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COVID-19

Publié le 28 mai 2021Lecture 13 min

Vaccination et immunité des enfants au temps de la Covid-19

Interview de François VIÉ LE SAGE, Aix-les-Bains
Vaccination et immunité des enfants au temps de la Covid-19

Depuis le premier confinement et l’adoption des gestes barrières, l’épidémiologie des maladies infectieuses de l’enfant s’est modifiée en même temps que la baisse de la couverture vaccinale (vaccins non Covid) s’est précisée. Quel bilan tirer aujourd’hui ? Quelles conséquences potentielles alors que la phase de déconfinement a débuté ? Les précisions de François Vié Le Sage (Aix-les-Bains, InfoVac, AFPA).

Pédiatrie Pratique – Au début de la pandémie, peu d’entre nous auraient pensé que la crise sanitaire se prolongerait aussi longtemps. Qu’est-ce qui a changé dans les cabinets de ville un peu plus d’un an plus tard ? François VIÉ LE SAGE – Comme le reste de la société, les pédiatres ont vécu un grand bouleversement. Dans les cabinets, nous avons pris des mesures draconiennes pour éviter la transmission de la Covid-19, ce qui a entraîné une diminution de l’activité présentielle, une nouvelle organisation des salles d’attentes et des rendez-vous, la suppression de tout ce qui pouvait être un vecteur pour le virus : jouets, livres, etc. Parallèlement, la téléconsultation s’est beaucoup développée. Notre exercice a donc été profondément modifié et je pense que certaines pratiques vont persister, notamment en ce qui concerne l’hygiène et les mesures que je viens de citer. Pédiatrie Pratique – Cette évolution est-elle positive ou suscite-t-elle une forme de « déshumanisation » ? F. VIÉ LE SAGE – Je ne crois pas qu’il y ait eu une « déshumanisation » et j’ai même le sentiment contraire. En pratique libérale, un lien s’est créé parce que nous avons été présents tout au long de cette crise, que ce soit en présentiel ou en visioconférence. Nous avons augmenté notre temps de consultation afin d’éviter les croisements et le fait que les urgences infectieuses aient été beaucoup moins nombreuses, nous a permis d’avoir des consultations plus calmes, plus détendues. Ainsi, nous avons pu répondre aux nombreuses interrogations des parents : que faire avec un cas contact dans la famille ? Quelle attitude vis-à-vis de l’école ?, etc. Pédiatrie Pratique – Les études montrent un accroissement de l’anxiété, du stress et même de passage à l’acte suicidaire chez les enfants et les adolescents. Constatez-vous ces conséquences psychosociales dans votre cabinet ? F. VIÉ LE SAGE – Il faut distinguer les enfants du primaire et les adolescents. Chez ces deniers, nous constatons en effet une « épidémie » de tentatives de suicide. Nous voyons des adolescents déséquilibrés, avec de gros problèmes psycho-affectifs et en situation de décrochage scolaire. Mais nous en voyons beaucoup qui résistent très bien et qui étaient contents de rester chez eux, ce qui n’est bien sûr pas l’idéal. Cela dépend aussi du contexte familial. Ceux qui ont été accompagnés par une famille qui a su ou pu se rendre disponible n’ont pas eu de problème. Lorsque les rapports familiaux étaient déjà difficiles avant, la crise n’a fait qu’aggraver la situation. Les enfants plus petits ont pu être culpabilisés, notamment par les campagnes au début de la pandémie qui ont désigné les écoles comme les propagateurs du virus, alors qu’on sait aujourd’hui que cela est faux. Là aussi, la présence et l’attitude des parents ont été déterminantes. Lorsqu’ils ne sont pas anxieux, les enfants ne le sont pas, lorsqu’ils savent leur expliquer comment mettre un masque, les enfants le portent sans difficulté. Un autre problème pour les plus jeunes est l’absence de contact avec les grands-parents, qui sont des relais importants. Enfin, il y a la question de ceux qui vivent dans de mauvaises conditions. Dans les circonstances actuelles, il est bien sûr plus facile de vivre dans une grande maison que dans un deux pièces en HLM. Pédiatrie Pratique – Lors du premier confinement, au moment où les cabinets étaient à l’arrêt, les pédiatres ont craint l’accumulation d’un retard vaccinal chez les nourrissons. Où en est-on aujourd’hui ? F. VIÉ LE SAGE – Nous ne disposons pas d’études sur la couverture vaccinale, mais nous avons les données EPI-PHARE (groupement d’intérêt scientifique ANSM-CNAM) sur la vente des vaccins(1). Ces travaux montrent en premier lieu que les prescriptions d’antibiotiques, d’anti-inflammatoires et de corticoïdes ont largement diminué depuis le début de la pandémie, ce qui corrobore la réduction d’environ 80 % des infections respiratoires chez l’enfant pendant la même période. Il est vrai qu’aux mois d’avril et de mars de l’année dernière les enfants ne venaient plus se faire vacciner et que le déficit de doses n’a pas été entièrement rattrapé depuis. À partir de fin mai 2020, les ventes ont retrouvé leur niveau antérieur, mais sans combler le retard du premier confinement. Dans le dernier rapport EPI- PHARE, qui est daté de décembre 2020(2) , plus de 230 000 doses de vaccin HPV n’avaient pas été administrées, un chiffre qui était de 150 000 pour la vaccination ROR, qui concerne les plus jeunes ; les vaccins hexa- et pentavalents ont subi un moindre recul, avec toutefois environ 70 000 doses qui n’avaient pas été déli- vrées. Il n’y a pas eu de nouvelle enquête publiée depuis la fin 2020, il est donc difficile de savoir si la situation s’est améliorée. Pédiatrie Pratique – Ces résultats témoignent-ils du fait que l’effort de rattrapage vaccinal s’est concentré sur les nourrissons ? F. VIÉ LE SAGE – Au cours du premier confinement, les recommandations des sociétés savantes de pédiatrie ont particulièrement ciblé les plus petits, car chez les moins de 2 ans l’impact épidémiologique du retard vaccinal est immédiat. Pour ce qui concerne les rappels de l’adolescent, les faire à 11 ans ou 11 ans et demi n’a en revanche pas de conséquence majeure. On retrouve en effet cette différence selon les âges dans les chiffres EPI-PHARE, mais on note aussi qu’un vaccin comme le ROR a été touché.  Pédiatrie Pratique – Faut-il dès lors craindre des foyers épidémiques de rougeole ? F. VIÉ LE SAGE – Robert Cohen (InfoVac) décrit très bien la si -tuation actuelle avec le concept de « dette immunitaire » liée à deux facteurs. D’une part, la baisse de la couverture vaccinale avec un risque de résurgence de la rougeole comme en 2011. D’autre part, les enfants ont été et sont encore beaucoup moins malades : il n’y a pas eu de grippe cette année ; les bronchiolites sont apparues très tardivement : il y a environ deux mois, avec des formes moins graves et une circulation du VRS qui est déjà en train de se stabiliser ; et il n’y a pratiquement pas eu de méningite à méningocoque. Pour l’instant cela est appréciable, mais il n’y a pas eu d’immunité collective pour ces maladies et on peut craindre des pics épidémiques à la sortie des confinements, lorsque la vie reprendra son cours normal. En temps ordinaire, de nombreux enfants sont porteurs du VRS au niveau des voies respiratoires supérieures sans faire de bronchiolite ; de même des adolescents sont porteurs du méningocoque sans présenter de méningite. Ces pathogènes ayant moins circulé depuis le début de la pandémie de Covid-19, ces sujets risquent de ne pas être immunisés. C’est pour cette raison que nous nous battons pour le rattrapage vaccinal et que nous souhaitons l’introduction de vaccins, en particulier celui contre les gastroentérites et celui contre le méningocoque B, dans le calendrier vaccinal des nourrissons. Pédiatrie Pratique – Peut-on assister à un déplacement de certaines maladies infectieuses à des âges différents de leur pic de fréquence habituel ? F. VIÉ LE SAGE – Suivant le pathogène, le risque et la gravité de la maladie sont différentes en fonction de l’âge. Le VRS est surtout dangereux chez l’enfant de moins de 3 mois, alors que la rougeole l’est plus chez le petit mais également chez les plus âgés. La coqueluche est surtout redoutée en-dessous d’un an, quant à la varicelle, sa gravité augmente aussi avec l’âge. Aux États-Unis, la vaccination a déplacé son pic de fréquence à l’âge de 11 ans alors qu’auparavant il était à 2 ou 3 ans, ce qui pouvait faire craindre des formes plus graves. Toutefois, la baisse globale de l’incidence obtenue avec les programmes de vaccination a permis de diminuer le nombre de cas graves en valeur absolue. Pédiatrie Pratique – Outre le rattrapage vaccinal, quelles mesures prendre pour éviter ces flambées épidémiques après le déconfinement ? F. VIÉ LE SAGE – Il faut renforcer les réseaux de surveillance, comme celui qui existe déjà pour le VRS. Pour exemple, nous menons actuellement une étude avec ACTIV (Association clinique thérapeutique infantile du Val-de-Marne) utilisant un écouvillon qui détecte à la fois le VRS, le SARS-CoV-2 et le virus influenza pour essayer de voir la part de chacun des pathogènes chez les enfants de moins de 2 ans présentant une bronchiolite. Il faut également conserver la culture des gestes barrières comme cela se fait en Asie : se laver souvent les mains, porter un masque, se moucher dans un mouchoir jetable, aérer les pièces, etc. Car l’une des leçons majeures de cette pandémie est le formidable impact de ces gestes sur les maladies infectieuses de l’enfant. Pédiatrie Pratique – Avez-vous l’impression qu’avec l’arrivée des vaccins contre la Covid-19 l’hésitation vaccinale a reculé ? F. VIÉ LE SAGE – Un autre aspect positif est la rapidité avec laquelle, grâce aux chercheurs et à l’industrie pharmaceutique, nous avons pu disposer de plusieurs vaccins avec des efficacités de 70 à 95 % alors qu’il y a un an le seuil fixé par l’OMS était à 75 %. On n’a jamais autant entendu parler de vaccins et je remarque que tout le monde en réclame plus. Je travaille sur l’hésitation vaccinale et je me réjouis aujourd’hui de l’adhésion d’une majorité des Français. Il faut cependant distinguer les 1 à 2 % de la population qui sont anti-vaccins, ceux qui participent souvent à des réseaux complotistes et que nous ne parviendrons pas à convaincre, des 40 % qui sont hésitants. Ces derniers ont des interrogations compréhensibles, car s’inquiéter de ce que l’on fait à vos enfants est une qualité lorsqu’on est parent. Abondamment relayé par les médias, le discours des anti-vaccins avait une certaine influence sur ces derniers, mais je pense que la situation s’est inversée. Certes, les vaccins peuvent avoir des effets indésirables, cela est inévitable au regard des centaines de millions de personnes auxquelles ils sont administrés, mais la notion de balance bénéfice/risque très en faveur de la vaccination commence à être mieux comprise. Il est d’ailleurs regrettable qu’il ait fallu une épidémie aussi sévère pour que l’intérêt des vaccins soit compris par beaucoup. Pédiatrie Pratique – Faut-il dès lors craindre des foyers épidémiques de rougeole ? F. VIÉ LE SAGE – Robert Cohen (InfoVac) décrit très bien la situation actuelle avec le concept de « dette immunitaire » liée à deux facteurs. D’une part, la baisse de la couverture vaccinale avec un risque de résurgence de la rougeole comme en 2011. D’autre part, les enfants ont été et sont encore beaucoup moins malades : il n’y a pas eu de grippe cette année ; les bronchiolites sont apparues très tardivement : il y a environ deux mois, avec des formes moins graves et une circulation du VRS qui est déjà en train de se stabiliser ; et il n’y a pratiquement pas eu de méningite à méningocoque. Pour l’instant cela est appréciable, mais il n’y a pas eu d’immunité collective pour ces maladies et on peut craindre des pics épidémiques à la sortie des confinements, lorsque la vie reprendra son cours normal. En temps ordinaire, de nombreux enfants sont porteurs du VRS au niveau des voies respiratoires supérieures sans faire de bronchiolite ; de même des adolescents sont porteurs du méningocoque sans présenter de méningite. Ces pathogènes ayant moins circulé depuis le début de la pandémie de Covid-19, ces sujets risquent de ne pas être immunisés. C’est pour cette raison que nous nous battons pour le rattrapage vaccinal et que nous souhaitons l’introduction de vaccins, en particulier celui contre les gastroentérites et celui contre le méningocoque B, dans le calendrier vaccinal des nourrissons. Pédiatrie Pratique – Peut-on assister à un déplacement de certaines maladies infectieuses à des âges différents de leur pic de fréquence habituel ? F. VIÉ LE SAGE – Suivant le pathogène, le risque et la gravité de la maladie sont différentes en fonction de l’âge. Le VRS est surtout dangereux chez l’enfant de moins de 3 mois, alors que la rougeole l’est plus chez le petit mais également chez les plus âgés. La coqueluche est surtout redoutée en-dessous d’un an, quant à la varicelle, sa gravité augmente aussi avec l’âge. Aux États-Unis, la vaccination a dé- placé son pic de fréquence à l’âge de 11 ans alors qu’auparavant il était à 2 ou 3 ans, ce qui pouvait faire craindre des formes plus graves. Toutefois, la baisse globale de l’incidence obtenue avec les programmes de vaccination a permis de diminuer le nombre de cas graves en valeur absolue. Pédiatrie Pratique – Outre le rattrapage vaccinal, quelles mesures prendre pour éviter ces flambées épidémiques après le déconfinement ? F. VIÉ LE SAGE – Il faut renforcer les réseaux de surveillance, comme celui qui existe déjà pour le VRS. Pour exemple, nous menons actuellement une étude avec ACTIV (Association clinique thérapeutique infantile du Val-de-Marne) utilisant un écouvillon qui détecte à la fois le VRS, le SARS- CoV-2 et le virus influenza pour essayer de voir la part de chacun des pathogènes chez les enfants de moins de 2 ans présentant une bronchiolite. Il faut également conserver la culture des gestes barrières comme cela se fait en Asie : se laver souvent les mains, porter un masque, se moucher dans un mouchoir jetable, aérer les pièces, etc. Car l’une des leçons majeures de cette pandémie est le formidable impact de ces gestes sur les maladies infectieuses de l’enfant. Pédiatrie Pratique – Avez-vous l’impression qu’avec l’arrivée des vaccins contre la Covid-19 l’hésitation vaccinale a reculé ? F. VIÉ LE SAGE – Un autre aspect positif est la rapidité avec laquelle, grâce aux chercheurs et à l’industrie pharmaceutique, noud avons pu disposer de plusieurs vaccins avec des efficacités de 70 à 95 % alors qu’il y a un an le seuil fixé par l’OMS était à 75 %. On n’a jamais autant entendu parler de vaccins et je remarque que tout le monde en réclame plus. Je travaille sur l’hésitation vaccinale et je me réjouis aujourd’hui de l’adhésion d’une majorité des Français. Il faut cependant distinguer les 1 à 2 % de la population qui sont anti-vaccins, ceux qui participent souvent à des réseaux complotistes et que nous ne parviendrons pas à convaincre, des 40 % qui sont hésitants. Ces derniers ont des interrogations compréhensibles, car s’inquiéter de ce que l’on fait à vos enfants est une qualité lorsqu’on est parent. Abondamment relayé par les médias, le discours des anti- vaccins avait une certaine influence sur ces derniers, mais je pense que la situation s’est inversée. Certes, les vaccins peuvent avoir des effets indésirables, cela est inévitable au regard des centaines de millions de personnes aux- quelles ils sont administrés, mais la notion de balance bénéfice/risque très en faveur de la vaccination commence à être mieux comprise. Il est d’ailleurs regrettable qu’il ait fallu une épidémie aussi sévère pour que l’intérêt des vaccins soit compris par beaucoup. Pédiatrie Pratique – Faut-il prévoir une vaccination des enfants contre la Covid-19 ? F. VIÉ LE SAGE – La raison pour laquelle les enfants n’ont pas été vaccinés est que nous n’avons pas assez de vaccins. Du fait de cette pénurie, il a fallu choisir des sujets prioritaires, ceux qui étaient le plus menacés par la Covid-19, en particulier les résidents des EHPAD. La deuxième phase qui débute maintenant vise à diminuer la circulation du virus, en particulier chez les adultes jeunes. Les données jusqu’en septembre dernier montraient en effet que les 20-29 ans étaient les principaux vecteurs de la maladie, bien que la situation peut avoir évolué avec les nouveaux variants. Quoi qu’il en soit, le contrôle de la circulation virale peut être obtenu lorsque plus de 60 % de la population sera vaccinée. Les enfants et adolescents seront alors concernés. Dans un premier temps, il faudra vacciner les adolescents (11-16 ans), qui transmettent autant le virus que les adultes jeunes, puis les 11-6 ans et, dans un troisième temps, peut-être les moins de 6 ans. Il faut souligner par ailleurs que nous commençons seulement à avoir des résultats d’études de vaccination chez les enfants. Enfin, même si les syndromes inflammatoires multi-systémiques pédiatriques (MIS-C ou PIMS) sont rares, les enfants auront aussi un avantage à être vaccinés et cela facilitera le maintien de l’ouverture des écoles qui est essentiel pour leur santé mentale. Pédiatrie Pratique – Que pensez-vous de ceux qui ont réclamé la fermeture des écoles ? F. VIÉ LE SAGE – Un certain nombre de médecins et d’infec- tiologues ont prôné la fermeture des écoles en faisant croire qu’elles constituaient le foyer d’où la pandémie s’est développée. Cela est faux. Que cela soit aux États-Unis ou en Europe, les données montrent que c’est à partir des lieux de travail ou des lieux de rencontres festifs que l’épidémie s’est diffusée et pas à partir des établissements(3) scolaires . Quant aux enfants, leur mode de contamination est le plus souvent intrafamilial. Avec les nouveaux variants, cependant, les enfants, comme le reste de la population, sont plus souvent malades et donc plus souvent contagieux. C’est aussi pour cette raison qu’il faudra protéger tout le monde, les enfants autant que les autres.

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