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Psycho-social

Publié le 25 nov 2009Lecture 11 min

L’enfant cruel : cruauté envers l’animal, cruauté envers l’homme. Continuité ou rupture ?

M.-F. LE HEUZEY, Psychiatre pour enfants et adolescents Hôpital Robert-Debré, Paris

En consultation, certains parents expriment des inquiétudes : « Sébastien, 5 ans, a voulu un chaton, mais il n’arrête pas de le malmener », « Killian, 8 ans, a essayé d’étrangler son lapin, ne risque-t-il pas de s’en prendre à sa jeune soeur ? » Que dire ? Inquiéter, banaliser ou ignorer ?

 
Les données de la littérature médicale et psychiatrique On ne dispose que de données rétrospectives. En 1806, Philippe Pinel crée le concept diagnostique de « manie sans délire » à partir de l’observation d’un homme extrêmement agressif à la fois contre les animaux et contre les humains et qui finira par tuer une personne. Cette manie sans délire est ce que l’on appelle maintenant la personnalité antisociale, caractérisant des adultes qui fonctionnent dans la transgression des droits d’autrui. P. Pinel est le premier à avoir fait un lien entre agressivité envers l’animal et violence envers l’être humain. Dans la biographie de nombreux jeunes meurtriers, des actes de torture sur les animaux sont souvent rapportés. Ainsi, les auteurs du massacre du lycée de Colombine (États-Unis) en 1999, au cours duquel furent tué 12 élèves et un professeur, étaient connus pour leurs actes de mutilation sur des animaux. Les expertises médico-légales d’adolescents criminels montrent un taux élevé d’antécédents d’agression sur les animaux. Les études rétrospectives d’adultes incarcérés ont permis aussi de montrer un lien entre des manifestations de cruauté envers les animaux dans l’enfance et des actes d’agression envers des humains ultérieurement. Les expertises médico-légales d’adolescents criminels montrent un taux élevé d’antécédents d’agression sur les animaux. P. Pinel : le premier à avoir fait un lien entre agressivité envers l’animal et violence envers l’être humain Parmi des auteurs d’homicides sexuels, 36 % rapportent des actes de cruauté envers l’animal durant l’enfance et 46 % durant l’adolescence. Lorsque l’on compare des sujets incarcérés pour crimes avec agressivité à des sujets incarcérés pour des délits non agressifs, 65 % des premiers ont des antécédents de cruauté envers les animaux, alors que les seconds n’ont ces antécédents que dans 10,5 % des cas. Les études prospectives sont difficiles à envisager et il manque d’instrument pour mesurer l’importance du phénomène. Aucune étude ne peut montrer que la cruauté envers l’animal est une donnée stable et pronostique pour l’avenir. Des chercheurs ont mis au point le CAI (the Cruelty to Animals Inventory) : un instrument d’évaluation du phénomène de cruauté envers les animaux destiné aux enfants de 6 à 13 ans, avec en parallèle une version destinée aux parents d’enfants âgés de 3 à 13 ans pour améliorer la connaissance sur le sujet. Mais actuellement, il n’existe pas de traduction et de validation française de cet outil.   Les enfants cruels envers les animaux relèvent-t-ils de la médecine et de la psychiatrie ? Pendant longtemps, en médecine, on n’a pas accordé beaucoup d’importance aux actes d’agression sur les animaux et on avait tendance à banaliser le phénomène. Pourtant, la cruauté envers les animaux a été intégrée dans les grandes classifications internationales (DSM de l’association américaine de psychiatrie et CIM de l’Organisation mondiale de la santé) comme un critère diagnostique du trouble des conduites. Voici un exemple de trouble des conduites précoce. « Antonin, 8 ans, enfant adopté et ayant vécu dans des conditions très difficiles jusqu’à l’âge de 5 ans dans un orphelinat d’un pays de l’Est, n’en fait qu’à sa tête. À la maison, il n’obéit pas, il maltraite sa soeur de 4 ans et a exercé sur elle des attouchements sexuels. Il fait de nombreuses colères, a étranglé un hamster, maltraite le chien. À l’école, il est considéré comme indésirable : il suscite des bagarres, il extorque de l’argent, il répond avec insolence et vulgarité aux professeurs. Il se présente en disant : « J’ai 8 ans, j’ai déjà violé, volé et tué. » Le trouble des conduites est un « ensemble de conduites, répétitives et persistantes, dans lequel sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l’âge du sujet ». Les différents symptômes sont regroupés en quatre catégories principales : – les conduites agressives dans lesquelles des personnes ou des animaux sont blessés ou menacés dans leur intégrité physique ; – les conduites où des biens matériels sont endommagés ou détruits, sans agression ; – les conduites de fraudes ou vols ; – les violations graves de règles établies : fugues, école buissonnière, etc. La cruauté envers les animaux est un critère parmi d’autres. Et pour porter un diagnostic de trouble des conduites, ce symptôme ne doit pas être isolé. Dans les études internationales, en population générale, la prévalence du trouble des conduites est de 5 à 9 % chez les garçons de 15 ans et plus faible chez les filles. Dans les études portant sur des populations ayant commis des actes de délinquance, la prévalence du trouble des conduites est de 30 à 60 % chez les garçons ayant commis des actes de délinquance. Le trouble des conduites est en effet plus fréquent chez le garçon que chez la fille, et il s’exprime différemment selon le sexe. La prévalence du trouble des conduites est de 30 à 60 % chez les garçons ayant commis des actes de délinquance. Cette donnée est congruente avec le fait que la cruauté envers les animaux est plus masculine que féminine. Il existe des formes de trouble des conduites de sévérité très variables. P.J. Frick, qui a étudié les formes les plus sévères (notamment une forme particulièrement grave avec froideur affective et absence de remords), s’est intéressé à l’item cruauté envers les animaux. Dans une revue portant sur 60 études concernant le trouble des conduites, il a pu montrer que la cruauté envers les animaux est un facteur discriminant entre les formes les plus sévères de trouble des conduites (type destructeur) et les formes plus atténuées (type non destructeur). La cruauté envers les animaux apparaît comme un indice de gravité. Les facteurs de risque du trouble des conduites sont multiples avec une interaction entre les facteurs individuels et environnementaux.   Facteurs de risque du trouble des conduites Les comportements d’agressivité sont globalement normaux chez les jeunes enfants. La cruauté « exploratoire » ou de curiosité concerne ces mêmes enfants qui ne perçoivent pas la souffrance et la mort, comme Sophie et ses petits poissons (Les Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur). La plupart des enfants montrent une diminution de leurs comportements agressifs entre 2 et 8 ans. Ces comportements s’atténuent pour disparaître grâce à l’intégration des valeurs et à l’adaptation sociale. Pourtant, un petit sousgroupe d’enfants maintient un niveau élevé d’agressivité jusqu'à l’adolescence, et ce petit groupe peut évoluer vers un trouble des conduites. Les facteurs de risque du trouble des conduites sont multiples avec une interaction entre les facteurs individuels et environnementaux. Addictions pendant la grossesse : la cause du problème ?  Parmi les facteurs de risque individuels, on a décrit des facteurs médicaux : l’âge très jeune de la mère, la consommation pendant la grossesse d’alcool, de tabac, de cannabis et autres substances, la prématurité et un faible poids de naissance, les complications périnatales et des facteurs de vulnérabilité génétiques (mais attention, il n’y a pas de gène de la cruauté comme il n’y a pas de chromosome du crime !). Les tempéraments à risque sont marqués par l’indocilité, le faible contrôle émotionnel, l’agressivité, l’impulsivité et une forte « recherche de nouveauté ». De plus, une incompatibilité trop importante entre le tempérament de l’enfant et les exigences éducatives de son environnement (trop coercitif ou trop permissif) peut favoriser le trouble des conduites. Il n’y a pas de gène de la cruauté, comme il n’y a pas de chromosome du crime !  Les facteurs de risque familiaux sont : la présence de troubles du comportement chez le père, la mère, un couple parental dysfonctionnel, la dépression maternelle post-partum, l’alcoolodépendance ou les autre(s) toxicomanie( s) chez les parents. Les études plus spécifiques menées sur les enfants cruels avec les animaux montrent qu’ils imitent ce qu’ils voient. Les enfants exposés à la violence domestique s’identifient à l’agresseur et « rejouent » les comportements agressifs sur les animaux, et cela dans les deux sexes.  Le rôle des facteurs de risque sociaux est difficile à interpréter de façon isolée, car les enfants des quartiers défavorisés ont globalement une plus grande prévalence de facteurs de risque. De nombreux travaux de recherche ont démontré un lien significatif entre l’exposition à la violence véhiculée par les médias et les comportements d’agression des jeunes. Les études récentes confirment que l’exposition à la violence télévisuelle à l’âge de 8 ans est hautement prédictive de comportements agressifs à long terme. Non seulement, les spectacles de violence stimulent la violence, mais ils entraînent aussi un phénomène de désensibilisation, avec banalisation, habituation et installation d’une passivité et d’une apathie face à des gestes violents. L’exposition à la violence télévisuelle à l’àge de 8 ans est hautement prédictive de comportements agressifs à long terme. Pour certains enfants, le fait de jouer à des jeux violents accroît l’excitation physiologique, augmente les attitudes agressives et diminue les comportements prosociaux. Les spectacles violents en libre accès et sans limites, déversés par la télévision et les jeux vidéo, majorent l’attrait pour la violence, d’autant que les comportements violents y sont, au mieux, banalisés et déculpabilisés et, au pire, vantés et encouragés. Au total, de nombreux facteurs interviennent dans le maintien et le développement de comportements agressifs chez un enfant, que ces comportements aient pour cibles les animaux ou les autres enfants, mais il faut faire attention à la prédiction chez l’enfant. On ne doit pas dire, « il agresse les animaux, c’est un futur délinquant ». L’enfant ne doit pas être stigmatisé et il n’y a pas de déterminisme linéaire.  Un exemple de cruauté involontaire...et de lien entre violence sur l'animal et sur l'homme  Certains enfants peuvent faire du mal à des animaux, malgré eux. • L’enfant autiste ou souffrant de retard mental peut ne pas percevoir la souffrance, ou comme Lennie, colosse autiste du roman Of Mice and Men de Steinbeck, caresse et tue malgré lui (des souris… et un jour une femme). • L’enfant hyperactif (souffrant de trouble déficit de l’attention/ hyperactivité) n’est pas un enfant agressif en soi, mais il souffre d’une grande impulsivité. Il peut ainsi paraître brutal dans ses jeux, car il gère mal ses gestes.   Que faire ? Si un enfant paraît agressif avec un animal, les parents et autres adultes doivent intervenir, ne pas laisser faire et ne pas banaliser. Si nous sommes consultés en tant que médecin, si le comportement paraît durer ou se répéter, une évaluation psychopathologique de l’enfant doit être planifiée : étude du développement intellectuel et affectif, recherche d’autres troubles du comportement ou de maladaptation, et aussi évaluation de la famille et de son environnement. On doit s’interroger sur le modèle véhiculé par les parents ? L’agression sur les animaux est considérée comme un signal évocateur de violence domestique. La notion de cruauté envers les animaux dans le jeune âge, coexistant avec d’autres facteurs de risque, doit orienter vers une prise en charge psycho-éducative de l’enfant et de sa famille, pour aider la famille à gérer et pour aider l’enfant à l’apprentissage des comportements prosociaux. L’agression sur les animaux est considérée comme un signal évocateur de violence domestique. " Tout arracheur de pattes de mouche n’est pas un serial killer en puissance "   Conclusion Tout arracheur de pattes de mouche n’est pas un serial killer en puissance. Mais la cruauté envers les animaux n’est pas un symptôme à banaliser ou à ignorer. Elle peut être le révélateur de violence domestique. L’éducation d’un enfant doit porter dès le jeune âge sur l’apprentissage du respect de la vie quelle qu’elle soit, et il faut aider les parents dans cette tâche éducative.  

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