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Rhumatologie - Os - Orthopédie - Traumatologie

Publié le 10 mar 2022Lecture 12 min

Hyperlaxité de l’enfant et de l’adolescent

Bertrand CHEVALLIER, Marlène JOURNEAUX, Centre de référence du Syndrome de Marfan, CHU Bichat (APHP) et Service de pédiatrie, CHU Ambroise-Paré (APHP), Université Paris Saclay

Hyperlaxité et hypermobilité sont fréquentes chez l’enfant, en particulier chez les plus jeunes entre 1 et 4 ans. Quelle démarche diagnostic suivre ? Quand rechercher une cause et notamment quand évoquer un syndrome d’Ehlers-Danlos ?
Les réponses de Bertrand Chevallier et de Marlène Journeaux (Boulogne-Billancourt).

Les termes hypermobilité, hyperlaxité, sont utilisés indifféremment par certains auteurs. L’hypermobilité traduit communément l’augmentation d’une amplitude articulaire physiologique, tandis que l’hyperlaxité traduit un mouvement excessif dans un plan de mobilité articulaire anormal. Une articulation peut être hypermobile sans être laxe. La laxité prédispose à l’instabilité d’une articulation donnée, tandis que l’hypermobilité généralisée (surtout si elle est combinée à une insuffisance musculaire ou pro-prioceptive) prédispose plutôt à des symptômes généraux tels que des arthralgies et/ou une fatigabilité. Épidémiologie L’ensemble des études ne portant que sur des enfants et adolescents, présumés sains (sans symptômes ou complications) font état d’une prévalence de 25 à 35 % de l’hyperlaxité (HA) sur des critères cliniques(1). La prévalence est plus élevée dans la tranche d’âge 1-4 ans que dans les tranches d’âges 5- 10 ans et 11-15 ans. Les filles sont surreprésentées. Les études ad hoc ne prenant en compte que des enfants diagnostiqués hyperlaxes à l’occasion de complications ou du premier bilan de dépistage d’une maladie génétique ou neuromusculaire, et suivis pendant une période de 5 à 15 ans, voient le niveau d’ HA baisser avec l’âge(2) (figure 1). Figure 1. Hyperlaxité habituelle chez le jeune enfant Démarche diagnostique L’hyperlaxité (HA) est-elle cliniquement confirmée ? Le premier temps de la démarche diagnostique vise à confirmer l’hyperlaxité. Dans le cas d’une HA, il existe cependant des tests cliniques simples : en particulier le score de Beighton(3) qui permet de confirmer ou d’écarter le diagnostic. Il s’agit d’une série de 9 manœuvres cliniques (figure 2) cotant chacune pour 1 point. Figure 2. Évaluation du score de Beighton, selon 5 items (A, B, C, D, E). L’utilisation des 9 critères de Beighton (tableau 1) permet de définir chez l’adulte la notion d’HA généralisée pour un score ≥ 4. Deux études récentes mettent en doute la spécificité et la sensibilité de ce test et proposent un seuil de positivité différent selon l’âge, le sexe et l’ethnie(3,4). Une étude prospective portant sur 551 enfants de diverses écoles élémentaires néerlandaises(5), présumés en bonne santé, a été menée : plus de 35 % des enfants ont obtenu plus de 4/9 du score de Beighton. Une étude italienne(2) portant sur 284 jeunes enfants d’une moyenne d’âge de 3 ans, retrouve des chiffres sensiblement différents : 10 % des enfants sains ont un score ≥ 4 alors qu’en comparaison, 90 % des enfants porteurs d’une maladie génétique incluant l’HA avaient un score ≥ 6/9. Ainsi, chez l’enfant, il est maintenant communément admis qu’un score > 4 se retrouve fréquemment dans certaines formes d’HA localisée alors qu’un score ≥ 6 définira une HA généralisée (figure 2). Cette hyperlaxité est-elle isolée ou accompagnée de signes associés(6) ? Dans un second temps, un examen clinique ciblé est nécessaire avec un double objectif : préciser le caractère localisé ou généralisé de cette HA et identifier, parmi elles, les HA syndromiques. L’interrogatoire précise les antécédents familiaux squelettiques : anomalies thoraciques ou rachidiennes, affaissement des voûtes plantaires, épisodes récidivants d’entorses ou de fractures de complications cardiovasculaires ou oculaires la notion de douleurs articulaires, de fatigabilité notamment chez des sujets jeunes. L’examen locomoteur recherche une luxation congénitale de hanche, un pied-bot varus équin, des chutes et/ou entorses fréquentes témoignant d’une instabilité articulaire, un genu valgum, des luxations à répétition, un affaissement des voûtes plantaires. Sur le plan dermatologique, l’hyperextensibilité cutanée s’apprécie par une étirabilité de la peau au-delà des limites de la normale, notamment au niveau de la face antérieure (en position anatomique) des avant-bras et des faces latérales du cou. La texture de la peau est veloutée et douce, en particulier au niveau des paumes de mains. On peut remarquer des ecchymoses, des contusions, une fragilité cutanée, un retard de cicatrisation, des cicatrices dystrophiques, des vergetures, un réseau veineux sous-cutané trop visible. L’examen neurologique pourra aussi rechercher une anomalie neuromusculaire, des troubles de la proprioception et de l’équilibre, ainsi qu’un syndrome dysautonomique. Hypermobilités articulaires (HA) généralisées Les HA syndromiques(7) La base de données française des maladies rares (Orphanet) indique 139 maladies ou syndromes incluant la présence d’une HA. Certains syndromes sont fréquents comme la trisomie 21, l’ostéogenèse imparfaite, la cutislaxa, etc. Dans la plupart des cas, cette hyperlaxité n’est pas isolée ; elle ne fait pas découvrir le diagnostic et sa prise en charge est intégrée à celle de l’ensemble des signes cliniques du syndrome. Deux syndromes peuvent se révéler par une HA symptomatique ou non et doivent être d’emblée évoqués : le syndrome d’Ehlers-Danlos et le syndrome de Marfan. L’hyperlaxité est-elle évocatrice d’un syndrome d’Ehlers-Danlos (SED)(8,9) ? Les SED sont des maladies héréditaires du tissu conjonctif, de transmission génétique le plus souvent autosomique dominante, affectant la biosynthèse et/ou la structure des collagènes. Il en existe plusieurs formes cliniques. L’examen clinique focalisé sur le système locomoteur, la peau, le système nerveux et l’étude de la douleur peut permettre de distinguer une HA physiologique d’une autre dans le cadre d’un SED. L’existence d’antécédents familiaux est un argument additionnel en faveur du diagnostic, même si 50 % des cas sont dus à des mutations de novo. Ils sont dus à des anomalies de la bio-synthèse et/ou de la structure de protéines de la matrice extracellulaire. Leur prévalence est estimée à 1 / 5 000. Une classification actualisée avec 13 types de SED (répartis en 7 groupes pathogéniques) a été publiée en 2017 et fait désormais référence (tableau 2). Elle remplace la classification de Villefranche qui était utilisée depuis 1998. Il est important de distinguer les différents types de SED, car ils n’exposent pas aux mêmes complications et leur pronostic est donc différent. Le diagnostic de chaque type de SED repose sur des critères définis par un consortium international. Le SED hypermobile est le type le plus fréquent. Ses bases physio-pathologiques ne sont pas encore identifiées. Il semble se transmettre sur le mode autosomique dominant et être plus fréquent dans le sexe féminin. Il se manifeste par une HA généralisée (figure 1), des entorses et des (sub)luxations à répétition et un tableau douloureux chronique retentissant sur la qualité de vie (limitation des capacités physiques). Son diagnostic peut être difficile, basé essentiellement sur un faisceau d’arguments cliniques (HA généralisée, instabilité articulaire, douleurs diffuses, asthénie) en l’absence de test génétique, puisque aucun gène n’a encore été identifié dans cette forme clinique. Le développement récent du séquençage massivement parallèle pourrait permettre d’identifier un ou plus vraisemblablement plusieurs gènes dans les prochaines années. Il existe dans la littérature une controverse sur la définition du SED hypermobile, certains auteurs utilisant des critères diagnostiques stricts comme présentés dans la nosologie de Villefranche, d’autres auteurs privilégiant l’hypothèse d’un continuum clinique avec le syndrome d’hypermobilité articulaire (en anglais Joint Hypermobility Syndrome, JHS) dont la fréquence élevée (estimée à 0,2 à 1 % de la population) pourrait faire reconsidérer l’appartenance de cette affection aux maladies rares. Le SED classique. Il est dû à une mutation dans un des gènes du collagène 5. Il se manifeste par une HA généralisée et une atteinte cutanée caractéristique : peau douce et veloutée, hyperextensible, fragile, hématomes, cicatrices papyracées atrophiques, pseudotumeursmolluscoïdes. Le SED cyphoscoliotique. De transmission autosomique récessive, il est responsable d’une hypotonie musculaire congénitale, d’une cyphoscoliose congénitale sévère, d’une HA et expose à des complications artérielles. Il est dû soit à un déficit en lysyl-hydroxylase 1 (associé à des cicatrices atrophiques et une fragilité oculaire pouvant aller du décollement de rétine à la rupture du globe), soit à des mutations du gène FKBP14 (associé alors à une surdité congénitale et une atrophie musculaire). Le SED arthrochalasique. Il est dû à des mutations dans les gènes du collagène 1. Les patients présentent une histoire de luxation congénitale des hanches, une HA compliquée d’entorses et de luxations, une peau fragile et hyperextensible avec des cicatrices atrophiques, une hypotonie musculaire et une cyphoscoliose. Une possible exception à cette règle est représentée par les enfants présentant un phénotype évoquant un syndrome d’Ehlers-Danlos mais en association avec une microdélétion 6q27 qui peut être détectée par CGH array, examen complémentaire de première intention chez les patients présentant un phénotype de SED en association avec une déficience intellectuelle. L’HA est-elle évocatrice d’un syndrome de Marfan (MFS)(11-13) ? Le syndrome de Marfan (MFS) est une maladie autosomique dominante de diagnostic difficile, sa prévalence estimée est autour de 1/5 000 individus. Des groupes d’experts (Berlin, Gand) ont établi des critères diagnostiques basés sur des signes cliniques majeurs et/ou mineurs et l’identification de l’anomalie moléculaire. Les symptômes peuvent apparaître à tout âge et sont très variables d’une personne à l’autre, y compris dans une même famille. L’atteinte cardiovasculaire se caractérise par 1) une dilatation progressive de l’aorte s’accompagnant d’un risque élevé de dissection aortique qui conditionne le pronostic ; la dilatation aortique peut entraîner une fuite valvulaire aortique ; et 2) une insuffisance mitrale qui peut se compliquer (arythmies, endocardite, insuffisance cardiaque). Les complications oculaires, essentiellement l’ectopie du cristallin, peuvent conduire à la cécité. Il peut également exister des signes cutanés (vergetures), un risque de pneumothorax, et une ectasie durale. Les signes squelettiques sont souvent des signes d’appel et peuvent comprendre une dolichosténomélie (longueur excessive des extrémités), une grande taille, une arachnodactylie, une HA généralisée, une cyphoscoliose, une protrusion acétabulaire, une déformation du thorax en pectus carinatum ou en pectus excavatum. L’HA est souvent le signe le plus précoce chez le nourrisson. L’affaissement de la voûte plantaire survient dès les premières années. Les entorses et/ou luxations sont rares avant 6-7 ans, mais une instabilité de la cheville fréquente à cet âge doit être réduite par le port de chaussures adaptées. L’HA du syndrome de Marfan diminue aussi avec l’âge. Dans l’immense majorité des cas, le syndrome de Marfan est dû à des mutations du gène FBN1 (15q21) qui code pour la fibrilline-1, une protéine essentielle du tissu conjonctif. Des formes frontières sont reconnues qui sont notamment secondaires aux mutations du gène TGFBR2 localisé sur le chrmosome 3, codant pour un récepteur du TGF-bêta dont les liens avec la fibrilline expliquent la physiopathologie des atteintes. Le diagnostic se base sur les signes cliniques et les antécédents familiaux. Cependant, du fait d’un tableau clinique extrêmement variable entre les patients, le diagnostic est souvent difficile à établir. Pour l’améliorer, des critères diagnostiques internationaux ont été établis (les critères de Ghent) basés sur des signes cliniques majeurs et/ou mineurs. La réduction de la pratique de certains sports, la kinésithérapie, la prescription de chaussures orthopédiques permettent de limiter les conséquences de l’HA à l’âge pédiatrique. HA généralisée et myopathies(14) Certaines myopathies sont associées à l’HA : dystrophie musculaire congénitale d’Ullrich, myopathie de Bethléem, dystrophie musculaire congénitale avec HA, maladie multimineure, maladie du noyau central et dystrophie musculaire du membre inférieur avec étincelle et contractures. Syndromes associant une HA(8) L’hypermobilité articulaire commune La mobilité articulaire est maximale autour de 2 ans puis diminue rapidement jusqu’à l’adolescence. L’HA touche 12 à 15 % des enfants de 10-11 ans et 5 à 7 % des adolescents avec une prédominance féminine. La prévalence continue à décroître chez l’adulte où elle est estimée entre 2 et 6 % en fonction de l’âge dans les deux sexes. Présente dans toutes les populations, l’HA semble plus fréquente en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient(15). Cette prévalence est probablement globalement sous-estimée en l’absence de complications douloureuses ou mécaniques fréquentes. À l’inverse, une HA généralisée est retrouvée chez 60 à 70 % des enfants présentant des douleurs articulaires épisodiques ou récidivantes(15,16).  Certaines formes d’HA généralisée isolées restent muettes, ne donnant lieu à aucune complication et sont repérées lors d’un examen clinique systématique par l’évaluation du score de Beighton. Certaines questions peuvent se poser sur la valeur pathologique de cette HA qui pourrait n’être que la partie extrême d’une distribution normale de la laxité articulaire de la population étudiée. Plusieurs études de cohorte rétrospective et prospective ne retrouvent pas de complications spécifiques (arthrose, instabilité articulaire)(16).  La pratique intensive d’activités sportives (ou culturelles) pour lesquelles l’HA est unfacteur de réussite (danseurs classiques, gymnastes, musiciens professionnels) peut à l’inverse être à l’origine de douleurs articulaires chroniques ou d’arthrose précoce. L’expression clinique de l’HA est diverse(16). Il s’agit le plus souvent d’arthralgies persistantes au niveau des grosses articulations déclenchées par des activités habituelles et survenant après la phase de sollicitation articulaire. Ces arthralgies ne s’accompagnent pas de modifications locales, n’ont pas de rythme particulier, mais leur durée brève et leur répartition font évoquer le diagnostic. Dans une série de 125 enfants d’âge scolaire suivis pour une HA généralisée non syndromique dans une unité de rhumatologie pédiatrique, 67 % ont une activité physique réduite, 20 % ont des épanchements articulaires récidivants et 10 % des entorses ou subluxations récidivantes. La qualité de vie était affectée dans plus de 30 % des cas et des perturbations de la vie scolaire chez 41 %(17). Tous ces éléments doivent nuancer le caractère bénin de ce syndrome d’HA généralisée non syndromique. Le caractère familial est suggéré par les études portant sur des séries d’enfants présentant desarthralgies(15,17). L’association hyperélasticité cutanée/HA/distensibilité artérielle plaide pour une hyperlaxité multisystémique. Les HA localisées Genu recurvatum Nouveau-né Il est fréquemment retrouvé après un accouchement en siège décomplété. Cette attitude parfois impressionnante doit être distinguée du genou luxé. Une flexion active du genou au-delà de 45°, une augmentation progressive de la flexion dans les premiers jours de vie sont des éléments favorables et ne justifient aucun traitement. À l’inverse, l’impossibilité d’une flexion du genou < 45° doit faire évoquer une luxation ou un genu recurvatum sévère justifiant la pose d’attelles successives en flexion. Enfant et adolescent Plus fréquent chez la fille entre 10 et 15 ans, elle peut occasionner des douleurs de la face postérieure du genou, lors de la station debout prolongée ou à la marche. Cette anomalie se corrige spontanément avec l’âge. Une kinésithérapie visant le renforcement des muscles fléchisseurs du genou est parfois proposée. Les instabilités articulaires Elles surviennent le plus souvent après une lésion ligamentaire ou articulaire traumatique insuffisamment traitée, ou sur des malformations constitutionnelles (dysplasies). Ces instabilités peuvent intéresser l’épaule (à l’origine de luxations récidivantes), la cheville (entorses récidivantes après un traumatisme en varus insuffisamment immobilisé empêchant la cicatrisation ligamentaire). Les instabilités rotuliennes responsables de dérobements du genou ou de blocages douloureux en flexion peuvent s’associer à des anomalies constitutionnelles de la rotule ou du fémur. Des lésions cartilagineuses peuvent être la conséquence de blocages répétitifs. Une rééducation musculaire (quadriceps) associée au port d’une genouillère permet une évolution favorable. L’hyperlaxité auto-entretenue L’acquisition d’une hypermobilité articulaire sous l’effet d’un entraînement spécifique et intensif, est possible. Les danseurs de ballet, gymnastes et acrobates qui n’ont pas de laxité propre, ont besoin de développer une hypermobilité sur certaines articulations pour réaliser leur art. Cette hypermobilité « nécessaire » est généralement bien tolérée, mais expose à des lésions microtraumatiques (l’épaule du gymnaste). La frontière entre le physiologique et le pathologique est très étroite, et un traumatisme minime peut rapidement décompenser la stabilité articulaire.

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