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Psycho-social

Publié le 29 juil 2010Lecture 13 min

L’enfant du désordre psychosomatique

C. JOUSSELME, Fondation Vallée, Gentilly, Université Paris-Sud, Inserm U669

« Le corps a ses raisons, que la raison ne connaît pas »… L’enfant parle souvent par son corps avant de pouvoir exprimer ses souffrances psychiques en mots. Les maux deviennent alors de véritables messages que le pédiatre doit souvent décoder pour parvenir à proposer des solutions adaptées, ce qui n’est pas toujours simple.

Le bébé : pensée et corps, un tissage permanent Lorsque l’enfant paraît, il est déjà riche de beaucoup d’expériences sensorielles qu’il a vécues dans le ventre même de sa mère. Bercé dans le liquide amniotique, comme en suspension, partageant ses mouvements, débutant peu à peu sa vie sans préoccupation ni effort pour se nourrir, au son du rythme cardiaque maternel. Le bébé vit sans doute une plénitude qu’il ne retrouvera jamais totalement dans sa vie future.   La dyade mère-enfant, et le père La mère, elle, se sent habitée par ce petit être qu’elle construit tout au long de la grossesse, « vivant à deux » pendant ces 9 mois. Cette expérience unique crée entre eux des liens également uniques, avant tout charnels, mais aussi psychiques. Quand elle est stressée, ses surrénales déchargent, et toutes les hormones du stress perturbent alors son équilibre corporel, augmentant sa fréquence cardiaque, sa fréquence respiratoire, etc. Le bébé, bien entendu, vit ces mouvements maternels, sans y mettre de sens, mais en les intégrant dans son corps. Ce corps à corps psychique et physique, cette complicité absolue, se prolonge un peu après la naissance. Par la dyade mèreenfant, on fait référence au fait que lorsque le bébé vit une émotion ou une sensation corporelle, sa mère y réagit généralement immédiatement, prise dans les premières semaines dans cette sollicitude maternelle primaire décrite par D. Winnicott. Ainsi, peu à peu, la mère vit à la fois une séparation souvent ressentie comme brutale au moment de l’accouchement, et éprouve en quelque sorte des retrouvailles corporelles, lorsqu’elle allaite, lorsque le bébé est sur son ventre, etc. Ensemble, ils construisent pas à pas le possible chemin d’une identité disjointe de l’enfant, ce qui demande du temps et des expériences partagées. Le père, lui, même s’il participe de plus en plus à la grossesse, via des séances d’haptonomie ou de relaxation, ne peut avoir les mêmes sensations corporelles que sa femme. En effet, quand il touche le ventre de sa femme et sent son bébé venir se faire caresser sous sa main, il ne vit qu’une sorte de sensation. La mère, dans une telle expérience, en vit deux à la fois : elle sent à l’intérieur d’elle son bébé bouger, en lien étroit et direct avec elle-même, et elle connaît également, par sa main, une sensation venant en quelque sorte de l’extérieur. Cependant, les liens père/bébé s’affirment rapidement après la naissance. S’ils ne sont pas teintés de la même expérience corporelle rapidement, le bébé regarde son père et le fait véritablement père. Dès lors, celui-ci pourra tout à fait « materner » son enfant, et ressentir des émotions fortes, qu’il transmettra également à celui-ci, dans une spirale vertueuse très positive pour le bébé.   Penser l’intérieur et l’extérieur Quand tout se passe harmonieusement, le bébé peut ainsi naviguer entre des bases de repli corporel maternelles, et cette ouverture au monde que le père lui apporte, car leur amour de l’enfant se tricote avec des fils aussi solides et aussi importants, mais de couleurs et de natures différentes. Ainsi, la mère aura tendance, quand elle prend son bébé dans ses bras, à lui parler de son corps, alors que le père aura souvent tendance à lui parler du monde extérieur. De cette complémentarité foncière découlera une capacité des parents à faire confortablement des hypothèses à propos des messages que leur bébé leur envoie. Ainsi, devant un cri, une situation d’inconfort du bébé, qu n’a pour lui aucune signification dans un premier temps, les parents proposeront à leur enfant des mises en sens qui, peu à peu, feront « mouche » et créeront chez l’enfant une capacité à différencier ses sensations internes de celles venant de l’extérieur. Lorsqu’il aura mal au ventre, par exemple, il comprendra peu à peu que cette souffrance vient de son propre corps, alors que lorsqu’il aura froid, il saisira au fur et à mesure que c’est l’extérieur qui lui envoie des messages. Progressivement, le bébé acquiert donc une capacité à penser ce qu’il vit, ce qu’il sent, et articule l’intérieur et l’extérieur dans un lien différencié et constructif à ses deux parents. Lorsqu’il est frustré, lorsqu’il attend, il peut petit à petit retrouver par lui-même de bonnes sensations liées à des expériences passées avec l’un ou l’autre, et se calmer un moment. Ainsi, il « tétouillera » son pouce en attendant le biberon, et « hallucinera l’objet » (Mélanie Klein) avant de pouvoir le retrouver secondairement. Ces ancrages de la pensée du bébé sont essentiels pour tout son avenir, et notamment pour la construction de son image du corps, c'est-à-dire de sa façon d’habiter et d’aimer son propre corps, et de pouvoir ainsi en prendre soin. Le bébé acquiert progressivement une capacité à penser l’intérieur et l’extérieur de lui-même.   Les langages corporels Lorsque l’enfant, plus tard, rencontre dans sa vie des événements complexes, qu’il a du mal à intégrer, qui provoquent chez lui du déplaisir ou de l’angoisse, il aura tendance à puiser en lui pour trouver les stratégies d’adaptation les moins inconfortables possible. Lorsque les premiers échanges ont été positifs, l’estime qu’il a de lui-même et son narcissisme primaire seront assez solides pour qu’il puise en lui sans forcément avoir recours à l’autre. Quand, au contraire, ses premières expériences sont difficiles, ou lorsque les événements de la vie qu’il traverse sont trop douloureuses pour lui, il pourra avoir recours à une expression corporelle de sa souffrance psychique, et cela d’autant plus qu’il ne sera pas encore capable d’utiliser le langage, ou que celui-ci ne sera pas correctement investi par lui.   Somatisation Parfois, l’enfant en souffrance laisse son corps s’exprimer pour ainsi dire sans réfléchir, ce qui permet aux autres de percevoir ses difficultés. Dans les somatisations infantiles, très fréquentes, aucune lésion corporelle n’existe, le symptôme est en quelque sorte brut, sans processus de symbolisation. Par exemple, l’enfant qui rentre en CP, pris dans des angoisses de séparation, pourra présenter des douleurs abdominales récurrentes. Le symptôme est d’une certaine manière lié à des événements qui se produisent ici et maintenant, événements qu’il faut d’abord repérer et analyser, pour ensuite en parler avec l’enfant et ses parents. Le pédiatre est souvent le premier interpellé dans ces situations. Il doit, dans un premier temps, faire un examen clinique complet et bien entendu vérifier qu’aucune pathologie somatique vraie n’existe, puis dans un second temps suivre les symptômes dans la durée, car ceux-ci, si l’enfant parvient à maturer, seront forcément transitoires. Il faut se rappeler que l’angoisse de séparation est sans doute la plus grande pourvoyeuse de ce type de symptomatologie. Le nourrisson utilise souvent ce type de symptôme et la difficulté pour le pédiatre est de ne pas répondre à l’urgence des demandes parentales simplement par des actes concrets tels un changement de lait ou des stratégies de puériculture qui, seuls, ne permettent pas du tout de comprendre la problématique profonde de la situation. L’angoisse de séparation est sans doute la plus grande pourvoyeuse de somatisations. Les syndromes conversifs Le corps parle à sa façon, des messages symboliques corporels prennent la place des mots. Bien que dans les nouvelles classifications internationales de psychiatrie les symptômes névrotiques n’existent pas à part entière, il semble essentiel pourtant de comprendre que, dans certains cas, l’enfant vit des conflits intrapsychiques qu’il ne peut surmonter autrement qu’en fabriquant des symptômes de nature névrotique. Ces symptômes viennent du fait que des interdits intégrés en lui, dans son surmoi, ne peuvent s’articuler correctement au désir emmagasiné chez lui dans « son ça » ; ainsi l’intensité centrale de sa personnalité, son « moi », ne peut plus produire des mécanismes de défense efficaces et l’angoisse vient alors le submerger. Dans ces cas, il fabrique en quelque sorte un symptôme qui lui permet de décentrer l’angoisse et de la faire diminuer en concentrant les choses sur une situation donnée. La conversion permet à l’enfant d’exprimer dans son corps, par des maux, sa souffrance psychique, en la symbolisant. Les conversions sont peu fréquentes chez l’enfant, plus courantes à l’adolescence ; elles dépendent beaucoup du milieu familial et culturel et elles ne sont pas forcément reliées à une personnalité hystérique. Elles existent souvent dans les pathologies du narcissisme. Dans les conversions, c’est un organe de la vie de relation qui est touché, victime de troubles fonctionnels qui se prolongent dans la durée. Si ces maux persistent, des problèmes organiques secondaires peuvent en découler : par exemple, dans une paralysie, si celle-ci n’est pas prise en charge, une amyotrophie peut apparaître empêchant par la suite la marche, par exemple. Les conversions sont peu fréquentes chez l’enfant, plus courantes à l’adolescence. Dans ces cas, le pédiatre doit avant tout prendre du temps pour comprendre la situation conflictuelle que peut vivre l’enfant. Il doit aussi éviter que le symptôme s’installe longuement, car chez l’enfant, la problématique est souvent avant tout scolaire. Ainsi, chez un enfant devenant aphone, à la suite de conflits parentaux dans lesquels il ne peut prendre sa place et dire à ses parents combien il les trouve infantiles par exemple, il peut rapidement se mettre en place un retard scolaire très préjudiciable pour l’avenir. Les actions sont alors forcément multidisciplinaires, et l’appel à un pédopsychiatre est obligatoire. Le suivi de la famille sera, par contre, essentiel afin de permettre à ce suivi d’abord de s’instaurer, puis de perdurer assez longtemps pour que l’enfant, une fois le symptôme disparu, ne replonge pas dans une conversion d’une autre nature. Il faut éviter que le symptôme s’installe longuement pour prévenir notamment la mise en place d’un retard scolaire.   Les maladies psychosomatiques Des maux lésionnels prennent la place des mots. Beaucoup de maladies ont une dimension psychosomatique. Ainsi, l’asthme, le diabète, l’eczéma, etc. sont à la fois des maladies de terrain, avec des lésions corporelles existantes et liées à des problématiques conflictuelles accélérant souvent la mise en place de crises ou de poussées. Lorsque l’enfant est en souffrance, il n’a pas la possibilité de mettre en place des processus de symbolisation et le poids du terrain vient alors lui donner en quelque sorte un choix primaire, celui de déclencher une poussée de sa maladie. Le travail est ici complexe, et forcément multidisciplinaire. En effet, il ne s’agit pas, ni pour le pédiatre, ni pour le psychiatre interpellé dans beaucoup de cas, d’interpréter de façon simpliste la pathologie. Car, si l’enfant ne parvient pas à exprimer sa souffrance, c’est souvent que les angoisses qu’il vit sont terribles, non symbolisables, sa pensée se sentant pour ainsi dire « vide », et il est inutile sinon dangereux, d’interpréter quoi que ce soit. Il faut plutôt travailler pas à pas, dans une cordée pédiatre/pédopsychiatre, cohérente, et fiable. Dans les cas complexes, il faut travailler pas à pas, dans une cordée pédiatre/pédopsychiatre cohérente et fiable. L’exploration de la situation familiale aide souvent à progressivement prendre conscience des situations qui tissent les angoisses infantiles et aggravent la maladie psychosomatique. Bien entendu, il ne s’agit pas non plus de culpabiliser les parents qui, souvent, font le mieux qu’ils peuvent, pris eux-mêmes dans leurs histoires familiales, souvent transgénérationnelles dans ces maladies familiales ; ils se sentent très vite persécutés ou mal traités quand on tente de leur expliquer que la faute repose sur eux. Dans un suivi psychothérapique, souvent long, l’enfant pourra peu à peu trouver des représentations à ses angoisses et alors exprimer sa souffrance psychique autrement que par le canal de sa maladie. Ainsi, une petite fille asthmatique, au bout de 2 ans de psychothérapie, verra ses crises largement diminuées, lorsqu’elle pourra exprimer que les conflits de ses parents polluent l’air ambiant autour d’elle, et que, dans ces cas là, elle ne parvient plus à respirer. C’est un peu comme si les affects agressifs ou négatifs de ses parents venaient l’envahir au point qu’elle ne peut plus penser et mettre en mots ce qu’elle ressent.   Les intrications médico-psychiatriques Lors d’une maladie véritablement somatique, l’enfant vit des processus biologiques qui, bien entendu, remanient profondément son corps, mais aussi les relations qu’il a avec ses parents. Ses relations influencent la maladie elle-même, ses capacités à s’en défendre, mais aussi lui permettent ou non d’utiliser pour se défendre des mécanismes plus psychiques plus ou moins pathologiques. Plus le milieu a une réponse positive, plus l’enfant parvient à mettre en place « les modalités adaptatives les moins "amputantes" » (R. Misès). Lorsque la maladie somatique apparaît, elle attaque le corps, directement, mais aussi indirectement par les effets iatrogènes des traitements qu’elle implique. Le corps peut alors parler et se taire à sa façon. Parfois, la souffrance corporelle prend toute la place, par le biais de la douleur qui marque profondément l’enfant aussi bien psychiquement que somatiquement, car elle laisse des traces à tous les niveaux lorsqu’elle est importante et persiste. Par ailleurs, l’insécurité dans laquelle certaines pathologies plongent l’enfant et sa famille (par exemple des pathologies à rechutes) rendent également difficile l’expression psychique des difficultés. Le travail ici est forcément multidisciplinaire, le pédiatre et le pédopsychiatre doivent intervenir de façon cohérente pour être efficaces. C’est un peu comme s’ils étaient sur la même corde, dans la même « galère », avec le même but : permettre à l’enfant de se développer le mieux possible avec sa maladie. Dans ces cas, la complicité pédiatre/pédopsychiatre est aussi essentielle, car chacun apprend de l’autre et fonctionne dans des temporalités différentes qui doivent pourtant s’articuler. Ce partenariat, où le pédiatre reste le guide puisqu’il est responsable du traitement médical de l’enfant, est essentiel pour que la famille ne produise pas des comportements négatifs, pathogènes, qui peuvent secondairement pousser l’enfant à développer un handicap psychique surajouté à celui de sa maladie. C’est pourquoi, la psychiatrie de liaison est essentielle et doit se développer, à tout âge de la vie, autour des maladies chroniques de l’enfant.   Conclusion Le pédiatre est souvent aux premières loges de l’expression corporelle de la souffrance psychique de l’enfant, quel que soit le type de cette expression. « Le corps est le véhicule de l’être au monde et avoir un corps c’est pour un vivant se joindre à un milieu défini, se confondre avec certains objets et s’y engager continuellement ». Cette phrase de Pierre Merleau-Ponty résume bien l’importance d’un travail en partenariat, entre le pédiatre et le pédopsychiatre, pour aider au mieux l’enfant à avancer dans son développement, dans un lien confortable entre son corps et sa psyché. L’aider à se représenter sa souffrance psychique, l’aider également à se représenter sa maladie quand elle existe, sont deux missions essentielles que cette cordée fondamentale doit poursuivre.

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