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Psycho-social

Publié le 21 juin 2009Lecture 10 min

À l’écoute des pleurs du petit enfant : expliquer ou traiter ?

J.-P. DOMMERGUES, Hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre

Les pleurs du petit enfant n’ont pas une signification univoque, et ses « façons de pleurer » peuvent traduire des situations aussi variées que la douleur, l’inconfort, la frustration, le chagrin, la faim, le désarroi, la colère, ou encore, peuvent s’intégrer dans un rituel d’endormissement. La mère est la mieux placée pour décoder le symptôme et reconnaître les différents messages de ce « cordon ombilical sonore ». Lorsque celle-ci n’en comprend pas la signification, les pleurs peuvent faire l’objet d’une consultation médicale.

 
Le pédiatre consulté pour pleurs du petit enfant se doit d’éliminer une cause organique identifiable par un examen complet du nourrisson avant d’aborder la question du traitement. Lorsqu’il n’y a pas de cause organique identifiable, ce qui est presque toujours le cas, il convient de se demander si les pleurs s’inscrivent dans une trajectoire développementale normale ou s’il s’agit d’un non-ajustement des fonctions maternelles aux besoins du bébé. On distingue les pleurs qualifiés de « physiologiques », qui sont les plus fréquents, les pleurs « excessifs », mieux définis par leur mauvaise tolérance que par leur durée et les pleurs « prolongés » persistant au-delà du 3e mois de vie. Les pleurs « physiologiques » varient d’un enfant à l’autre, sont maximum vers la 6e semaine de vie, et s’atténuent très franchement ou disparaissent vers la fin du 3e mois. Dans une enquête conduite au sein du Groupe de pédiatrie générale, 6 % des mères consultant leur pédiatre font état de pleurs intolérables, 9 % se disent « exaspérées », avec une surreprésentation des mères apparaissant « fatiguées, tristes, en difficulté ». Dans tous les cas, il convient de préciser le symptôme, de discuter de l’opportunité de traiter le symptôme ou sa cause et surtout de savoir reconnaître quand il y a danger…   Les pleurs sont-ils liés à des coliques du nourrisson ? Les coliques du nourrisson sont une cause fréquente de pleurs excessifs. Les authentiques « coliques du nourrisson » réalisent un tableau stéréotypé : enfant algique, au faciès érythrosique, poings serrés, front plissé, cuisses repliées sur un abdomen souvent ballonné, émission répétée de gaz, avec un horaire particulier (le plus souvent entre 18 h et minuit), ne cédant pas avec l’alimentation. Malgré de nombreux travaux, leur physiopathologie reste encore incertaine.   Ce qu’il ne faut pas faire… Indiquons quelques erreurs communes : l’arrêt de l’allaitement maternel, les changements itératifs de lait dans l’espoir de trouver la formule magique, la prescription médicamenteuse d’antispasmodiques divers (aucun n’ayant fait la preuve de son efficacité dans des études comparatives), le langage banalisant assorti d’un péremptoire « ce n’est rien » annihilant toute possibilité pour la mère d’exprimer son désarroi et sa souffrance.   Ce qu’il faut faire… Écouter, prendre en considération le symptôme, s’enquérir d’autres symptômes (les pleurs sont-ils isolés ou accompagnés de troubles de l’alimentation, du sommeil, du comportement ?), examiner l’enfant en veillant tout particulièrement au développement psychomoteur. L’appréciation du degré d’intolérance aux pleurs est primordiale. Des facteurs de risque ont été identifiés dans différents travaux : premier enfant, vie urbaine, famille monoparentale, niveau d’étude élevé chez les deux parents travaillant tous les deux, âge maternel entre 30 et 34 ans, absence de soutien parental, existence d’un tabagisme passif (il favorise à la fois le RGO et les coliques du nourrisson). L’analyse des difficultés de la mère demande à être précisée au cours de consultations rapprochées qu’il faut toujours proposer : anxiété, symptômes dépressifs, tensions intrafamiliales, violences conjugales, ailleurs surinvestissement d’un « bébé précieux » peuvent ainsi émerger... Le pleur peut alors être compris comme un moyen de libération d’une tension interne et non plus comme un symptôme qu’il faut à tout prix faire céder. Instruire les parents de la physiologie des rythmes veille-sommeil avant l’instauration d’un rythme circadien vers le 6e mois de vie s’avère souvent très bénéfique, notamment dans les situations de surstimulation développées par certains parents particulièrement soucieux de favoriser le développement précoce de leur bébé… dans des échanges interactifs les plus rapprochés possible. Rappeler aux parents que le rythme circadien s’instaure vers le 6e mois de vie s’avère souvent très bénéfique. L’histoire naturelle des pleurs, avec le cap à passer des 100 premiers jours de vie, est expliquée aux parents : le pronostic est bon et, passé ce cap, plus rien ne permettra de distinguer les bébés qui ont eu des pleurs excessifs isolés de leurs pairs. Il en va autrement lorsque les pleurs perdurent audelà du 6e mois et qu’ils s’accompagnent de troubles du sommeil, de l’alimentation, du comportement global. Une étude prospective de cohorte sur le suivi à long terme des enfants ayant eu des pleurs prolongés fait en effet état d’altération des fonctions neurodéveloppementales à l’âge de 5 ans (1) ou de survenue de syndromes d’hyperactivité (2). Il faut savoir s’inquiéter devant des pleurs perdurant au-delà du 6e mois. Le traitement : que choisir ? De nombreuses options découlent naturellement de la multiplicité des hypothèses physiopathologiques concernant les pleurs excessifs du nourrisson… Que choisir ? Le médecin reste souvent perplexe devant la diversité des choix possibles. L’hypothèse nutritionnelle a longtemps été mise en avant : les diagnostics d’allergie aux protéines du lait de vache, d’intolérance au lactose ont été au premier plan dans les années 70 et 80, prônant l’administration de régimes d’exclusion. Aujourd’hui, on admet que de telles intolérances n’expliquent sans doute qu’environ 2 à 3 % des situations de pleurs excessifs du nourrisson, et ces régimes d’exclusion ne sont à envisager que s’il existe des troubles digestifs patents et un retentissement sur la courbe de poids. L’APLV et l’intolérance au lactose n’expliquent sans doute que 2 à 3 % des situations de pleurs excessifs du nourrisson. Les probiotiques Récemment, les probiotiques ont fait l’objet d’une intéressante étude comparant l’adjonction d’un probiotique à un antispasmodique chez des enfants nourris au sein et ayant des pleurs excessifs. Les auteurs ont observé une réduction significative de la durée des pleurs dès le 7e jour dans le groupe recevant le probiotique et cet effet s’accentuait aux 14e, 21e, 28e jours de traitement (3). Ces résultats demandent à être confirmés par de nouvelles études. La phytothérapie L’administration d’une infusion de plantes (associant camomille, verveine, fenouil, réglisse et menthe) a été évaluée et comparée à un placebo par Z. Weizman et coll. sur une population de nourrissons âgés de 2 à 8 semaines. L’étude montre une disparition des pleurs dans un pourcentage de cas significativement plus important dès le 7e jour de traitement dans le groupe recevant l’infusion (4). Toutefois, cette étude publiée en 1993 ne fait état que de ce résultat précoce à J7, et elle n’a pas fait l’objet de confirmation par des travaux ultérieurs.   L’approche sensorielle Le portage en déambulation, les massages, techniques très en vogue aujourd’hui, n’ont pas jusqu’à maintenant fait l’objet d’études contrôlées, mais elles méritent sans doute d’être réinvesties et adaptées. Un travail important a été publié par I. St James Roberts et coll. comparant trois techniques de nursing : un groupe composé de familles avec des contacts physiques réduits entre les parents et leur bébé (Londres), un groupe composé de parents appliquant des « soins proximaux » (« proximal care » caractérisé par la proximité physique entre les parents et l’enfant, avec réponse immédiate aux pleurs, portage de l’enfant au moins 16 h par jour, et couchage de l’enfant dans le lit des parents pour le plus grand nombre dans ce groupe) et un groupe intermédiaire de nursing standard (Copenhague). À l’âge de 5 semaines, on n’observe aucune influence sur la fréquence des pleurs paroxystiques dans le groupe des soins proximaux qui, de surcroît, comporte une fréquence plus élevée des pleurs et des réveils nocturnes (5).     Savoir reconnaître quand il y a danger…  Dans certaines conditions, le symptôme peut aboutir à un dérapage relationnel avec trouble majeur de l’attachement, vécu persécutif des pleurs et risque de passage à l’acte, dont le syndrome du bébé secoué, particulièrement grave. Les facteurs de risque de ce passage à l’acte sont différents de ceux précédemment cités pour les pleurs excessifs : jeune âge maternel, faible niveau d’études des parents, isolement parental, conduites addictives, violence intrafamiliale, faible estime de soi, antécédent de maltraitance, troubles de la personnalité. Tout doit être mis en oeuvre pour un traitement préventif, tout particulièrement dans ces situations à risque. Certaines phrases entendues dans ces situations doivent sonner aux oreilles des médecins comme des signaux de danger imminent (encadré). De telles phrases ont été répertoriées par des auteurs canadiens pour la construction d’un « thermomètre de la colère » utile dans l’évaluation de l’intensité du risque. Tout doit être mis en oeuvre pour prévenir le syndrome de l’enfant secoué.   La prévention du syndrome de l’enfant secoué De nombreuses campagnes de sensibilisation ont été conduites en France. La plaquette sur les pleurs rédigée par l’association lyonnaise « Courlygones » explique les bons gestes à faire quand un bébé pleure beaucoup et répondant à l’adage :« observez, surveillez, agissez ». Elle délivre des conseils (rester calme, bercer l’enfant, demander de l’aide à un proche…) et énonce les situations où le recours au médecin, voire au 15, est nécessaire. Cette plaquette est remise aux parents à l’occasion des consultations en exercice libéral, à l’hôpital et en PMI. Elle est téléchargeable sur le site de Courlygones : http://www.courlygones.net/ Différentes affiches sont disponibles, rédigées avec des messages forts : « Secouer un bébé peut le tuer ou le rendre aveugle, infirme, débile. Le laisser pleurer, c’est toujours moins grave. Si la situation est insupportable, ne restez pas seul avec lui » ; « Secouer peut tuer ou handicaper à vie » ; « Vous craquez ? attention ! ne le secouez pas… » Le carnet de santé dans sa dernière version de 2006 diffuse les mêmes messages « Si vous êtes déconcertés, si vous ne supportez plus ses pleurs, ne criez pas et surtout, ne le secouez pas. Secouez un bébé peut le laisser handicapé à vie ».   Le soutien, l’écoute, le partage Un travail original publié par D. Wolke (6) et coll., intitulé « les mères aidant les mères », évalue l’efficacité sur les pleurs d’entretiens téléphoniques conduits par des mères de famille ayant eu elles-mêmes à faire face à un bébé pleureur et ayant bénéficié d’une formation médicale sur la clinique des pleurs et du sommeil du petit enfant. Trois groupes ont été constitués : un groupe témoin G1, un groupe G2 d’écoute empathique simple, un groupe G3 élaborant des stratégies en commun avec les mères tenant compte des particularités du milieu familial et permettant la formulation d’hypothèses sur les conditions de maintien de la conduite des pleurs et la mise au point de routines de soins au bébé pleureur. Les auteurs ont observé une diminution significative de la durée et de la fréquence des pleurs dans le groupe G3. Le succès de ce type d’approche devrait susciter des travaux dans des protocoles comparables de soutien aux mères en désarroi devant ce symptôme si fréquent et source de culpabilité.  

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