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Cardiologie

Publié le 06 nov 2016Lecture 12 min

Les cardiopathies congénitales 15 ans après

M. LADOUCEUR*,**, J. CALDERON***,****, L. KASMI*****, L. ISERIN**, D. BONNET* *Service de cardiologie pédiatrique, hôpital Necker, Paris, Centre de référence des Malformations Cardiaques Congénitales Complexes (M3C) **Unité des cardiopathies congénitales

Au cours des dernières décennies, on a observé un changement radical de la démographie des patients avec une cardiopathie congénitale (CC). En effet, la population adulte dépasse maintenant la population pédiatrique, cette progression concernant surtout les CC complexes(1,2). Les médecins généralistes et les pédiatres sont maintenant beaucoup plus susceptibles de faire face à des patients plus âgés, dont des adolescents, qui ont survécu à des CC sévères. Ces patients constituent un groupe complexe avec des défis particuliers. En même temps, ces adolescents tentent d’acquérir une indépendance, tout en négociant la transition des soins de santé pédiatriques vers les soins d’adultes. Il est essentiel que les médecins interagissent avec le patient au cours de ces changements profonds.

  Épidémiologie L’incidence actuelle des CC est estimée entre 4 et 10 pour 1 000 naissances vivantes. Pour des raisons qui ne sont pas entièrement comprises, ce taux d’incidence semble augmenter, sans doute en grande partie du fait de l’amélioration du diagnostic. Toutefois, il est possible que l’exposition à de nouveaux facteurs de risque soit à l’origine de cet accroissement. Les taux de mortalité par CC ont subi un changement spectaculaire avec les progrès de la chirurgie cardiaque congénitale, des procédures interventionnelles percutanées, les nouveaux traitements médicaux et nouvelles méthodes diagnostiques. Actuellement, plus de 90 % des enfants avec des lésions cardiaques survivent jusqu’à l’âge adulte. Le résultat de cette augmentation de l’incidence des naissances d’enfants avec une CC, couplé à un taux de mortalité considérablement réduit pour la plupart des lésions, a conduit à une augmentation du nombre d’adolescents et d’adultes avec une CC. Il y a maintenant plus d’adultes avec une CC que d’enfants(1), et depuis ces 30 dernières années la mortalité des patients avec une CC s’est déplacée massivement de l’âge pédiatrique à l’âge adulte(2) : l’âge médian de décès dans cette population était de 60 ans entre 1987 et 1993, il est de 75 ans sur la période 1999-2005. Cette progression est encore plus forte pour les cardiopathies congénitales complexes (telles que les cardiopathies avec une physiologie de ventricule unique) pour lesquelles l’âge médian de décès est passé de 2 à 23 ans. La prévalence exacte de la CC dans la population adulte n’est pas connue, mais elle est estimée à environ 3 000 par million d’habitants. En extrapolant à la population française, on peut donc estimer le nombre d’adultes avec une CC autour de 180 000. Ce changement dans la composition démographique des CC concerne aussi bien les pédiatres que les médecins d’adultes. Avant d’atteindre l’âge adulte, ces patients doivent traverser les années parfois difficiles de l’adolescence. Ils passent par un processus de transition pour préparer leur transfert vers les services d’adultes. La forte augmentation de patients adultes avec une CC est donc précédée d’une augmentation similaire du nombre d’adolescents. La croissance de la population adolescente avec une CC complexe est telle que les adultes atteints sont maintenant plus nombreux que les enfants. Les médecins pédiatres ou généralistes sont confrontés à ces patients de plus en plus nombreux et complexes. Bien que les patients qui ont eu une chirurgie cardiaque réparatrice aient été considérés comme « guéris », ils doivent faire face au cours de leur vie d’adulte à diverses complications, dont les arythmies, l’insuffisance cardiaque, et parfois une ou plusieurs réopérations. Cela peut concerner les lésions simples, mais surtout les lésions complexes telles que les cardiopathies avec un ventricule unique. Il est donc capital pour ces patients d’être suivis par des cardiologues avec une expertise dans les CC. Une étude récente a montré que la mortalité des adultes non suivis dans des centres experts en CC était significativement plus haute(3) ; ceci concerne surtout les CC complexes.   Difficultés psychosociales, neurologiques et émotionnelles Les adolescents avec une CC sévère subiront plusieurs interventions, certaines sous circulation extracorporelle. D’autres ont eu en période néonatale une cyanose profonde, avec parfois une acidose et des lésions cérébrales hypoxiques et/ou ischémiques. L’impact de ces facteurs sur le développement cérébral n’est pas complètement connu. Les enfants et adultes avec une CC ont tendance à avoir un QI plus bas que les sujets sains du même âge. Des anomalies du développement neurologique, mais aussi des troubles du langage, de la communication et de l’attention, ainsi que des anomalies neurocognitives dans la composante exécutive ont été mises en évidence chez les enfants et les adolescents avec une CC. Ces anomalies neurologiques sont liées à la sévérité de la CC(4). Le patient peut constater que ces complications, bien que subtiles, peuvent constituer un véritable obstacle à son projet de vie. Les troubles neuro-développementaux peuvent également avoir des répercussions sur l’émotionnel et le comportement de l’adolescent. L’adolescence est une période de changements hormonaux et neurologiques profonds, où les problèmes de comportement sont relativement fréquents dans la population générale. Les enfants avec une CC sont connus pour avoir une incidence accrue de comportements de retrait et d’agressivité. Ces tendances vont s’aggraver chez certains patients durant l’adolescence, et cela peut compliquer leurs soins. En plus des troubles de comportement, les maladies chroniques sont associées à une prévalence accrue de troubles émotionnels. Jusqu’à 1/3 des patients adultes avec une CC auraient un trouble psychiatrique, alors que la proportion est d’environ 1/5 dans la population adulte en général. Les adolescents avec des CC sévères ont souvent subi des hospitalisations répétées, pouvant entraîner un isolement social et une interruption de la scolarité. Cette condition peut leur rappeler en permanence leurs problèmes médicaux tels que la cyanose, les cicatrices, la limitation à l’effort. Les problèmes psychologiques les plus fréquemment observés chez les adolescents avec une CC sont la dépression et l’anxiété. Une diminution de l’estime de soi et un sentiment d’infériorité sont relativement communs, en partie liés à une réduction des performances physiques et des modifications de l’image corporelle liée aux cicatrices ou à une dysmorphie. L’anxiété est souvent due à des craintes liées à la mort cardiaque, et à la nécessité future de nouveaux traitements et/ou opérations. Des études ont montré que malgré les réductions spectaculaires de la mortalité des CC complexes, aucune amélioration psychologique en parallèle n’a été observée, représentant un domaine potentiel d’amélioration des soins chez ces adolescents. Plusieurs sociétés savantes recommandent que tous les patients ayant une CC, y compris les adolescents, aient uneévaluation cognitive et psychologique à la fois au niveau individuel et familial.   Qualité de vie Comme la survie des patients avec une CC s’est améliorée ces dernières années, une attention particulière s’est déplacée vers des mesures plus globales telles que la qualité de vie liée à la santé. On dispose d’un grand nombre de données sur la qualité de vie des enfants, adolescents et adultes atteints de CC, mais leurs résultats sont contradictoires. Ceci s’explique par l’utilisation de différentes méthodes de mesure de ce critère et par l’hétérogénéité des CC. Les études les plus rigoureuses ont montré une altération significative de la qualité de vie des patients ayant une CC, par rapport à leurs pairs en bonne santé(5). Sans surprise, l’ampleur de cet effet est liée à la gravité du diagnostic initial. Les enfants avec des CC simples, ne nécessitant pas d’intervention, peuvent avoir une qualité de vie comparable à celle des enfants en bonne santé. Cependant, les patients avec des CC univentriculaires ont une altération significative de leur qualité de vie. Certaines études ont montré que les enfants atteints qui ont une fratrie saine semblent avoir une qualité de vie inférieure aux enfants sans fratrie, ce qui suggère que les patients comparent négativement leurs capacités avec celles de leurs frères et sœurs sains. Cet effet peut s’aggraver pendant l’adolescence, lorsque les patients deviennent plus conscients de l’impact de la maladie sur leur vie. En outre, l’acceptation par les pairs et la participation à des activités de groupe a une importance maximale pendant cette période. Plusieurs études montrent une dégradation progressive de la qualité de vie du patient lors de cette transition de l’enfance à l’adolescence. Il existe également une divergence entre le jeune et ses parents sur les scores de qualité de vie au moment de l’adolescence, révélant une certaine indépendance du patient. Certains rapportent une amélioration de leur qualité de vie pendant cette période, gagnant progressivement l’indépendance et le contrôle de leur santé. Malgré cela, les adolescents atteints de CC sont moins susceptibles de s’éloigner de la maison familiale pour leurs études, et plus enclins à être intimidés à l’école. Chez un patient adolescent, il est important d’examiner ce qui peut optimiser sa qualité de vie. Certaines interventions simples, comme la participation à des activités sportives, peuvent avoir un impact. Les parents sous estiment généralement la tolérance à l’exercice de leur enfant par rapport à sa performance réelle à l’effort mesurée par des tests, et ils peuvent ainsi avoir une attitude de limitation inappropriée. En rassurant simplement les parents et le patient, le médecin est en mesure d’améliorer sa qualité de vie.   État de santé et prévention Dans la population adolescente saine, il y a une augmentation de la prévalence des facteurs de risque cardiovasculaires comme l’hypertension et l’obésité. Il a bien été démontré que l’obésité, même dans l’enfance et l’adolescence, est fortement associée à une diminution de la santé cardiovasculaire à long terme. Il semble raisonnable de supposer qu’une telle relation s’applique aussi aux adolescents avec une CC, et que plus leur espérance de vie augmente, plus notre attention est portée sur la morbidité à long terme, notamment le risque coronarien. Fait encourageant, les adultes et les adolescents atteints de CC semblent avoir un mode de vie plus sain que leurs pairs en bonne santé : chez eux les taux de tabagisme, de consommation d’alcool et d’usage de drogues sont faibles ; cette tendance doit être encouragée. Néanmoins, ces patients demeurent plus à risque de complication cardiovasculaire, avec des taux significativement plus élevés de troubles du rythme, d’insuffisance cardiaque, d’hypertension et d’AVC. Les patients adultes avec une CC sont également plus susceptibles d’être atteints de diabète ou d’une insuffisance rénale chronique. La surveillance de l’IMC indexé à l’âge est donc souhaitable au cours de l’adolescence. La pratique d’une activité physique peut aider à prévenir l’obésité et doit donc être encouragée aussi pour cette raison. En grandissant les adolescents peuvent vouloir expérimenter des modifications corporelles telles que le tatouage et le piercing. Ils doivent être informés sur le risque infectieux lié à ces pratiques. Il est essentiel que tous les patients atteints de CC soient sensibilisés sur les risques de l’endocardite, qu’ils évitent les tatouages et les piercings, et maintiennent une bonne hygiène dentaire. Seulement entre la moitié et les 3/4 des patients adultes sont capables d’expliquer leur CC et les risques et complications liés(6). Une mauvaise connaissance de son état cardiaque empêche le patient de comprendre et suivre les recommandations de prévention des complications cardiovasculaires telles que l’endocardite, ou les complications thromboemboliques, ainsi que les bonnes conduites à tenir en cas de symptômes cardiaques. Des programmes éducatifs au moment de la transition ont toute leur place pour prévenir les complications cardiovasculaires à long terme et maintenir un bon niveau de santé et donc de qualité de vie(7).   Sexualité et grossesse Ce sont deux sujets peu abordés en consultation de cardiologie pédiatrique. Pourtant, l’âge médian du premier rapport sexuel en France étant autour de 17 ans(8), une proportion importante des adolescents suivis en cardiologie pédiatrique sont susceptibles d’être sexuellement actifs. Il est donc important d’aborder ces questions avec eux afin d’éviter des problèmes de santé liés à des pratiques sexuelles à risque, et des grossesses non désirées et/ou compliquées sur des cardiopathies sévères. Les adolescentes et les jeunes femmes adultes atteintes de CC sont sexuellement moins actives que leurs pairs, toutefois elles sont plus susceptibles d’avoir des rapports sexuels à risque (absence de contraception, utilisation de drogues ou d’alcool lors des rapports(9)). Parallèlement, près de la moitié des patientes adultes ont une contraception contre-indiquée avec leur condition cardiaque et/ou n’ont pas été informées sur le risque lié à la grossesse. Le cardiologue spécialiste des CC et conjointement le gynécologue sont en mesure d’apporter une expertise sur le type de contraception compatible avec la CC de la patiente et sur les risques induits par une grossesse(10). Toutes les patientes doivent être informées des risques potentiels de la grossesse propres à leur cardiopathie, afin de pouvoir prendre une décision éclairée(11). Ces risques varient considérablement selon le type de CC. La plupart des CC sont à faible risque, cependant une classe fonctionnelle NYHA > 2, des antécédents d’arythmies, d’insuffisance cardiaque, d’AVC, la cyanose, l’obstruction du cœur gauche (rétrécissement aortique ou mitral), sont des facteurs de risque de complications maternelles et fœtales au cours de la grossesse. Bien que rare dans la population adolescente avec une CC, le syndrome de Eisenmenger en particulier est considéré comme un facteur de risque important, avec une mortalité maternelle > 50 %.   Conclusion La cardiopathie congénitale ne cesse d’augmenter dans la population adolescente, avec de plus en plus de cas de cardiopathie complexe, qui entraîne chez les patients des besoins spécifiques. Une évaluation psychologique, et un repérage des conduites à risque sont particulièrement importants dans leur cas. L’éducation des patients sur leur condition cardiaque est capitale pour améliorer leur santé, prévenir les complications cardiovasculaires à long terme et améliorer leur qualité de vie.

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