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En direct des staffs

Publié le 03 jan 2023Lecture 6 min

Inceste fraternel ? Deux enfants d’abord

Albert MONTBRUN, Placide NYOMBE NZUNGU, Pédiatres, Saint-Denis (La Réunion)

La rubrique « En direct des staffs » est ouverte à tout médecin d’un service de pédiatrie souhaitant partager avec les lecteurs de Pédiatrie Pratique les cas discutés dans son service et qu’il estime suffisamment intéressants et édifiants pour être portés à la connaissance de ses confrères.

Retrouvez ici un 2e cas évoquant comme dans d’autres articles de ce numéro, certaines difficultés ou inégalités, accentuées par la pandémie et en particulier les périodes de confinement, comme la survenue potentielle de violences intrafamiliales. En voici une forme bien particulière : l’inceste fraternel.

Vignette 1 Lorrain, 12 ans, et Amaury, 11 ans, vivent avec leur mère au sein d’une famille recomposée avec du côté du beau-père : Anton, 14 ans et Léa, 4 ans. Lorrain est présenté à la consultation, accompagné par sa mère et son beau-père. Son cadet Amaury a été surpris à trois reprises dans son lit. Les deux enfants ont une grande chambre commune aménagée dans les combles de la maison parentale. Lorrain demande depuis longtemps à avoir une chambre individuelle. Après avoir redoublé le CE1, il est actuellement en début de 6e mais est en difficulté sur le plan des apprentissages. Il est assez renfermé, joue beaucoup aux jeux vidéo. Il est suivi au CMPP (Centre médico-psycho-pédagogique) depuis 4 ans. Amaury est sportif : il pratique le tennis et le karaté. Il domine son frère par la parole et par le physique. Il avait surpris ses parents au cours d’un rapport sexuel et a visionné des films pornographiques avec le fils de son beau-père. Il décrit le choc initial, la persistance des images dans sa tête et le dégoût, puis la reproduction de ces mêmes choses sur son frère et sur Léa, sa demi-sœur, au cours d’une période de confinement ayant renforcé leur promiscuité. L’examen clinique de Lorrain est strictement normal.   Vignette 2 Sandra, 11 ans, se présente à la consultation accompagnée par sa famille d’accueil. Elle raconte : « La première semaine des vacances, tous les vendredis soir, mon frère et moi on jouait et après je dormais avec lui... je me suis réveillée il était en train de me toucher un peu partout... vers le bas... vers mes parties intimes... avec ses mains... sous mes vêtements... Je lui ai fait comprendre que j’étais réveillée, je suis partie aux toilettes... et après dans ma chambre... À la rentrée, j’en ai parlé à mes amis ; je n’arrivais plus à le garder pour moi ; je l’ai dit à ma cousine et elle l’a dit à ses parents qui l’ont dit à mes parents... ».  À l’examen clinique, Sandra est une jeune fille sportive en parfait état général. Elle est latéralisée à droite. On retrouve des traces de scarification au niveau de l’avant-bras gauche.   Discussion Sur le plan épidémiologique, les abus sexuels entre frères et sœurs représentent un nombre important des abus sexuels sur les enfants. Ils sont parfois plus nocifs que les abus sexuels commis par un parent. L’idée dérangeante d’une activité sexuelle entre frères et sœurs et une vision dominante de son innocuité peuvent entraver la détection et les réponses appropriées. Les incestes sont une problématique de santé publique majeure, tant par leur fréquence que par la gravité des répercussions chez les victimes. Le caractère secret, la confusion des places et des rôles de chacun, l’aspect transgénérationnel de l’inceste sont autant de dimensions qui contribuent au développement de troubles psychiques. Selon les conclusions intermédiaires CIIVISE Commission Inceste 2022*, les enfants en situation de handicap présentent un risque 2,9 fois plus élevé d’être victimes de violences sexuelles. Si le handicap est lié à des déficiences intellectuelles cognitives, le risque est 4,6 fois plus élevé. Les violences sexuelles sont souvent répétées : pour plus d’un quart des victimes, elles ont duré plus d’un an. Nous pouvons décrire deux types d’incestes fraternels : l’inceste fraternel primaire est une union sexuelle entre consanguins de la même génération (frère et sœur) qui peuvent avoir la même mère et le même père ou bien un des parents communs ; l’inceste fraternel secondaire perpétré par un groupe de pairs qui prend symboliquement la place des frères et sœurs (familles recomposées, enfants placés, etc.).   Difficultés à reconnaître l’abus Les enfants s’identifient rarement comme des victimes d’inceste fraternel. Il y a souvent un décalage entre les niveaux de développement psychosexuel des deux enfants. Les comportements sexuels sont souvent exprimés dans le contexte du jeu et les jeunes victimes sont susceptibles de trouver ces activités agréables. La dynamique complexe de la relation fraternelle elle-même va aussi brouiller les pistes. Une relation affectueuse « spéciale » de la même génération peut être accueillie favorablement par un frère ou une sœur plus jeune appartenant à une famille caractérisée comme chaotique, dysfonctionnelle et relativement peu attentive aux besoins de cet enfant. Au début, la nature sexuelle des comportements n’est pas apparente. La jeune victime ne reconnaît pas ces comportements comme inappropriés. Les comportements progressent au fil du temps vers des activités sexuelles de plus en plus explicites, invasives et parfois même coercitives. L’initiateur utilise un sentiment de complicité pour amplifier les sentiments de réciprocité et exacerber les sentiments de culpabilité et de honte de la victime, ce qui va faire obstacle à la révélation. À l’examen clinique, la plupart des enfants victimes d’abus sexuels ne présentent pas de lésions génitales ou anales, surtout lorsqu’ils sont examinés de manière non aiguë. Plus de 90 % des agressions sexuelles sur les enfants ne laissent pas de trace physique et si traces il y a, elles disparaissent très rapidement. Au total, 73 % des plaintes pour agressions sexuelles font l’objet d’un classement sans suite et 0,2 % des auteurs de ces violences sur les enfants sont condamnées. Les scarifications, depuis les premières descriptions du XIXe siècle ont été liées aux abus sexuels. Les études récentes montrent que l’inceste est un risque de proximité des scarifications et non pas un facteur étiologique.   La mise à l’abri Il s’agit souvent d’une réponse rapide avec l’ordonnance de placement provisoire (OPP). Le placement des enfants, c’est-à-dire la prise en charge d’un mineur en dehors de son foyer familial, est encadré par le droit pour la simple raison qu’il crée une situation qui ne respecte pas les droits fondamentaux de la famille. La vie familiale est également protégée en droit interne par les dispositions du Code civil qui organisent la filiation et l’autorité parentale, garantissant ainsi à l’enfant la présence de ses parents et une vie familiale indispensable à son évolution. La réponse rapide à une situation de danger est parfois brutale et pose la question : soit de la double peine pour l’enfant victime dans une situation où souvent le mis en cause reste chez les parents alors que la victime est placée le jour-même en famille d’accueil ; soit du risque de maintenir au sein d’une famille dysfonctionnelle une victime qui risquerait d’être soumise à des pressions et à une injonction au silence. Aujourd’hui, on constate qu’un placement n’est jamais en soi une bonne solution, sauf lorsqu’il s’agit d’une mesure temporaire de protection de l’enfant. Dans ce type d’urgence de protection, le mis en cause est un enfant et un membre de la fratrie. Il serait intéressant de développer des synergies entre les Unités d’accueil pédiatrique enfant en danger (UAPED), les services de pédiatrie, les magistrats et la protection de l’enfance pour que chaque fois que cela sera possible la double peine systématique du placement soit épargnée à la victime. Le mis en cause pourrait dans les situations familiales favorables bénéficier d’une hospitalisation en milieu neutre le temps que les évaluations médicales, psychologiques et sociales puissent être faite et que la moins mauvaise solution pour les deux enfants puisse être choisie.

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