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En direct des staffs

Publié le 12 juin 2023Lecture 5 min

Un tableau septique trompeur

Marc SZNADJER, Paris

La rubrique « En direct des staffs » est ouverte à tout médecin d’un service de pédiatrie souhaitant partager avec les lecteurs de Pédiatrie Pratique les cas discutés dans son service et qu’il estime suffisamment intéressants et édifiants pour être portés à la connaissance de ses confrères.

Noé, né le 12 janvier 2022, est vu aux urgences pédiatriques le 2 juillet 2022 pour fièvre et perte d’appétit. Noé est le 2e enfant de la famille, né au terme de 37,5 semaines, avec un poids de naissance de 3 160 g. Il est nourri au sein le premier mois. Lors de l’introduction du lait de vache, une allergie aux protéines du lait de vache (APLV) est suspectée devant l’apparition d’un reflux gastro-œsophagien, de rectorragies et d’un eczéma. Il reçoit alors un hydrolysat puis un lait à base de protéines de riz (les RASTS aux PLV s’avéreront négatifs). Son alimentation reste difficile, avec un infléchissement progressif de sa courbe pondérale (< - 3 DS au 4e mois). Il est vu aux urgences pédiatriques le 2 juillet 2022, à 5,5 mois, pour fièvre et perte d’appétit importante. Sa température est à 39 °C, son examen clinique est sans particularité, en dehors d’une irritabilité. Les examens biologiques notent une NFS avec 23 000 GB/mm3, dont 1 170 PN/mm3, une CRP < 4 mg/l, une PCT = 0,3 mmol/l ; un ionogramme sanguin et une créatininémie normaux ; augmentation modérée des transaminases, les phosphatages alcalines sont normales (145 UI/l). La PCR nasale revient positive pour le SARS-Cov2. C’est surtout le bilan calcique qui attire l’attention, montrant une hypercalcémie importante : calcémie : 3,7 mmol/l (2,2 < N < 2,6) soit 148 mg/l (90 < N < 105) ; calcémie ionisée : 2,12 mmol/l (1,1 < N < 1,3) ; phosphorémie normale. Cette hypercalcémie a déjà un retentissement important, avec sur l’ECG un raccourcissement du QT à 270 ms, sans trouble du rythme (n = 450) et une néphrocalcinose de grade 3 sur l’échographie rénale (figure). Figure. Exemples de néphrocalcinose médullaire chez l’adulte et l’enfant issues de la littérature.   Noé est pris en charge en réanimation puis en néphrologie pédiatrique, avec hyperhydratation par sérum physiologique (200 ml/kg/j) + Lasilix®/6 h (au rôle discuté dans ce contexte), et corticoïdes (1 mg/kg) qui diminuent l’absorption intestinale du calcium. Il va être réalimenté initialement par un lait pauvre en Ca et vitamine D (Locasol, Nutricia). L’évolution est marquée par une calcémie maximale à 3,94 mmol/l, une insuffisance rénale fonctionnelle liée à la déshydratation, puis une normalisation de la calcémie à J9 d’hospitalisation avec un ECG normal. Sur le plan étiologique, on note une 25 OH-D élevée à 331 pg/ml, de même pour la 1,25 OH-D à 550 nmol/L et une parathormone (PTH) effondrée (témoin de l’hypercalcémie). Il s’agit donc d’un tableau clinique et biologique d’intoxication à la vitamine D, rapportée facilement par l’anamnèse à la prise d’un complément alimentaire à base de vitamine D « bio » (« Sunday Natural »), à partir du 2e mois, dosé à 10 000 UI/goutte ; recevant 4 gouttes/j presque tous les jours, c’est donc 40 000 UI/j, soit 100 fois la dose recommandée, que Noé a reçu, à la place des prescriptions réglementées, sur les conseils de la naturopathe de la maman.   Discussion Le diagnostic d’hypercalcémie chez l’enfant, défini par une calcémie > 2,65 mmol/l (105 mg/l) et un taux > 3,5 mmol/l (ou 2,5 mmol/l de calcium ionisé), est considéré comme menaçant(1). Un tableau d’hypercalcémie aiguë peut comporter les signes sui vants : douleurs abdominales, vomissements, stagnation pondérale syndrome polyuro-polydipsique avec déshydratation, confusion(2). À court terme, le pronostic vital peut être engagé, via notamment les troubles du rythme cardiaque. À plus long terme, c’est la néphrocalcinose qui conditionne le pronostic : souvent asymptomatique et réversible, elle comporte cependant un risque non négligeable d’évolution vers l’insuffisance rénale. Cette néphrocalcinose est liée à des dépôts de phosphate ou d’oxalate de calcium dans le parenchyme rénal (cellules épithéliales des tubules rénaux et du tissu interstitiel), ce en quoi elle diffère de la néphrolithiase, constituée de dépôts calciques dans les cavités excrétrices. Les principales causes de néphrocalcinose chez l’enfant sont la prématurité, les tubulopathies héréditaires (acidose tubulaire distale), les anomalies métaboliques d’origine génétique (hypercalciurie idiopathique ou hyperoxaluries) et les formes iatrogènes, comme dans notre observation. On en décrit trois types radiologiques : médullaire (90 % des cas), corticale ou mixte (diffuse), avec trois grades de sévérité, le grade 3 montrant des pyramides entièrement infiltrées et très échogènes. À noter que dans le cas de Noé, l’échographie de contrôle pratiquée 7 mois après son hospitalisation montre toujours une néphrocalcinose de grade 3. Le diagnostic d’hypercalcémie par intoxication à la vitamine D repose, outre sur un taux de phosphore normal, sur une PTH effondrée, des 25 OH et 1-25 OH élevées, une calciurie élevée, et bien sûr un agent causal exogène par erreur de dosage. Cette observation d’hypercalcémie iatrogène n’est bien sûr pas unique, et de nombreux cas, notamment chez l’adulte mais aussi chez l’enfant(1,4-5), ont été rapportés dans la littérature. La vitamine D a certes pour mission principale le maintien de l’homéostasie calcique de l’organisme, mais on lui accorde aussi de nombreux effets sur d’autres organes cibles, équipés pour la plupart de récepteurs spécifiques VDR, et notamment sur le statut immunitaire. C’est ainsi que la période de pandémie de Covid-19 a vu fleurir les publications(6-7), tendant à démontrer l’intérêt d’une supplémentation préventive et/ou curative en vitamine D sur les formes graves, largement relayé dans les médias, d’où un engouement massif pour l’acquisition « OTC »* de cette vitamine, qui a pu encourager l’ingestion répétée de doses excessives conduisant à ce type d’accident. Chez l’enfant, c’est aussi la mise en cause des préparations réglementées, accusées de tous les maux (RGO, toxicité, etc.) et la recherche de produits « bio » qui a pu conduire à des surdosages. Dès novembre 2020, une alerte a été lancée par deux spécialistes du calcium en pédiatrie, A. Linglard (Paris) et J. Bachetta (Lyon), au nom de la SFP, pour dénoncer l’usage et les dangers de compléments alimentaires fortement dosés en vitamine D. Des recommandations ont été publiées en mars 2022, afin que ne soient utilisées que des préparations pharmaceutiques avec AMM, et en redéfinissant les posologies souhaitables selon la présence ou non de facteurs de risque (peau noire, obésité, régime vegan, absence d’exposition solaire)(8). *OTC : « over the counter », en vente libre.

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