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L'œil du médecin d'adolescents

Publié le 29 sep 2020Lecture 4 min

Emma 14 ans très fatiguée

Rubrique coordonnée par Renaud DE TOURNEMIRE, CHU Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt

Emma, 14 ans, est adressée par son médecin traitant pour une anémie découverte à l’occasion d’un bilan biologique devant une fatigue depuis quelques semaines.

Une pâleur des conjonctives est notable chez cette adolescente à la peau noire. Le reste de l’examen est normal en dehors d’une tachycardie modérée. Le bilan est le suivant : – NFS Hb 6,2 g/dl, VGM 55 fl, réticulocytes 23 000/mm3, plaquettes 102 000/mm3, leucocytes 5 600/mm3, PNN 2 400/mm3 ; – ferritinémie 3 ng/ml (nle 20-160). Emma n’a pas d’antécédents médicaux. Elle est réglée depuis l’âge de 12 ans. Le médecin a recherché une carence d’apport en fer, des signes pouvant évoquer une malabsorption et enfin des éléments en faveur d’une perte sanguine excessive. Il n’y a pas de végétalisme et les apports en fer héminique sont corrects. Il n’existe pas de signes cliniques de malabsorption, pas de symptômes de MICI. Les courbes de croissance sont régulières. Enfin, à la question « Tes règles sont-elles normales ? », Emma répond positivement et notre collègue écarte une métrorragie. À la fin de la consultation la mère, interrogée sur les comportements alimentaires de sa fille, précise qu’elle mange une quinzaine de glaçons par jour depuis plusieurs mois, comme elle-même pouvait le faire pendant sa dernière grossesse. Devant la bonne tolérance clinique, une prescription de fer per os est réalisée. Les questions posées par le médecin sont nombreuses : - Quelle est l’origine de la carence martiale conduisant à cette anémie microcytaire arégénérative ? - Faut-il faire un myélogramme devant la thrombopénie alors que la carence en fer est connue pour entraîner une thrombocytose ? - Le pica peut-il expliquer la carence en fer ? La reprise de l’interrogatoire concernant les pertes menstruelles, en utilisant le score de Highmann permet de faire un diagnostic d’hémorragie utérine fonctionnelle. Demander à une adolescente si ses menstruations sont normales alors qu’elle est son propre témoin est peu fiable. Un trouble de la coagulation est recherché mais aucune anomalie n’est retrouvée. La thrombopénie, moins fréquente que la thrombocytose, est parfaitement décrite en cas de carence en fer. Elle se corrige en quelques jours sous traitement par fer. L’ingestion répétée de glaçons, appelée pagophagie, est un des picas les plus fréquents. Comme d’autres picas (géophagie, risophagie), elle est la conséquence et non la cause de de la carence martiale comme en témoigne la disparition du pica après une quinzaine de jours sous fer. Le pica Le pica est un trouble des conduites alimentaires défini par l’ingestion de substances non nutritives sur une période prolongée. Géophagie (terre, argile), pagophagie (glaçon ou givre), rizophagie (riz cru), amylophagie (amidon, blé) sont parmi les picas les plus fréquents. Elles prédominent chez les femmes, en particulier à l’adolescence et pendant les grossesses, périodes de la vie connues pour le risque de carence en fer (troubles du cycle menstruel à l’adolescence, besoins élevés en cours de grossesse). Une troisième catégorie a vu le jour cette dernière décennie avec le développement de la chirurgie bariatrique et notamment les by-pass intestinaux. Décrit initialement chez des sujets noirs, il est ubiquitaire. Les raisons de cette modification des comportements alimentaires sont aujourd’hui inconnues. L’avis du psychiatre de liaison est inopportun dans le pica par carence martiale ! • Hémorragie utérine fonctionnelle Après la ménarche, les cycles menstruels sont souvent anovu- latoires pendant un an ou deux. L’absence de corps jaune et sa sécrétion de progestérone empêchent alors la stabilisation de l’endomètre, entraînant des métrorragies. Les métrorragies sont des règles trop abondantes (> 80 ml ou 6 protections/jour), trop prolongées (> 7 jours) ou trop fré- quentes (< 21jours). Le calcul du score de Higham permet une évaluation semi-quantitative et objective de l’abondance du saignement. En cas de métrorragie repérée à l’adolescence, une NFS et un bilan martial sont nécessaires. Devant une anémie ferriprive, on complétera le bilan biologique par un bilan d’hémostase (TP, TCA, temps d’occlusion plaquettaire) à la recherche d’un trouble de la coagulation. Le traitement est double : restaurer les réserves en fer et corriger la carence en progestérone. – La supplémentation martiale devrait être orale et prolongée (3 mois). En cas d’anémie mal tolérée, un groupe sanguin et des RAI complètent le bilan avant une transfusion globulaire. Celle-ci permet une remontée immédiate de l’hémoglobine et une première charge en fer qui se prolongera par le traitement oral. – Prescription d’un progestatif sur 10 à 14 jours par mois (par exemple Duphaston® 10 mg) pour une durée de 3 à 6 mois. Ce traitement est contre-indiqué en cas d’antécédent de méningiome ou de neurofibromatose de type 1. Si la croissance est terminée, on prescrira parfois en première intention une pilule œstroprogestative de 2e génération à 20 ou 30 μg d’éthinylestradiol (Leeloo® ou Minidril® par exemple). Si l’anémie se combine à un saignement actif : – traitement antifibrinolytique par acide tranexamique (Exacyl®) IV, 20 mg/kg/j, 2 à 4 ampoules/24 h. Traitement contre-indiqué si antécédent convulsif personnel ; – pilule œstroprogestative de 2e génération à 30 μg d’ethinylestradiol: 1 à 2 cp à la 1re prise puis1cp toutes les 8 à 12h jusqu’à arrêt du saignement. Le traitement est poursuivi en continu à la dose de 30 μg d’éthinyl-estradiol/j pendant au moins 6 semaines avec un 1er arrêt d’une semaine à la fin de la deuxième plaquette de pilules. Traitement contre-indiqué si antécédent thromboembolique personnel. Un saignement actif imposera de surcroît une échographie pelvienne et des ßHCG. Quelle que soit la sévérité initiale, la mise en place d’un suivi médical spécifique est nécessaire.

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