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Tribune

Publié le 26 mar 2021Lecture 18 min

L’intérêt supérieur de l’enfant : une responsabilité de tous et de chacun

Geneviève AVENARD, Ancienne Défenseure des enfants, adjointe du Défenseur des droits

Sommes-nous bien certains de toujours respecter l’intérêt supérieur des enfants : quand un jeune enfant doit attendre plusieurs mois avant sa prise en charge en structure de soins spécialisée de type CAMSP ou CMPP ? Quand des adolescents sont soignés à l’hôpital dans des services d’adultes, en l’absence de places de pédopsychiatrie ? Quand des enfants sont refusés d’inscription à l’école par des mairies au motif du statut de leurs parents ? Quand des nouveau-nés vivent à la rue ou dans des bidonvilles, sans possibilité d’être hébergés dignement ? Quand des enfants victimes de violences intrafamiliales ne sont pas repérés, ni protégés faute de coordination entre acteurs ? Quand les jeunes pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance sont contraints de suivre une scolarité courte, pour le seul motif financier ? Quand des enfants handicapés sont envoyés en Belgique, en raison de l’insuffisance d’offre de service médico-sociale ?
Toutes ces questions et tellement d’autres renvoient à autant de situations réelles dont a été saisi le Défenseur des droits, et qui nous interrogent collectivement sur nos devoirs vis-à-vis de nos enfants, en particulier les plus vulnérables.

Le Défenseur des droits est une autorité indépendante, chargée par la Constitution de veiller au respect des droits et libertés. La loi organique du 29 mars 2011 lui a notamment confié la mission de « défendre et promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant », mission assurée spécifiquement par un adjoint, Défenseur des enfants. Dans ce cadre, il traite chaque année plus de 3 000 réclamations dont il est saisi par des parents, des professionnels, des associations ou des collectifs, aussi par des enfants, et entretient des relations étroites et régulières avec la société civile. Le Défenseur des droits est le mécanisme national de suivi de la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant. Geneviève Avenard a été Défenseure des enfants auprès de Jacques Toubon, Défenseur des droits, de 2014 à 2020 ; elle a également été présidente du réseau européen des Défenseurs des enfants entre 2017 et 2018 (ENOC, European Network of Ombudspersons for Children). « Si les intérêts des enfants ne sont pas mis en exergue, ils tendent à être négligés »(1). L’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) consacre le droit à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale dans toute décision, individuelle et collective, qui le concerne, et qui va de fait avoir une incidence sur sa vie, son développement et son bien-être. La portée de ce droit est capitale, ainsi que les responsabilités qui en découlent pour l’ensemble des institutions publiques et privées, des professionnels et des adultes en général. Il a ainsi été érigé comme l’un des quatre principes directeurs de la convention, dont le rôle est de garantir sa bonne appréhension et sa complète application, au même titre que le droit à la vie, à la survie et au développement, le droit à la non-discrimination et le droit à exprimer librement son opinion. Il aura toutefois fallu attendre plus de 15 ans après l’adoption de la CIDE et sa ratification par la France, pour que l’article 3 soit considéré d’applicabilité directe dans notre droit interne, conjointement par le Conseil d’État et la Cour de cassation, et encore 14 ans avant que le Conseil constitutionnel ne reconnaisse pour la première fois, en 2019, « une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant », dans une décision portant sur une question prioritaire de constitutionnalité(2). Une avancée incontestable, mais dont il faudra suivre l’application concrète. Il existe en effet aujourd’hui un décalage important entre les droits proclamés dans la CIDE et les droits réels des enfants, et d’une manière générale, la culture des droits de l’enfant peine à s’installer effectivement dans notre pays. Pour preuve, ce n’est que très récemment que le Parlement français a fini par voter l’abolition des violences dites éducatives ou ordinaires envers les enfants, et que le « pays des droits de l’homme » a rejoint les 55 états l’ayant précédé dans cette voie. Les droits de l’enfant restent globalement ignorés. En 2016, selon une enquête nationale du Défenseur des droits menée auprès d’un échantillon de 5 000 personnes, seule une personne interrogée sur deux était en capacité de citer l’un d’entre eux. De plus, ils ne constituent pas un cadre de référence habituel pour les politiques ou les institutions, y compris celles qui s’adressent aux enfants. Ils sont souvent mal compris, par exemple quand on leur oppose les « devoirs » des enfants au lieu d’interpeller la responsabilité des adultes. Enfin, ils sont encore considérés comme de moindre importance, « des petits droits », dont la mise en œuvre peut attendre… qu’ils aient grandi ! Au fond, ce qui crée encore et toujours résistance, dans notre société patriarcale, c’est le changement de paradigme introduit par la convention, qui a consacré l’enfant, non plus comme un objet du droit, mais comme un sujet à part entière, titulaire de droits propres, non plus comme la « propriété » de ses parents, mais, dès son plus jeune âge, comme un individu de même valeur que les adultes et un membre actif de la communauté : avec, d’un côté, des vulnérabilités propres qui justifient des soins et une protection spécifiques et, de l’autre, des capacités et des compétences qu’il convient d’encourager et de soutenir. Cette résistance est tout particulièrement à l’œuvre, concernant la considération primordiale qui doit être portée à l’intérêt supérieur de l’enfant. À l’issue du 5e examen périodique de la France, en janvier 2016, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU notait ainsi « avec préoccupation que ce droit n’est pas suffisamment intégré en pratique et n’est pas toujours convenablement apprécié, ni défini dans toutes les actions et décisions des pouvoirs publics ». Elle interroge sur la place qui est effectivement faite aux enfants dans et par les politiques publiques et les institutions, ainsi que sur l’attention que leur porte véritablement notre société. En les considérant pour ce qu’ils sont : non pas des « adultes en miniature », mais des êtres humains tout à la fois « complets et inachevés », « à égalité d’être avec les adultes ». « L’adulte et l’enfant : c’est comme s’il y avait deux vies. L’une que l’on prend au sérieux et que l’on respecte, l’autre que l’on tolère avec quelque indulgence et à laquelle on accorde moins d’intérêt. Pourtant, il s’agit bien d’une seule et même personne»(3). Une approche globale visant le bien-être des enfants Pour bien comprendre le sens de l’article 3, il convient en préalable de rappeler que la finalité de la Convention internationale des droits de l’enfant est de veiller au bien-être global, au développement et à l’épanouissement des enfants, dans une approche universelle. Lors de son adoption en 1989, l’Assemblée générale des Nations unies avait solennellement déclaré faire la promesse aux enfants d’un monde meilleur. Elle présente une double dimension : une dimension de protection : en raison de leur « manque de maturité physique et intellectuelle », les enfants doivent bénéficier d’une protection et de soins spéciaux ; une dimension d’émancipation, l’enfant devant être progressivement préparé à assumer ses responsabilités d’adulte. Les droits des enfants se caractérisent par leur indivisibilité et leur « indissociabilité ». Ils doivent être appréhendés de manière globale, sans hiérarchisation, chacun d’entre eux interagissant avec les autres dans une sorte de cercle vertueux pour atteindre la finalité visée. Par exemple, la réalisation du droit à l’éducation peut être empêchée si le droit à un niveau de vie suffisant, ou le droit à être protégé contre les violences, ou le droit à la santé ne sont pas suffisamment respectés : un enfant aura d’autant plus de mal à se concentrer sur les apprentissages, qu’il sera hébergé avec sa famille dans un dispositif d’urgence, à plusieurs dans une seule chambre, sans les moyens de se nourrir convenablement et sans possibilité de jouer. De plus, les droits des enfants sont interdépendants de leurs besoins fondamentaux, universels, mais aussi spécifiques à leur situation singulière tels le handicap, la pauvreté, les migrations, la prise en charge en protection de l’enfance… Cette interdépendance est essentielle, car la reconnaissance en faveur des enfants de droits propres « objective » leurs besoins fondamentaux et garantit que ceux-ci soient pris en compte et respectés par la société dans son ensemble. L’approche par les droits constitue donc un levier extraordinaire non seulement pour la construction personnelle et sociale de chacun, mais aussi pour promouvoir l’égalité entre tous les individus. L’on pourra se référer sur ce point au rapport de démarche de consensus portant sur les besoins fondamentaux des enfants en protection de l’enfance, remis en 2017 par le Dr Marie-Paule MartinBlachais, qui définit une classification des besoins des enfants reliée à leurs niveaux de développement. Ce rapport identifie un « méta-besoin » universel de sécurité physique, psychique et affective, qui se trouve être l’interface indissociable de divers droits reconnus par la CIDE : par exemple, le droit à être protégé contre les violences (article 19) ; le droit à ne pas être séparé de ses parents (article 9) et le droit d’entretenir des relations personnelles et des contacts réguliers avec ces derniers (articles 9 et 10). Autre illustration, le rapport énonce le besoin fondamental « d’exploration du monde et d’expériences visant à développer les compétences motrices, réflexives, expressives et ludiques de l’enfant », qui renvoie très directement à l’article 31 consacrant « le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge, et de participer librement à la vie culturelle et artistique ». Enfin, le concept d’intérêt supérieur de l’enfant est lui-même consubstantiel à la fois des droits et des besoins fondamentaux, qu’il vient englober et en quelque sorte transcender dans une approche holistique. Selon le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, « la pleine application du concept d’intérêt supérieur de l’enfant passe par l’élaboration d’une approche fondée sur les droits de l’homme, impliquant tous les acteurs, afin de garantir dans sa globalité l’intégrité physique, psychologique, morale et spirituelle de l’enfant et de promouvoir sa dignité humaine(4) ». Il vise ainsi « la réalisation complète et effective de tous les droits reconnus dans la convention, en même temps que le développement global de l’enfant, physique, mental, moral, spirituel, psychologique et social », défini comme « la satisfaction de ses besoins matériels, physiques, éducatifs, affectifs, et de sécurité ». En résumé, son bien-être. Vaste programme ! Qui fait clairement ressortir que le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant relève nécessairement d’une responsabilité conjointe entre tous les acteurs qui vont intervenir à un titre ou à un autre, pouvoirs publics, institutions et professionnels. Et qui implique deux conditions incontournables : appréhender l’enfant dans sa complétude et non de manière parcellaire ou séparée, voire morcelée selon les différents champs des politiques publiques : santé, éducation, justice, protection, etc. Concrètement, il s’agit de lutter contre les cloisonnements et les clivages de tout genre ou les représentations réciproques, en renforçant la pluridisciplinarité des équipes, ainsi que la coordination et les coopérations au service des enfants ; le considérer spécifiquement en sa qualité d’enfant, nécessitant une « protection et des soins spéciaux », fondés sur ses besoins propres et le caractère évolutif de ses capacités, le terme de « soins » devant être pris au sens très large du « prendre soin ». Cela requiert d’élaborer des politiques publiques dédiées et/ou adaptées aux enfants, ce qui dans la réalité n’est pas l’évidence que l’on croit. Également de pouvoir compter sur des professionnels spécialisés, disposant de compétences approfondies selon l’âge et les problématiques rencontrées par les enfants, tout en développant largement auprès de l’ensemble des acteurs intervenant auprès d’enfants un socle de connaissances partagé portant sur les droits, les besoins fondamentaux et le développement de l’enfant. Une considération primordiale : se centrer d’abord sur l’enfant Article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. 2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bienêtre, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. 3. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel, ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. Selon le Comité des droits de l’enfant, « les intérêts de l’enfant ne sont pas une considération parmi d’autres seulement » et « ils ont un rang de priorité élevé ». L’intérêt supérieur de l’enfant doit donc constituer une considération essentielle et première pour les autorités publiques ou privées dans toute décision de leur part qui va concerner un ou plusieurs enfants(5). Pour le dire simplement, l’article 3 de la convention emporte l’obligation de se centrer prioritairement sur l’enfant. Cette obligation doit être appréhendée de manière large et systémique. D’abord, elle concerne l’ensemble des institutions notamment de protection sociale, et des autorités législatives, administratives et judiciaires, au niveau national comme au plan local. Ensuite, elle recouvre non seulement les décisions, stricto sensu, individuelles et collectives, mais aussi la totalité des actions menées, que leur incidence soit directe ou indirecte sur la vie de l’enfant et son développement global : politiques, plans d’action, offre de service, organisation des services, budgets, formation des professionnels, procédures, y compris le partenariat et la coordination entre institutions, etc. Enfin, s’agissant des politiques publiques, elle s’applique à la fois celles qui sont « ciblées » sur les enfants (santé, éducation, etc.) et celles qui traitent de questions d’ordre général s’adressant à la population dans son entier (environnement, logement, transport, etc.), même si pour les premières les exigences sont nécessairement plus fortes. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU explique que « toutes les mesures prises par un État touchent les enfants d’une manière ou d’une autre », en d’autres termes, il n’existe pas de politique et d’action qui soit neutre pour ces derniers, et qui n’affecte pas positivement ou négativement, leur vie. L’alinéa 3 met en particulier en relief que le fonctionnement même des établissements et services de protection sociale est susceptible de porter atteinte, de manière certes indirecte, mais structurellement, au respect effectif de l’intérêt supérieur des enfants accueillis ou accompagnés, si trois conditions générales ne sont pas au préalable réunies : des normes minimales portant sur la santé et la sécurité des enfants, du personnel en nombre suffisant et suffisamment formé, l’existence d’un contrôle efficient des structures. Cette obligation suppose intrinsèquement que l’intérêt supérieur de l’enfant soit dûment évalué, préalablement à tout genre de décision. L’intérêt supérieur de l’enfant n’est en effet pas un critère absolu ni un concept générique qui s’appliquerait ipso facto à tout enfant, dans tout contexte. Il doit être déterminé concrètement, au cas par cas, en fonction de la situation et des circonstances propres à un enfant, à un groupe d’enfants partageant les mêmes caractéristiques, ou aux enfants en général (âge, sexe, famille, conditions de vie, existence de vulnérabilités particulières, etc.). Il est par principe l’antithèse des généralités et des stéréotypes, et plus largement des dogmes et des idéologies. En pratique, l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant requiert donc de manière systématique une première phase de recueil rigoureux et complet des données concernant l’enfant et sa famille, conduite par des équipes pluridisciplinaires. Cette phase devra également s’appuyer sur une organisation précise des modalités de partage des informations nécessaires entre les institutions concernées. Cette question de la connaissance fine des enfants vaut à tous les niveaux. Le Comité des droits de l’enfant, en janvier 2016, a ainsi exprimé sa préoccupation devant le caractère fragmentaire et l’insuffisante fiabilité des données statistiques nationales, sur tous les champs couverts par la convention, et en particulier concernant les violences à enfants. Il s’agira ensuite d’analyser les données et informations recueillies, toujours dans un cadre pluridisciplinaire, par des professionnels formés aux droits, aux besoins fondamentaux et aux stades de développement des enfants, mais aussi aux méthodologies de type « diagnostic » ou « recherche ». La version originale : « the best interest of children » (le meilleur intérêt des enfants), est de ce point de vue plus explicite que sa traduction en français. Elle induit en effet le déploiement systé matique d’une démarche dynamique mettant en balance les différents « intérêts de l’enfant » qui auront été identifiés, afin de déterminer parmi eux, celui qui devra finalement être privilégié. À titre d’illustration, le film My Lady(6)montre avec intelligence comment une magistrate de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles, jouée par Emma Thompson, est amenée à évaluer l’intérêt supérieur d’un jeune homme de 17 ans, atteint de leucémie qui refuse toute transfusion sanguine pour des raisons religieuses. Elle devra arbitrer entre des droits relevant d’une dimension de protection (droit à la vie et à la survie, droit à la santé) et un droit ressortant d’une dimension d’émancipation (droit à la liberté de conscience). En outre, l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant inclut la responsabilité pour les pouvoirs publics et les institutions, d’évaluer de manière continue et durable les impacts sur l’enfant ou les enfants de leurs décisions, tant « a priori », notamment pour éviter ou limiter ceux qui risqueraient d’être défavorables aux droits et aux besoins fondamentaux de ces derniers, qu’« a posteriori », afin d’adapter et ajuster les dispositions prises. Par exemple, les projets ou propositions de loi ayant une incidence sur les enfants devraient être précédés d’études décrivant leur impact sur les droits des enfants et leurs besoins fondamentaux. Or, il faut savoir qu’il n’existe, à ce jour, toujours pas en France d’obligation de conduire de telles études, à la différence du handicap et de l’égalité femmes-hommes pour les quels elle est en vigueur depuis plusieurs années. Par conséquent, des lois importantes pour la vie des enfants sont régulièrement adoptées sans que leurs répercussions directes ou indirectes aient été examinées, c’est le cas notamment des réformes successives des rythmes scolaires, ou de la récente procédure de divorce par consentement mutuel devant notaire. Enfin, l’obligation consacrée par l’article 3 implique de mesurer le poids effectif donné à l’intérêt supérieur de l’enfant dans les décisions au sens large prises par les différentes autorités. Cet aspect est sans doute celui qui suscite le plus de résistances. Les travaux du Défenseur des droits montrent que, sans forcément intentionnalité, et de manière souvent non consciente, les logiques d’adultes prévalent aujourd’hui largement dans tous les secteurs, qu’il s’agisse des droits des parents ou de ceux des professionnels, des logiques institutionnelles et gestionnaires ou des considérations d’ordre économique. Le temps des enfants en particulier est souvent négligé, ou sous-estimé dans ses effets à court et à long terme sur le développement et le bien-être des enfants. Or tout délai, tout retard apporté dans la prise ou la mise en œuvre des décisions, équivaut au non-respect de leurs droits, de leurs besoins fondamentaux et donc de leur intérêt supérieur. L’enfant, un acteur à part entière L’article 12 de la CIDE(7) reconnaît à l’enfant capable de discernement le droit d’être entendu sur toute question qui l’intéresse et à ce que son opinion soit prise au sérieux, en fonction de son âge et de son degré de maturité. Ce droit, qui est également un principe directeur de la convention, est consubstantiel du statut de sujet de droits de l’enfant, et est indissociable de l’article 3, le Comité des droits de l’enfant qualifiant même leurs liens d’« inextricables ». Aussi, toute décision concernant un enfant, qui a été prise sans le consulter, ou sans écouter sa parole, est réputée contraire à son intérêt supérieur. Les autorités et institutions se doivent en conséquence de permettre à l’enfant (ou les enfants selon le cas) d’être informé des décisions qui sont envisagées le concernant, à poser des questions, à exprimer son ressenti et à faire part de son point de vue. Or d’une manière générale, il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine, comme l’a mis en lu mière la consultation nationale(8) menée en 2019 auprès de 2 200 enfants, principalement en situation de vulnérabilité : deux tiers d’entre eux n’avaient jamais entendu parler de leurs droits, ni jamais été consultés et associés aux décisions les concernant pourtant directement(9). La parole des enfants est très souvent négligée, elle est également décrédibilisée, les adultes restent ancrés sur des jugements préformés ou a priori, et estiment mieux connaître ce qu’il convient de faire que les enfants eux-mêmes. De plus, la formation des professionnels, quels qu’ils soient, dans ce domaine est très largement insuffisante, et dans la réalité, le temps de travail consacré à des contacts directs avec des enfants favorisant leur expression et leur écoute, est réduite à la portion congrue. Concrètement, le premier impératif pour les politiques publiques et les acteurs institutionnels est-il de garantir un cadre éthique et méthodologique de recueil de la parole des enfants, adapté à leur âge, leur maturité et leur niveau de développement, dans une approche inclusive (les tout-petits, les plus vulnérables, etc.) et respectant l’intérêt supérieur des enfants, dans une double dimension de protection et d’émancipation. Conclusion Des progrès importants doivent encore être accomplis pour que l’intérêt supérieur des enfants, de tous les enfants, soit compris et appliqué correctement, dans les pratiques des institutions et des professionnels. La crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés l’a clairement montré, pendant la première période. En effet, s’il n’est pas contestable que les pouvoirs publics aient eu l’obligation de prendre en urgence des dispositions exceptionnelles, les enfants et leur intérêt supérieur n’ont de fait pas représenté une préoccupation prioritaire, alors que leur vie était bouleversée par la pandémie et le confinement, et qu’ils en subissaient de lourdes conséquences sur leur sécurité et leur développement, particulièrement pour les plus vulnérables (handicap, protection de l’enfance, pauvreté, migrations, etc.). Sans possibilité d’exprimer et partager leurs inquiétudes, leurs interrogations et leur ressenti. Victimes collatérales invisibles… Sauf pour les désigner durant plusieurs mois comme des facteurs de contamination ! Dans ce contexte, la parole de la Société française de pédiatrie et des différentes sociétés de spécialités pédiatriques a été essentielle. Elles ont pris position sur l’importance de garantir la continuité de la scolarisation, y compris en cas de maladie chronique, ou sur les risques d’augmentation de l’exposition des enfants et adolescents aux violences intrafamiliales et conjugales. Depuis, des évolutions favorables ont été constatées, telle la décision de ne pas fermer les écoles durant le second confinement. La création récente par l’Assemblée nationale d’une commission d’enquête chargée spécifiquement de mesurer les effets de la crise de la Covid-19 sur les enfants et les jeunes témoigne d’une prise de conscience salutaire. Par ailleurs, les inquiétudes des acteurs quant à la santé mentale des moins de 18 ans sont aujourd’hui reprises dans le discours public. Et si respecter pleinement l’intérêt supérieur des enfants, c’était le commencement du « monde d’après » ?

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