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Psycho-social

Publié le 01 juin 2010Lecture 12 min

Plaintes douloureuses chez l’enfant et l’adolescent : somatisation ?

D. ANNEQUIN, Unité fonctionnelle de lutte contre la douleur, Hôpital Armand Trousseau, Paris

Des enfants et le plus souvent des adolescents (1) sont régulièrement confrontés à des épisodes douloureux prolongés, un certain nombre d’entre eux vont développer des tableaux beaucoup plus sévères : les comportements, les pensées, la vie sont centrés sur la douleur. Les activités diminuent, l’invalidité, le repli social augmentent. Un absentéisme scolaire massif s’installe. Une spirale infernale d’aggravation, de renforcement de la douleur se met en place. Les principales localisations (2) sont les céphalées chroniques, les douleurs abdominales, les douleurs des membres (souvent inférieurs), le rachis, les douleurs diffuses. Les bilans somatiques sont négatifs.

Le cas de Sophie (maladie de Sever) Sophie, 12 ans, nous est adressée pour des douleurs rebelles des deux talons, qui ont débuté un an et demi auparavant. La sévérité du tableau a nécessité plusieurs semaines d’alitement et l’utilisation de béquilles. De nombreux bilans ont été pratiqués, beaucoup de médecins ont été consultés. Une maladie de Sever a été diagnostiquée. Les traitements antalgiques sont utilisés quotidiennement malgré leur évidente inefficacité : « Ça me fait planer », nous dit Sophie pour décrire le seul effet du morphinique faible (tramadol). Un absentéisme scolaire important est noté. Lors de la première consultation de 90 minutes, outre les données médicales, nous apprenons que Sophie a consulté l’année dernière pour des tics et des douleurs abdominales. Le climat familial est lourd ; la séparation des parents depuis 4 ans est toujours difficile à « métaboliser » pour Sophie et son frère de 17 ans, qui reste « triste et déprimé ». Sophie s’entend très mal avec sa belle-mère, elle redoute l’arrivée d’un nouvel enfant. Elle nous déclare également avoir souvent très peur du fils aîné de sa belle-mère qui « veut faire la loi à la maison ». Sophie a beaucoup de mal à s’endormir, elle a arrêté les nombreuses activités sportives pratiquées auparavant et passe 20 heures par semaine devant son ordinateur. Dans la dernière partie de la consultation, nous expliquons à Sophie et à sa maman les liens entre la douleur et l’état psychique : le seuil de perception de la douleur est abaissé avec les soucis et le stress. Une sensation corporelle désagréable est alors perçue comme douloureuse. Cette douleur, qui dure et pour laquelle les professionnels sont en échec, atteint obligatoirement le moral. Nous arrêtons les médicaments et nous conseillons vivement l’apprentissage des méthodes de relaxation avec une psychologue. Sophie est revue 8 semaines plus tard, les douleurs sont toujours très invalidantes : elle n’a pu aller en classe verte. Six séances avec la psychologue ont été réalisées. Un an et demi plus tard, la mère nous écrit la lettre suivante. « Nous sommes venus vous voir deux fois début 2009, pour Sophie qui souffrait d’une maladie de Sever. Cela la clouait au lit avec de grandes souffrances. Vous m’avez fait comprendre que sa souffrance était amplifiée par un certain mal-être psychologique. Vous nous avez conseillé d’aller consulter Madame P…, psychologue. Elle l’a reçue chaque semaine pour des séances de relaxation et de psychothérapie. Cela n’a pas toujours été facile pour Sophie et pour moi, car nous avons beaucoup parlé de son père, de sa belle-mère et du divorce. Force est de constater qu’au bout de quelques mois, elle ne souffre plus des pieds, elle dort beaucoup mieux et est plus calme. Elle a aussi appris à accepter sa belle-mère et adore sa nouvelle petite soeur qui a 3 mois. Nous allons donc arrêter les séances de psychothérapie. Je tenais à vous remercier pour votre aide et vos bons conseils à ce moment difficile de notre vie. » Des médecins mal préparés Les médecins sont mal préparés pour répondre à des douleurs inexpliquées, c’est-à-dire avec bilan somatique normal. Face à ces « énigmes », le médecin peut fournir plusieurs types de réponse aux patients et à leurs famille : « c’est psychosomatique », « c’est fonctionnel », « tout est normal », « ce n’est rien » et plus rarement « je ne sais pas »… Souvent ses pensées sont plus tranchées : « il n’y a rien », « c’est dans la tête », « c’est psy », « c’est de l’hystérie », « de la comédie », « de la simulation » (lorsqu’une discordance évidente s’observe entre le comportement et le niveau de douleur décrit par le patient), « je ne peux rien y faire ». La qualité relationnelle peut souvent et vite se dégrader entre le médecin confronté à son échec et une famille demandant instamment un traitement pour soulager leur enfant. Quelle terminologie employer ? Le médecin dispose d’au moins trois possibilités pour nommer ces tableaux cliniques. La notion de « plainte douloureuse » implique une modalité relationnelle, un symptôme qui doit être intégré dans les interactions familiales et scolaires. Le terme « somatisation » signifie l’expression somatique d’un trouble, d’une difficulté psychologique ; la part psychogène y apparaît majeure et déterminante. Un consensus difficile entre pédiatres ? Une étude hollandaise (2) a voulu préciser comment des pédiatres généralistes expliquaient le mécanisme de douleurs chroniques et quelles étaient leurs propositions diagnostiques. L’étude a inclus 134 patients consécutifs de 8 à 16 ans (âge moyen 11 ans ; 72 % de filles) adressés pour des douleurs inexpliquées de plus de 3 mois. Les enfants et adolescents ont rempli quatre questionnaires pour préciser l’incapacité fonctionnelle, la somatisation, l’intensité de la douleur et le type de personnalité. Les parents, de leur côté, ont rempli un questionnaire portant sur le comportement de leur enfant et les éventuels troubles psychologiques. L’enseignant de l’enfant a répondu à un questionnaire de comportement. Chaque enfant était vu par un pédopsychiatre au 4e mois. Une copie intégrale du dossier du patient (pratique médicale de routine, données des évaluations psychiatriques standardisées, questionnaires standardisés et normalisés des évaluations de suivi) a été fournie à 17 pédiatres sélectionnés pour leur intérêt pour la « psychosomatique » et répartis en trois panels selon l’âge et l’expérience. Chacun des pédiatres devait répondre à deux questions : • Quelle est selon vous l’étiologie des symptômes (selon la classification internationale des douleurs chroniques de l’IASP(14)) ? – génétique ou congénitale – traumatique, chirurgicale, brûlure – infectieux – inflammatoire – néoplasique – toxique, métabolique – dégénérative, mécanique – dysfonctionnelle (migraine, céphalée de tension, colon irritable) – inconnue ou autre – psychologique (conversion, hystérie, dépression, hallucination) • Quelle est l’approche diagnostique optimale ? L’étude a mesuré le consensus entre les médecins concernant l’approche étiologique et l’approche diagnostique. Le consensus était atteint si au moins 4 des 5 médecins du groupe étaient d’accord. L’absence de consensus était retenue si 3 ou moins des 5 médecins étaient d’accord. Résultats. Parmi les douleurs inexpliquées des 134 patients, 59 étaient d’origine musculo-squelettiques (44 %), 40 abdominales (30 %), 31 étaient des céphalées (23 %) et 4 étaient classées autres douleurs (3 %). Des troubles psychologiques ont été notés chez 60 % patients (après l’entretien avec les pédopsychiatres). • Concernant la cause de la douleur, le consensus entre les médecins était obtenu dans seulement 43 % des cas ; pour ces 58 enfants, la cause première citée était : « dysfonctionnelle » pour 72 %, « psychologique » pour 17 % et « somatique » pour 10 % des cas. Il n’y avait pas de consensus sur la cause pour les 57 % restants. • Concernant la démarche diagnostique, le consensus était atteint pour des 84 enfants, soit 63 %. Dans la majorité de ces cas (72 enfants), les médecins choisissaient une approche dite combinée. L’approche somatique pure faisait consensus dans 9 % des cas (aucun cas de céphalée), dans 17% des douleurs abdominales et 19% des douleurs musculo-squelettiques. L’approche psychologique pure ne faisait jamais consensus, même dans les cas où la cause retenue était psychologique. Mais, pour plus d’un tiers des patients (37 %), on ne retrouve pas d’accord entre les médecins sur les stratégies diagnostiques. Enfin, l’appellation « douleur chronique », plus descriptive, se définit par une durée de plus de 3 mois, l’absence de lésion identifiée ou l’existence d’une lésion trop modeste, ou disparue, ou disproportionnée par rapport aux symptômes ; elle résiste aux traitements habituels, elle envahit massivement la vie de l’enfant et des parents(3). Des rapports psyché/soma jamais simples Le dualisme qui sépare l’âme du corps fonde massivement, non seulement nos représentions médicales, mais aussi nos sociétés occidentales. Ce clivage se retrouve également entre médecins somaticiens et les « psy », qui communiquent souvent difficilement. Des incompréhensions, des malentendus, des polémiques marquent souvent des débats passionnels jalonnés « d’histoires de chasse ». Les pièges Les faux négatifs doivent inciter le clinicien à rester vigilant ; mais, pour déterminer une stratégie thérapeutique cohérente, il faut savoir à un moment donné trancher et opter clairement pour le « non organique ». Ces tableaux de douleur inexpliquée peuvent donner lieu à des explorations sans fin, d’autant plus que les médecins consultés mettent souvent l’hypothèse « somatisation » en toute fin de liste des diagnostics différentiels, et que les parents ou les adolescents réfutent toute participation « psy » dans la genèse des troubles. « C’est la douleur qui me déprime et pas l’inverse », nous déclarent régulièrement ces adolescents. Derrière ce refus se retrouvent plusieurs types d’explication notamment : « je suis responsable de ce qui m’arrive », « on va penser que je fais du cinéma ou que je suis fou ». Le terrain peut être miné (secrets de famille, alcool parental, suicide, homosexualité) : il est alors impossible de parler, de verbaliser et d’aborder certaines questions. La dépression? Parmi les douleurs inexpliquées, se retrouvent très souvent des tableaux où les éléments dépressifs sont déterminants (4-6). Plusieurs études chez l’adulte ont bien montré les liens entre la fréquence, l’intensité des points douloureux musculaires et la comorbidité anxio-dépressive (7-9). L’adolescent exprime plus facilement son « mal être » avec son corps, la sémiologie du douloureux chronique est souvent superposable à celle de la dépression : fatigue matinale, absentéisme scolaire, pensées « catastrophistes », repli social (jeux en ligne…), troubles du sommeil. Les pièges des faux positifs Les phénomènes de somatisation peuvent également survenir dans le cadre d’une authentique pathologie somatique présente ou ancienne, ce qui va largement compliquer la démarche diagnostique. Les pathologies chroniques lourdes avec multi-hospitalisations (maladie rare, maladie maligne, séquelles de pathologie néonatale lourde…) exposent les enfants et leurs familles à des phénomènes de stress continu qui sont un lit idéal pour la somatisation. L’objectivation par l’imaginerie d’un sinus maxillaire épaissi, bouché, la découverte d’un kyste arachnoïdien, par exemple, peut masquer le diagnostic de maladie migraineuse (10). Dans des cas beaucoup plus rares, il faut évoquer le syndrome de Munchausen par procuration, qui est une forme de maltraitance à forme médicale (11). L’allégation par un parent de symptômes douloureux va induire une suite continue de bilans, de consultations, de soins. Les traitements sont inefficaces, mal tolérés. Les tableaux cliniques sont émaillés de complications inhabituelles, de bizarreries, de discordances. Quel bilan ? Que dire ? Que faire ? Les données psychosociales doivent être recherchées systématiquement, elles nécessitent du temps, de la confiance et de l’empathie. Schématiquement il faudra essayer de répondre à deux questions : – quel est le style du patient ? « zen », « stressé », « faux cool » ? – quels sont les principaux facteurs de stress ? La check-list des soucis familiaux permet de les rechercher : problèmes de santé, maladies graves, état des finances, emploi des parents, disputes (fratrie, parents…), problèmes scolaires, relations avec les pairs, etc. Il ne faut pas hésiter, une fois la confiance acquise, à questionner les adolescents sur leurs « coups de blues » et leurs « idées noires ». Une fois les facteurs de stress identifiés, il est beaucoup plus facile de faire le lien psyché/soma. Le traitement va permettre de faire remonter le seuil de perception de la douleur. L’efficacité des méthodes psychocorporelles (relaxation, autohypnose) est maintenant bien documentée ; ces méthodes sont devenues les thérapeutiques de référence(12). Les médicaments inutiles doivent être arrêtés ; le risque iatrogène des morphiniques faibles est non négligeable(13). Parfois, la prescription d’amitriptyline (Laroxyl® 0,3 - 0,5 mg/kg durant quelques semaines permet par son effet sédatif de récupérer un cycle de sommeil particulièrement précieux. En cas d’échec des traitements ambulatoires, le recours à un séjour de plusieurs mois en centre médicalisé permet bien souvent de « débloquer » la situation en modifiant les interactions familiales et scolaires. Conclusion Les tableaux de somatisation chez l’enfant et l’adolescent nécessitent un recueil initial des données biopsychosociales particulièrement détaillé pour bien évaluer les interactions psyché/soma et mettre en place une stratégie thérapeutique homogène. Les explications données aux patients et à sa famille doivent être adaptées à leurs capacités de discernement. Les médicaments doivent le plus souvent être arrêtés. L’utilisation des méthodes psychocorporelles est un élément majeur de la prise en charge.

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