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Ophtalmologie

Publié le 31 mar 2023Lecture 12 min

Dépistages visuels chez l’enfant

Emmanuel BUI QUOC, Chef du service d’ophtalmologie, hôpital universitaire Robert-Debré (AP-HP), Paris

Le dépistage visuel chez l’enfant requiert une organisation « efficiente » qui met en balance les besoins de santé avec les capacités et le nombre des professionnels de la vision. Il n’existe pas de programme formel généralisé en France de dépistage visuel identique.

Actuellement, des items ophtalmologiques du car- net de santé en 2021 sont identifiés à la naissance, à 2 mois, 4, 6 ,9 et 24 mois, puis au cours de la 3e année, les 4e et 6e années et enfin entre 8 et 9 ans. Ces examens ne sont pas différenciés selon les facteurs de risque. Ils s’attachent au cours des premières années de vie à l’identification des rares amblyopies organiques et pas aux amblyopies fonctionnelles plus fréquentes. Il n’est pas précisé de caractère obligatoire ou recommandé. Définir les indications des examens de dépistage pour tous et des examens spécialisés indiqués s’il existe des facteurs de risque est nécessaire. Les recommandations des autorités de santé dataient jusqu’en 2022 du rapport de l’ANSM de 2002. Elles ne proposaient pas de directives claires et le carnet de santé largement utilisé en France ne sensibilise les parents et les professionnels de santé qu’à la recherche des anomalies organiques graves pendant les premières années de vie (transparence de la cornée, leucocorie, etc.). L’Association francophone de strabologie et d’ophtalmologie pédiatrique a établi des recommandations en 2019, publiés en 2020, qui recommandent un dépistage visuel ciblé dans la première année de vie en cas de facteurs de risque, et un dépistage dans la population générale chez tous les enfants entre 3 et 4 ans(1).   Qu’est-ce qu’un dépistage ? Le dépistage est utile (voir interview de J.-B. Arnoux) : – si la maladie est fréquente ; – si la maladie peut être grave ; – si un traitement est possible ; – si le retard thérapeutique est préjudiciable.  « Le dépistage stricto sensu est un tri » Le dépistage stricto sensu est un tri par un professionnel non spécialisé. S’il est positif, un examen spécialisé est requis pour une seconde évaluation afin de confirmer (ou pas, il s’agit alors d’un faux positif) la maladie. Si le dépistage est négatif, le patient est considéré comme normal, indemne de maladie (mais il existe des faux négatifs). Ces données appellent plusieurs interrogations et commentaires concernant le dépistage visuel : – quels acteurs font un dépistage ? Des professionnels paramédicaux en première intention comme les orthoptistes et les infirmiers ? Ou des médecins ? – quel est le rôle de l’ophtalmologiste ? Y a-t-il un ophtalmologiste « spécialisé » en ophtalmologie pédiatrique ? Est-ce que l’ophtalmologiste fait un dépistage ou un diagnostic ? – le dépistage visuel chez l’enfant est utile pendant la période sensible du développement visuel, c’est-à- dire la première décennie de la vie (essentiellement les 6 premières années), car un retard thérapeutique serait préjudiciable et facteur d’amblyopie (vision moins bonne, séquelle de l’altération de l’expérience visuelle pendant la phase de maturation visuelle).   Données démographiques : enfants et professionnels de la vision Selon la Drees, il y avait en France 5 794 ophtalmologistes en 2022 et 4 876 orthoptistes en 2018 (source : http://www.data.drees. sante.gouv.fr). La population de la France était de 67,4 millions en 2020 (https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893198), il y a donc 1 ophtalmologiste pour 11 632 habitants. La question des examens visuels chez les enfants par ces professionnels doit être évaluée par rapport au nombre d’enfants et de naissances. Il y a environ 700 000 naissances par an en France en 2020- 2022 (en baisse). Si l’on arrondit les chiffres à 5 500 ophtalmologistes et 5 000 orthoptistes et si tous les enfants avaient à 1 an un examen ophtalmologique (réel avec fond d’œil et cycloplégie, instillation de collyre au préalable de type cyclopentolate ou atropine), ainsi qu’un examen orthoptique à 3 ans, cela représenterait par professionnel une charge de : – 127 consultations ophtalmologiques, soit 3 consultations par semaine si le médecin travaille 42 semaines/52 ; – 140 examens orthoptiques, soit 3,33 examens par semaine si l’orthoptiste travaille 42 semaines/52. Au regard de ces chiffres, obtenir des examens visuels est-il donc vraiment impossible ? En réalité, cette question renvoie à celle de l’ophtalmologiste « spécialisé » ou pas en ophtalmologie pédiatrique, ou de celui qui simplement accepte ou refuse de voir des enfants qui seraient adressés par un professionnel de santé de première intention, car si 1 ophtalmologiste sur 10 accepte de voir des enfants de moins de 3, 6 ou 10 ans, cela fait 30 consultations par semaine ; et si c’est le cas de seulement 1 ophtalmologiste sur 100, alors la charge s’élève à faire 300 consultations par semaine. Concernant les orthoptistes, leur formation qui s’est développée et orientée vers toute la pathologie visuelle a éloigné un certain nombre d’entre eux de la capacité et du savoir nécessaires à l’examen des enfants. Cela peut limiter par- fois le recours à ces professionnels pour les plus jeunes.   Objectifs du dépistage visuel : détecter les facteurs de risque d’amblyopie Le dépistage visuel a pour but de rechercher les trois causes d’amblyopie (figure 1) : – la privation monoculaire ; – les facteurs réfractifs : amétropies fortes, anisométropie ; – le strabisme. L’amblyopie anisométropique ou strabique est très fréquente, elle touche 2-3 % des enfants, alors que la privation monoculaire est très rare (cataracte congénitale avec moins de 500 cas chez les moins de 2 ans par an en France), de même que les autres pathologies graves mais très rares (moins de 100 nouveaux cas de glaucomes congénitaux, moins de 100 nouveaux cas de rétinoblastome, par an, en France). C’est pourquoi le dépistage n’a pas pour réel but le diagnostic d’une maladie visuelle « organique » (< 0,1/1 % des enfants), même si bien évidemment il faut être conscient de cette possibilité(2). Figure 1. Les trois causes d’amblyopie, d'après Barret BT et al. Understanding the neural basis of amblyopia. Neuroscientist 2004 ; 10(2) : 106-17. Amblyopie, Actes du colloque de la FNRO, Nantes 2007.   « Le dépistage n’a pas pour réel but le diagnostic d’une maladie visuelle »   Son objectif est la prise en charge précoce grâce à un examen ophtalmologique systématique des enfants présentant des facteurs de risque visuels (3 % des enfants). Il faut un compromis permettant de reconnaître les enfants à risque d’amblyopie fonctionnelle (10/15 % des enfants), avant la fin de la période sensible du développement visuel, avec une bonne sensibilité et une bonne spécificité, et un taux d’adressage pas trop élevé, car, comme nous l’avons vu, le nombre d’ophtalmologistes « pédiatres » étant limité (il ne faut pas trop de « faux positifs »). Concernant les amétropies nécessitant des lunettes, il s’agit d’un problème plus tardif, ces enfants n’étant pas forcément à risque d’amblyopie. Il faut avoir en tête les chiffres suivants(3-5) : – entre 3 et 6 ans, la prévalence des amétropies (qui requièrent une correction optique) varie entre 15 et 20 % ; – à 6 ans, on évalue une prévalence d’hypermétropie et de myopie de l’ordre de 20 et 10 %, respectivement ; – la prévalence de la myopie augmente en une génération et à l’âge adulte, celle de la myopie entre 20 et 50 ans est de 30 à 40 %. Le dépistage visuel doit donc avoir comme objectif principal le repérage des troubles réfractifs, ce que ne précise pas encore le carnet de santé.   Recommandations de l’AFSOP L’AFSOP a publié en 2020 des recommandations relatives au dépistage visuel chez l’enfant en rappelant les situations à risque de pathologie organique et les situations à risque fonctionnel (figure 2) : – un examen ophtalmologique dans le premier mois de vie chez les patients à risque d’amblyopie organique (facteurs de risque du groupe 1 ; encadré 1) ; – un examen ophtalmologique entre l’âge de 12 et 15 mois chez les patients à risque d’amblyopie fonctionnelle (facteurs de risque du groupe 2 ; encadré 1) ; – à tout âge, un examen ophtalmologique dans un délai rapide pour un enfant présentant des signes d’appel de pathologie ocu-aire ou des signes fonctionnels (encadré 2) ; – un examen obligatoire de dépistage (un examen de l’acuité visuelle et un examen de la réfraction) dans la population générale (sans facteur de risque ni signes d’appel) durant la troisième année (ou première année de maternelle) réalisé par un orthoptiste, un pédiatre, un médecin généraliste ou un infirmier formé. Ainsi, un examen ophtalmologique est requis si les parents et/ou les professionnels de santé notent des signes d’alerte, des signes d’appel, quel que soit l’âge de l’enfant et si celui-ci se plaint de signes spécifiques. Une des problématiques des signes d’appel est la question du strabisme. Existe-t-il une vraie anomalie strabique ou un faux aspect de strabisme, ce qui est le cas dans l’immense majorité des « suspicions de strabisme des premières années de vie » ? Rappelons ici qu’un vrai strabisme est toujours anormal, quel que soit l’âge et la notion de « strabisme normal avant 3 ou 4 mois est inepte ». En réalité, dans les premiers mois de vie, on constate le plus souvent un faux aspect de strabisme avec des « faux diagnostics par excès »   Figure 2. Résumé des recommandations de l’AFSOP.       « Un vrai strabisme est toujours anormal » Tout professionnel de santé qui suit un enfant doit s’assurer à tout âge de l’absence de facteurs de risque spécifiques qui requièrent un examen ophtalmologique rapide. Il doit également s’assurer de l’absence de signes d’alerte/signes d’appel visuels avant la sortie de la maternité, lors de l’examen des 9 mois et lors de celui des 24 mois. Enfin, il peut, sous réserve d’une formation adaptée, effectuer un examen visuel de dépistage entre 3 et 4 ans, et éventuellement entre 5 et 6 ans, avec trois éléments obligatoires (l’acuité visuelle, le photodépistage ou la photovidéo-refraction et l’examen moteur). Les recommandations de l’AFSOP conseillent de déléguer cette tâche à un orthoptiste, qui est un professionnel paramédical de premier recours, même si cette recommandation n’est pas exclusive, car un infirmier, un médecin généraliste ou un pédiatre pourraient également effectuer ces examens (mais on revient à la définition stricte du dépistage, du professionnel de première intention vs le professionnel spécialisé).   Chronologie du dépistage visuel en pratique Selon ces recommandations, les examens visuels nécessaires au cours des premières années de vie sont les suivants : – un examen avant la sortie de la maternité afin de s’assurer de l’absence de signes d’alerte et de signes d’appel visuels, et de l’absence de facteurs de risque spécifiques qui requièrent un examen ophtalmologique rapide ; – un examen ophtalmologique n’est requis uniquement qu’en cas : • de signes d’alerte ou de signes d’appel, à tout âge, • de facteur de risque de pathologie organique requérant un examen dans le premier mois de vie, • de facteur de risque de pathologie fonctionnelle requérant un examen entre 12 et 15 mois ; – un examen obligatoire entre 3 et 4 ans évaluant l’acuité visuelle, l’examen moteur, la photovidéo-réfraction, réalisé par un orthoptiste ou une infirmière de PMI, ou un pédiatre, ou un médecin généraliste en médecine libérale ou dans le cadre d’un dépistage à l’école ou de programmes spécifiques organisés. Lors de tout examen d’un enfant au cours de ses premières années de vie, les professionnels s’assurent de l’absence de signes d’alerte et de signes d’appel visuels et de l’absence de facteurs de risque spécifiques qui requièrent un examen ophtalmologique rapide.   Comment faire l’examen visuel dans la population générale entre 3 et 4 ans ? Cet examen de dépistage de masse qui serait obligatoire entre 3 et 4 ans, pourrait être réalisé dans les écoles maternelles ou lors de campagnes spécifiques ou en pratique libérale, médicale ou paramédicale. C’est un examen précis qui devrait être proposé par un professionnel formé, voire certifié pour ce dépistage, équipé avec les appareils requis pour ce dépistage. En cas de dépistage positif, des critères précis d’adressage à l’ophtalmologiste sont établis, et l’enfant doit être vu dans les 3 mois.   « Le dépistage de masse entre 3 et 4 ans pourrait être réalisé dans les écoles maternelles »   • Mesure de l’acuité visuelle Elle doit être faite avec un test logarithmique (Lea et/ou HOTV [figure 3, p.4]), à 3 mètres, avec des évaluations monoculaires. Un résultat est normal, si : AV ≥ 5/10 à 3 ans, sans aniso-acuité d’une ligne entre les deux yeux. Figure 3. Échelles d’acuité visuelle. • Test à l’écran (figure 4, p.4) Le test à l’écran est fait de près et/ou de loin, avec un résultat normal si orthophorie ou exophorie < 4 dioptries prismatiques. • « Photoscreener » ou autoréfractomètre non mydriatique de dépistage Il s’agit de l’évaluation approximative binoculaire de la réfraction. Il s’agit d’une mesure qui ne peut être faite qu’avec un examen ophtalmologique et une instillation préalable de collyres cyclo-plégiants (cyclopentolate ou atropine). L’examen donne un résultat positif (« rouge ») ou négatif (« vert ») selon des seuils qui sont variables en fonction de la machine, du constructeur, parfois modifiables ou non, et qui devraient être interprétés de façon différente selon l’âge. Trop souvent utilisé seul, c’est un examen faussement rassurant s’il est négatif, car il est peu sensible pour l’hypermétropie (sensibilité < 50 %, avec trop de faux négatifs)(6) . Différents seuils devraient être utilisés, selon l’AAPOS ou l’AFSOP (figure 4, p.5). Ces dernières proposant les seuils suivants pour le dépistage, entre 3 et 4 ans : –myopie>-3D; – hypermétropie > + 2,5 D ; – astigmatisme > 1,5 D ; – anisométropie > 1 D. En cas de dépistage positif, l’enfant est adressé à un ophtalmologiste pour confirmer ou pas le diagnostic, mais des problématiques pratiques peuvent exister : – s’il y a une forte proportion de dépistages positifs, cela peut poser la question de l’efficience. En effet, quel est le niveau pertinent pour un protocole de dé- pistage ? Cela dépend de la fréquence de la maladie dépistée (20 % anomalies réfractives) ; – s’il y a trop de patients à examiner avec un taux d’adressage trop fort, obtenir un examen ophtalmologique spécialisé pourrait se révéler complexe. C’est pourquoi le dépistage visuel doit être raisonné, ordonné et organisé. Figure 4. Seuils de l’AFSOP et de l’AAPOS.   « Le dépistage visuel doit être raisonné, ordonné et organisé »   Les examens nécessaires chez l’enfant selon les recommandations de l’AFSOP  – un examen visuel ciblé dans la première année de vie en cas de facteurs de risque par un ophtalmologiste ; – un dépistage dans la population générale chez tous les enfants entre 3 et 4 ans, avec un examen qui comprend : • une mesure de l’acuité visuelle, • un test à l’écran, • une évaluation réfractive avec un appareil non mydriatique (en tenant compte de l’âge, des seuils et des limites de l’appareil surtout s’il est utilisé seul). Des critères précis d’adressage sont établis. Ces recommandations ont été reprises et publiées par le HCSP (Haut Conseil de la santé publique) en 2022, en vue de la création d’un nouveau « carnet de santé » 2022/2023 (Rapport du HCSP. Actualisation du contenu des examens de santé de l'enfant, messages et outils de prévention du carnet de santé en vue de sa dématérialisation. Coll. Avis et rapports, mars 2022).   Conclusion Les dépistages visuels chez l’enfant doivent être normés et standardisés. Il est inutile de faire des examens trop fréquents, à des âges inadaptés, avec des outils inadaptés ou des examens incomplets. La meilleure formation ophtal-mopédiatrique et strabologique des orthoptistes et des ophtalmologistes demeure une nécessité, de même que la formation et l’information de tous les professionnels de santé qui s’occupent d’enfants, médecins et paramédicaux, concernant les facteurs de risque d’amblyopie, les signes d’appel et les méthodes d’examen visuels.

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