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Le risque en pédiatrie

Publié le 04 jan 2021Lecture 11 min

Le principe de précaution : ce concept peut-il s’appliquer au risque médical ?

Bertrand CHEVALLIER, Boulogne-Billancourt

Pourquoi les médecins font-ils généralement preuve d’une grande méfiance envers le principe de précaution ? Pourquoi son application dans le champ de la santé et de l’acte médical ne serait-elle pas justifiée ? Parce que, comme l’explique Bertrand Chevallier, le concept souffre, en médecine, d’une ambiguïté fondamentale.

« Il faut toujours prendre le maximum de risques avec le maximum de précaution » Rudyard KIPLING Définitions Le principe de précaution est un principe philosophique qui a pour but de mettre en place des mesures pour prévenir des risques, lorsque la science et les connaissances techniques ne sont pas à même de fournir des certitudes, principalement dans le domaine de l’environnement et de la santé. Contrairement à la prévention qui s’intéresse aux risques avérés, la précaution, forme de prudence dans l’action, s’intéresse aux risques potentiels. Elle recouvre les dispositions mises en œuvre de manière préventive afin d’éviter un mal ou d’en réduire ses effets, avant qu’il ne soit trop tard. Le principe de précaution existait à différents niveaux dans des chartes et conventions internationales ou dans des lois nationales. Mais c’est en 1992, lors de la déclaration de Rio (principe n°15) qu’il a été entériné, à l’issue de la deuxième conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement. En France, la loi n°95-101 du 2 février 1995 (dite loi Barnier) relative au renforcement de la protection de l’environnement inscrit le principe de précaution. En février 2005, le Parlement réuni en Congrès a inscrit dans la Constitution, la Charte de l’environnement, installant par là même le principe de précaution (art. 5) au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques, mais dans une rédaction différente, plus précise en ce qu’elle définit qui doit faire quoi, alors que les versions antérieures restent floues avec une forme de phrase passive et négative : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » Le principe de précaution en ce qui concerne l’environnement, selon la loi française, s’impose à toutes les administrations, c’est- à-dire à l’État, aux collectivités territoriales et à tous les établissements publics y incluant la santé dans toutes ses composantes. Compte tenu du champ très large de ce principe, sa mise en œuvre est sujette à des interprétations contradictoires. Il y a donc deux différences fondamentales entre les applications classiques de la théorie du risque et le champ d’application du principe de précaution : le principe de précaution correspond typiquement à des événements que l’on ne peut pas probabiliser et les conséquences de ces événements potentiels peuvent être très importantes. Le but ici n’est pas d’affirmer que le principe de précaution est applicable ou non en médecine, mais d’examiner ce qu’une réflexion sur le principe de précaution peut apporter en médecine, en prenant la liberté d’en revisiter l’interprétation et de réexplorer les notions de prudence, prévention, principe et règles. La méfiance qu’entretient globalement le monde médical envers le principe de précaution est explicable par deux raisons. L’univers médical a trois composantes qui, régies par des logiques propres, sont étrangères sinon en conflit les unes envers les autres : la santé publique, la recherche biomédicale et l’acte médical individuel qui constitue le cœur de notre médecine clinique. Ces trois domaines sont le lieu emblématique d’une crispation, voire d’une contradiction entre deux interprétations du principe de précaution, qui font du principe de précaution soit un principe de responsabilité, soit un principe juridico-politique. La deuxième raison est d’ordre conceptuel. Il existe en médecine, des imprécisions de vocabulaire comme principe et règle, principe de précaution, précaution, mesure de précaution, logique de précaution, prévention, prudence. Risques et probabilité En réalité, l’appréciation des risques et leur représentation diffèrent considérablement selon les composantes de l’univers médical, et on ne peut pas épouser ou rejeter en bloc le principe de précaution sans avoir étudié avec attention le domaine concerné. En reprenant la formule de Claude Got : « Un risque est une probabilité de dommage par exposition à un danger. » Dans un univers risqué : on sait quel événement indésirable peut survenir et on connaît sa probabilité objective. Le calcul de la survenue probable d’un tel événement constitue la maîtrise du risque ; le fonctionnement d’un service accueil et d’urgences ou d’une réanimation entre dans ce cadre. Dans un univers incertain : la probabilité objective d’un événement indésirable n’est pas identifiée tout en sachant qu’il peut survenir. Il faut alors s’appuyer sur une probabilité subjective qui lorsqu’elle prend la forme d’une hypothèse argumentée et cohérente, est une plausibilité. La prise en charge d’un patient en situation critique s’inscrit dans ce cadre d’incertitude. Dans un univers indéterminé (nouvelle maladie, nouvel outil, nouveau produit) : on ne connaît pas l’événement indésirable sus- ceptible de se produire. On est donc totalement dépourvu de toute probabilité objective ou subjective. Que dit le principe de précaution dans sa version officielle ? Il s’agit d’un principe d’action qui incite, face à la survenue éventuelle de dommages gravissimes dans un contexte d’incertitude, à mettre en œuvre des mesures destinées à conjurer le danger, sans attendre d’avoir levé cette incertitude. Deux conditions nécessaires s’imposent : la gravité du danger ou l’importance du risque, et le contexte d’une incertitude de nature scientifique, laquelle découle d’un défaut de connaissance des effets d’une action (diagnostique ou thérapeutique). Le principe de précaution découle de la prise de conscience somme toute assez récente que, contrairement à ce que nous pensions, la certitude de technique des phénomènes. Les trois univers de la médecine Dans les trois domaines de la médecine déjà évoqués, qu’en est-il de la possible application du principe de précaution tel qu’il est défini officiellement ? Dans le domaine de la santé publique, le principe de précaution s’applique dans des situations où sont identifiés des risques technologiques matériels différés. Il s’agit de risques découlant soit d’une exposition de longue durée à un contaminant (risque individuel), soit d’un phénomène d’accumulation (risque global). Pour ce genre de maladie, la reconnaissance d’un lien de causalité statistique exige du temps, un grand nombre de cas, et surtout, une vigilance active qui doit s’exercer dès les premiers indices sans attendre d’obtenir une confirmation basée sur une fréquence à long terme. La mesure du risque peut être rendue très difficile en raison de l’atteinte d’une petite partie de la population impliquant des facteurs de prédisposition génétique, comme c’est probablement le cas pour le développement de pathologies liées à l’usage du téléphone portable. Un exemple de risque cumulatif global est l’augmentation de la résistance des bactéries aux antibiotiques du fait de leur usage inconsidéré en médecine clinique. Dans le cas des risques individuels, les effets sont généralement mesurables, mais les causes restent entourées d’incertitude ; en revanche, pour les risques cumulatifs globaux, on assiste au phénomène inverse : les causes sont mesurables, mais les effets sont incertains. La question posée est de savoir si le principe de précaution est pertinent en médecine clinique, domaine par excellence de la décision partagée. Les opinions émises lors de la séance de l’Académie de médecine, opinions certes séparées de leur contexte sont assez révélatrices du climat de suspicion que les praticiens cliniciens nourrissent à l’égard du principe de précaution : – le risque zéro n’existe pas ; – on nous impose un devoir de connaissance de l’inconnu ; – le principe de précaution est inscrit en filigrane dans le code de déontologie ; – le principe de précaution est un plagiat amélioré du principe médical de prudence ; – le principe de précaution existe depuis l’aube de la médecine : c’est le primum non nocere hippocratique ; – si on est responsable de ce qui arrive en raison de notre action et qui n’était pas prévisible, alors on ne fera plus rien ; – le principe de précaution aboutit à l’obligation de résultat ; – la prudence dans l’action médicale individuelle devrait être la seule expression du principe de précaution. On peut, d’une certaine manière, souscrire à ces déclarations. Reste qu’il convient de s’interroger sur le sens que nous accordons au mot « prudence » et en quoi le principe de non-malfaisance contenu dans le primum non nocere hippocratique peut être distinct du principe de précaution. Enfin, pour amplifier la confusion, sont apparues dans la pratique médicale courante des mesures de précaution aveugles, inutiles et parfois dispendieuses, en arguant d’un « on ne sait jamais » censé traduire la quintessence du principe de précaution. Décision médicale et principe de précaution Composante clé de la démarche médicale, la prise de décision dans l’indication thérapeutique est parfois considérée du seul point de vue technique. Le problème n’est pas de comparer un risque à l’absence de risque, mais de comparer deux risques en hiérarchisant les conséquences connues ou hypothétiques, et en établissant une balance des risques et des bénéfices. La prise de décision est fondée sur l’examen comparatif des deux attitudes possibles, l’abstention ou l’intervention ; lorsque l’indication d’une intervention est formelle, la discussion s’exerce sur l’évaluation des avantages et des inconvénients des options possibles et réalisables en prenant appui, notamment, sur l’état des connaissances relatives à l’évolution naturelle de l’affection, la probabilité objective d’une amélioration par une stratégie donnée, et la probabilité de survenue de complications. L’incertitude vient de ce que les probabilités objectives ne peuvent s’appliquer à un individu singulier. Soixante-quinze pour cent de chances d’amélioration après tel type d’intervention ne signifient pas que le patient individuel a 75 chances sur 100 de constater une amélioration de sa condition. En médecine clinique, il s’agit certes d’abord de ne pas nuire, et ensuite de viser un bénéfice ; mais il ne s’agit pas pour autant de subordonner « le souci de faire le bien à celui de ne pas nuire, sous peine de paralyser toute initiative thérapeutique au seul motif qu’elle est susceptible d’entraîner des conséquences iatrogènes ». Dans cet ordre d’idées, la référence systématique au principe de précaution en médecine peut sembler inappropriée et en regard de deux principes acquis de la médecine actuelle. La première est d’invoquer conjointement le devoir d’information et le principe de précaution et de s’abriter derrière le respect de l’autonomie du patient pour reléguer au patient la décision médicale qui le concerne ; Georges Canguilhem avait, déjà en son temps, dénoncé cette attitude en des termes très actuels : « Certains praticiens, par caractère ou par calcul, aiment à grossir les risques, à montrer des doutes et des craintes. Ils laissent au malade le souci de choisir la thérapeutique qui lui convient. Ils croient diminuer ainsi leurs responsabilités éventuelles. Précaution inutile et, surtout, inhumaine cruauté. » La seconde dérive, soulignée dans un article paru dans Le Monde au début des années 2010, intitulé « La déprime du bistouri », consiste « à préconiser des solutions thérapeutiques radicales d’emblée, comme l’amputation d’un membre traumatisé ou atteint d’une tumeur, pour réduire les risques inhérents aux opérations conservatrices et éviter de la sorte, sous couvert de précaution, une longue chaîne de tourments au patient ». C’est oublier que, pour reprendre une formule heureuse du CCNE (Comité national d’éthique), il y a certes « un primat du principe de non-malfaisance, mais une primauté du principe de bienfaisance ». La version officielle du principe de précaution n’est pas applicable en médecine clinique en ce que le primum non nocere hippocratique ne résume pas l’acte médical. Facteurs de risques et principe de précaution Le principe de précaution peut ainsi se présenter comme un principe de non-malfaisance ou, au contraire, comme un principe de bienfaisance, et c’est cette ambivalence fondamentale qui conduit à son discrédit en médecine clinique. Ont été ainsi identifiés des facteurs de risque et, en fonction de leur association, des niveaux de risque : risque faible, risque modéré, risque élevé, risque très élevé. La prévention est activée en cas de risque élevé ou très élevé, c’est-à-dire lorsque l’on est en présence de plusieurs facteurs de risque et donc d’une forte probabilité de maladie ou de complications. Le raisonnement ne se conçoit qu’en termes d’hypothèse. Si l’hypothèse est haute, on doit prendre une mesure de prévention, mais, inversement, que faire en cas d’hypothèse faible ou nulle ? L’évaluation du risque est faite sur des critères ou facteurs de risque identifiés qui permettent, par leur regroupement, de définir quelques situations caractérisées par l’importance du risque. En réalité, il y a autant de situations que de patients, et on retrouve dans cette assertion ce qui fait la difficulté de la médecine clinique, l’opposition possible entre l’universel et le singulier. Conclusion La volonté de préservation ou de protection de soi, de l’autre ou des autres a pour expression formelle le principe d’anticipation, lequel est une injonction à mettre en mouvement un raisonnement hypothétique productif. La conclusion de ce raisonnement est un jugement tout entier contenu dans l’édiction d’une règle. On prendra ensuite la décision d’appliquer ou non la règle. L’application de la règle peut être une action ou une abstention d’agir. L’édiction de la règle est fonction de la validité des hypothèses. Si l’hypothèse est une quasi-certitude, la règle sera une règle de prévention. Si l’hypothèse est faible, voire nulle, la règle sera une règle de précaution. Dans le souci de l’autre, et dans une situation toujours singulière, le médecin doit peser les conséquences de son discours.

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