application de la loi AGEC autour des PE a été étendu courant octobre 2023, avec l’obligation, de la part des industriels, d’informer les consommateurs de la présence de PE dans… tous les produits destinés à la consommation (hors médicaments), qu’ils soient présents dans le contenu ou dans le contenant (suremballage compris) ! Cette information doit être délivrée via une application (Scan4Chem) développée par l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques), à travers le code-barre de chaque produit, au plus tard six mois après la signature du décret d’application (un certain vendredi 13…). Un petit tremblement de terre pour un arrêté qui ciblait initialement uniquement les produits alimentaires, les produits cosmétiques et les jouets. Espérons que cet outil permettra in fine une meilleure information du consommateur et, on l’espère, une meilleure implication des industriels pour limiter l’exposition de la population générale. À vos armes… téléphoniques ! Lien d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts dans le cadre de la rédaction de cet article.   Pour en savoir plus : • Rapport d’expertise collective de l’Inserm sur les perturbateurs endocriniens et les pesticides : http://www.inserm.fr/thematiques/sante-publique/dossiers-dinformation/les-perturbateurs-endocriniens. • Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) : https://www.anses.fr/fr/content/acc%C3%A9l%C3%A9rerl%E2%80%99%C3%A9valuation-desperturbateurs-endocriniens#:~:text=Selon%20la%20d%C3%A9finition%-20de%20l,deux%20constats%20est%-20biologiquement%20plausible. • Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens : https://www.ecologie.gouv.fr/strategienationale-sur-perturbateurs-endocriniens • Ministère de la Santé et de la Prévention : http://social-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiquesphysiques-et-chimiques/article/perturbateurs-endocriniens

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