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Adolescence

Publié le 25 mai 2024Lecture 7 min

Manger, bouger

Marine BOURON, Renaud de TOURNEMIRE, Unité de médecine de l’adolescent, service de pédiatrie, CHU Ambroise Paré (AP-HP), Boulogne-Billancourt

Cette rubrique "L'œil du médecin d'adolescents", coordonnée par Renaud DE TOURNEMIRE (CHU Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt ) consacrée à la médecine de l’adolescent est l’occasion de présenter une pratique intégrative et systémique centrée sur l’adolescent mais explorant en même temps les interactions avec la famille, les pairs, les soignants. Le corps de l’adolescent y prend une place importante.

Clara, un symptôme casse-pieds   Clara, 16 ans, est hospitalisée pour renutrition dans le cadre d’une anorexie mentale évoluant depuis un an. Avant le début du trouble des conduites alimentaires, sa corpulence évoluait autour de la moyenne (IMC à 20 à 15 ans). Les symptômes associent une alimentation de plus en plus restrictive sur le plan calorique, sans conduite de purge et une hyperactivité physique marquée. Cette adolescente pratique en effet du HIIT (High intensity interval training), ainsi que de la marche à pied saccadée, allant jusqu’à 30 000 pas par jour. Clara a ainsi perdu 13 kg, elle ne pèse plus que 44 kg à l'entrée dans le service, soit un IMC à 15,5.   L’examen clinique d’entrée est sans particularité notable, hormis la dénutrition et une irritation cutanée légère en regard des deux talons, associée à une douleur initialement modérée au niveau des deux pieds. Devant l’accentuation de ces douleurs (qui malgré l’intensité ne conduisaient pas à une diminution de son activité…), des radiographies standards des pieds et des chevilles ont été réalisées, ne montrant pas de lésions osseuses. Une tomoscintigraphie osseuse a mis en évidence de multiples foyers d’hypercaptation au niveau des os du tarse et de la cheville, en regard des zones douloureuses (4 foyers d’hypercaptation au pied droit et 2 au pied gauche, figure 1). Ces foyers évoquent avant tout de multiples fractures de fatigue dans ce contexte d’hyperactivité. Figure 1. Tomoscintigraphie du pied gauche montrant 4 foyers d’hyperfixation (au niveau du cuboïde, du cunéiforme, du calcanéum et du talus).   L’ostéodensitométrie ne retrouve pas d’ostéopénie franche (Z-score lombaire à -1,9 DS ; Z-score col du fémur total à -1 DS). Clara reçoit du calcium (500 mg/j en sus de ses apports par l’alimentation) et de la vitamine D (80 000 UI tous les 3 mois) en prévention du risque ostéoporotique. L’orthopédiste a préconisé le port de bottes de décharge aux deux pieds pendant 6 semaines. Malgré ces bottes, Clara a continué à marcher et sautiller jusqu’à ce qu’on impose des déplacements en fauteuil roulant. Une consultation orthopédique au décours a pu confirmer la bonne évolution et la consolidation de ces fractures. L’activité physique excessive s’est amendée avec les soins pluridisciplinaires et la reprise de poids.   Arthur et les Minimoys   Arthur est un adolescent de 14 ans présentant une anorexie mentale évoluant depuis un an lors de sa première hospitalisation dans l’unité de médecine de l’adolescent. Cet adolescent a perdu 9 kg en un an, passant d’un IMC de 15,5 à 12. Arthur pratiquait de nombreux sports : tennis de table, piscine et athlétisme, avec une intensité accentuée ces derniers mois.   Après une première hospitalisation pour renutrition et rééducation à une alimentation normale, Arthur a repris sa vie de collégien. L’évolution pondérale initiale a été plutôt favorable mais malgré un IMC correct, la croissance staturale est restée quasi nulle dans les deux années qui ont suivi (figures 2 et 3) et le stade pubertaire est resté Tanner 1. Des investigations endocriniennes et une IRM cérébrale ont mis en évidence un hypogonadisme hypogonadotrope et une sécrétion limite de GH après stimulation. Un traitement substitutif par testostérone et par hormone de croissance n’a amené aucune amélioration staturale ou pubertaire. Nous avons alors été convaincu d’un retard pubertaire du fait d’une masse grasse insuffisante, elle-même conséquence d’activités sportives incessantes. Une deuxième hospitalisation a été proposée. Un objectif nutritionnel plus ambitieux et un accompagnement de sa dépendance à l’exercice physique ont permis de relancer sa croissance, ainsi que sa puberté. Figure 2. Courbe staturopondérale d’Arthur. Figure 3. Courbe de corpulence d’Arthur.   L’activité physique bénéfique le plus souvent mais… L’activité physique est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme tout mouvement corporel mettant en action les muscles striés squelettiques, engendrant une dépense d’énergie(1). Cette activité physique peut avoir lieu à tout moment de la journée et se classe en 4 niveaux d’intensité : faible, modérée, élevée (ou soutenue) et très élevée(2). D’après les recommandations de l’OMS et le Programme national nutrition santé (PNNS), les enfants et adolescents âgés entre 5 et 17 ans, devraient pratiquer une activité physique modérée pendant au moins 60 minutes par jour, ainsi que des séances d’exercices physiques soutenus (renforçant le système musculaire) au moins 3 fois par semaine(1). Il a été démontré que la pratique régulière d’une activité physique a des effets bénéfiques sur la santé, notamment avec l’amélioration des capacités cardiorespiratoires, la diminution des risques cardiovasculaires et l’amélioration des capacités cognitives. Elle favorise également une meilleure santé mentale(1). L’activité physique peut cependant devenir problématique et excessive. L’activité physique problématique peut être définie comme la réalisation d’une activité physique quantitativement excessive, répétitive et sans véritable plaisir(3). Cette activité s’inscrit souvent dans une pratique sportive isolée, non collective et non ludique. Les individus sujets à cette pratique manifestent plusieurs symptômes s’apparentant à la dépendance. Nous constatons l’envie irrépressible de pratiquer cette activité physique associée à l’abandon ou la négligence d’autres activités, avec des conséquences négatives sur la vie de sociale, familiale et/ou professionnelle de l’individu(3,4) (figure 4). La notion de dépendance à l’activité physique n’est pas répertoriée dans le DSM-5 ou la CIM-11. Figure 4. Différences entre sport et hyperactivité physique.   On considère généralement l’activité physique problématique (ou hyperactivité physique, activité physique compulsive) lorsque celle-ci dépasse 6 heures par semaine(5). Cette dépendance à l’activité physique peut être évaluée par certains questionnaires validés, tels que l’EDQ (Exercise Dependance Questionnaire) ou l’EDS (Exercice Dependance Scale)(6). Outre des conséquences mentales (comportements obsessionnels, fatigue négligée, appauvrissement de la vie sociale), la pratique physique poussée à l’extrême est préjudiciable pour la santé physique (risque de lésions musculaires, tendineuses, osseuses, retard statural ou pubertaire).   Hyperactivité et anorexie mentale La notion d’hyperactivité excessive figure dans le DSM-5 parmi les caractéristiques associées en faveur du diagnostic de l’anorexie mentale(7). Cette hyperactivité physique peut s’inscrire dans l’anorexie ou la boulimie, que ce soit par un souhait de contrôle du poids, ou en lien avec une dysmorphophobie, souvent centrée sur le ventre (filles) ou les muscles (garçons). La prévalence des comportements physiques inappropriés atteindrait jusqu’à 85 % des personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires(8). Le risque de blessure physique est majoré dans cette population fragile et dénutrie, pouvant souffrir d’hypotension avec risque de chute, de carence protéique ou d’ostéoporose. Cette hyperactivité n’est pas toujours visible par l’entourage car souvent l’adolescent le fait de manière « cachée », seul dans sa chambre. La figure 5 détaille les comportements souvent passés inaperçus visant à agir sur les dépenses énergétiques. Figure 5. Méthodes de dépenses énergétiques.   Deux situations semblent se différencier dans le cadre de l’activité physique. La 1re situation est celle d’une hyperactivité physique consciente, s’ancrant dans les techniques de contrôle volontaire du poids dans l’anorexie mentale. L’individu fait consciemment des activités physiques, afin de maximiser sa perte de poids. L’autre situation est celle d’une augmentation ressentie comme obligatoire de l’activité physique pouvant se majorer au fur et à mesure de l’amaigrissement(9), prenant souvent la forme de rituels (faire un nombre précis d’allers-retours après une prise alimentaire, réaliser un nombre minimum de pas journaliers). Les causes de cette hyperactivité sont plurifactorielles : tentative de contrôle du poids ou de l’anxiété, réponse à la dysmorphophobie, lutte inconsciente contre l’hypothermie, dépendance à l’activité physique s’ancrant alors dans un trouble addictif, etc. Ces dernières années, d’autres pathologies ont été décrites pouvant se rapprocher des TCA : - l’anorexia athletica est la conséquence d’une perte de poids volontaire pour améliorer ses performances sportives. Le sportif n’a pas de préoccupations majeures concernant son aspect corporel(10) ; - la bigorexie, aussi appelée dysmorphie musculaire, est définie par le désir obsessionnel d’augmenter sa masse musculaire à visée esthétique. Cette problématique se retrouve notamment chez des garçons souffrants d’anorexie ou chez les bodybuilders(11 . Cette hyperactivité ne doit pas être banalisée et son encadrement doit faire partie intégrante de la prise en charge de l’anorexie mentale. En effet, l’hyperactivité physique, par la dépense énergétique associée, compromet la reprise pondérale et la renutrition optimale du patient. De plus, elle serait associée à un plus fort taux de rechute de l’anorexie mentale comme dans notre second exemple(12). La littérature médicale actuelle met en avant l’efficacité de la psychoéducation, associée à des séances d’activité physique adaptée (APA) pour faire face à l’hyperactivité physique des patients souffrant d’anorexie mentale. Les principaux objectifs de ces approches sont d’aider au mieux le patient à établir une relation positive avec l’exercice et leur corps, et à s’engager dans un exercice sain, source de bien-être et non de contrôle(5,13). Les messages sociétaux continus autour de l’alimentation santé (l’alicament) et l’activité physique (avec le développement fulgurant des activités dites « en salle »), sur les réseaux sociaux ou dans les publicités, souvent portés dans le cadre d’une éducation à la santé comme le « Manger, bouger » du PNNS, peuvent conduire à une attention parfois excessive à notre alimentation et nos activités sportives, mais ils créent surtout un lien compulsif entre l’un et l’autre.

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