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Psycho-social

Publié le 15 jan 2013Lecture 10 min

Le nourrisson qui ne mange pas : quand recourir au pédopsychiatre ?

M.-F. LE HEUZEY, Hôpital Robert-Debré, Paris
Les difficultés alimentaires sont très fréquentes dans les premières années de vie, elles toucheraient 25 à 35 % des enfants « normaux » et 40 à 70 % des enfants prématurés ou atteints de pathologie chronique. Au vu de cette grande fréquence, c’est dans la majorité des cas le pédiatre qui va gérer la prise en charge et l’accompagnement de l’enfant et de ses parents. u’appelle-t-on en pédo-psychiatrie troubles du comportement alimentaire du jeune enfant ? Dans la classification internationale de l’Académie américaine de psychiatrie (manuel DSM, IV TR), les troubles de l’alimentation (« feeding disorders ») de la première ou deuxième enfance se définissent par une incapacité persistante et durable (plus d’un mois) dans la prise alimentaire survenant avant l’âge de 6 ans, avec une absence de prise de poids ou une perte de poids significative, non expliquée par une maladie organique, un trouble mental ou un manque de nourriture. Cette définition, très globale et sans spécificité, ne nous aide pas vraiment.
Le recours au pédopsychiatre pourrait être schématiquement proposé dans trois grands types de situations : ● À cause de l’enfant L’enfant se développe mal, non seulement au niveau staturo-pondéral, mais aussi au niveau cognitif et/ou affectif : retard dans les acquisitions, aspect dépressif ou indifférent, irritabilité et a fortiori s’il présente d’autres manifestations psychopathologiques tels que des troubles du sommeil ou des bizarreries. L’échec des mesures pédiatriques peut aussi être un motif de consultation dans un but d’alliance pédiatre/pédopsychiatre. ● À cause de la famille En effet, il peut exister des troubles chez les parents qu’il faut avoir repérés : – trouble mental chez la mère : schizophrénie, toxicomanie, alcoolisme, dépression et bien sûr troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie) ou même comportement rigide à l’excès (orthorexie) ; – psychopathologies chez le père ; – incohérence éducative ou conflit majeur entre les deux parents, au niveau éducatif global ou au niveau alimentaire. ● À cause de la relation parents/enfant : – manque d’investissement de l’enfant, froideur, voire rejet franc ; – trouble de l’attachement mèreenfant ; – bon investissement de l’enfant, mais associé à une culpabilité excessive, un désespoir et des attitudes démissionnaires. Mais au-delà de ces propositions schématiques, l’utilisation d’une classification moderne des troubles alimentaires du jeune enfant peut nous aider à mieux cerner les champs d’intervention du pédiatre et du pédopsychiatre. Ainsi, les travaux d’Irène Chatoor ont permis de distinguer différents troubles en fonction de l’âge de survenue, du contexte familial et de l’évolution. Troubles relevant de la compétence principale (ou exclusive) du pédiatre Le trouble de régulation homéostasique Dans les premiers mois de vie, certains enfants sont trop irritables et ne parviennent pas à être suffisamment calmes et détendus pour être nourris, d’autres boivent très vite et sont rassasiés avant d’avoir bu toute la ration ; d’autres encore sont trop somnolents et s’endorment pendant la tétée. La guidance pédiatrique doit résoudre la difficulté. C’est seulement si le trouble se fixe, par exemple, avec une mère dépressive, anxieuse, stressée qui n’arrive pas à gérer le problème, que l’on peut avoir besoin du pédopsychiatre. Les petits mangeurs L'enfant mange des aliments relativement variés mais de petites quantités le rassasient. Il s’agit d’enfants menus mais sans vraie dénutrition. Ces petits mangeurs, garçons ou filles, ont dans le premier mois de vie des modes de succion différents de ceux des sujets contrôles, puis lors de la diversification alimentaire, ils acceptent un nombre plus restreint d’aliments (moins de légumes). Quant aux filles petites mangeuses, elles n'augmentent pas leurs prises alimentaires entre 3,5 et 5,5 ans. Le repérage et la prise en charge pédiatrique sont importants, car le comportement de petits mangeurs est, entre autres, un facteur de vulnérabilité quant à l'apparition d'une anorexie mentale ultérieure. Les évitements alimentaires Ce trouble apparaît lors de la diversification avec l’introduction d’aliments variés (légumes, fruits, viande, etc.). L’enfant refuse tel aliment ou telle catégorie de nourriture, en fonction du goût, de la texture, de l’odeur, de la consistance ou de la couleur avec, au fil du temps, un répertoire d’aliments acceptés très restreint. Cette catégorie recouvre ce que l’on appelle parfois « néophobies alimentaires », « aversions alimentaires », « évitements alimentaires d’origine affective » ou « sélectivité alimentaire ». Lorsqu’il s’agit surtout de sélectivité, avec en particulier le refus de catégories entières d’aliments, le risque est celui de déséquilibre alimentaire ou même, dans certains cas, de surpoids. Si l’enfant refuse tous les aliments devant être mâchés, on peut observer un déficit de développement de la motricité orale. Au maximum est réalisé un tableau d’hypersélection alimentaire, où l’enfant n’accepte que deux ou trois types d’aliments (pain, lait et une marque unique de céréales, par exemple). Globalement, lors de la diversification, beaucoup d’enfants hésitent à accepter des aliments nouveaux : 27 % des enfants seraient dans ce cas. Mais il a été aussi montré que la présentation d’un nouvel aliment à un enfant doit souvent être répété (jusqu'à 11 présentations peuvent être nécessaires) et ce, dans de bonnes conditions pour qu’il soit accepté. Ces enfants peuvent souffrir d’autres manifestations anxieuses – impossibilité de marcher dans le sable ou dans l’herbe, difficulté pour accepter certains vêtements (« ça gratte ») – ou ont une hypersensibité aux bruits ou aux odeurs. Si certains auteurs évoquent une prédisposition génétique, il faut pourtant insister sur le rôle primordial de l’environnement familial : les mères d’enfants néophobiques souffrent souvent de difficultés alimentaires ellesmêmes (phobies alimentaires, manque de plaisir, tendance au grignotage, manque de variété), et les pères ont souvent des difficultés à contrôler leur poids. Ces enfants effrayés par la nouveauté, le non-connu sont des enfants anxieux, qui ressentent une sensation d’insécurité, et leur anxiété est accentuée par l’anxiété maternelle. Troubles plus complexes nécessitant la collaboration pédiatre/ pédopsychiatre Le trouble de l'attachement ou de la réciprocité La relation de réciprocité entre la mère et l’enfant croît rapidement à travers le contact oculaire, les vocalisations interactives, les échanges corporels. Si la relation ne se fait pas ou si elle est de mauvaise qualité, l’alimentation et la croissance de l’enfant vont en souffrir. Le trouble se manifeste entre 2 et 6 mois : l'enfant est dénutri, il présente aussi des signes de retard de développement moteur, cognitif et affectif (apathie, retrait, mimique figée, absence de sourire, manque d'initiative, manque d'interaction, retard intellectuel) qui doivent nous interpeller. Les repas sont marqués par la pauvreté des échanges entre l'enfant et sa mère, voire même une absence totale de réciprocité. L’enfant est en état de carence tant nutritionnelle qu’affective. L'attachement entre l’enfant et la mère est dit de type « insecure ». Les mères souffrent généralement de troubles psychopathologiques patents : schizophrénie, alcoolisme, toxicomanie, dépression. Elles sont parfois elles-mêmes maltraitées par leur conjoint. Étant donné la gravité du tableau clinique, l’intervention thérapeutique conjointe pédiatrique et pédo-psychiatrique est souvent dans un premier temps hospitalière. L'anorexie infantile C’est entre 6 mois et 3 ans que les enfants souffrant d’anorexie infantile sont présentés en consultation, au moment du passage à la cuillère et de la diversification alimentaire, avec un pic de fréquence entre 9 et 18 mois. L’enfant mange quelques petites bouchées, puis refuse d’ouvrir la bouche et d’avaler quoi que ce soit. Il ne manifeste pas de signes de faim, ni d’intérêt pour la nourriture. L’enfant perd du poids, il existe des signes de malnutrition avec retentissement sur le développement staturo-pondéral. Les préoccupations parentales sont importantes, marquées par l'anxiété et le sentiment de frustration. La mère accepte que l'enfant joue pendant les repas ou propose ellemême des distractions ; elle utilise des stratagèmes pour détourner son attention, elle donne à manger à l'enfant de façon très fréquente, parfois même la nuit, et tente de le nourrir de force ou par surprise. Pendant longtemps, on a fait porter à la mère seule la « responsabilité » de l’anorexie de son enfant. En fait, ce trouble survient à l’interface entre un enfant à tempérament difficile (très réactif, irritable, irrégulier dans ses rythmes biologiques de sommeil et d’alimentation) et une mère vulnérable (anxieuse, dépressive, atteinte d’un trouble du comportement alimentaire). Les facteurs de risque de l’un entremêlés à ceux de l’autre débouchent sur une altération des interactions lors des repas. Les repas se déroulant dans le conflit, l’enfant associe ensuite repas et souffrance, avec aggravation réciproque des comportements négatifs de l’enfant et de la mère. La prise en charge pédopsychiatrique inclut bien évidemment l’enfant et ses deux parents. Schématiquement, après évaluation de la situation, un choix des aliments est fait, un cadre matériel pour l’alimentation est précisé. Une hiérarchie avec des paliers successifs et des critères de réussite est mise au point, avec un programme de présentation des aliments de façon progressive et des renforcements positifs pour toute étape réussie. Les conséquences d’un refus de manger sont précisées au départ à l’enfant et appliquées. Le thérapeute aide les parents à appliquer le programme en veillant à une diminution de leur anxiété. Le trouble alimentaire post-traumatique Le refus alimentaire survient après un traumatisme de l'oropharynx ou de l’oesophage, après une fausse route ou un forçage alimentaire, ou encore dans un contexte médical (sonde d'intubation ou d'aspiration, assistance nutritionnelle entérale). On note que lors du traumatisme, l'enfant a manifesté une grande détresse. Le refus alimentaire peut être total sur tous les aliments ou sélectif (refus du solide, mais pas du mixé ou du liquide ; refus du biberon, mais pas de la cuillère, etc.). L’enfant manifeste des signes d'anxiété anticipatoire dans les situations précédant le repas, à la vue du biberon ou du bavoir, ou s’il entend les bruits de préparation du repas. Bref, l’enfant est en détresse quand on essaie de le nourrir. Il ferme la bouche et, s’il y a forçage, il recrache, vomit ou accumule la nourriture dans un coin de sa bouche et recrache plus tard, mais n’avale pas. Le statut nutritionnel de ces enfants est variable, mais le risque de déshydratation et de dénutrition peut être grave si le refus est global. Une prise en charge de type cognitivo-comportemental est indiquée. L’enfant opposant L’enfant « opposant » est un diagnostic différentiel important des troubles du comportement alimentaire, qui peut nécessiter le recours au pédopsychiatre. « Martin ne mange rien, dit sa mère, en fait, il grignote des biscuits quand il en a envie… ». Le comportement de l’enfant n’est pas celui d’un trouble du comportement alimentaire, mais un trouble oppositionnel (voire une véritable tyrannie). En effet, l’enfant peut aussi manifester son opposition dans les jeux, dans la toilette, dans le coucher, etc. Conclusion Au total, chez le jeune enfant, les situations conflictuelles autour de l’alimentation sont nombreuses, certaines bénignes d’autres plus préoccupantes. L’analyse sémiologique des difficultés est fondamentale tant au plan relationnel qu’au plan nutritionnel. Mais même s’il n’y a pas de retentissement pondéral important, le pédiatre prendra en considération la plainte de la famille. Il doit savoir qu’il ne rassurera pas une mère très anxieuse en lui disant « qu’un enfant ne se laisse pas mourir de faim » (cela est faux et aucunement rassurant).

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