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Neurologie

Publié le 16 aoû 2009Lecture 16 min

Les migraines de l’enfant et de l’adolescent : particularités cliniques et thérapeutiques

J.-M. RETBI, Hôpital Delafontaine, Saint-Denis

Malgré sa fréquence, la migraine de l’enfant et de l’adolescent ne bénéficie pas toujours d’un diagnostic exact et d’un traitement optimal. Les raisons en sont multiples. La migraine n’émerge comme plainte que vers 5-6 ans et encore faut-il qu’elle conduise à consulter et qu’elle soit distinguée de la céphalée de tension. Avant cet âge, elle est plus difficile à reconnaître et présente des équivalents sans céphalée. Son impact psychosocial est sous-estimé chez l’enfant. L’antalgique le plus utilisé, le paracétamol, n’est pas le plus efficace sur la céphalée. Enfin, la prise en charge de la maladie migraineuse (MM) ne se borne pas à traiter les crises. La présente mise au point décrit la migraine de l’enfant, dans tous ses états ; puis elle aborde l’épidémiologie, le diagnostic, le pronostic et le traitement de la MM avant l’âge de 18 ans. Elle s’appuie sur la littérature pédiatrique (1,2) et des acquis professionnels.

La migraine de l’enfant dans tous ses états Si tous les types de migraine identifiés par l’International Headache Society (IHS) dans sa révision 2004 (tableau 1) s’observent entre 0 et 18 ans, ce sont la migraine sans aura (MA -) et la migraine avec aura (MA +) qui sont le plus fréquemment éprouvées par les enfants et les adolescents. La céphalée paroxystique et récurrente constitue donc le maître-symptôme de la migraine en pédiatrie, sans être pour autant universelle : elle manque dans les rares crises qui se réduisent à une aura et dans les « syndromes périodiques de l’enfance ». Crises habituelles de l’enfant (MA - et MA +)  Paroxysme Les crises suivent la progression « prodromes/(aura)/céphalée/ symptômes postcritiques », mais elles présentent quelques particularités par rapport à celles de l’adulte (tableau 2).  Céphalée La phase de céphalée proprement dite est plus brève. Elle dure de 1 à 48 heures, en général moins de 4 heures (des épisodes de 20 à 30 minutes sont possibles). L’administration précoce d’un antalgique peut l’écourter. Jusqu’à l’adolescence, la céphalée est plus volontiers frontale et bilatérale qu’hémicrânienne. Parfois, elle est localisée aux orbites ou s’étend vers les tempes. Sinon, elle est intense (cotée de 8 à 10 sur une échelle numérique) et pulsatile, battante (« ça me cogne dans la tête »). Les sensations deviennent douloureuses (allodynie), d’où la photophobie et la phonophobie quasi-constantes. Chez les plus jeunes, l’expression de la douleur est surtout comportementale : l’enfant s’arrête brusquement de jouer et va se coucher à l’écart, en chien de fusil, en gémissant ou en pleurant une fois sur deux. D’autres symptômes sont présents : une pâleur cutanée, avec cernes oculaires, dès le début de la crise ; des nausées, des vomissements et parfois des douleurs abdominales, à son acmé. Un endormissement marque en général la décrue de la céphalée.    Aura Une aura précède de peu ou accompagne la céphalée dans seulement 10 % des crises. Comme la MA - et la MA + peuvent se combiner chez le même sujet, environ un tiers à la moitié des enfants migraineux éprouve un jour ou l’autre une aura. Bien qu’elle soit impressionnante, l’aura est rarement racontée spontanément par l’enfant. Le plus souvent, elle est visuelle (migraine ophtalmique) : scotome scintillant, phosphènes, vision floue, hémianopsie latérale homonyme. Les distorsions de la vision des objets, ou syndrome d’Alice au pays des merveilles, sont exceptionnelles. L’aura peut aussi se traduire par : - des paresthésies (fourmillements, picotements) ; - l’engourdissement d’un hémicorps, intéressant le membre supérieur et la bouche ; - une dysphasie ; - des hallucinations auditives.      Prodromes et signes postcritiques   Les parents notent parfois une irritabilité avant la crise, et l’enfant se plaint souvent de fatigue, de « tête vide » après.    Récurrences Une crise est séparée de la suivante par un intervalle libre qui se compte en jours ou en mois. La fréquence des crises est variable. Elle va de la crise unique dans l’année à plus d’une crise par semaine. C’est un élément de décision pour un traitement de fond. Avec la répétition des crises, des facteurs déclenchants peuvent être identifiés. On les classera par commodité en : - exogènes : certains aliments, la caféine, la TV/l’ordinateur, le sport, un coup sur la tête... ; - et endogènes, psychologiques (stress, anxiété, émotions, contrariétés) ou autres (manque/ excès de sommeil, règles chez l’adolescente). Le rapprochement des crises doit faire suspecter une cause organique, une surconsommation d’antalgiques ou l’intrication avec des céphalées de tension. La céphalée chronique quotidienne, définie par « des céphalées de plus de 15 jours par mois, plus de 4 heures par jour, depuis plus de 3 mois » est rare chez l’enfant. C’est un recrutement de centre spécialisé. Elle touche plutôt des adolescents, des filles plus que des garçons, qui ont des conflits familiaux ou des troubles psychiques (anxiété, troubles de l’humeur) et elle peut aboutir à une déscolarisation (4). La fréquence des crises est un élément de décision pour un traitement de fond.   Formes « neurologiques » (5) La migraine hémiplégique et la migraine basilaire sont deux MA + qui comportent des signes neurologiques focaux, et justifient de ce fait une neuroimagerie pour éliminer une autre cause. • Dans la migraine hémiplégique, un épisode d’hémiparésie ou d’hémiplégie précède de moins d’une heure l’apparition de la céphalée. La paralysie est en principe rapidement régressive, mais elle peut durer plus longtemps, voire laisser un déficit résiduel. Quand l’hémisphère dominant est concerné, une aphasie peut lui être associée. Les explorations sont négatives, à commencer par le scanner (écartant une urgence neurochirurgicale) et l’IRM cérébrale (pas de processus expansif, de lésion de la substance blanche ni d’accident vasculaire cérébral). Une maladie mitochondriale rare, le syndrome MELAS (Myopathie mitochondriale, Encéphalopathie, Acidose Lactique et Stroke-like attacks) s’avère difficile à exclure. Le premier épisode survient en moyenne à l’âge de 12 ans. Une moitié des cas est sporadique, l’autre familiale. Pour parler de forme familiale, il faut qu’au moins un des parents au premier degré présente le même tableau. On suppose que la transmission se fait sur le mode autosomique dominant. À ce jour, des mutations de trois gènes codant pour la protéine d’un canal ionique des neurones ont été identifiées : - CACNA1A, situé sur le chromosome 19, codant pour un canal calcique. Dans les mutations de ce gène, 20 % des familles présentent en sus une ataxie progressive en rapport avec une atrophie cérébelleuse ; - ATPP1A2 et SCN1A, situés sur les chromosomes 1 et 2 respectivement et codant tous les deux pour un canal sodique. • Dans la migraine basilaire, l’aura comporte des anomalies bilatérales des champs visuels et des troubles neurologiques suggérant la participation du tronc cérébral : vertiges, démarche ataxique, parfois perte de connaissance. La céphalée serait localisée dans la région occipitale. La fosse cérébrale postérieure apparaît normale en IRM. La migraine basilaire présente un pic de fréquence à l’adolescence. Indépendamment d’elle, les vertiges remplacent la céphalée dans le « vertige paroxystique bénin » (tableau 3), et les sensations vertigineuses sont assez fréquentes au cours des crises habituelles de l’adolescent. • Les autres formes « neurologiques » sont représentées par : - la migraine rétinienne qui est exceptionnelle chez l’enfant ; - la migraine ophtalmoplégique qui ressemble à une névrite (6). Elle consiste en une paralysie unilatérale douloureuse du nerf moteur oculaire (NCIII) et parfois du nerf abducens (NCVI). L’IRM peut montrer un épaississement du tronc nerveux, et une corticothérapie par voie intraveineuse hâte la régression de la paralysie ; - la migraine confusionnelle recoupe plus ou moins la migraine hémiplégique et la migraine basilaire. Un coup de tête dans un ballon de football peut la déclencher. Elle se traduit par un état confusionnel durant 4 à 24 heures.   Syndromes périodiques de l’enfance L’IHS réunit sous cette dénomination les vomissements cycliques, la migraine abdominale et les vertiges paroxystiques bénins de l’enfant, qui ne comportent pas de céphalées, mais qui : - débutent tôt dans la vie ; - se répètent, parfois à un rythme plus ou moins régulier comme les vomissements cycliques ; - sont fréquemment remplacés par une authentique migraine lorsque l’enfant grandit (« avant il avait mal au ventre, maintenant il a mal à la tête »). L’IHS cite en annexe l’hémiplégie alternante et le torticolis bénin paroxystique.   Épidémiologie, diagnostic, pronostic et traitement La répétition des crises de céphalée permet de parler de la maladie migraineuse (MM). La MM est actuellement comprise comme une maladie neurovasculaire survenant chez un sujet génétiquement prédisposé. Ce n’est donc pas une maladie « psychologique », même si elle reconnaît des facteurs déclenchants psychologiques et des comorbidités psychiatriques, et si elle est améliorable par des thérapies psycho-corporelles. Épidémiologie La prévalence de la MM est élevée chez l’enfant et l’adolescent. Le travail princeps de Bo Bille, portant sur environ 9 000 jeunes Scandinaves, trouvait un taux de 1,4 % à l’âge de 7 ans (7). Une enquête scolaire parisienne, datant de 1998, donne un taux de 4,8 % (valeur basse) à 8,2 % (valeur haute) entre 5 et 12 ans (8). Trois points méritent d’être soulignés : - l’influence de l’âge sur la prévalence et le sex ratio. Schématiquement, la prévalence croît de 5 % à 5 ans à 15 % à 15 ans, et le rapport filles/ garçons passe de 1/1 entre 7 et 11 ans à 3/1 à la puberté ; - la fréquence des antécédents familiaux. Environ 70 % des enfants affectés ont un père ou une mère migraineux (de 30 à 90 % selon les études), ce qui soulève la question de l’hérédité de la migraine. Les études familiales et de jumeaux suggèrent une hérédité multifactorielle, à une exception près, la migraine hémiplégique familiale (tableau 4). - l’association à d’autres pathologies (comorbidités) : allergie, épilepsie, mal des transports, troubles du sommeil. Les points de vue de services d’urgence et de centres spécialisés complètent ces données : - aux urgences pédiatriques, les trois premiers diagnostics posés devant des céphalées (fébriles ou non) sont « infection des voies respiratoires supérieures », « sinusite » et « migraine », (70 à 75 % des cas à eux trois) ; - au centre de la migraine de l’Hôpital Trousseau de Paris, sur 3 054 enfants vus de 1997 à 2005, l’âge moyen à la première consultation est de 10,5 ans, alors que l’âge de début est de 6,7 ans ; les crises sont aussi plus fréquentes, plus sévères et plus souvent avec aura à partir de 12 ans qu’avant cet âge. Diagnostic Avec un recul suffisant, la MM devrait être facile à diagnostiquer : - l’interrogatoire révèle l’évolution par crises bien découpées ; les traits de la céphalée, qui la distinguent de la céphalée de tension, autre grande variété de céphalée récidivante de l’enfant (tableau 4) ; et, très souvent, un antécédent de migraine chez le père ou la mère ; - l’examen physique (PA, neurologie, vision) est normal entre les crises. Ce qui rend en principe superflue la prescription d’examens complémentaires, tels que l’EEG, le scanner/l’IRM cérébrale (tableau 5).   Pronostic L’enfant vit la MM comme une affection douloureuse et frustrante. Les migraines perturbent plus ou moins : - ses interactions familiales ; - sa scolarisation : absentéisme, diminution de la performance ; - et sa socialisation (relations avec les pairs). On peut se servir des questionnaires PED-MIDAS et SF-36 pour apprécier la qualité de vie des enfants migraineux. La qualité de vie dépend de la fréquence des crises, de leur intensité et de leur durée, de l’existence et de la nature de l’aura. Certains enfants vus dans des centres spécialisés ont une altération de leur qualité de vie similaire à celle des enfants souffrant d’un cancer ou d’un rhumatisme chronique. Peu d’études longitudinales donnent une idée de l’évolution de la MM de l’enfant sur le long terme. Bo Bille a rapporté le devenir de 73 enfants migraineux suivis pendant 40 ans9 : la MM avait débuté à 6 ans en moyenne. À la puberté ou les années suivantes, 62 % des enfants n’avaient pas fait de migraine pendant au moins 2 ans. Environ 33 % de ces enfants ont refait des crises après un intervalle libre moyen de 6 ans. Au bout de 30 années, 60 % des 73 sujets faisaient encore des crises de migraine, et 22 % n’avaient pas eu une année sans crise. On peut estimer que 50 à 75 % des MM sont silencieuses pendant un certain nombre d’années après 15-20 ans. (En sens inverse, la moitié des adultes migraineux ont débuté leur MM dans l’enfance). La moitié des adultes migraineux ont débuté leur MM dans l’enfance. Traitement Le diagnostic étant posé, il convient : - d’expliquer clairement à l’enfant et à ses parents ce qu’est la MM et, dans le même temps, de les rassurer en leur disant qu’elle n’est due ni à une tumeur cérébrale, ni à une affection létale. Les parents doivent aussi comprendre que la MM n’est pas une maladie psychologique ou un alibi pour échapper à l’école ; - et de leur annoncer honnêtement que la stratégie thérapeutique peut faire diminuer la fréquence des crises et leur impact, mais pas éradiquer la MM.  Les options thérapeutiques     • Pour arrêter la crise.     Le traitement de la crise peut utiliser des antalgiques de niveau I, le paracétamol et les AINS ou des vasoconstricteurs cérébraux, les dérivés ergotés et les triptans ayant obtenu une AMM à partir d’un âge minimum (tableau 6). L’efficacité d’une molécule s’apprécie une demi-heure après sa prise. Elle dépend de la précocité de son administration (dans les MA +, les triptans doivent être pris au début de la céphalée, pas à la phase d’aura). Les morphiniques faibles (codéine, tramadol, dextropropoxyphène), la dihydroergotamine (per os) ne sont pas indiqués (inefficacité fréquente, risque d’abus pour les antalgiques). En pratique, l’ibuprofène est le médicament de première intention de la crise de migraine chez l’enfant. Son effet est plus durable que celui du paracétamol : à H+6, 60 % des patients qui ont pris de l’ibuprofène n’ont plus de céphalée versus 40 % avec le paracétamol. En cas de nausées et/ou vomissements, rendant la voie orale inutilisable, on peut recourir au diclofénac par voie rectale ou, à partir de 12 ans, au sumatriptan sous forme de spray nasal. En cas d’échec de l’ibuprofène, on peut essayer d’emblée le sumatriptan spray pour les crises ultérieures, à condition que l’âge et le poids soient suffisants et que le produit soit bien toléré. Le traitement d’une crise rebelle à cette procédure n’est pas standardisé. Il importe d’arrêter les vomissements et de bien hydrater l’enfant. En Amérique du Nord, la prochlorpérazine est utilisée par voie IV à partir de 8 ans pour ses propriétés antiémétiques. • Pour prévenir les crises (et la surconsommation d’antalgiques). Le traitement de fond peut faire appel à des médicaments, surtout testés sur l’adulte, ou à des « médecines alternatives ou complémentaires » (tableau 7).     En général, on considère qu’un traitement de fond est efficace s’il fait diminuer la fréquence des crises de ≥ 50 % au bout de 3 à 6 mois. En pratique, les thérapies psycho- corporelles sont préférables chez l’enfant et l’adolescent. En 2002, l’ANAES, le prédécesseur de la HAS, les recommandait en première intention dans cette tranche d’âge (10). Ces techniques nécessitent une formation dispensée par des professionnels compétents. Le traitement pharmacologique ne se discute que dans les MM sévères et handicapantes, après échec des thérapies psychocorporelles. L’avis d’un spécialiste de la migraine de l’enfant est alors souhaitable. Ceci étant, une cure brève d’amitriptyline peut aider un adolescent souffrant d’insomnie à retrouver le sommeil.  La stratégie thérapeutique La stratégie thérapeutique doit être établie en collaboration avec l’enfant et sa famille. Elle comprend cinq grands axes : • L’identification des « composantes » de la migraine : - facteurs déclenchants. Il faut aider l’enfant à les reconnaître et à les supprimer, mais ce n’est pas toujours facile ; - niveaux de stress et d’anxiété. On peut être amené à proposer des modifications du style de vie (horaire des repas, temps de sommeil, programme des activités scolaires et des loisirs), voire un soutien psychologique. • La sélection de la meilleure option thérapeutique pour l’enfant, compte tenu de la MM et de son impact. • La formation de l’enfant et de sa famille à la gestion des traitements : - traitement des crises. À l’école, en promenade, l’enfant doit pouvoir disposer rapidement de son médicament en cas de crise (faire un certificat médical pour l’école) ; - et traitement de fond : la relaxation, l’autohypnose.   • La tenue d’un agenda de la migraine sur lequel seront notés les crises, les médicaments pris, les événements significatifs. On obtiendra ainsi la traçabilité des crises et des médicaments consommés. • L’accès à des ressources documentaires. L’association Sparadrap (www.sparadrap.org) diffuse deux supports produits par le centre de la migraine de l’hôpital Trousseau de Paris : un livret d’information et un DVD intitulé « Relaxation, hypnose et migraine ». Le site internet www.migraine-enfant.org, alimenté par le même centre, comporte une partie destinée aux enfants et à leurs parents, et une partie destinée aux professionnels de santé. L’objectif ultime de la stratégie thérapeutique est d’arriver à « responsabiliser » l’enfant et sa famille. Les cas les plus lourds bénéficieront d’une prise en charge dans un centre spécialisé.  

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