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Allergologie - Immunologie

Publié le 10 juin 2012Lecture 10 min

Asthme et allergies : quand l’environnement crée la maladie

I. BOSSÉ, La Rochelle
La prévalence des maladies respiratoires chroniques augmente : 300 millions d’asthmatiques dans le monde, il en va de même pour les autres maladies respiratoires (1). La prévalence des maladies allergiques, qui varie de 5 à 35 % (2) selon les régions du monde, implique l’existence d’un faisceau d’hypothèses : génétique, environnementale, hygiéniste, mode de vie…
Bien entendu, on s’interroge : que l’environnement déclenche ou aggrave les maladies respiratoires semble logique, mais n’explique en rien pourquoi celles-ci augmentent. Cependant, cette augmentation récente suggère que notre système immunitaire soit lui-même sous l’influence de notre environnement. L’asthme allergique est la résultante de modifications complexes immunologiques, cellulaires et fonctionnelles des voies respiratoires consécutives à l’inhalation des allergènes. Des dysfonctionnements de l’immunité innée et acquise sont impliqués dans l’apparition de l’asthme. Des expositions exogènes et endogènes, pendant la phase de maturation et de différenciation du système immunitaire, peuvent induire de l’asthme ou d’autres maladies allergiques plus tard. Mais certains autres facteurs ont un effet protecteur sur l’apparition de la maladie (3). L’ouverture du champ de recherche de l’épigénétique permet de comprendre, au moins en partie, les mécanismes qui sous-tendent les interactions gènes/environnement. Le rôle direct de la pollution Parmi les facteurs environnementaux qui aggravent la maladie asthmatique, on peut retenir la pollution en général (intérieure et extérieure), le tabagisme, le mode de vie, l’alimentation, etc., éléments qui peuvent également en être à l’origine. Prenons deux exemples : le tabagisme et la pollution extérieure entraînent une augmentation de l’apparition de l’asthme de l’enfant. Le tabagisme in utero Des évidences indéniables montrent aujourd’hui l’association entre l’exposition prénatale à la fumée de tabac et divers marqueurs de l’asthme (altération de la fonction respiratoire, sifflements, infections et remodelage bronchique) (4). Cette étude, assez récente, a montré, sur 338 enfants asthmatiques, et 570 contrôles sains, que l’exposition tabagique in utero était corrélée avec un risque accru d’asthme diagnostiqué dans les 5 premières années. De nombreuses autres études vont dans le même sens, et il semble que, parmi les facteurs de risque, le tabagisme maternel soit le plus déterminant. La pollution extérieure Les fortes concentrations en NO, NO2, PM10 et PM2,5 sont corrélés dans de nombreuses études avec une augmentation du risque de sensibilisation, de sifflements, de rhinite, des hospitalisations pour asthme. Dans le tableau, emprunté à M. Molini et coll., on constate que la précocité de l’exposition et la proximité des sources d’exposition des polluants extérieurs sont corrélés à une augmentation des sifflements, de la sensibilisation, de la rhinite, et des marqueurs de l’inflammation respiratoire (5). A contrario, des facteurs protecteurs ont été mis en évidence, c’est l’hypothèse hygiéniste. L’hypothèse hygiéniste Cette hypothèse développée dès les années 1990, et confirmée depuis, permet d’expliquer l’augmentation des maladies allergiques en particulier dans les pays occidentaux. Selon les constatations de David P. Strachan, publiées dans le British Medical Journal, certains facteurs de l’environnement protègent vis-àvis des allergies : faire partie d’une famille nombreuse, être en contact avec des endotoxines bactériennes, vivre dans des pays moins développés, sont autant de facteurs protecteurs démontrés. À l’inverse, vivre dans des pays industrialisés, où la protection vis-à-vis des bactéries, des parasites, fait partie de ce mode de vie moderne, augmente le risque de maladies allergiques. Les mécanismes expliquant cette théorie sont de plusieurs types (6,7). Le système Th1 de défense anti-infectieuse, insuffisamment stimulé, laisse le champ libre au système Th2, qui est prépondérant dans les réactions allergiques : – une moindre stimulation microbienne permet aux allergènes d’avoir plus de pouvoir stimulant ; – une moindre stimulation microbienne entraîne une baisse de l’activité des Treg, ayant pour conséquence une activation du système Th2 ; – certaines toxines microbiennes peuvent également directement influer sur le système immunitaire. C’est ainsi qu’au fil des années a été constaté, dans de nombreuses études à travers le monde, tant chez l’adulte que chez l’enfant, que le fait de vivre dans une ferme protégeait de l’asthme et des allergies. La durée et le moment de l’ex position jouent un rôle fondamental (exposition prénatale et jusqu’à l’âge adulte), le contact avec les animaux de la ferme, la consommation de lait « naturel » sont avec l’exposition aux endotoxines bactériennes des explications à ce phénomène (8). Cependant, il n’a pas été possible de déterminer de façon solide, la concentration seuil nécessaire à la protection. Une étude récente (9) a montré dans deux essais la relation inversement proportionnelle entre les concentrations en bactéries ou en moisissures dans la poussière des fermes et l’apparition d’asthme chez les enfants (figure 1).  Figure 1. Relation entre l’exposition aux bactéries et l’apparition d’un asthme. Les mécanismes d’action ne sont pas encore complètement identifiés, mais suggèrent une interaction gènes/ environnement. D’autres éléments sont à prendre en compte dans la protection contre les maladies allergiques et l’asthme : alimentation riche en fruits, légumes, céréales, poisson, les vitamines C et D, tandis que les antibiotiques pris tôt dans l’enfance augmenteraient au contraire le risque. Comment expliquer l’effet protecteur de certains éléments, et l’effet néfaste de certains autres ? La réponse se trouve certainement en partie dans l’étude de l’épigénétique.   Les avancées de l’épigénétique Les découvertes les plus récentes ouvrent des perspectives explicatives, et pourquoi pas thérapeutiques. Les recherches en épigénétique permettent d’aller plus loin dans le raisonnement, et donnent à penser que notre environnement pourrait « créer » la maladie par des modifications acquises au cours de la grossesse. Les modifications épigénétiques modifient le phénotype sans altérer le génotype. Ces modifications se font sur l’expression des gènes, mais sont transmissibles, et pas sur la structure de l’ADN. Le chromosome est un assemblage de chromatine, ellemême formée par l’ADN associé à des histones. Les modifications épigénétiques s’effectuent soit sur la cytosine de l’ADN (méthylation) ou sur les histones (acétylation, méthylation, déméthylation, phosphorylation). En fonction de ces modifications, les gènes vont s’exprimer ou au contraire devenir partiellement ou totalement silencieux. Donc les facteurs qui modifient l’expression des gènes vont être ou aggravants ou protecteurs. Globalement, la méthylation rend le gène « silencieux », la déméthylation et l’acétylation les rendant « actifs ». Certains éléments interviennent pendant la grossesse et peuvent activer ou diminuer l’expression de certains gènes : le tabagisme, les infections maternelles, l’ingestion de certains polluants organiques, le régime maternel, l’absorption de folates, etc. (figure 2).   Figure 2. Facteurs modifiant l’expression des gènes. Les polluants extérieurs En ce qui concerne la fumée de tabac, il est maintenant certain qu’elle a un effet néfaste sur le développement du tissu pulmonaire et augmente le risque d’asthme. Une étude montre que les risques pour le foetus exposé sont transmissibles sur deux générations (10), que le tabagisme de la grandmère pouvait augmenter le risque d’asthme chez les petits-enfants, et ceci indépendamment du tabagisme maternel. Le stress oxydatif généré par la fumée entraîne une prolifération de cellules T, avec une diminution de la réponse Th1 (11). De même, celui produit par les particules d’échappement diesel entraîne une hyperméthylation du locus pour IFNγ et une hypométhylation du locus pour IL-4 (12). Le régime de la mère Les modifications de notre alimentation moderne (moins de fruits, légumes frais, poissons, plus de nourriture synthétique), sont impliquées dans l’augmentation de l’asthme et des allergies. Ce changement d’alimentation induit une consommation moindre en acides gras polyinsaturés, en vitamines, en fibres, en antioxydants, ce qui impacte sur notre système immunitaire (13). Parmi ces éléments, le rôle de l’acide folique a été mis en avant (14). Les aliments riches en acide folique sont des donneurs de méthyl. Cette méthylation rend silencieux certains gènes de transcription qui ont un effet protecteur sur l’inflammation bronchique (par induction de FOXP3 et Treg) ; ce qui chez le nouveau-né a pour effet l’augmentation de l’hyperréactivité bronchique, une éosinophilie et la production de protéines inflammatoires. Cependant, l’utilité des folates dans la prévention des déficiences de fermeture du tube neural, ne permettent pas de modifier les préconisations actuelles. D’autres éléments ont un effet délétère pendant la grossesse, parmi ceux-ci, l’ingestion de polluants organiques persistants : ils se retrouvent dans l’air, l’eau, la nourriture, les vêtements, les intérieurs. Leur particularité est de s’accumuler dans les tissus au fur et à mesure de l’avancée dans la vie. À fortes doses, ils ont un effet immunosuppresseur chez l’homme (15), cependant qu’à faibles doses, ils inhiberaient les réponses Th1 et favoriseraient les réponses Th2, via leur activité hormonale estrogénique. Ces polluants à faibles doses entraînent une hypométhylation de l’ADN. L’exposition microbienne in utero À l’inverse, certains facteurs permettraient de protéger de l’asthme et des allergies. Comme rappelé plus haut, les enfants nés et élevés dans des fermes traditionnelles sont moins asthmatiques. Le germe non pathogène retrouvé dans ces environnements est l’Acinetobacter lwoffii, et il a été démontré chez des souris en gestation qu’il induisait des modifications épigénétiques et protégeait de l’asthme. Cela s’explique par une augmentation de l’acétylation du promoteur pour IFNγ, ce qui augmente l’expression de l’IFNγ. Dans une étude, M.L. Conrad et coll. décrivent un lot de souris exposé à l’Acinetobacter lwoffii et un autre lot non exposé. Ces deux lots sont sensibilisés par l’ovalbumine : on constate dans le lot protégé par A. lwoffii une diminution de l’inflammation bronchique par rapport au lot non protégé. Chez l’homme, des études ont montré que l’exposition in utero à ces bactéries, est associée à la déméthylation du gène pour FOXP3(16) et donc renforcent l’expression du FOXP3 et la fonction Treg. • L’environnement, au sens large du terme, agit sur l’expression, le déclenchement, la gravité des maladies allergiques et de l’asthme en particulier. Il influe de façon positive ou négative sur le système immunitaire inné, selon que l’on soit riche ou pauvre, né à Paris, Canberra, ou Lomé, élevé à la ferme ou à la ville, de maman fumeuse ou pas, enfant unique ou entouré de frères et soeurs, de parents allergiques ou pas… • Ces avancées dans la compréhension de l’épidémie allergique des 30 dernières années, pourraient, dans la prise de conscience générale de l’impact de l’environnement sur les êtres vivants, nous amener à prendre des mesures simples pour endiguer cette épidémie : lutte contre la pollution automobile, le tabagisme, retour à une agriculture plus saine, à une consommation plus raisonnée… mais pour cela, il faut beaucoup d’efforts individuels, collectifs, politiques. • Peut-on imaginer que l’homme soit assez raisonnable pour prendre soin de sa santé ? Probablement non, alors il ne reste plus aux chercheurs qu’à poursuivre et à trouver ce que réclament les malades allergiques : LE médicament qui permettra de les guérir.

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