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Néonatologie

Publié le 26 avr 2023Lecture 8 min

Les erreurs innées du métabolisme au tamis du dépistage

Entretien avec Jean-Baptiste ARNOUX, Centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme, hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP), Paris

Avec l’alcaptonurie Archibald Garrod (1857-1936) décrivait en 1909 la première maladie métabolique, il en dévoilait la physiopathologie et élargissait son observation au concept d’erreurs innées du métabolisme. Un peu plus d’un siècle plus tard, neuf de ces erreurs innées sont depuis le début de cette année dépistées à la naissance. Jean-Baptiste Arnoux (Centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme, hôpital Necker-Enfants malades, Paris) revient sur les raisons de l’élargissement du dépistage néonatal.

Pédiatrie Pratique – Quelles ont été les raisons qui ont conduit au dépistage généralisé de ces 7 maladies supplémentaires à partir du 1er janvier 2023 (encadré) ? Jean-Baptiste Arnoux – Ces maladies ont été évaluées à la suite d’une recommandation de la HAS début 2020. Deux ans auparavant, en 2018, lorsque le plan national maladies rares a été dévoilé, la HAS s’est auto-saisie de l’évaluation de 24 maladies du métabolisme intermédiaire, un choix lié au fait que ces pathologies sont dépistées depuis une vingtaine d’années dans de nombreux pays. Dans un premier temps, une étude médico-économique a été réalisée visant à évaluer le coût global et à confirmer que le dépistage apporterait un bénéfice à l’enfant. Par la suite, un groupe de travail a été constitué avec un large panel rassemblant des experts de ces maladies sur les plans clinique et biologique, mais aussi un philosophe, un éthicien, un méthodologiste, un gynécologue, une sage-femme et des associations de patients (notamment Feux Follet, une association de patients atteints de maladies métaboliques). Pédiatrie Pratique – Sur quels critères cette évaluation a-t-elle reposé ? J.-B. Arnoux – L’évaluation s’est faite au regard des 10 critères de Wilson et Jungner1 définis en 1968 pour préciser les conditions dans lesquelles un dépistage – au sens large (pas seulement néonatal) – peut être efficace. Parmi ces critères, on peut citer : une maladie grave, dont l’histoire clinique est connue et qui comporte une phase asymptomatique pendant laquelle il est possible d’agir. Cette maladie doit être un problème de santé public, ce qui est discutable pour une maladie rare, mais qui le devient moins lorsque l’on en regroupe plusieurs. Ces critères stipulent également qu’un test de dépistage suffisamment sensible et spécifique doit exister et qu’un traitement efficace, capable de changer l’évolution de la maladie, doit être disponible. Enfin, la dimension économique n’est pas absente, puisqu’il est précisé que le coût du dépistage doit être compensé par les bénéfices attendus dans la prévention du handicap. Ensuite, un quorum plus large de spécialistes a classé les 24 maladies au regard des critères révisés. Avec cette méthodologie, 7 d’entre elles ont été retenues, pour lesquelles le bénéfice ne semble pas discutable. D’ailleurs, ces pathologies correspondent à celles qui sont les plus fréquemment dépistées en Europe. Pour diverses raisons, certaines pathologies ont été totalement écartées, par exemple parce qu’il n’existe pas de traitement, tandis que 5 autres ont été mises en attente et doivent être réévaluées dans le courant de l’année.   Pédiatrie Pratique – Disposons-nous de bilans de ces dépistages menés dans d’autres pays ? J.-B. Arnoux – Pour plusieurs de ces maladies, le dépistage existait dans d’autres pays depuis une vingtaine d’années. Nous nous sommes donc appuyés sur des bilans qui disposaient d’un important recul.   Pédiatrie Pratique – Ces nouveaux dépistages nécessitent-ils d’autres prélèvements ? J.-B. Arnoux – Non, il n’y a pas besoin d’examens supplémentaires à la maternité, ni de prélèvement sanguin en plus sur le test de Guthrie. Ce test est le fameux papier buvard sur lequel est déposé six taches de sang, sang prélevé au talon ou à la main, entre 48 et 72 heures de vie. La spectrométrie de masse en tandem utilisée par les laboratoires de dépistage permettant de faire des analyses multiplexes, la recherche des 7 maladies supplémentaires se fait en même temps et sur la même goutte de sang que celle utilisée pour la phénylcétonurie et le déficit MCAD, soit 9 maladies au total recherchées simultanément.   Pédiatrie Pratique – Quelles sont la spécificité et la sensibilité requises pour que les tests soient utilisés dans le cadre d’un dépistage généralisé ? J.-B. Arnoux – À ma connaissance, il n’y a pas de seuils précis fixés et selon les cas, ce seuil peut être fixées sur des critères de données de distribution de populations (par exemple les bébés ayant un résultat au-dessus du 99,9e percentile, soit > 0,45 μmol/L pour le C5DC, sont suspects d’acidurie glutarique de type I) ou de critères purement épidémiologiques (par exemples les patients ayant une leucinose classique ont tous au dépistage un dosage de XLE > 500 μmol/L). Pour que le test soit fiable, il ne doit pas y avoir trop de faux positifs ni trop de faux négatifs, mais sans préciser plus ces critères de performances, qui varient beaucoup d’un test à l’autre.   Pédiatrie Pratique – Pour des maladies dont la prévalence est très faible, la valeur prédictive positive (VPP) diminue significativement. Le risque n’est-il pas d’avoir surtout des faux positifs ? J.-B. Arnoux – Oui, et plus on multiplie le nombre de maladies dépistées et plus il y aura de faux positifs. La plupart des nouvelles maladies dépistées ont en effet une prévalence faible, d’environ 1 pour 100 000 enfants, et même de 1/300 000 pour l’homocystinurie par déficit en CBS. En moyenne, pour le dépistage néonatal, la valeur prédictive positive est de 20-30 % mais cela est très variable d’une pathologie à l’autre. Pour l’hyperplasie congénitale des surrénales, la VPP est de l’ordre de 5 à 6 %, alors que pour la phénylcétonurie on est à environ 30 %. Il faut aussi trouver les seuils de dépistage de façon à ne pas augmenter le nombre de faux positifs tout en ayant le moins de faux négatifs possibles, l’objectif étant de ne pas louper d’enfants malades. Il suffit parfois de changer très légèrement le réglage d’une machine ou le seuil de positivité pour que 500 enfants de plus deviennent positifs au test. Nous sommes dans une phase où nous découvrons les VPP de ces 7 maladies supplémentaires et, depuis le 1er février, des seuils ont déjà été adaptés. Par exemple pour le déficit en LCHAD, on s’est rendu compte que le dosage de C16OH, un biomarqueur très spécifique de la bêta-oxydation des acides gras, et en particulier du déficit en LCHAD, donnait beaucoup plus de faux positifs que dans les autres pays, sans trouver de vrais malades, ce qui signifie que le seuil était trop bas.   Pédiatrie Pratique – La sensibilité du dépistage dépend également de l’adhésion de la population cible. Dans cette perspective, le taux de refus est-il à prendre en compte ? J.-B. Arnoux – Le dépistage est systématique mais il n’est pas obligatoire. Une brochure est distribuée aux parents en fin de grossesse (voir figure : https:// depistage-neonatal.fr/ wp-content/uploads/2021/ 11/De%CC%81pliant-DNN.pdf) et le dépistage est ensuite proposé par une sage-femme ou une infirmière. Si les parents le refusent, ils doivent signer un formulaire de décharge. Il existe toutefois un débat pour savoir si ces tests devraient devenir obligatoires en considérant avant tout l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour l’instant, il faut encore l’accord des parents du fait que le prélèvement est réalisé sur un enfant qui ne présente aucun symptôme et ne se plaint de rien. En 2021 sur 750 000 naissances, 378 refus ont été répertoriés, soit 0,05 % de rejet, ce qui représente un taux assez faible. Le problème est que ces chiffres augmentent puisque le nombre de refus n’était que de 99 en 2011. Figure. Dépistage néonatal, brochure distribuée aux parents en fin de grossesse.   Pédiatrie Pratique – La HAS a émis en 2022 un avis orientant vers un dépistage généralisé de la drépanocytose, et non plus ciblé sur les populations à risque, comme il l’était jusqu’alors. Pourquoi ? J.-B. Arnoux – Les populations étant de plus en plus mélangées, il existe de plus en plus de risques de ne pas dépister des enfants malades. Il est ainsi estimé qu’environ 2 000 enfants avec drépanocytose sont passés entre les mailles du filet, car les parents ne semblaient pas à risque, selon le jugement du professionnel de santé qui avait fait le prélèvement de dépistage. Cet avis de généralisation va probablement être suivi d’une mise en œuvre effective, mais il va falloir organiser les laboratoires pour absorber les prélèvements de plusieurs centaines de milliers d’enfants en plus chaque année.   Pédiatrie Pratique – Comment va s’organiser l’évaluation de ces nouveaux dépistages ? J.-B. Arnoux – Tous les enfants positifs à un test sont signalés par le centre de dépistage au pédiatre spécialiste. Celui-ci contacte les parents et réalise les examens nécessaires à la confirmation du diagnostic. Il doit adresser ensuite une fiche au centre de dépistage pour préciser si le diagnostic a été confirmé ou pas. L’ensemble de ces données sont colligées au niveau de Centre national de coordination de dépistage néonatal (CNCDN) et permettent d’établir des statistiques de faux positifs. Par ailleurs, au sein de la filière G2M (filière des maladies rares héréditaires du métabolisme), un registre des patients atteints de ces 7 nouvelles maladies dépistées va être créé. Cela va permettre de comparer sur le long terme les patients dépistés à ceux qui ont été diagnostiqués avant 2023. Ce registre va également permettre d’évaluer le nombre de faux négatifs, les patients chez qui le dépistage n’avait pas alerté et qui étaient pourtant atteints de la maladie. La difficulté est que cette évaluation repose sur du déclaratif, il faut que le médecin spécialiste pense à informer le CNCDN.   Pédiatrie Pratique – En cas de test positif, quels types d’examens sont pratiqués pour confirmer le diagnostic ? J.-B. Arnoux – Quelle que soit la maladie suspectée, ce ne sont que des prises de sang et des analyses d’urines, il n’y a pas d’examens invasifs pour confirmer/écarter le diagnostic.   Propos recueillis par G. LAMBERT le 13 février 2023      

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