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Profession, Société

Publié le 22 déc 2013Lecture 7 min

L’adolescent et la ville moderne : un lieu adéquat pour grandir ?

F. LESAGE*, R. de TOURNEMIRE**, CHI de Poissy-Saint-Germain-en-Laye *psychologue clinicienne **pédiatre - Unité de médecine pour adolescents, Service de pédiatrie
En un siècle, le nombre de citadins au niveau planétaire a été multiplié par douze. Plus de 3,4 milliards d’individus résident désormais dans une ville. Au rythme actuel 65 % de la population sera urbaine en 2025. Les jeunes, de surcroît surreprésentés dans les villes, sont ainsi amenés à grandir dans un environnement urbain. 
L’adolescence : quels besoins pour grandir ?   L’adolescence est une période de transformation, de mutation marquée par la puberté : croissance staturale rapide, augmentation et modification de la corpulence, développement de la pilosité et des organes génitaux… Cependant, du fait de l’émergence de la sexualisation, l’adolescence est une étape de la vie qui ne concerne pas seulement l’individu confronté à ces changements corporels mais aussi son environnement – familial et social – et notamment les relations aux autres. Ainsi, le système familial est particulièrement bousculé au cours de cette période. L’adolescent tente de redéfinir la relation qu’il entretient avec ses parents. Ce processus dit de « séparation-individuation », initié par la désidéalisation parentale et le corps devenu sexué, implique la nécessité de prendre de la distance – tant physiquement que psychiquement – et un changement de représentation de soi. Au cours de ce moment de profonde réorganisation psychique, le jeune tente de définir ce qu’il est, ce qui est important pour lui, ce qu’il est capable de faire, ce qui le motive. Pour cette raison, l’adolescence est une période d’expérimentation pour une conquête de l’autonomie et de découvertes, dont celle de la relation amoureuse. L’adolescent va s’ouvrir sur un monde social élargi où les pairs prennent une place grandissante, comme aussi d’autres adultes que les parents, et puiser dans son environnement pour asseoir sa nouvelle identité, grandir et se confronter aux autres. Les besoins associés à cette période sont donc liés à cet apprentissage de l’autonomie et la nécessité de se retrouver avec d’autres adolescents et adultes en dehors de l’espace familial. Il est ainsi un paradoxe à travers l’appartenance à un groupe de « mêmes » pour devenir différent !     La ville moderne : une offre plurielle La ville moderne propose à ses habitants une multitude d’offres avec le fantasme implicite qu’elle est le lieu de tous les possibles : – offres commerciales de tous types (alimentaires ou non) avec les magasins indépendants ou franchisés, les marchés, les centres commerciaux de plus en plus gigantesques et pléthoriques. Offres d’autant plus importantes qu’elles sont rappelées en permanence par les publicités omniprésentes sur les murs, les abribus, arrières de bus, etc. ; – offres logistiques permettant des déplacements rapides telles les bus, rames de métro ou de tramway et récemment les vélos en libre-service ; – offres culturelles telles celles offertes par les musées, cinémas, théâtres, scènes musicales (zénith, cafés-théâtres, etc.) ; – offres associatives tant sportives que culturelles via la mise à disposition de gymnases ou de terrains de sport, via les conservatoires, les maisons des associations, de la culture ; – offres distractives à travers les cafés, restaurants, bowlings, boîtes de nuit, etc. ; – offres de soins, préventifs ou curatifs, avec ses centres de consultations gratuites ou payantes (centres de planification, centre de dépistage des IST, centres médico-psychologiques, points écoute, médecins libéraux, urgences et services hospitaliers, etc.) ; – offres de pratiques religieuses diverses avec l’apparition ces dernières décennies de lieux de cultes pour les minorités religieuses ; – offres illicites : drogues, prostitution, alcool, tabac (la vente du tabac et de l’alcool est interdite aux mineurs depuis la loi Bachelot du 21 juillet 2009).   La ville : un terrain d’éducation pour les adolescents ? Dans cette phase de construction identitaire, le territoire joue ainsi un rôle essentiel. Le quartier, un espace familier mais non familial Dans la vie urbaine des jeunes citadins, le quartier occupe une place importante, lieu « familier » dans lequel ils ont leurs repères, lieu de résidence d’un grand nombre de leurs amis, espace dans lequel ils pratiquent leurs activités distractives, sportives ou culturelles. Le plus souvent, ces activités sont pratiquées entre pairs. Les villes commencent à développer aujourd’hui une véritable politique à destination de cette tranche d’âge. Sont ainsi apparus à côté ou à distance des parcs et jardins d’enfants, des lieux favorisant la rencontre des jeunes autour d’activités ludiques, sportives (« skateparks ») ou artistiques. André Malraux, véritable précurseur, créait les maisons de la culture en 1961 afin que « n’importe quel enfant de 16 ans, si pauvre soit-il, puisse avoir un véritable contact avec son patrimoine national et avec la gloire de l’esprit de l’humanité ». Aujourd’hui, l’offre est multiple, culturelle et sanitaire avec notamment les MJC (Maisons des jeunes et de la culture) et les maisons de l’adolescent. Ces structures, si elles ne sont pas pensées avec l’adolescent, restent parfois sous-utilisées. En témoigne l’utilisation de locaux inadaptés pour se retrouver (hall d’immeuble, centres commerciaux) ou la nécessité de s’approprier l’espace public à travers tags et graffs pour être vus et reconnus.   L’espace urbain élargi, l’exploration de l’inconnu Dans les autres lieux de la ville, les adolescents fréquentent les commerces qui ne sont pas toujours présents dans leur quartier (magasins de vêtements pour les jeunes filles, enceintes sportives pour les adolescents, salles de concert, etc.). Ils rencontrent un nouvel univers tout en prenant de la distance avec le monde connu que représente leur quartier. Cette possibilité de passer facilement d’un lieu à un autre est facilitée par les transports urbains et les abonnements type carte Navigo (RATP en Ile-de-France) permettant d’utiliser indifféremment tous les modes de déplacement collectifs. L’apprentissage de ces déplacements via ces réseaux de transports souvent complexes constitue un rite de passage, rite favorisant grandement l’autonomie et confrontant les parents aux angoisses véhiculées et amplifiées par les médias. Cet espace élargi a été historiquement construit comme un territoire masculin en opposition à l’espace domestique « féminin ». La représentation commune fait du domicile un lieu où chacun serait en sécurité a contrario de la ville vécue comme le lieu de tous les dangers (violence, drogue, mauvaises fréquentations). Pourtant, les violences domestiques sont statistiquement bien plus fréquentes que celles générées par la rue. Marylin Lieber, sociologue, explique que les femmes subissent des « rappels à l’ordre sexués, des petits actes qui n’ont rien de grave, mais qui lui rappellent sans cesse qu’elles sont des proies potentielles dans l’espace public ». Les parents et les médias continuent d’entretenir cette peur de l’agression sexuelle ou physique chez les filles, qui se retrouvent alors limitées dans leurs déplacements : « Ne sort pas dans cette tenue », « Tu ne sors que si tu es accompagnée », etc.     La société de consommation, obstacle à la quête identitaire Au sein de la ville moderne, les processus de consommation semblent s’être imposés comme processus de construction identitaire. Notre mode de consommation à grande échelle crée et devance les besoins, uniformise les personnes (importance de la marque, des enseignes ou des vêtements et autres objets). La consommation devient source d’accomplissement personnel promue auprès des jeunes par la publicité, leur laissant croire que seul l’objet de consommation est supposé fournir l’identité. Les moyens financiers de l’adolescent étant limités et l’offre toujours plus grande, celui-ci est de fait confronté à des frustrations répétitives.   Et si l’adolescence était une chance pour la ville ? Finalement, l’adolescent, au cours de cette construction identitaire, vient questionner plus largement « l’être ensemble ». Ses besoins pour grandir, ses demandes explicites ou implicites d’une ville dans laquelle il trouverait davantage sa place et serait davantage reconnu ne sont-ils pas ceux de chaque citadin, quel que soit son âge ou son sexe ? Une démarche « participative » entre responsables de la cité et adolescents, aiderait à la construction du sentiment d’appartenance à un espace collectif, rendant alors la ville moderne un lieu adéquat pour grandir et forger son identité.

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