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Allergologie - Immunologie

Publié le 07 mai 2023Lecture 12 min

Les stigmates de l’atopie - Revue de la littérature et description

Guy DUTAU, Allergologue, pneumologue, pédiatre, Toulouse

Atopie et allergie, termes issus de la pensée des pionniers de l’allergologie, de cultures très diverses, sont souvent des termes interchangeables, voire quasiment synonymes, comme on le verra dans cette revue. Avant de montrer des images, accompagnées de textes explicatifs aussi succincts que possible, il nous a paru utile de définir les termes « atopie/allergie », leur genèse historique et leur sens dans la pratique clinique courante. Pour une majorité de ces images, on s’apercevra que les stigmates d’atopie sont présents alors même que les patients sont depuis longtemps allergiques ! Et, inversement, de nombreuses personnes porteuses de ces stigmates ne présentent encore aucun signe d’allergie.

Dans la mesure où il n’existe pas encore un dictionnaire spécifique des termes allergiques, il faut se référer aux dictionnaires classiques. Le dictionnaire Larousse définit l’atopie comme la prédisposition héréditaire à développer des manifestations d’hypersensibilité immédiate telles que l’asthme, le rhume des foins (rhino-conjonctivite pollinique), l’urticaire, l’eczéma dit atopique, la pollinose (sensibilité aux grains de pollen), certaines rhinites et conjonctivites, ainsi que diverses manifestations digestives de type allergique1. Le dictionnaire historique de la langue française, Le Robert ne cite pas le mot « atopie » mais aborde le terme voisin « allergie » : « nom féminin emprunté (1909) à un mot allemand (1906) tiré, par le biologiste von Pirquet, du grec allos (autre) et de ergeia (énergie) de ergon (action de travail et œuvre)2. En substance, le terme proposé par Clemens von Pirquet (1874-1929) signifie « une façon de répondre ou de réagir » différente des réactions immunitaires habituellement connues vis-à-vis de divers micro-organismes comme les microbes. Dans le TLFi (Trésor de la langue française, TLF3), le terme « atopie » n’existe pas. En revanche, le terme « allergie » signifie « une sensibilisation pathologique et persistante d’un organisme à une substance avec laquelle il a déjà été en contact ». C’est l’état de celui qui, à la suite d’une réaction excessive à une substance, développe une augmentation (anaphylaxie) ou, inversement, une diminution (immunisation) anormale de sa sensibilité. Le TLF prend comme exemples les allergies respiratoires en particulier aux pollens, les allergies cutanées, les allergies digestives. Le TLFi rappelle un fait historique survenu au cours d’une expérience réalisée en 1914 à l’hôpital Cochin par F. Widal (1862-1929), P.-L. Abrami (1879-1945) et É. Brissaud (1852-1909) : un berger asthmatique sensibilisé à la laine de mouton fut placé à son insu à proximité d’un ovidé : la crise dyspnéique fut immédiate4. Cette mise en évidence de l’allergie immédiate constitue l’un des premiers tests de provocation bronchique ! En réalité, l’évolution des idées et des termes est relativement complexe, chaque auteur voulant donner son interprétation et/ou sa définition de ce nouveau type de réaction immunitaire. De 1882 à 1905, Heinrich Irenaeus Quincke (1842-1922)5, puis d’autres auteurs, décrivirent une forme d’œdème angioneurotique héréditaire que nous savons aujourd’hui liée, dans sa forme typique, à un déficit en C1 estérase. Par extension, après la découverte des immunoglobulines E sériques (IgEs)6, l’œdème de Quincke désignera aussi, les œdèmes allergiques IgE- médiés. Par la suite, l’histoire va s’accélérer avec une succession de nombreuses études et découvertes : 1908 : découverte de l’histamine par Schultz et Dale ; 1910-1911 : premières désensibilisations effectuées par L. Noon et J. Freeman7 ; 1908 : découverte de l’histamine par Schultz et Dale ; 1910-1911 : premières désensibilisations effectuées par L. Noon et J. Freeman7 ; 1923-1933 : A.F. Coca (1875-1959) et R.A. Cooke (1880-1960) inventent le terme « atopie » qui fera florès sans que l’on sache vraiment pourquoi puisqu’il signifie, sans beaucoup plus de précisions, « état bizarre » ou « terrain bizarre » (1) . Mais le « concept d’atopie » aura l’avantage, lorsqu’on comparera la fréquence des allergies chez les jumeaux mono-et dizygotes, de poser le problème de la génétique de l’atopie/allergie ; 1937 : D. Bovet (1907-1992) et A.M. Staub mettent au point les antihistaminiques à partir de diéthylamine ; 1950 : S. van Leeuwen(2), Voorhost et Spieksma(3-5) découvrent les acariens de la poussière de maison, puis précisent leur rôle dans l’asthme et la rhinite allergique.   Glossaire clinique Pour simplifier la sémantique, on peut proposer les définitions suivantes qui correspondent bien aux faits cliniques que nous observons dans la pratique allergologique quotidienne : l’atopie, terme créé par Coca et Cooke, désignant l’aptitude à développer des maladies allergiques, telles que l’asthme, les diverses formes de rhinites allergiques, saisonnières (pollens) ou pérennes (acariens), ainsi que d’autres affections également pérennes et récidivantes comme certains eczémas et urticaires. Cette aptitude est probablement liée à une prédisposition génétique, en conjonction avec des facteurs environnementaux et culturels ; en présence d’un allergène particulier, l’individu atopique se sensibilise : ses IgEs augmentent et ses tests cutanés se positivent. Puis, au bout de quelques mois ou années, l’exposition répétée à l’allergène auquel le patient est sensibilisé déclenche les manifestations cliniques de l’allergie : rhinite, rhino-conjonctivite, urticaire8, eczéma9, angio-œdème, anaphylaxie La sensibilisation traduit le fait de posséder des IgEs contre un ou plusieurs allergènes, ces IgEs étant détectables soit par la positivité des tests cutanés, soit par celle de leurs dosages sanguins, unitaires ou en employant des tests multi- allergéniques de dépistage10. Ces tests sont également très utiles en épidémiologie(6) ; l’allergie désigne « une réaction anormale, excessive, de l’organisme à un agent (allergène) auquel il est particulièrement sensible ». En d’autres termes, l’allergique est un individu « sensibilisé » présentant des symptômes pour lesquels il consulte un médecin ou que le médecin découvre en interrogeant et/ou en examinant son patient ; en substance, le terme « sensibilisation » désigne un « état biologique » (avec ou sans symptômes cliniques) et le terme « allergie » désigne un « événement clinique » qui conduit en général à consulter un médecin11 ; l’anaphylaxie, forme la plus grave de l’allergie, pouvant mettre en jeu le pronostic vital et potentiellement mortelle, à tout âge, « est une réaction d’hypersensibilité (ou allergique) systémique, généralisée, sévère, pouvant engager le pronostic vital(7) : « elle survient après un délai de quelques minutes à quelques heures suivant l’exposition à un facteur déclenchant. Elle se caractérise par l’apparition brutale d’une atteinte des voies aériennes, supérieures ou inférieures, ou cardiovasculaire potentiellement fatale. Elle est généralement, mais pas systématiquement, associée à une atteinte cutanéo-muqueuse. Des signes digestifs peuvent également être présents. Les symptômes dépendent des organes atteints et évoluent rapidement »(7). Le terme « choc anaphylactique » ne devrait plus être utilisé car il met trop l’accent sur les manifestations cardio-vasculaires »(7) ;   « Chacun produit des IgEs : c’est une réponse immunitaire normale »   un individu normal (sous-entendu exempt de tout signe d’allergie) peut-il fabriquer des IgE ? La réponse est « oui ». Chacun de nous produit des IgEs et c’est une réponse immunitaire normale. En effet, les personnes non allergiques ont des taux d’IgEs sériques totales qui varient avec l’âge, depuis les premiers mois de la vie jusqu’à l’âge adulte. Ces valeurs normales ont été établies par divers auteurs et se recoupent(8,9) ; plusieurs facteurs déclenchants autres que les allergènes font produire des IgEs. En effet, les IgEs totales sont fortement augmentées au cours des parasitoses systémiques (ce sont des anticorps impliqués dans la défense parasitaire), et elles sont modérément augmentées chez les enfants exposés à un tabagisme passif(10) ; notre système immunitaire fabrique aussi des IgG sériques spécifiques (IgGs) vis-à-vis des allergènes qu’il rencontre. Ces IgGs n’ont pas de valeur pour le diagnostic positif d’une allergie, en particulier alimentaire(11,12).   Le terme « sensibilisation » désigne un « état biologique » et le terme « allergie » un « événement clinique »   L’aptitude génétique à produire des IgEs a suscité des études sur les « gênes candidats » et plusieurs d’entre eux ont été découverts. En voici quelques-uns avec leurs phénotypes et les régions chromosomiques concernées. Cette recherche se poursuit et s’affine (tableau)(9).   Documents iconographiques Dans notre expérience, les stigmates d’atopie ont été observées, soit en dehors de signes ou d’événements allergiques connus, soit au cours de symptômes allergiques patents connus 13. Nous en mentionnons d’autres dont l’étude est prometteuse.   Signe de Dennie-Morgan Le signe décrit en 1948 par Dennie B. Morgan est défini comme un « signe distinctif d’allergie » (12). C’est un repli, bilatéral et symétrique, avec un aspect de doublement des paupières inférieures (plis sous-palpébraux) qui sont épaissies (figures 1 et 2). Il existe le plus souvent un amincissement, voire une disparition de la queue des sourcils (signe de Hertoghe)14, une hyperpigmentaion cutanée et un eczéma furfuracé. À sa suite, Bardach(13) a considéré le signe de Dennie-Morgan comme un signe d’allergie, toutes manifestations allergiques confondues, mais de nombreux dermatologues l’ont assimilé à la dermatite atopique(14), ce qui est pour le moins exagéré, tandis que d’autres en ont amélioré la signification. C’est ainsi que Blanc et Coll. (15) ont décrit un aspect souligné des replis palpébraux, constituant des cercles de teinte sombre, encore plus typiques de l’allergie que le « signe de Dennie-Morgan simple ». Au cours de la dermatite atopique, le signe de Dennie-Morgan peut s’accompagner d’un eczéma furfuracé des paupières. Figure 1. Signe de Dennie-Morgan extrêmement marqué avec double replis hypertrophiques, de couleur sombre, des paupières inférieures. Figure 2. Signe de Dennie-Morgan avec amincissement des sourcils, voire disparition de la queue des sourcils (signe de Hertoghe). Chez ce patient, la queue des sourcils avait disparu. Noter un eczéma furfuracé des paupières inférieures et surtout supérieures. Aspect de « triple signe de Dennie-Morgan ». Signe du salut de l’allergique L’explication de ce signe ne soulève guère de discussion : l’enfant atteint de rhinite allergique souffre d’un écoulement et d’un prurit nasal gênants. Pour soulager cette gêne, le plus souvent importante, l’enfant n’a pas d’autre possibilité que de se frotter le nez de bas en haut (figures 3 et 4). La répétition de ce mouvement provoque des fractures cutanées qui dessinent une ligne horizontale, au-dessus de la pointe du nez (figures 5 et 6).   Figure 3. Signe du salut de l’allergique chez un jeune enfant atteint de rhinite allergique. Figure 4. Signe du salut de l’allergique effectué de façon élégante par une fillette que l’on devine atteinte également de conjonctivite. Figure 5. Les mouvements répétés, souvent incessants, d’essuyer le nez de bas vers le haut (revoir la figure 3, p. 6), entraînent une fracture cutanée linéaire, 1 ou 2 cm au-dessus de la pointe du nez. Noter l’aspect foncé des paupières inférieures bien décrit par Blanc et coll.(15) au cours du signe de Dennie-Morgan. Figure 6. Fracture linéaire 2 cm au-dessus de la pointe du nez : ici la cicatrice est hypopigmentée. Schéma vasculaire palmaire En 2006, Schuster et coll. (16) ont observé de nouveaux symptômes. Pour ces auteurs, la « diathèse cutanée atopique » est un terme clinique pour décrire les peaux des patients avec un syndrome d’eczéma/dermatite atopique antérieur, présent ou futur. En pratique clinique, une évaluation précise de la diathèse cutanée atopique chez les patients non eczémateux peut être difficile. La perturbation de la vasoréactivité des peaux atopiques se manifeste par un dermographisme blanc, une réponse vasculaire irrégulière aux stimuli thermiques et des réactions cutanées paradoxales à l’histamine, aux agents cholinergiques et aux nicotinates. Schuster et coll. (16) ont inclu dans une étude monocentrique 40 personnes, dont 20 à peau atopique, évalués par le score d’atopie d’Erlangen ADCT (Atopic Dermatitis Control Tool) et un taux élevé d’IgEs sériques totales (> 150 U/ml). Des photographies numériques standardisées des paumes ont été présentées en aveugle à 5 dermatologues dans un ordre aléatoire au moyen du système d’analyse d’imagerie informatisé KS400 3.0. L’évaluation des images originales en couleurs RVB (rouge, vert, bleu) et des images modifiées en niveaux de gris a montré qu’un motif réticulaire prononcé d’érythème des paumes était significativement plus fréquent chez les atopiques cutanés (72 % et 69,6 %, respectivement) (p < 0,0001). Le schéma vasculaire macroscopique de la paume pourrait être une caractéristique diagnostique supplémentaire de l’atopie, mais d’autres études sont nécessaires pour établir sa prévalence exacte et sa pertinence(16).   « Le schéma vasculaire macroscopique de la paume pourrait être une caractéristique diagnostique supplémentaire de l’atopie »   Hypertrophie et vascularisation épidermiques Plusieurs études tentent d’estimer l’hypertrophie épidermique, dont la diminution ou la disparition sont corrélées avec l’amélioration ou la guérison de la dermatite atopique(17) (figures 7 et 8). Cette mesure serait précieuse pour savoir si les traitements doivent être poursuivis ou non. Les mesures par tomographie par cohérence optique (OCT pour Optical Coherence Tomography) sont difficiles à interpréter. Les mesures angiographiques OCT de la profondeur et de la morphologie vasculaires peuvent représenter un biomarqueur robuste pour quanti- fier la gravité de la DA clinique et subclinique. Byers et coll. (17) ont étudié les données angiographiques acquises chez32 patients ayant une DA de sévérité variable. En substance, des couches vasculaires plus profondes dans la peau se sont avérées corrélées à une sévérité clinique croissante. De plus, pour les patients atteints de DA ne présentant aucun symptôme clinique, la profondeur du plexus superficiel s’est avérée significativement plus importante que celle des patients sains au niveau du coude (p = 0,04) et du genou (p < 0,001), ce qui suggère que des changements subcliniques de sévérité peuvent être détectés. De plus, la morphologie des vaisseaux semblait altérée chez les patients atteints de DA sévère, avec des diamètres, des longueurs, des densités et des dimensions fractales des vaisseaux significativement différents. Ces paramètres fournissent des informations précieuses sur la gravité subclinique de la maladie, permettant de surveiller les effets des traitements au-delà du point de rémission clinique(17). Figure 7. Faciès atopique chez un nourrisson portant un signe de Dennie-Morgan bilatéral. Dermatite atopique débutante de la tête et du cou. Des travaux sont en cours(17) pour tenter de mesurer l’hypertrophie cutanée au cours de la dermatite atopique par des techniques scannographiques-like. Figure 8. Xérose et lésions des plis. Figure 9. Xérose importante et quelques lésions érythémateuses avec prurit. Autres stigmates/ symptômes L’examen complet de l’enfant comporte systématiquement la palpation des régions rétro-auriculaires (fissures derrière le lobule de l’oreille) et du creux des genoux (recherche de discrètes lésions eczémateuses). L’examen de la surface abdominale recherche une peu sèche, des lésions de dermatite. On évoquera ici le fait que la diminution de la fonction barrière de la peau facilite le passage d’allergènes, comme en particulier l’arachide dans les familles consommatrices, comme l’a montré l’étude LEAP (Learning about peanut allergy). Les nourrissons atteints de dermatite atopique se sensibilisent à l’arachide par voie cutanée puis développent ensuite une allergie en la consommant (18,19).   « Les nourrissons atteints de dermatite atopique se sensibilisent à l’arachide par voie cutanée »   Conclusion Les principales images des stigmates de l’atopie sont présentées car si, certes, les pédiatres les connaissent, il se peut que certains les oublient parfois. Et pourtant ils font partie de ces signes qui, plus nombreux qu’on ne le pense, nous permettent de porter des diagnostics d’inspection ou au moins de les suspecter. Ils sont précédés d’un texte qui permet de définir les termes « atopie/allergie », presque synonymes dans la pratique, y compris leur genèse historique, et leur sens dans la pratique clinique courante. Pour une majorité de ces images, on s’apercevra que les stigmates d’atopie sont présents alors même que les patients sont depuis longtemps allergiques ! Et, inversement, on verra que de nombreuses personnes porteuses de ces stigmates ne présentent encore aucun signe d’allergie.   Remerciements à Françoise Giordano-Labadie et André Labbé pour le prêt de certaines images.

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