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Psycho-social

Publié le 23 mar 2009Lecture 12 min

Sommeil de l’adolescent : toujours plus tard

H. DE LEERSNYDER, Paris
Pendant l’adolescence (entre 13 et 20 ans), l’organisation physiologique du sommeil évolue, influençant tant la quantité que la qualité de celui-ci. Dans le même temps, de profonds bouleversements psychologiques conduisent l’adolescent à s’éloigner des schémas parentaux qui organisaient sa vie jusque-là. Il s’ensuit quelques années pendant lesquelles le jeune aura tendance à maltraiter son sommeil pour gérer à sa guise ses soirées, sans contraintes scolaires, familiales et sociales et permettre le passage de l’enfance à l’âge adulte.
Particularités du sommeil de l’adolescent Progressivement, le sommeil de l’adolescent devient comparable à celui de l’adulte(1), le temps de sommeil total diminue, il est en moyenne de 8 heures. La plupart des adolescents retardent l’heure du coucher à 22 h 30 et 23 heures. Il existe toutefois des particularités individuelles, les besoins de sommeil pouvant varier de 6 heures (petits dormeurs) à 11 heures (gros dormeurs) par nuit. Cette diminution physiologique de la durée de sommeil se fait aux dépens du sommeil lent profond, tandis que le sommeil paradoxal reste stable (figure 1). Lorsque l’adolescent écourte ses nuits, le sommeil lent profond, récupérateur, est toujours préservé. À l’inverse, lorsqu’il prolonge de quelques heures son sommeil (le week-end, par exemple), il fait plus de sommeil paradoxal, sommeil de rêves, bons ou mauvais.   Figure1. Évolution des stades de sommeil en fonction des stades pubertaires. (D’après Carskadon, 1982). Régulation du rythme veille-sommeil La régulation du rythme veillesommeil est sous la dépendance de l’horloge biologique (le pacemaker circadien), qui est située dans les noyaux supra-chiasmatiques de l’hypothalamus. L’horloge biologique est réglée sur un rythme de 24,7 heures en moyenne, tandis que la rotation de la terre sur elle-même se fait sur 24 heures. L’horloge circadienne est donc synchronisée sur 24 heures grâce à de puissants donneurs de temps (Zeitgebers) (figure 2).   Figure 2. L’horloge circadienne et les donneurs de temps. Le plus puissant de ces donneurs de temps est l’alternance lumière-obscurité, mais les rythmes sociaux, l’heure du lever, les horaires de repas jouent aussi un rôle important. Tout décalage entre les besoins biologiques, commandés par l’horloge circadienne et le mode de vie, conduira à une sensation de mal être, de ne pas être en phase (figure 3).   Figure 3. Variations individuelles de la vigilance (d’après M.J. Challamel). Le rythme circadien de veille est plus puissant que le besoin de sommeil, qui est en réalité une mise hors service du système de veille. Ainsi, il existe un pic de vigilance en fin de journée dont l’impact est supérieur au besoin de dormir alors même que l’on est fatigué par sa journée et que l’on a une dette de sommeil. Plusieurs études ont montré que la sécrétion de mélatonine par la glande pinéale, qui débute au moment du passage du jour à l’obscurité, est retardée et prolongée chez l’adolescent, et significativement corrélée aux stades pubertaires de Tanner. Ces deux éléments particuliers du sommeil de l’adolescent expliquent d’une part, qu’il a peu de difficultés à rester éveillé le soir, d’autre part, qu’il a du mal à se lever le matin (85 % des ados ont besoin de leur réveil ou de leurs parents pour se lever) et qu’il existe des variations de l’heure de lever en fonction du jour de la semaine : jour d’école ou weekend( 2).   Siestes L’adolescent a souvent une dette de sommeil ; il peut être somnolent dans la journée. Cette somnolence diurne s’explore, dans les laboratoires de sommeil, par les tests de latences multiples d’endormissement (toutes les 2 heures, dans la journée, on propose au patient allongé sur un lit dans une pièce calme et sombre de s’endormir en un quart d’heure). Alors que l’enfant prépupère ne s’endort jamais, l’adolescent s’endort presque systématiquement et rapidement dans l’après-midi. La sieste redevient donc une composante physiologique du sommeil à l’adolescence.   Conflit entre besoins de sommeil et horaires scolaires Il peut être très intéressant de corréler l’heure d’entrée à l’école et les performances scolaires. Souvent, les adolescents au collège ou au lycée commencent tôt le matin. Par ailleurs, ils ont parfois un long trajet pour se rendre dans leur établissement scolaire (carte scolaire ?). Existe-t-il un conflit entre le désir de performances scolaires et les fonctions biologiques, pouvant entraîner un épuisement physique et/ou psychique et avoir un contre-effet ? Toutes les études montrent une amélioration des performances si l’école commence plus tard à l’adolescence. Même si les effets du manque de sommeil sur le fonctionnement neurocognitif et sur le fonctionnement cérébral sont modérés, il est certain qu’une tendance à s’assoupir en classe diminue les performances (notamment pour les épreuves de mémorisation) et majore les réactions émotionnelles et l’irritabilité. Les adolescents qui ont du mal à se lever le matin sont moins motivés pour les apprentissages et pour peu que les résultats scolaires soient médiocres, ils ont une moins bonne image d’eux-mêmes et se dévalorisent. Mais, quels que soient les appuis des publications internationales dans le sens d’une adaptation des rythmes scolaires à la physiologie de l’enfant ou de l’adolescent, l’institution scolaire ne modifie pas son cadre habituel, bien qu’il paraisse de plus en plus décalé par rapport aux besoins des jeunes et à l’évolution de la société(3). Les études montrent une amélioration des performances si l’école commence plus tard à l’adolescence.   Variabilité hebdomadaire du sommeil Comme le montrent toutes les études récentes sur le sommeil de l’adolescent, dont la très intéressante enquête réalisée en 2005 par la Sofres(4) chez 500 adolescents âgés de 15 à 19 ans, les jeunes ne dorment pas assez en semaine et récupèrent le weekend. Si leur temps moyen de sommeil en semaine est de 7 h 45, ils dorment en moyenne 9 h 10 le week-end, 50 % d’entre eux dormant alors 10 heures ou plus. L’heure moyenne du lever les jours sans école se décale en moyenne de 3 h 35. Quatre-vingt-dix pour cent d’entre eux se réveillent spontanément après 9 heures, parmi lesquels 40 % d’entre eux se réveillent après 11 heures. Les besoins de sommeil de l’adolescent doivent donc s’estimer sur une semaine et non au jour le jour.   Syndrome de retard de phase de l’adolescent C’est un syndrome très caractéristique qui touche 7 % des adolescents et se traduit par un retard progressif de l’heure du coucher, une diminution des heures de sommeil et des difficultés pour se lever qui peuvent conduire à un absentéisme scolaire(5). Les trois cas cliniques qui suivent montrent la diversité d’une même symptomatologie chez des adolescents différents et soulignent l’importance de prendre en compte l’environnement scolaire, familial et d’être attentif aux aspects psychologiques. La prise en charge découle de l’analyse sémiologique. L’analyse de chaque situation doit tenir compte de l’environnement scolaire et familial et des aspects psychologiques.  Sarah, adolescente de 15 ans et demi Depuis 2 mois, elle a installé progressivement un retard de phase : elle ne s’endort plus avant 2 heures du matin ; elle a de plus en plus de mal à se lever et elle finit par être si fatiguée qu’elle manque la classe régulièrement. Sarah est habituellement une très bonne élève, elle est dans une classe à horaires aménagés, car elle poursuit conjointement un cursus de violoniste au conservatoire. L’agenda de sommeil établi sur 3 semaines a confirmé ces données. Elle voit un psychothérapeute depuis quelques semaines, ce qui lui a permis de faire le point sur ses motivations et son histoire familiale et personnelle, mais n’a pas amélioré son sommeil. Sarah étant très désireuse de s’en sortir, nous avons conseillé une chronothérapie. La chronothérapie est une prise en charge qui propose à l’adolescent de se lever toujours à la même heure quels que soient le jour de la semaine (week-end compris) et la période de l’année (scolarité ou vacances), pendant 3 mois. Cette méthode a pour but de « remettre à l’heure » l’horloge biologique. En effet, dans les décalages de phase, les horaires des patients s’écartent de plus en plus des horaires biologiques, le patient se place peu à peu en libre cours, il ne trouve plus le sommeil le soir et est épuisé dans la journée. Il faut donc l’aider à se resynchroniser et l’un des meilleurs donneurs de temps (en dehors de l’alternance lumière-obscurité) est le réveil matinal. La chronothérapie est fatigante au début car elle aggrave la dette de sommeil, mais elle est ensuite rapidement efficace. La chronothérapie a pour but de « remettre à l’heure » l’horloge biologique. La chronothérapie évite le recours aux médicaments et donne de très bons résultats, à condition que : – le patient souhaite lâcher son symptôme ; – ses difficultés scolaires ou sociales soient reconnues (en effet, le retard de phase peut cacher une phobie scolaire, l’adolescent ne se couche plus car il ne veut plus aller en classe) ; – le jeune s’organise des activités agréables et stimulantes le weekend. – les parents laissent à l’adolescent un espace de liberté. Bien souvent, il profite de ses soirées pour avoir des activités qui lui plaisent sans subir le contrôle parental : écouter sa musique, discuter avec ses amis par MSN ou chat, s’organiser des blogs… La diabolisation d’Internet n’est pas nécessaire si on lui fait confiance et si on continue à dialoguer avec lui(6). Sarah a très bien accepté la chronothérapie, elle a rapidement retrouvé des horaires de sommeil normaux et a pu continuer brillamment ses études. Régulièrement, elle se décale de nouveau, quand elle est stressée ou à l’approche des examens, et elle revient en parler pour se sentir épaulée dans la reprise de la chronothérapie.  Charles, deuxième d’une famille de 3 enfants Il n’a pas de problème familial patent. L’éducation est très stricte. C’est un adolescent ouvert, gai, sociable, qui n’a pas de difficulté scolaire. Il fait du sport, a des projets : il veut devenir astrophysicien. Il se couche tard, vers 1 heure du matin, mais se lève sans trop de difficultés, n’a jamais manqué la classe, n’est pas fatigué dans la journée. Il récupère le week-end où il se lève alors très tard, ce qui contrarie beaucoup sa mère, qui vient chercher auprès du pédiatre une justification de ses bons principes éducatifs. Elle repartira contrariée lorsque nous lui avons expliqué les rythmes de l’adolescent, et qu’il ne faut surtout rien faire tant qu’il n’y a pas de retentissement social ou familial. Le retard de phase est l’espace de liberté de l’adolescent ; la soirée leur appartient, elle leur permet de mettre de la distance avec la famille et de s’individualiser. Mais on peut demander de respecter la vie familiale : pas de bruit le soir, poursuite du dialogue, maintien des repas à heure régulière, aménagement des sorties du weekend, organisation de stages sportifs pendant les vacances. Le retard de phase est l’espace de liberté de l’adolescent.  Oscar, 14 ans Oscar s’endort vers 2-3 heures du matin, se réveille difficilement (nausées, vertiges), manque l’école quand il est trop fatigué et s’endort en classe. Il est en 4e avec de très mauvais résultats et va redoubler. Il ne fait plus de sport, il joue de la batterie et a peu d’amis. Il vit dans une famille recomposée, en garde alternée, une semaine chez son père, une semaine chez sa mère. Il a des demi-frères et soeurs plus jeunes des deux côtés. Il a peu de contraintes, pas de limites. Il a déjà vu plusieurs psychothérapeutes. Pendant la consultation, il est hostile, agité, répond en grognant et refuse toutes les hypothèses : phobie scolaire, dépression, souffrance par rapport au divorce de ses parents. Il refuse toute prise en charge (chronothérapie, aide médicamenteuse, psychothérapie). Il existe pourtant des éléments de gravité : jeune âge, échec scolaire puis désinsertion, incapacité d’intégrer des limites, provocation. Les risques sont importants : troubles des conduites, dépression, toxicomanie, voire trouble plus grave de la personnalité, dont ce pourrait être le premier signe. Que proposer ? Si les parents envisagent la pension, il ne faudrait surtout pas qu’Oscar y voit un moyen de se débarrasser de lui et de son adolescence problématique au profit de ses demi-frères et soeurs plus jeunes, qui requièrent toutes les attentions et font l’objet de tous les espoirs. Il paraît important d’envisager une prise en charge familiale et d’établir une alliance avec les parents, proposer de les revoir (le père, la mère, les deux jeunes enfants, avec ou sans Oscar) pour les aider à comprendre cet adolescent et à mettre des mots sur les situations qui les désorientent et les gênent. Mais Oscar est parti sans dire au revoir, en claquant la porte, et les parents n’ont pas repris contact.   Conclusion Le sommeil de l’adolescent est très particulier ; en dehors de toute pathologie, les variations hebdomadaires désorientent les parents mais doivent être tolérées. Le décalage de phase est fréquent et de sévérité variable, mais la prise en charge demande du temps, car il est nécessaire de faire une analyse sémiologique fine pour porter un diagnostic et proposer un traitement qui repose sur des consultations longues, parfois répétées.   Pour la pratique, on retiendra Les rythmes veille-sommeil changent à l’adolescence : • le temps de sommeil diminue ; • l’heure du coucher est retardée ; • les besoins de sommeil s’équilibrent sur la semaine ; • la soirée est un espace de liberté ; • le décalage de phase est inquiétant s’il s’accompagne d’absentéisme scolaire ; • la chronothérapie permet de « remettre les pendules à l’heure ».

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